Le Linge (Verhaeren)
LE LINGE
Et tout leur poids
Pesant sur le fer chaud qui glace et broie
Le raide empois,
Les massives servantes
Ornent de longs plis droits
Et de courbes savantes
Déborde
De grands et superbes paniers.
On le sécha, le long des cordes,
Au vent vermeil, au vent léger
Avec la bonne odeur des prés,
Avec la bonne odeur de l’air,
Entre ses plis menus et resserrés,
Où fourrage, tel un museau
Lourd, mais rapide,
En chaque recoin, en chaque vide,
Avec leur bras pesant et lent,
Marquant de grandes marges
Plates le linge blanc.
Les servantes repassent ;
Tandis qu’assise à la fenêtre basse,
La maîtresse de la maison
Surveille, interroge, clabaude
À langue chaude
Défilent,
Et tous les voiles des ménages
Du voisinage
Sont soulevés férocement ;
Pour mieux savoir
Feignent
D’abord de ne rien entrevoir ;
Mais les servantes les renseignent,
Flairant le mal dans tous les coins,
Prenant le ciel et la vierge à témoin,
Et tout à coup crispent le poing,
Sur tous les vols dont l’échevin retors,
Et le notaire escroc et l’armateur faussaire
Ont ravagé le champ des communes misères,
S’oublient à remuer, avec un tel emportement,
Ces tas houleux de boue,
Qu’une se brûle en soulevant,
D’un trop rapide mouvement,
Avec le va-et-vient tranquille et lent
D’une aile d’Ange,
Parmi cet unanime étalage de fange,