Le Littré de la Grand’Côte/3e éd., 1903/Air

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Chez l’imprimeur juré de l’académie (p. 8).
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AIR. — Aller grand air et belles manières. Blâmé par Molard, qui ajoute : « Dites grand’erre. » Il est bien vrai que le mot air a été mis ici par confusion avec erre, comme dans cette phrase : « Le vaisseau va grand air » pour erre. Mais aller grand erre et belles manières est absurde. C’est comme si vous disiez : « Cet homme va très vite et belles manières. », Ce n’est que lorsqu’on a eu compris air pour erre qu’on ajouté « belles manières », parce que le grand air et les belles manières vont ensemble. Comp. beau jeu, bon argent.

Avoir l’air d’avoir deux airs. Se dit de quelqu’un qui trahit par son manque d’assurance l’ambiguité de sa conduite. Lorsque mon brave camarade Gouillasson surprit sa femme en fabricandélits avec son faux ami Pétavoine : Dites donc, vous, lui fit-il avec dignité, vous me faites encore l’air d’avoir deux airs !

Il est toujours en l’air. Se dit de quelqu’un qui est empressé, qui se donne constamment du mouvement. « Le canequié Dagniel, qu’était toujou en l’air, » dit l’auteur de la Châste Suzanne.

Avoir ce petit air. C’est ce que, dans leur argot, les Parisiens appellent avoir du chien. Ma grand’, en passant un jour à Sainte-Foy devant la porte de sa chambre, aperçoit, en train de relever ses cheveux devant la glace, sa femme de chambre, qui disait : Je ne sons pas jolie, mais tout de même j’ons ce petit air !

Un air de feu vaut souvent mieux qu’un air de violon. Proverbe dont, par les temps froids, j’ai maintes fois vérifié l’exactitude.

Cette femme a l’air bonne. Seule forme française, en dépit des grammairiens qui veulent qu’on dise a l’air bon, parce que « bon se rapporte à air ». Alors quand, d’après vos principes, vous dites : « Cette pomme à l’air cuit », c’est donc l’air qui est cuit, badauds ? Comprenez donc que ce n’est pas l’air de la femme qui est bon, mais la femme qui a l’air (d’être) bonne ! Pure ellipse.

Donner de l’air à quelqu’un. Ce n’est pas l’éventer, mais lui ressembler. J’assistais un jour à une reconnaissance touchante : Ah ! monsieur, disait devant moi un vieillard à un jeune homme, j’ai beaucoup connu monsieur votre papa. Le digne homme ! nous nous sommes bien souvent soûlés ensemble. C’est extraordinaire comme vous lui donnez de l’air !

Avoir l’air, appliqué à une femme ou à un objet du genre féminin, régit toujours le féminin : Cette femme a l’air bonne ; cette poire a l’air verte. Par analogie, nous disons : Cette fleur sent bonne ; cette moutarde sent forte.