Le Littré de la Grand’Côte/3e éd., 1903/Lettre A

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Chez l’imprimeur juré de l’académie (p. 1-25).
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A



ABADER (S’), v. pr. — S’ensauver, décaniller, prendre la poudre d’escampette, se pousser de l’air, jouer des flûtes, des canilles, des guibolles, tirer ses grègues, etc. — Du provençal badar ouvrir, lui-même du bas latin badare. D’ouvrir, l’idée s’est étendue à sortir.

ABANDON, s. m. — « Acte par lequel un débiteur transmet à ses créanciers la propriété de ses biens ; dites abandonnement. » (Molard)[1]. Homme sévère, mais injuste, vous ne lisiez donc pas l’Académie ! « Abandon se dit pour délaissement. Il a fait l’abandon de sa terre. » (Édit de 1798.) — Mais ne décrions point trop Molard. Le célèbre médecin Marc-Antoine Petit put lui dire, dans son sublime poème d’Onan ou le tombeau du Mont-Cindre : « Noble ami, sage Molard, toi que le ciel sembla nommer instituteur en te nommant quatorze fois père !… » Le français de Marc-Antoine n’était point digne de Molard, mais je serais plus fier d’avoir élevé quatorze enfants que d’avoir écrit l’Énéide.

ABAT, s. m. — Se dit d’une pluie abondante. Quel abat d’eau ! Quelle averse ! — Figurém. Volée de coups. Son homme lui a donné un abat ! Cochard, par suite d’une agglomération assez singulière du nom avec l’article, le donne sous la forme Labat.

ABATAGE. — 1. Faire un abatage, c’est attacher le bout d’une corde à un objet et l’autre bout à un levier, puis, avec la grande branche du levier, faire aigre pour déplacer l’objet. Au fig. donner un abatage, donner un ratichon, un suif, une graisse, un poil, un savon. Figure-toi que la bourgeoise n’a rentré qu’à deux heures du matin. C’est moi qui lui ai fichu un abatage !

2. Opération gracieuse et délicate qui consiste à renverser le cayon, et à lui ouvrir le bec, en faisant aigre avec un bâton, à celle fin de procéder à l’inspection de la langue. Généralement pendant ce temps-là, le cayon chante le grand air de Tannhauser.

ABAT-JOUE, s. f. — Parlant par respect, partie du visage du cayon, de l’œil à la mâchoire. — Corruption de bajoue. Dans celui-ci il y a joue, précédé d’un préfixe péjoratif ba. Dans abat-joue, nous lisons une joue abattue. Ça n’est pas plus bête qu’autre chose.

ABAT-JOUR, s. m. — 1. Soupirail de cave. En 1871, l’on boucha tous les abat-jour, crainte que les honnêtes gens de la Commune n’y jetassent du pétrole. Quand nous étions petits, nous n’y jetions pas du pétrole. En ce temps-là, on mettait les boites aux lettres dans les soubassements des devantures des bureaux de tabac. Certain soir, en rue Saint-Jean, l’un de nous se trompa, et prit l’ouverture de la boîte aux lettres pour un soupirail de cave. C’est à propos de cette erreur que parut une ordonnance prescrivant de placer les boites aux lettres au-dessus de la portée des arquebuses des petits gones.

2. Jalousie au devant des croisées. D’abattre et jour. Comp. abat-son, abat-foin, et un tas de nouvelles inventions : abat-fruit, abat-froid, abat-poussière, etc.

ABATTANT, s. m. — Tablette munie de charnières, qu’on peut abattre ou lever à volonté. Les tournures des dames sont des espèces d’abattants.

ABBICHON, s. m. — Jeune abbé qui n’est pas encore ordonné prêtre. — D’abbé. Le suffixe ichon est diminutif et drôlatique. Comp. cornichon, folichon, anichon. Le vieux franc. disait aussi un moinichon.

ABERGEMENT, s. m. — Bande de métal que l’on met autour des souches de cheminée pour que l’eau ne filtre pas entre la souche et la tuile. Sur les comptes les abergements en zinc sont toujours en zinc no 14, et ceux en fer-blanc double croix, c’est-à-dire en tout ça qu’il y a de mieux. Je dis sur les comptes, je ne dis pas sur les toits. — En vieux lyonn., il signifiait location, abénevis : « L’abergement du Mas des Escharolieres, à Pierre Sevo, sous le servis de 3 sols viennois… » (Le Laboureur.) — D’aberger comme logement de loger.

ABERGER, v. a. — Aberger un couvert, un bâtiment, c’est le couvrir avec des tuiles disposées provisoirement pour l’abriter, en attendant une couverture définitive. — Du vieux franc. abergier, employé souvent pour herbergier, loger, habiter ; lui-même d’herberge, couverture, tente. Aberger est donc couvrir avec une herberge, c’est-à-dire une couverture provisoire. — De l’allem. Herberge, auberge.

ABLAGER, v. a. — 1. Ravager, saccager, accabler. La grêle a ablagé toute la recorte… — I m’a ablagé de sottises.

2. Chasser avec bruit. La Guerite est en train de pleurer. La maman : Si l’avais ablagé le miron, au lieu de le coquer comme une imb’cile, i t’aurait pas graffinée. — D’ablaticare, fait sur ablatum.

ABONDE. — Faire de l’abonde, profiter, être avantageux. Dans les bonnes maisons on achète beaucoup de farine jaune pour les enfants parce que ça fait de l’abonde. — Subst. verbal d’abonder.

ABONDER, v. n. — Suffire, parvenir à, faire de l’abonde. S’emploie le plus souvent au sens négatif. — J’ai une faim que je n’abonde pas à me remplir l’estomac, me disait un jour une aimable dame, épouse d’un gros fabricant calé, à côté de laquelle j’avais l’honneur de diner.

ABONNER (S’Y). — Faire souvent la même chose : Est-ce que te t’abonnes à me faire jicler de bassouille ?

ABORD (D’), adv. — 1. Bientôt. Où que vous allez comme ça, père Clapoton ? — Au magasin, puis je reviens vite, la bourgeoise tirerait peine. J’aurai d’abord fait.

On dit aussi et surtout d’abord après. — D’abord après mon diner, j’ai sentu qu’y gn’avait quèque chose qui me bouliquait la ventraille.

2. Adv. affirmatif : D’abord, je ne l’aurais pas fait sans regarder. L’extension du sens s’explique, si l’on remarque qu’ici d’abord peut se remplacer par premièrement.

ABOUCHÉ. — Dans l’expression pain abouché, c’est un pain qu’on a mis à cuire en renversant la petite paillasse ronde dans laquelle est la pâte. Pour le pain non abouché, il se nomme du pain jeté, parce qu’on le jette au four comme un palet. Toutes les ménagères vous diront que le pain abouché est meilleur. Si je sais pourquoi, je veux être étranglé. Je sais seulement que le mitron étant obligé d’enfariner le fond de la paillasse pour que la pâte n’y adhère pas, on s’enfarine sa vagnote quand on veut couper le pain abouché, ce qui n’arrive pas avec le pain jeté.

ABOUCHER, v. a. — Mettre sens dessus dessous tout objet qui a une bouche : un verre, un sieau, un thomas, un pain, quoiqu’il n’ait pas de bouche, mais la paillasse où il était en avait une. On ne dirait pas aboucher un livre, des bretelles, une gobille, un mât de cocagne, d’abord parce que vous ne sauriez comment faire. — Si usité que j’ai eu le plaisir de le retrouver dans un chapitre — d’ailleurs très joli — des Bluettes et Croquis, de M. Linossier, où il s’est glissé sournoisement sans en prévenir l’auteur : « Les plus jeunes, âgés de deux à trois ans… remplissent de sable humide de petits seaux, qu’ils abouchent ensuite. » Règle de la civilité : Ne jamais aboucher le pain sur la table, c’est-à-dire le mettre à l’envers. La personne du sexe qui en serait coupable s’exposerait à se faire dire une grosse inconvenance. À Nyons, on dit que cela « fait pleurer un ange ».

ABOUCHER (S’), v. pr. — Tomber en avant (sur la bouche). « S’abouchant sur un petit lit vert, elle demeura fort longtemps sans respirer », dit l’Astrée.

ABOULER, v. a. — Abouler l’argent. Payer. — De boule, l’argent roule comme une boule.

ABOUSER (S’), v. pr. — S’écrouler. S’emploie au neutre. La tour Pitrat s’abousa le 2 août 1828.

Babolat, sais-tu la nouvelle ?
La tour Pitrat vient d’abouser.

Quelques personnes diront en voyant une dame tomber sur les reins : Cette dame s’est abousée, mais c’est une manière inconvenante de s’exprimer. Il est préférable de dire : Cette dame est tombée à cacaboson. — Parlant par respect, de bouse. Lorsque la tour Pitrat s’écroula, ma mère, qui descendait le Chemin-Neuf, la vit disparaitre dans un nuage de poussière. Une bonne femme, qui était près d’elle, lui dit, tout émue : Madame, avez-vous vu ? Elle s’est abousée comme une… Cette femme avait l’image étymologique.

ABRI. — Être à l’abri du bien-être. — M. Paillardon a mangé tout son saint-frusquin avé de canantes. — Ben comme ça, le voilà à l’abri du bien-être pour le restant de ses jours.

ABRIVÉE, s. f. — Élan, impulsion. Prendre son abrivée. Vieilli — Du vieux franc. abriever, se hâter, se précipiter, qui s’est conservé dans le patois abrivô, avancer à l’ouvrage. Vieux prov. brivade, impétuosité.

ABRIVER (S’), v. pr. — Venir, s’amener. Voyez abrivée.

ABSENCE. Dans Faire une absence, s’absenter. La locution n’est pas française, assure-t-on, car on ne fabrique pas une absence. On ne fabrique pas non plus un chemin, et l’on dit bien faire un long chemin.

ABSTRAIT, TE, adj. — Se dit de quelqu’un qui va toujours brougeant, plongé dans ses réflexions. Pas la même chose que distrait. Un distrait n’est qu’un étourneau ; un homme abstrait est distrait parfois, mais à meilleures enseignes. Le grand Ampère était toujours abstrait ; ce négociant lyonnais qui signait l’acte de naissance de son fils « X… et Cie » n’était que distrait. « Il y a un certain parti à prendre dans les entretiens, dit La Bruyère, entre une certaine paresse qu’on a de parler, ou quelquefois un esprit abstrait, qui, nous jetant loin du sujet, etc. »

ACADÉMIE, s. f. — École vétérinaire, hôtel-dieu des chiens et des chats. Quand on a quelqu’un de ces compagnons malade, on le « porte à l’Académie ». On y fait aussi subir aux matous certaines opérations délicates pour leur éclaircir la voix, du moins si l’effet produit est le même que sur les chantres de la chapelle Sixtine.

Personne chez nous n’appelle l’École vétérinaire autrement que l’Académie. Quand M. de la Saussaie, nommé recteur de l’Académie de Lyon (en français), vint prendre livraison de son poste, il héla un fiacre à la gare de Perrache et dit au cocher : « À l’Académie ! » Le cocher le mena tout de go au quai Pierre-Scize.

Claude Bourgelat, Lyonnais, fondateur des écoles vélérinaires, dirigeait à Lyon l’école que l’on appelait Académie, et où l’on apprenait aux jeunes gentilshommes un brin de mathématiques, le blason, mais surtout à monter à cheval, à voltiger, à faire des armes, à danser, à secouer élégamment le jabot, « et autres vertueux exercices », dit la délibération consulaire qui l’établit ou plutôt la rétablit en 1716. L’École vétérinaire instituée par Bourgelat, en 1762, avec l’appui de l’aulorité locale, fut d’abord une annexe de l’école d’équitation. De là, le nom d’académie qui l’a suivie partout, à la Guillotière, à Pierre-Scize, et qu’elle conserve plus d’un siècle après que l’Académie des jeunes gentilshommes a cessé d’exister.

ACAGNARDIR (S’), v. pr. — S’acagnarder. La terminaison ir, plus régulière, vient de ce que les verbes inchoatifs font partie de la 4e conjug. lat. en ire. Nous disons s’acagnardir parce que c’est une habitude, et se cagnarder parce que c’est une action.

ACASSER (S’), v. pr. — Se baisser à terre en ne pliant que les jambes. Par extens. se laisser aller de fatigue. Un homme écléné, se jetant dans un fauteuil : Je n’en puis plus, je m’acasse. — De ad-quassare. Comp. vieux franc. quas, fatigué, épuisé.

ACCOCATS, s. m. pl — Crémaillères ou dents en bois de noyer, fixées horizontalement aux estases du métier de canut et auxquelles le battant est suspendu. « Que je ne désire rien tant que de vous prouver me n’assiduité à battre la marche, après n’en avoir ajusté les accocats. » (Déclaration d’un ouvrier en soye à une satinaire, 1795). — Ital. accocati, même sens, qu’on trouve dans les mss. florentins du xve siècle, et dérivé lui-même de accocare encocher, fixer à une coche (cocca).

ACCOMMODAGE, s. m. — Sauce, condiment, manière d’apprêter les mets. Marie, ne sermoirez donc pas comme ça tous vos accommodages, que ça te vous enlève la petariffe ! Si inusité ailleurs qu’à Lyon que, toutes les fois que je l’ai employé au dehors, on s’est gaussé de moi, pour autant que ce n’était pas français. Il figure cependant au dictionn. de l’Acad.

ACCOUCHER (S’), v. pron. — Accoucher. S’il y a de la logique au monde, on doit dire s’accoucher, puisqu’on dit s’aliter, formé de lit, comme s’accoucher de couche. Dont vient qu’autrefois les hommes s’accouchaient comme les femmes, à la seule différence qu’ils ne faisaient pas d’enfants. « Et pour les dites maladies, j’accouchai au lit en la mi-carême, » dit le bon Joinville.

ACCROCHAGE, s. m. — C’est le nom du métier qui sert à lire les dessins de fabrique, et à percer les cartons en conséquence. Voy. semple 2.

ACCROCHER. — Accrocher un bon rhume, — L’attraper. On dit que ce n’est pas français. Pourtant accrocher ou attraper, cela se ressemble beaucoup. Mais pourquoi cela ne se dit-il que du rhume ? On ne dit pas accrocher une typhoïde, une vasivite, etc.

ACCULER, v. a. — Ce n’est point une corruption d’éculer. C’est au contraire éculer qui est une corruption d’acculer. « Nous n’avons point eu de bien depuis que les talons des souliers ont été acculés et que les andouilles ont pué la, etc. », disait tristement le bon Béroalde. Et Rabelais nous conte que Gargantua étant petit, « se chaffouroit le visage et aculoit ses souliers.… » Et, en 1635, le Dictionnaire du R. P. Monet disait encore : « Acculer un soulier, lui abattre et fouler le talon. » — L’origine est un vilain mot, qu’il vaut mieux taire. On a considéré le talon comme étant la chose en question du soulier.

ACHATIR, v. a. — Allécher, affriander, attirer par l’appât de la bonne chère ou de tout autre manière. Pour achatir le Jules, gn’y a rien comme la crasse de beurre.

ACIVER, v. a — Donner la bêchée aux petits oiseaux. Les nourrices acivent de même les petits miaillons avec de la poupou. Elles mettent la cuiller pleine dans leurs bouches à elles, couleur de refroidir la poupou en soufflant dessus. Elles mangent la moitié de la cuillerée, bavent dans le reste, et le donnent au mami, qui est bien content. — De cibare.

ACRÊTEMENT, s. m. — Chaperon d’un mur façonné en dos d’âne. On lit dans la Comptabilité de la Ville, 1380–1388 : « À Girart de Cuysel, maczon.., c’est assavoir huit frans et quart pour reste des acretements qu’ils ont fait cette année au-dessus de Pierre-Scize. » — D’acrêter, comme bien s’accorde.

ACRÊTER, v. a. — Terminer dans sa partie supérieure un objet, généralement un mur en forme de dos d’âne. — De crête (crista), au sens de colline, montagne.

ACTER, v. n. — Faire un acte. Ce notaire acte bien. Cette expression, donnée par Molard en 1810, est tombée en désuétude. C’est cependant un dérivé naturel d’acte, comme plomber, de plomb, sillonner, de sillon, etc.

ACUCHER, v. a. — Mettre en tas, presser, amonceler. Acucher les équevilles. — Du vieux franç. cuche, tas de foin, meule de paille, etc.

ACUCHONNER, v. a. — Mettre en cuchon (Voy. ce mot). Acuchonner de pesettes, de fiageôles, etc.

ACUTI, ENCUTI, IE, adj. — Se dit de quelqu’un d’engourdi, de mollasse, qui se tient accroupi, serré. Je demandais à une jeune mariée de mes parentes si elle était heureuse avec son mari : Il n’est pas méchant, me répondit-elle, mais il est si tellement acuti qu’on ne peut pas le dégrober du coin du poêle. Moi que j’avais rêvé un tarabâte ! — De cutir, c’est clarinette.

ACUTIR (S’), v. n. — Prendre l’habitude d’être acuti. — Peut-être de cotere pour conterere, d’où Diez tire l’espagnol cutir, tanner. Comp. des cheveux cutis, des cheveux agglomérés. Cette origine ayant été perdue de vue, on lit généralement dans acuti l’idée de quelqu’un qui reste sur son chose, comme dans accroupi l’idée de quelqu’un qui reste sur sa croupe.

ADIEU COMMAND. — Vieille et aimable manière des Lyonnais de se dire adieu. Ad Deum te commendo. Notre Belle Cordière l’emploie dans son Débat de Folie et d’Amour : « Mais à Dieu te command’, ie vois deuant dire que tu viens tout à loisir. »

ADROIT. — Adroit comme l’oiseau de saint Luc. Se dit de quelqu’un qui n’est pas d’une adresse extraordinaire, l’oiseau de saint Luc ressemblant fort à un bœuf. — Adroit comme un singe de sa queue, même sens. On dit en commun proverbe, adroit comme un singe ; le Lyonnais ajoute en raillant : de sa queue.

AFFAIRES. — En franç. Dieu seul sait ce que ce mot a de sens, mais tous abstraits. Le Lyonnais l’a étendu aux choses matérielles. Affaires s’entend ainsi de tous objets, surtout des menus. J’avais là mon dé, mes ciseaux, tu déranges toujours toutes mes affaires !… Se dit particulièrement des vêtements. T’esses bien si faraud ce matin ? — Oh, c’est le dimanche des Bugnes ; i fallait bien mettre ses beaux affaires ! Pourquoi, dans le sens de vêtements, ce mot est-il masculin, et féminin dans les autres, on se le demande. Remarquer que le xvie siècle siècle l’employait en général au masculin. « Mettans en auant ce qu’ils auoient vu exploiter en tels affaires », dit Eutrapel. Et Cotgrave : « Affaire, masc. » Et il cite pour ex. « Qui veut entretenir ami, n’ait nuls affaires avec lui. »

Affaire s’applique un peu à tout. En Auvergne, j’ai entendu d’innocentes jeunes filles chanter et danser ce branle sur l’air de notre chanson lyonnaise, Ma móre n’ayet qu’ina dint :

Ma maïré
M’avié toudzou dit
Que mon affaïré
Patafinarié !

« Ma mère — m’avait toujours dit — que mon capital — se chiffonnerait. » (Traduction de M. Alex. Dumas fils).

Les affaires avant tout. Proverbe d’un usage constant chez les Lyonnais. Dans ma jeunesse M. X…, riche fabricant de la rue Royale, avait un objet adoré qui logeait place des Terreaux. En ce temps-là, tous les magasins se fermaient à 2 heures pour rouvrir à 4. Or, un jour, juste à l’instant le plus pathétique d’une brûlante déclaration, M. X… entend sonner quatre heures à l’Hôtel de Ville. « Quatre heures ! les affaires avant tout », dit-il en se rajustant précipitamment. Il ne le raconta point, mais si bien la bonne âme.

AFFANER, v. n. — Travailler de peine. « Faut pas que les vieux épousent de colombes, ça les fait trop affaner. » (Guignol.) Affaner son pain. Le gagner avec peine. — Du franç. ahaner.

AFFANEUR, s. m. — Gagne-deniers, crocheteur. Les affaneurs formaient autrefois à Lyon une corporation, comme la corporation des crocheteurs, qui jouit encore de certains privilèges. — Arch. mun. 1512 : « Payé à plusieurs charretiers et affaneurs qui ont amené la nouvelle artillerie… » — 1509 : « Au Ros de Buissandre, affaneur, pour faire un terreilz (fossé). » 1380–88 : « Johan de Groulée, affanour, 1 gros. » Inusité aujourd’hui, et remplacé par crocheteur.

AFFERMER. — Affermer la seconde récolte des prunes. Vivre de mendicité et de maraudage.

AFFILÉE. — Faire une chose d’affilée. La faire attenant, de continu. Chez mon oncle de Mornant, le jour de la vogue, on dinait et l’on soupait d’affilée, vu qu’on n’avait pas le temps de finir un repas avant de commencer l’autre.

AFFLIGÉ, s. m. — Un estropié. Donner un sou à un affligé.

AFFRANCHIR, v. a. — 1. Faire subir à de certains objets neufs une préparation avant de s’en servir. — Affranchir de l’huile pour la friture. Aspergez d’eau l’huile bouillante. Bruit épouvantable ! L’huile jicle, ponctue les murailles, le carrelage. On est suffoqué. Mais aussi votre merluche n’aura pas le goût de vieux joint.

Affranchir une marmite. Mettez-la dans un four de boulanger, et, quand elle est rouge, à l’aide de pinces, frottez l’intérieur avec une couenne. Cela fait que votre soupe n’aura pas le goût de vieille hallebarde.

Affranchir une poêle. Remplissez d’huile, faites bouillir ; laissez refroidir, et recommencez jusqu’à ce que l’huile ait bien enlevé la crasse du fer. Par ainsi, vos matefaims n’arraperont pas.

Affranchir une bareille. Faites bouillir de la feuille de pêcher, jetez, gassez, rincez, videz, méchez. Votre vin n’aura pas le goût de moisi.

Affranchir une lettre. Collez-y un timbre.

2. Rogner. Dans le monde : Dodon, le bas de ton jupon est tout effrangé ; affranchis-le donc.

Affranchir les cheveux, couper les bouts.

De franc. Pour que les bords soient francs, il faut manquablement les affranchir.

AFFUSTIAUX. — Forme d’affûtiaux. J’ajoute forme archaïque, remontant au temps où l’s de fust n’était pas tombée.

AFFUTIAUX, s. f. pl. — Affiquets, brimborions. Une demoiselle demandait à un négociant lyonnais de lui faire cadeau de brillants. Est-ce que tu as besoin de ces affutiaux pour paraître belle ? répondit le négociant qui était un philosophe, il vaut mieux que je te fasse cadeau d’un parapluie. — Fait sur le vieux français fust.

AGACIN, s. m. — Cor au pied. — M. Collagne : Père Grolasson, vous savez ben que j’ai de z’agacins que me désôlent. Pourquoi-t-est-ce que vous m’avez fait de souliers si justes ? — M. Grorasson : Voyons voire ? — M. Collagne s’assied et met le pied sur un cabelot. M. Grolasson, après avoir tâté, palpé le soulier dans tous les sens, paraît réfléchir profondément. — M. Grolasson, au bout d’un moment : Je n’y comprends rien, je les ai cependant faits sur la forme de M. le maire de la Croix-Rousse !

Que donc qu’a ta femme ? Elle a l’air tout caffi. — C’est rien. Un agacin sous l’embuni.

Avoir un agacin darnier le dos, être bossu.

Du vieux franç. agace, pie : comp. allem. elsier-auge, œil de pie, et franç. œil-de-perdrix.

ÂGE. — Un homme d’un certain âge. — Marie, personne n’est venu ? — Si Mecieu, un mecieu qui n’a pas dit son nom. — Comment est-il ? — C’est un homme d’un certain âge, un gravé qui a un chapeau monté. Un certain âge va de 45 à 60 ans.

Être d’un certain âge. C’est exactement l’expression allemande : In gewissen jahren sein. Un homme déjà d’un certain âge. On dit aussi : Un homme déjà d’un âge.

AGNOLET, s. m. — Petit œil de verre placé sur le ventre de la navette et par où passe le bout de la canette. Siffler le bout, c’est, au moyen d’une forte aspiration, attirer le bout de la canette au travers de l’agnolet. « Mon zelle à siffler le bout de la canette hors de l’agnolet. » (Déclaration d’amour à une satinaire, 1795.) — Au fig. œil. As-te vu la Toinon, les jolis agnolets qu’elle te vous a ? — Corruption d’annelet.

AGONISER. — Agoniser de sottises. Accabler d’injures. Vainement j’ai cherché dans le Dictionnaire de l’argot cette locution que je croyais répandue partout. — Ex. intéressant de corruption. Agoniser ici n’a aucun sens. Il est pour agonir, qui est lui-même pour ahonir. Le populaire a changé agonir en agoniser qu’il connaissait mieux.

AGOTTIAU, s. m. — Écope. C’est le vieux français agottail, fait sur gutta. Au fig. soulier pour un grand pied. — Battre ses agottiaux, Faire ses agottiaux, nager à la brassée. — De ce que, pour faire des brassées, on réunit les doigts et l’on creuse la paume de façon à donner à la main la forme d’un agottiau.

AGOUREUR, GOUREUR, s. m. — Trompeur. Les hommes ne sont que des agoureurs, me disait mélancoliquement la Françon, de Sainte-Foy, qui avait eu le tort de laisser prendre un pain sur la fournée. — De gourer.

AGOURRINER (S’), v. pr. — Fréquenter trop volontiers ces personnes négligentes qui laissent toujours la porte ouverte. Il est un peu bas. — De gourrine.

AGRAPER. v. a. — Prendre, saisir. « Le comte agrapa la comtesse par la bourre. » (Zola.) — Du bas latin grappa, lui-même du vieux haut allemand krapfo, crochet.

AGRIFFANT, TE, adj. — Appétissant par un goût excitant, un peu acide, affriolant. S’emploie au fig. La Génie commence ben bien à être agriffante. — De griffe. Agriffant, qui saisit.

AGROBÉ, ÉE, adj. — Acuti, agrogné, qui ne sait pas se bouger. Une bonne femme me disait : Mon mari reste agrobé tout le jour sus le poêle, mais la nuit c’est un parpiyon. — De grobe.

AGROBOGNER (S’). — Forme de s’agrogner. Insertion péjorative d’une syllable, comme dans carabosser pour cabosser.

AGROGNER (S’), v. pr. — Se resserrer en s’accroupissant. — De groin. S’agrogner, ramener son groin sur ses genoux, le cacher. — Au fig. se décourager, s’aplatir devant une infortune ou un chagrin. Le pauvre Battanchon a eu tant d’ennui de perdre sa femme qu’il s’est agrogné comme une m…

AGUINCHER, v. a. — Épier, guetter, regarder avec soin et précaution. — Que don que te fais là comm’ n’imb’cile ? — Quaisite don ! J’aguinche la Marion que trie ses puces. — Du vieux haut allemand winchju, cligner de l’œil.

AIDES. — Être à la Cour des aides. Se dit d’une boule qui, demeurée en deçà du but, peut être poussée, aidée, volontairement ou non, par la boule d’un autre joueur. — Jeu de mots. Les Cours des aides étaient des tribunaux chargés de décider en dernier ressort tous procès civils et criminels concernant les impôts appelés aides, gabelles, tailles.

AIGALISSE, ÉGALISSE, s. f. — Réglisse. — Du vieux français ergalisse, dont nous avons fait aigalisse, sous l’idée d’aigue, eau, la réglisse servant à faire la boisson que nous désignons sous le nom de coco.

AIGLEDON, s. m. — Édredon. Se dit uniquement du carré gonflé de plumes qu’on met l’hiver sur son lit, tandis qu’en français on l’entend aussi du duvet lui-même. Lorsque, devant l’excellent père Mésoniat, on disait aigledon, il souriait finement. Trop poli pour vous reprendre en face, il saisissait l’instant d’après l’occasion de vous rectifier en disant négligemment : Il faisait si chaud cette nuit, que j’ai été obligé d’ôter mon aigredon.Allem. eiderdaunen, s. f. pl., de eider, sorte de canard à duvet, et daun, duvet. Le peuple ne sait pas ce que c’est qu’un eider, mais il sait ce que c’est qu’un aigle. Pour lui, l’aigledon est du duvet d’aigle, quoiqu’il sache bien que c’est du duvet d’oie.

AIGRAT, s. m. — Raisin resté vert, vendanges faites, dénommés aussi conscrits. Chez nous on défendait toujours aux billouds de mettre des aigrats dans les benots. — Vieux français aigras, même sens, d’aigre.

AIGRE, adj. — Pierre aigre, pierre cassante, qui saute sous le ciseau : qui à un caractère aigre, quoi !

Faire aigre, Agir à l’extrémité d’un levier pour soulever un fardeau. Une de mes parentes disait de son mari : Il est si tellement agrobé qu’il faut faire aigre avec une barre pour lui lever la tête de dessus sa chaise. — D’acrem, chose pointue, parce que le presson dont on se sert pour faire aigre est pointu.

AIGUE, s. f. — Eau. Vieilli. Mon père avait une petite maison en rue de l’Hôpital. Chaque année il vendait le contenu de la fosse à un gandou, nommé Bordat, qui disait orgueilleusement : « Depuis deux cents ans, les Bordat sont gandous de père en fils ! » On allait ensemble lever le bouchon. Bordat n’entendait pas acheter chat en poche. Il trempait son doigt, qu’il passait sur ses lèvres en faisant hhhupph — tquiou ! (tquiou, c’est pour cracher) : M. Puitspelu, y est que d’aigue ! — Mon père de protester, disant qu’il connaissait trop bien ses locataires pour les croire capables de mettre de l’eau dans la marchandise, comme les laitières. Fin de compte, mon père demandait quatre pistoles. Bordat en offrait deux. On perdait trois quarts d’heure à disputer et l’on faisait pache à trois pistoles. C’était toutes les années le même commerce. — D’aqua.

AIGUE-ARDENT, s. f. — Eau-de-vie. On trouve au xve siècle des mentions d’achat par la ville d’aigue-ardent pour la fabrication de la poudre, dans la confection de laquelle elle entrait. Vieilli, mais encore conservé dans nos campagnes. — D’aquam ardentem.

AIGUILLES, s. f. pl. — 1. Manquablement vous avez vu tirer le vin ? À la maye sont accolés deux montants verticaux entre lesquels glisse le chapeau et la roue avec. Ce sont les aiguilles. Ce nom d’aiguilles se donne souvent en technologie à des pièces verticales.

2. Organes de la Jacquard. C’est une série d’aiguilles placées horizontalement, en nombre égal à celui des crochets (voy. ce mot). Ces aiguilles ont un mouvement de va-et-vient qui permet à celles qui pénètrent dans les trous des cartons de garder suspendus à un chas ou anneau les crochets verticaux, et de tenir levés les fils qui correspondent ; tandis que celles qui sont repoussées par les parties pleines des cartons laissent les crochets libres, et, par conséquent, les fils en repos.

AIL. — Compliment à l’ail. Dire à une dame qu’elle a passé trente ans, c’est lui faire un compliment à l’ail.

Pratique à l’ail. Ce n’est pas une bonne pratique. Le mot vient probablement de ce que les pratiques qui sentent trop l’ail n’appartiennent généralement pas à la classe des gros financiers. Par extension : Mauvais sujet.

AILE. — Pied d’aile. Bandes de maçonnerie de un pied à gauche et un pied à droite d’une gaine de cheminée appuyée contre le mur du voisin, et qui se payaient en plus de la mitoyenneté de la gaine. — Image poétique. Ces deux bandes sont considérés comme les ailes de la gaine.

AIMER. — Aimer quelqu’un comme la minuit de la veille de deux fêtes. Expression qui nous reporte au temps antérieur au Concordat où les fêtes étaient multipliées. Dans la Déclaration d’amour d’un ouvrier en soye à une satinaire, du 15 navri 1785, on lit : « Mais jetons voir z’un voile n’épais sur ce sujet z’aussi funeste que fâcheux, bien persuadé que vous m’aimerez comme la mi-nuit de la veille de deux fêtes, et que votre constance nous fera goter à tous deux le fruit de n’amour que ne doit fini qu’avec la vie. »

AINSI. — Ainsi par conséquent. Proscrit par Molard comme formant pléonasme. Pourtant on dit bien enfin finalement !

Ainsi comme ainsi, locution pléonestique très usitée dans le vieux français pour ainsi.

AIR. — Aller grand air et belles manières. Blâmé par Molard, qui ajoute : « Dites grand’erre. » Il est bien vrai que le mot air a été mis ici par confusion avec erre, comme dans cette phrase : « Le vaisseau va grand air » pour erre. Mais aller grand erre et belles manières est absurde. C’est comme si vous disiez : « Cet homme va très vite et belles manières. », Ce n’est que lorsqu’on a eu compris air pour erre qu’on ajouté « belles manières », parce que le grand air et les belles manières vont ensemble. Comp. beau jeu, bon argent.

Avoir l’air d’avoir deux airs. Se dit de quelqu’un qui trahit par son manque d’assurance l’ambiguité de sa conduite. Lorsque mon brave camarade Gouillasson surprit sa femme en fabricandélits avec son faux ami Pétavoine : Dites donc, vous, lui fit-il avec dignité, vous me faites encore l’air d’avoir deux airs !

Il est toujours en l’air. Se dit de quelqu’un qui est empressé, qui se donne constamment du mouvement. « Le canequié Dagniel, qu’était toujou en l’air, » dit l’auteur de la Châste Suzanne.

Avoir ce petit air. C’est ce que, dans leur argot, les Parisiens appellent avoir du chien. Ma grand’, en passant un jour à Sainte-Foy devant la porte de sa chambre, aperçoit, en train de relever ses cheveux devant la glace, sa femme de chambre, qui disait : Je ne sons pas jolie, mais tout de même j’ons ce petit air !

Un air de feu vaut souvent mieux qu’un air de violon. Proverbe dont, par les temps froids, j’ai maintes fois vérifié l’exactitude.

Cette femme a l’air bonne. Seule forme française, en dépit des grammairiens qui veulent qu’on dise a l’air bon, parce que « bon se rapporte à air ». Alors quand, d’après vos principes, vous dites : « Cette pomme à l’air cuit », c’est donc l’air qui est cuit, badauds ? Comprenez donc que ce n’est pas l’air de la femme qui est bon, mais la femme qui a l’air (d’être) bonne ! Pure ellipse.

Donner de l’air à quelqu’un. Ce n’est pas l’éventer, mais lui ressembler. J’assistais un jour à une reconnaissance touchante : Ah ! monsieur, disait devant moi un vieillard à un jeune homme, j’ai beaucoup connu monsieur votre papa. Le digne homme ! nous nous sommes bien souvent soûlés ensemble. C’est extraordinaire comme vous lui donnez de l’air !

Avoir l’air, appliqué à une femme ou à un objet du genre féminin, régit toujours le féminin : Cette femme a l’air bonne ; cette poire a l’air verte. Par analogie, nous disons : Cette fleur sent bonne ; cette moutarde sent forte.

AIRER, v. a — Aérer. Un bonhomme de marchand de soye était allé aux Célestins, ensemble sa femme et sa fille. Le lendemain il se plaignait à moi du manque d’air : J’ai été obligé de venter tout le temps pour airer la loge. Il voulait dire, je suppose, faire du vent avec un éventail. — Vieux franc. airer. « Ayrez ces draps de paour des vers. » (Cotgrave.) L’Académie dit encore en 1694 : Airier, chasser le mauvais air de quelque endroit. » Aérer est un barbarisme. Si l’on doit dire aérer, il faut dire de l’aèr.

AIRT, s. m. — Art, science,

C’est la châste Suzanne, habile compagnonne
Du bel airt de la soie.

(La Châste Suzanne.)

Dans la langue moderne art ne s’applique plus guère qu’aux Beaux-Arts. Jadis le mot s’appliquait aux professions manuelles. Aujourd’hui il n’y a que des ouvriers. Jadis il y avait des artisans. Quand il fallait une certaine dose d’intelligence, de discernement, de goût pour l’exercice d’une profession, celle-ci était un art. Quand l’objet est fabriqué, éternellement le même par une machine, ce n’est plus que l’affaire d’un métier, ou plutôt, comme on dit, d’une industrie. — Corruption du franc. art sous l’influence bizarre de air.

AIS À CHAPLU. — Gros plot de bois ou planche épaisse sur laquelle on hache la viande et les herbes. — De chapeler, à Lyon chapler. Chaplu n’existe plus. C’était, en patois de Lyon, un substantif répondant à un français supposé chapeleur.

AISE. — Être mal à son aise, Être un peu fatigué, mal en train, mal fichu. Une des chansons favorites du père Thomas, sur la place Bellecour, était la Belle Bourbonnaise, par lui revue, corrigée et considérablement… embrenée. Je ne m’en rappelle que deux moitiés de couplets :

La Belle Bourbonnaise,
Elle est mal à son aise ;
Elle est dessus la chaise ;
ElI’ ne peut pas caga,
Ah ! ah ! ah ! ah !

Or sus, le médecin qu’on a envoyé quérir, ordonne un remède :

Puis d’une main adroite,
Écartant gauche et droite,
Par une voie étroite,
Le lavement passa,
Ah ! ah ! ah ! ah !

Être à son aise, Être dans l’aisance.

ALEXIS, s. m. — Élixir. Nous avons l’alexis de la Grande-Chartreuse, qui est souverain pour tout ; l’alexis de longue vie, qui assure une longue existence à ceux qui deviennent vieux. « Je li donne d’alexis de longue vi, mais elle a perdu le parlement ; elle rote de fiageôles et se parpe le cropion. » (Ressit des Amours et Calamitances.)

ALINGEN. — Que de fois, quand j’étais tout petit, entre chien et loup, qu’on entendait siffler le vent dans les portes mal jointes de Sainte-Foy, ma mère a eu la bonté de m’amuser en jouant avec moi à alingen (alinjan). Elle prenait une poignée de haricots dans sa main fermée et me disait : Alingen ! À quoi je répondais : Je m’y mets. — Jusqu’à quant (quantum, que je comprenais quando) ? — Jusqu’à six. Elle ouvrait la main ; il y en avait neuf ! J’avais perdu trois haricots. — Et à mon tour de prendre des haricots et de dire Alingen ! etc. — Charbot traduit alingen par « Allons, Jean ! » Et je pense qu’il a raison, car le Dauphiné, d’où nous vient probablement le jeu, traduit « Allons, Jean ! » par Allein, Jan !

ALLÉE. — Allée qui traverse, Allée qui a deux issues. Où est-il le temps où, par quelque grosse radée, je venais de la place de la Comédie chez nous, en rue Belle-Cordière, d’allée qui traverse en allée qui traverse et toujours à la soute. Mais hélas : « Où est la très sage Heloïs ? »

On assure que le bien parler exige allée de traverse. Pourtant, dans « allée qui traverse » il n’y a qu’une de ces métonymies d’effet pour la cause, dont la langue française est si coutumière. Ne dit-on pas, suivant l’Académie, une rue passante, une couleur voyante ? Une rue qui passe, une couleur qui voit, ne sont pas moins rares qu’une allée qui traverse.

Cette expression est si répandue chez nous que Saint-Olive, qui soignait son style, n’a pas manqué à écrire, dans ses Vieux Souvenirs : « Un jour, je me trouvais dans la cour d’une maison qui traverse de la place de la Comédie à la rue Désirée. »

ALLÉE DES MORTS. — C’était une allée assez large, basse et voûtée en nervures du xve siècle, jouxte la façade de Saint-Nizier, au sud. Elle conduisait à un passage découvert, qui communiquait avec la rue de la Fromagerie. On a démoli l’allée et la portion de maison placée au-dessus. Le passage, fermé le soir par une barrière, est partout découvert. On l’appelait allée des morts, parce que les enterrements qui venaient du côté de la Fromagerie y passaient pour entrer par la façade de l’église.

ALLÈGE, s. f. — 1. Terme de construction, Fort bloc de pierre, grossièrement équarri, que l’on place sur le béton en basses fondations, et en hautes fondations sous les piliers isolés. — D’alléger, parce qu’en répartissant le poids, on allège le point qui supportait le fardeau.

2. Terme de vidange. Au jour d’aujourd’hui on cure, parlant par respect, les fosses de jour et de nuit, été et hiver. Jadis les fiacres de Venissieux n’étaient autorisés à charger que du 1er novembre au 1er mai, de 10 heures du soir à 3 heures du matin. Pourtant arrivait-il des fois que les fosses débordaient ; le contenu se répandait dans les caves, dans les puits, dans les cours. Bocon épouvantable par toute la maison. L’argenterie devenait noire, les boiseries peintes à la céruse se plaquaient de traînées grises. Alors on courait à la Cie, qui, vu l’urgence, était autorisée à faire une allège, c’est-à-dire, parlant par respect à enlever suffisamment de clair pour faire de la place jusqu’à l’hiver. Mais comme déjà on falsifiait toutes les denrées, et que la matière n’était quasiment que de l’eau, au lieu de l’emporter à domicile, on la vidait dans le Rhône de dessus le pont. — Et vous savez maintenant ce que c’est qu’une allège !

ALLER. — Aller à l’économie, Ne pas attacher ses chiens avec des saucisses. M. Z…, gros négociant lyonnais, non sans talent sur le violon, était à la fois passionné pour la musique et pour l’économie. Un soir, chez Mme *** où l’on faisait des séances de quatuor, il jouait faux comme Judas. — « Mais Monsieur X…, lui fit Georges Hainl, votre chanterelle est trop basse ! — Sans doute ! reprit-il, mais si je la montais, elle courrait risque de se casser. »

Aller contre les beaux jours, contre l’hiver. Simplification de l’expression « aller à l’encontre de ».

Aller de pied, pour aller à pied (mais on ne dit pas aller de cheval). Analogie avec d’autres locutions telles que aller du pied comme un chat maigre ; n’y aller ni de pied ni d’aile (Montaigne), etc.

Cet homme me va : c’est-à-dire, me botte. Aller du ventre. Point d’explication. Venir du corps. Voy. Aller du ventre.

Je t’allais au devant. Molard a oublié celle-là, si usitée à Lyon. En effet, on ne va pas « au-devant quelqu’un ». Mais la locution est si enracinée que je serais bien étonné si nos académiciens s’en privaient.

Aller au-devant par derrière. Se dit de quelqu’un qui use de moyens détournés.

Aller en champ, Mener paitre les bestiaux..

Aller tout à la douce, Aller tout plan plan, Aller tout doucement, ne pas être malade, mais ne pas être resplendissant de santé. Le dialogue suivant se répète cinq cents fois par jour à la Croix-Rousse et à Saint-Just : C’est toi, ganache ! Comment que te vas ? — C’est donc toi, grande bugne ! ça va ben tout plan plan. — La première locution s’explique toute seule ; la seconde est le piano piano des Italiens.

Où vas-tu ? — Je vas place Sathonay… je vas rue Mercière, pour « à la place Sathonay » ou « en rue Mercière ». Mais on ne le dit pas devant un nom de quartier. On ne dit pas : Je vais Vaise… je vais Perrache. Il faut dire alors : « Je vais en Vaise », et « à Perrache ».

ALLONGER. — Allonger une sauce, Y ajouter de l’eau, du bouillon. Sauce longue, sauce allongée, est-ce français, je n’en sais rien, mais c’est bien pittoresque.

S’allonger, v. pr. — Allonger son chemin. — Te vois don pas que des Terreaux en passant par Vaise pour aller à Perrache, nous nous allongeons ? — Métonymie, comme il en existe tant d’exemples dans le français.

Allonger la demi-aune. Voy. aune.

ALLONS. — Allons, bien pensé ! Locution approbative, que les gens aimables et bienveillants, comme nous sommes fous, nous autres Lyonnais, ne manquent jamais à dire chaque fois qu’on leur fait part de quelque détermination. Le brave et digne P. l’avait constamment à la bouche. Un jour il rencontre un ancien ami qu’il n’avait pas vu depuis longtemps : Qu’è que t’as fait depuis moi, mon pauv’ vieux ? — Je me suis marié. — Allons, bien pensé ! — Oui, mais je suis devenu veuf. — Allons, bien pensé !

ALLURÉ, ÉE, adj. — Se dit de quelqu’un dont on voit bien, à ses yeux, que sa tête n’est pas cuite. L’origine est déluré pour déleurré, qui ne se laisse plus prendre au leurre (piège). Cette origine ayant été perdue de vue, on a rapporté déluré à allure, et l’on a trouvé bien plus logique de dire alluré, comme on dit d’un cheval fringant qu’il a de l’allure.

ALOSE. — Ah ! comme cela sentait le beau printemps et le soleil et les fleurs ! le temps qui s’approchait de monter à Sainte-Foy ! lorsqu’on entendait crier par les rues :


\relative {\key sol \major \time 4/2
re'' re2( sol4) re sol re2 re4 re re si2 si4 \bar "|."
}
\addlyrics { A- lo-sa, lo-sa ! la coua bou-li-gue ! }

(Alose, alose ! la queue frétille !)

ALOUETTE. — Alouette de savetier. Elle est un peu grosse, mais l’estomac d’un bijoutier sur le genou ne saurait se contenter des béatilles d’une petite-maîtresse. Il exige des choses légères, mais cependant substantielles : de la soupe de gaude froide, de la tripe, des fiageôles, des matefaims, et, quand on l’y peut joindre, une alouette de savetier, c’est-à-dire une dinde.

Alouette de Crémieu, même sens.

AMANDRE, s. f. — Amande. Mermet donne un compte de « Despence », où, sous la date du 8 janvier 1583, est inscrite « une liure d’amandres ». Dans l’Entrée de Bacchus (1627), on lit : « blan comme amandra. » — Représente correctement amygdalum, par la transformation de l en r, tandis qu’amande est irrégulier. Le mot lyonnais a, de plus, l’avantage de ne pas faire confusion avec amende, d’amender. Montant un jour les Génovéfains avec une aimable jeune personne, nous arrivons à un certain endroit où il y avait alors une haie. Fi, l’horreur !! s’écria-t-elle, la police devrait bien leur mettre des amendes ! Elle entendait qu’on devrait punir d’une amende les auteurs. Si je ne l’avais pas connue pour bonne Lyonnaise, j’aurais pu, à l’audition, hésiter sur le sens à attacher au mot amende.

AMATER, v. a — Amadouer. La Jeône a fini d’amater le François ; i vont se joindre devant le curé. — Origine scandinave. Danois made, nordique mata, appâter.

AMBRE, s. f. — Osier blanc, salix viminalis. On dit aussi une ambre pour « un lien d’ambre ». — On sait qu’Ameria était une ville de l’Ombrie, où l’osier était si commun qu’il en a pris en latin le nom d’amerinum (Georg. l. i, v. 265). Amerium est le simple d’amerinum. Erium, suffixe, donne ier. Mais il n’en est pas de même de erium non à l’état de suffixe (comp. arius suff. = ier et arius de varius = vair). Amerium se comporte comme amerum = patois ambro. La forme francisée ambre est devenue féminine par analogie avec la plupart des mots français terminés en e muet.

Fin comme l’ambre, Se dit de quelqu’un avisé et subtil. M. Polaillon : Mme Patrigot n’est pas rien tant bête ! — Mme Polaillon : Bête ! elle est fine comme l’ambre ! Fin a été pris d’abord au sens de pur (comp. argent fin, ambre fin). Puis on a joué sur le mot.

AMBRIER, s. m. — Plant d’osier. Fait sur ambre, avec le suffixe ier des noms d’arbres.

AMBUNI, AMBOUNI, s. m. — Nombril. Ambuni de Vénus, Sorte de pêche à nombril bien marqué. « Le boyau fisical que sortait de l’ambuni comme un bout de canette à travers l’agnolet. » (Adresse des Canus.) — En vieux franc. le sens s’était étendu à fente d’un noyau. « Icelluy fruit…, lequel a au milieu du noyau une fendure que aulcuns dient ambonil, et d’icelle viennent les racines. » Aussi, dans nos vieux vitraux, voyons-nous l’arbre mystique plongeant ses racines dans l’ambuni de Jessé. — D’umbilicus.

ÂME.Comme le bon Dieu attend mon âme. Comparaison très usitée. Il attend cet héritage comme le bon Dieu attend mon âme. Expression aimable qui marque ici et la foi de nos pères et la vive attente dans laquelle on peut être d’un héritage.

Âme de peloton. Morceau de papier plié ou de carton sur lequel on enroule le fil. Ainsi nommé parce qu’il est dans l’intérieur du peloton comme l’âme est dans le corps.

Une étoffe qui n’a que l’âme. Étoffe tout à fait légère, qui n’a point de corps. naturablement, puisqu’elle n’a que l’âme.

AMENER (S’). — Expression spiritualiste. Pour s’amener soi-même, il faut être deux : l’âme et le corps, la première conduisant le second. — Se dit plus particulièrement des personnes un peu puissantes, qui marchent lentement : Voilà le père Plaindessoupe que s’amène. On ne dirait pas d’un cheval de course qu’il s’amène. — Latinisme. Duxit se foras, dit Térence ; mot à mot, il s’amena dehors.

AMORTIR, v. a — Tuer. J’ai amorti ma polaille pour le dîner. — C’est le mot français au sens étymologique.

AMOUREUX. — Cette fille a un amoureux, locution proscrite par Molard qui dit : « L’amoureux est celui qui aime sans être aimé ou même connu ; il se dit des choses (!) comme des personnes. L’amant est celui dont l’amour est partagé et approuvé (en effet, s’il est partagé, il est probable qu’il est approuvé). Il ne se dit pas des choses. » Pourtant, je lis dans l’Académie ; « Amoureux est aussi un substantif, et alors il signifie amant. » (Édit. 1798.) — Les grammairiens sont décidément trop bugnes. — Figurément et pris comme adjectif, il s’applique aux choses : Amoureux comme un buisson d’épines. D’un cactus : Jolie plante, mais peu amoureuse.

AMUSER, v. a. — Faire perdre du temps. Un commis de ronde : Vous n’avez quasi rien fait, depuis la dernière fois, père Pelosse ! — C’est ben ben vrai, Mecieu Trancanoir, mais que voulez-vous ! Du depuis, j’ai perdu ma pauvre femme. Manquablement ça m’a amusé quèques jours. (Historique.)

ANCHE, s. f. — Robinet de bois. Acheter le vin à l’anche de la cuve, Acheter le vin au sortir de la cuve. — Vieux haut allemand ancha, qui a voulu dire tibia, puis tuyau, exactement comme en latin tibia veut dire os de jambe et flûte.

ANCHOIS. — Avoir les yeux bordés d’anchois. Se dit de quelqu’un qui a le bord des paupières rougi. Un de mes camarades refusa un riche mariage sous le prétexte que la future avait les yeux bordés d’anchois. On dit aussi : Bordé de maigre de jambon. Les deux locutions sont également approuvées par l’Académie.

ANCIEN, s. m. — Homme qui à des ans beaucoup. Chez nous, on vénère les anciens parce que, communément, l’âge appelle la raison et donne l’expérience. I faut croire le père Pocachat, c’est un ancien !… Fais-moi voire le plaisir d’ôter ton bugne devant les anciens !… Tâche moyen de quaisi ton bè quand c’est de z’anciens que pôrlent !… Voilà ce que vous entendrez chez nous. — Les Parisiens disent : « un vieux, une vieille barbe, un ramolli, un gâteux. » Nous disons, nous, ou du moins de mon temps on disait respectueusement : « un ancien. »

ANCRIE. — Être à l’ancrie, être aux abois, au propre ou au figuré. — Du radical d’angor, d’angere, avec une queue en ie, comme dans piper-ie, moquer-ie.

ANDIER, s. m. — Mot perdu à Lyon depuis qu’on se chauffe au charbon, mais dans nos campagnes on s’en sert encore. C’est le gros chenet de cuisine (car il y a toujours un gros et un petit chenet). Le gros porte en haut une sorte de bobèche pour recevoir l’écuelle où l’on mange la soupe ; et des crocs le long du fût pour soutenir la queue de la poêle. — Vieux franç. landier, mais sous sa forme primitive et correcte, l’l étant une addition fautive par confusion avec l’article (l’andier).

ANDOUILLE. — Grand dépendeur d’andouilles. Se dit d’un homme très grand, parce qu’il faut être, en effet, très grand pour dépendre sans échelle les andouilles du plafond. — C’est une andouille, C’est un grand imbécile.

ÂNE. — Âne de nature, qui ne sait pas lire son écriture.

On ne ferait pas boire un âne qui n’a pas soif.

Têtu comme un âne rouge. Je ne sais pas si en réalité les ânes rouges sont beaucoup plus têtus que les autres, mais le populaire le prétend des hommes, des Allemands, par exemple, dont la chevelure est parfois d’une belle couleur racine jaune. De la sorte, l’entêtement naturel à l’âne, joint à l’entêtement naturel au rouge, joint à l’entêtement naturel à l’Allemand, tout cela doit faire un fameux entêtement.

Ce mot, Âne rouge, est synonyme de mulet, parce que le mulet a souvent le poil plus ou moins rouge, ce qu’on n’observe pas chez les ânes.

N’est-ce pas d’un auteur oriental que j’ai lu cette phrase : « Cette terre est si fertile que, même labourée par des ânes rouges, elle est productive » ?

L’âne va toujours pisser au gaillot (parlant par respect). — Manière de dire que c’est vers les riches que la richesse afflue. Le français exprime la même chose avec moins d’élégance : « L’eau va toujours à la rivière. »

C’est un grain de millet dans le bec d’un âne. — Je connaissais un jeune homme qui cherchait à se marier pour payer ses dettes. On lui proposa « une femme de cinquante mille francs ». — Cinquante mille francs, s’écria-t-il, c’est un grain de millet dans le bec d’un âne ! — Ce n’est pas le grain de millet qui est trop petit, repartit le beau-père, c’est l’âne qui est trop gros.

Insulter l’âne jusqu’à la bride. — Oui Monsieur, me disait amèrement un bonhomme, il m’a insulté jusqu’à la bride !

On a beau siffler, parlant par respect, quand l’âne ne veut pas pisser. Il est inutile d’insister auprès des gens dont la volonté est arrêtée.

Une paille tombe l’âne quand il est assez chargé. — Les gouvernements ne se souviennent pas assez de ce dicton, quand ils établissent les impôts.

Sérieux comme un âne qu’on étrille. — Se dit de quelqu’un absorbé dans ses grandes pensées.

Se carrer comme un âne qui étrenne une bride. — Se dit parfois d’un radical qui vient de se faire nommer député.

Joyeux comme un âne qui a un bât tout neuf. — Se dit de quelqu’un qui sort de la mairie quand il vient de se marier.

Ça lui est défendu comme le pater aux ânes. — « On dit que X… a fait une bonne action. — Ça lui est défendu comme le pater aux ânes. »

Une petite mouche (parlant par respect) fait peter un gros âne. C’est, sous une forme plus attique, le grain de sable dans l’urètre de Cromwell, dont parle Pascal.

Chargé comme un âne de vendange, — Très chargé. Cela nous reporte au temps où, vu l’absence de chemins carrossables, la vendange était transportée à dos d’âne.

Pour âne doit servir qui s’est loué pour âne. — Se dit quelquefois de certains élus du suffrage populaire.

ÂNÉE, s. f. — Autrefois mesure de liquides et de grains. Ânée ne s’emploie plus que comme mesure de vin. Dans le cartulaire de Savigny, charte de l’an 1070, l’on trouve : Unus asinus oneratus de vino.

L’ânée de Lyon était de 93 lit. 22 centilitres.

ÂNE-VIEUX, s. m. — Orvet ou serpent de verre. — Curieux exemple de corruption par rapprochement des sons, contrairement au sens. Anguis a donné le bas latin anwilla, anguille, wallon anweï (arwillum). Ce w a passé à v simple : franç. anvoye, bourguign. anveau ; forézien anivei (par insert. d’un i quand la prononciat. de n se faisait encore sentir), orvet ; puis, plus près de nous, à Mornant, ónivi, devenu à Craponne óniviu, correspondant exactement au mot de Lyon âne-vieux. — Et voilà comment une anguille a été transformée en un vieil âne.

ANGE. — Il semble qu’un ange vous lâche l’aiguillette dans la bouche. — Locution pour exprimer le dernier mot de l’enthousiasme quand on boit du bon vin.

Un ange dont on a ôté le g. — Trop véridique jeu de mot ! Que de jeunes gens croient épouser des anges !

Devant mon œil ébloui,
Le G tombe ! — D’un vol preste
L’ange s’est évanoui,
Et morose, l’âne reste.

(Lamartine.)

ANGLAISE, s. f. — Redingote de forme ancienne. Lodoïska, donne-mot mon chapeau monté, mes souliers bronzés, mes pantalons à petit pont et mon anglaise.

ANGUILLE. — Anguille de buisson, couleuvre. Ceux qui bravent le préjugé prétendent que rien n’est friand comme une anguille de buisson à la tartare.

ANGUILLER, v. a — Tromper en amadouant. — Du vieux franç. guiller, tromper. On devrait écrire enguiller, mais l’origine étant oubliée, on y a vu un dérivé d’anguille. C’est ainsi que l’orthographie M. Aniel. — Guiller a une origine germanique : anglo-saxon vile, anglais wile, ruse.

ANGURIE, s. f. — Pastèque. Mot recueilli par M. Aniel, mais ne l’entendis oncques. Pourtant je le crois exact, car il existe à Genève sous la forme angurine, et on retrouve à Lyon la plupart des mots genevois. — De l’espagnol angurria, même sens. Larramendi le rapporte au basque.

ÂNICHON, s. m. — Petit ânon. — C’est à tort que le bon Molard prétend qu’il faut dire ânon. Ânon est le diminutif d’âne ; ânichon est le diminutif d’ânon. C’est du reste du vieux franç. (Cotgrave).

ÂNIER, s. m. — Le conducteur du tombereau qui ramasse les équevilles. Autrefois il n’y avait pas de service de balayage. Des paysans du voisinage, afin de se procurer de l’engrais, venaient remplir les paniers de leurs ânes avec les équevilles que les ménagères jetaient à leur porte. Il en était ainsi à la fin du xviiie siècle pour Naples même. D’où l’importance de l’ânier. Le mot s’est conservé lors même que l’ânier ne conduit plus un âne, mais un tombereau.

P. Blanc remarque très justement que l’ânier ne revendique son titre qu’au jour de l’an, rapport aux étrennes.

ANILLE, s. f. — Béquille. Un pauvre affligé qui marche sur des anilles. — Anilles s’est conservé dans le blason. C’est une figure représentant exactement deux becs d’anille adossés, appelant bec le morceau en forme de demi-lune qui se place sous l’aisselle. — De anaticula, petite canne. La signification primitive était pièce de fer en forme de queue d’aronde, puis birloir. L’analogie de la forme a amené le sens. Comp. béquille, manivelle de serrure ; bec de cane. Les anilles du blason sont probablement la représentation de l’objet primitif.

ANISETTE, s. f. — Eau-de-vie anisée. Voyez Eau blanche.

ANNÉE. — Année de foin, année de rien. Pour ce qu’années de foin sont années de pluie ; et que les années de pluie, qui font le bonheur des ânes, font l’infortune des chrétiens, le raisin voulant soleil. Par quoi avait raison l’ancien curé de Condrieu disant le soleil être, après Dieu, notre plus grand bienfaiteur ; vu que le bon soleil fait le bon raisin, le bon raisin fait le bon vin, le bon vin fait le bon sang, et le bon sang fait le bon sens, qui est le plus grand bien de la vie.

ANNONCÉS. — On les a annoncés dimanche. Métonymie simplifiante pour : « Dimanche dernier, à l’église, on a annoncé leur mariage. »

ANSE. — Elle a passé devant le four d’Anse elle ne sait plus rougir.

Le four d’Anse, le forum. Place au-devant de l’ancienne porte, où se tenait et se tient peut-être encore le marché.

On explique l’origine de ce dicton par ce fait que les femmes d’Anse, en attendant leur tour de cuisson au four banal, avaient l’habitude de conversations si scandaleuses et même d’actes si libres que rien ne pouvait plus faire rougir les témoins de ces scènes. (Histoire d’Anse par Yves Serraud.)

Sur l’origine de la locution : Elle a passé devant le four d’Anse, un écrivain lyonnais, qui a publié récemment sous le pseudonyme de Gil Bert d’intéressantes études sur notre région, donne l’explication suivante. Elle n’est peut-être pas d’une rigoureuse exactitude ; elle mérite cependant d’être signalée.

« Une célébrité singulière, écrit-il, s’était attachée à Anse : elle avait pour cause le four banal où se cuisait le pain de toute la ville. Les femmes d’Anse, alors connues pour leur beauté, se réunissaient sur une place, devant le four, pour attendre leur tour de cuisson, et comme la route de Paris passait là, elles arrêtaient les voyageurs, les accablaient de quolibets et finissaient par en venir à des voies de fait qui allèrent jusqu’à des mutilations fâcheuses. De là le dicton connu dans toute la France pour désigner une effrontée : Elle est moins que rien, elle a passé devant le four d’Anse.

« Et souvent, quand un régiment passait devant le four, les officiers faisaient mettre baïonnette au canon et criaient : Garde à vous ! »

De Villefranche à Anse, la plus belle lieu de France. — À cause de la fertilité du terrain.

ANSIÈRE, s. f. — Manette. — D’anse, qui suffisait, car iére ne sert pas plus ici qu’une cinquième roue à un bateau. Mais le suffixe ière s’employant en général pour composer des noms d’objets, on a voulu mettre anse en harmonie avec aiguière, lanière, jarretière, pissotière, etc.

À N’UN. — Manière de détruire l’hiatus, toujours choquant pour le populaire. Christine, la bonne de ma grand’, achetait-elle les pastonades à n’un sou le paquet, ne se doutant mie qu’elle copiait Villon : « Dites-moy où, n’en quel pays, — Est Flora, la belle Romaine ? » — Ainsi ont fait les grammairiens eux-mêmes lorsqu’ils disent : A-t-on vendu pour a on vendu ? Donc Christine avait raison.

Nous trouvons cette n si douce à l’oreille que nous la mettons parfois où elle n’est pas absolument nécessaire. À Saint-Vincent, une bonne femme priait à la chapelle de saint Roch. Dans sa ferveur, elle s’était mise tout contre le saint. En se relevant, le coin du piédestal accrocha sa robe. Un peu suffoquée, elle s’écria d’un ton de reproche : « Oh ! grand saint, à votre n’âge, vos badinariò ! » Remarquez que cette bonne femme arraisonnait d’une façon fort logique : Puisqu’on dit : mo n’âge, to n’âge, so n’âge, se pensait-elle, on doit dire notre n’âge, votre n’âge, leur n’âge.

APINCHER, v. a. — Épier, guetter, surprendre. En police correctionnelle : L’espicier : J’ai apinché le Miché, que lichait ma castonade.L’appprenti, qu’est un savant, qu’a été aux laïques, et que connaît les sujontifs, d’un ton à la Madier de Montjau : Fallait-i pas que l’épicier s’en mêlasse !L’espicier, furieux : « Qu’est que te dis, sans mélasse ! j’en ai deux pleins caquillons dans mon cavon ! — De ad-spectare, étymologie confirmée par le vieux prov. expinctar.

APLATER, v. a. — Unir, rendre plat. Aplater le linge, manière de laver les draps dans certains hôtels. On les étend sur une grande table, on les asperge, comme les morts d’eau bénite. On étire bien les draps, on les plie et on les aplate au moyen d’une planche qu’on charge de pierres. Le drap est lavé.

APOLOGIE, s. f. — Critique virulente. J’ai rencontré Mme Potinet à la plate. Nous ons parlé de la Rosalie. Je te promets qu’elle a fait son apologie. — Ce n’est point une antiphrase employée par ironie. Nous n’y mettons point des intentions aussi subtiles. C’est une simple erreur de sens, motivée par ce fait qu’apologie est un mot savant que l’on ne comprend point. Dans une apologie, on parle nécessairement de quelqu’un. De parler à en mal parler, il n’y a qu’un pas. Il y a, même en français, des exemples de ce genre d’interversion de sens. Même pour beaucoup de lettrés, parler compendieusement d’une chose, c’est en parler longuement. Au contraire, c’est en parler brièvement. Mais la longueur du mot compendieux a fait croire qu’il s’agissait de quelque chose de long.

APPARER, v. a. — Tendre la main, son tablier, se disposer à recevoir quelque chose qu’on vous jette. La maman, donnant une giffle à la Fine, qui n’a pas été sage : Tiens, appare-moi ça l — D'apparare, préparer, disposer quelque chose pour un certain but.

APPESER, v. a — Appuyer fortement. Quand les amoureux se promenaient la nuit sans électricité dans les fossés de la Croix-Rousse, ils n’appesaient jamais le pied sans précaution. — De ad pensare. En franç., on dit peser sur : deux mots pour un.

APPONDRE, v. a. — 1. Ajouter. Appondre une corde, y ajouter un morceau. Le pauvre monde ont tant de peine à appondre les deux bouts !… Lorsque, en remondant votre longueur, il vous arrive de saigner un fil, vous l’appondez vite à l’aide du roquet de jointe.

2. — Atteindre. La cantinière appondait à la boutonnière du tambour-major. Le nouveau fusil appond à sept cents mètres. Image très exacte, puisque la trajectoire appond les deux points extrêmes. — De ad ponere, comme pondre, de ponere.

APPONDU, UE, partic. d’appondre. — Ils étaient appondus (parlant par respect). — Se dit parfois d’un chien et de sa dame.

APPONSE, s. f. — Ajouture. Les rallonges d’une table sont des apponses. — D’appondre, probablement par analogie avec réponse, de répondre.

APPRENDRE. — Il ou Elle veut apprendre à son père à faire le z’enfants. — Se dit de quelqu’un voulant en remontrer à un autre qui en sait plus long que lui.

APPRENTISSE, s. f. — Apprentie. Le bourgeois (chef d’atelier), le compagnon, l’apprentisse sont en train de diner. L’apprentisse : Bargeois, faites don fini le champagnon, i me pitrogne par dessous la table !Le bourgeois, à voix basse : Quaisé-te don, Parnon, y est moi !L’apprentisse : Ah ! y est vous, bargeois ! faites, faites !

Archaïsme. « Mon iugement ne sçait pas faire ses besongnes d’une puérile et apprentisse intelligence. » (Mont.) — Nicod, 1618 : « Apprentisse, f. g. de apprenty. » En 1694, l’Académie dit encore : « Apprentif, ive, ou apprenti, isse. » Apprentisse est absolument régulier, car apprenti est tiré du bas lat. apprenticius. La forme apprentif est postérieure.

APPROCHANT. — Il y a approchant deux ans. — Il m’est impossible de comprendre pourquoi cette jolie locution ne serait pas française.

APPROPRIER, v. a — Nettoyer. J’ai approprié ma chambre, mes culottes, mes grolles, mon visage. — Dérivé très logique de propre, comme nettoyer de net.

APRÈS. — Être après faire quelque chose est proscrit par les savants. Mais tandis que le bon Molard écrit : « Dites il est après à diner », le bon Humbert[2] écrit : « Ne dites pas il est après à écrire sa lettre. » Est-il possible que ni l’un ni l’autre n’eussent pas lu l’Académie : « J’ai trouvé que mon avocat était après mon affaire. Je suis après à écrire. » Entre nous, cette dernière locution avec ses deux prépositions en contact est horrible. À Lyon, nous ne l’employons jamais, mais seulement la première. « Je vois le vieux patron (saint Joseph), — qui est après sa soupe », dit un noël lyonnais.

En retour Humbert et Molard s’entendent tous deux pour proscrire : « Il nous a couru après. » — Et l’Académie qui donne cet exemple : « Les uns attendent les emplois, les autres courent après » (!) Tant de légèreté chez des hommes si respectables d’ailleurs !

La clef est après la porte. — Cette expression, familière au populaire parisien, est peu usitée chez nous. Elle me semble à rejeter, car la clef peut être aussi bien avant la porte qu’après, suivant le côté que l’on considère.

Attendre après quelqu’un. Demander après quelqu’un. Envoyer après quelqu’un. — Ces dernières locutions ont leur correspondant en allemand : Jemand nachfragen. Nach einem schicken.

Cette tournure n’est pas proprement allemande. L’expression correcte est Nach Jemandem fragen (comme on a Nach Einem schicken), mais je trouve Jemand nachfragen, comme un idiotisme répondant à « demander après quelqu’un. » dans Les Fautes de langage corrigées, par A. G., i v. in-8°, Neuchâtel, 1829-1832.

La bourgeoise est toujours à me crier après. — Ça, c’est partout.

Après vous, s’il en reste. — Formule polie que l’on emploie lorsqu’on fait servir quelqu’un avant soi. Un de mes amis, très courtois, lorsqu’il se rencontrait avec un inconnu à l’entrée d’une vespasienne (elles n’étaient alors qu’à une place), ne manquait jamais de lui céder le pas, en disant : Après vous, s’il en reste ! Mais il lui arrivait parfois de tomber sur une personne ne voulant pas être en infériorité de politesse, de sorte qu’après beaucoup de cérémonies, chacun se refusant à passer le premier, ils allaient à la vespasienne suivante, où, se rencontrant de nouveau, ils recommençaient.

Le cheval est après la voiture. — Être après quelqu’un, Le tourmenter, le harceler. S’emploie le plus souvent avec toujours. La mère François, une forte femme, saine et appétissante malgré ses quarante-cinq ans, était notre marchande de charbons. Elle était assistée dans son commerce par un grand diable de neveu qui allait sur ses dix-huit ans. Je lui disais un jour : Eh ben, mère François, il en doit passer de la viande chez vous, avec l’appétit de Zavier et le vôtre ! — Oh ! qu’elle me fit, je ne lui donne que de soupe et de truffes. Si je lui donnais de viande i me serait toujou après.

ARABE, s. m. — Dur en matière d’intérêt, usurier, avide. Emprunte pas d’argent au père Ruinard, c’est un Arabe. On a coutume d’appliquer des sens injurieux aux noms de nationalités étrangères : Un Anglais (un créancier), un Grec (un filou au jeu), etc., mais je n’ai jamais entendu le nom d’Arabe en ce sens qu’à Lyon. Pourtant on a rarement l’occasion d’emprunter aux Arabes.

ARAIGNER, v. a. — Ôter les toiles d’araignée. Marie, vous secouerez mes bamboches, vous approprierez les souliers, vous baguetterez la roupe de monsieur, puis vous araignerez le salon. — Formation peu logique. Araigner, c’est proprement mettre des araignées. Il faudrait désaraigner.

On dit aussi d’une jeune personne qui jaunit, qu’elle a besoin de se faire araigner (P. Blanc).

ARAIGNOIR, s. m. — Boule de crin au bout d’un long bâton et dont on se sert pour araigner. On l’appelle aussi tête de loup. — D’araigner, avec le suffixe oir dont le lyonnais fait une terminaison masculine, contrairement à l’usage le plus commun en français (écritoir pour écritoire, etc.).

ARBALÈTE, s. f. — Défaut dans une pièce de soie. Lorsqu’il se trouve dans la chaîne quelque gros bouchon, la trame s’y accroche, ne joint pas l’étoffe, et tire comme la corde d’une arbalète dont le bouchon est la flèche. — C’est curieux ce qu’il y a d’arbalètes, dans la pièce de la vie !

ARBORISTE, s. f. — Femme herboriste. Encore un métier perdu, hélas ! Que voulez-vous qu’on gagne, bonnes gens, à vendre un sou de mauve ! Autrefois, elles tenaient certains petits remèdes, mouches de milan, etc., dont on leur a interdit la vente. — Ce n’est point une corruption d’herboriste. C’est un vieux mot, fait sur arbor, et qu’on trouve encore dans La Fontaine.

ARBOUILLURES, s. f. pl. — Échauboulures. — Composé du vieux franç. ars, brûlé, et bouillures, de bouillir. Comp. vieux franç. échaubouillures, où la seconde partie du mot est aussi bouillures, et où la première est faite avec chaud au lieu de ars.

ARBOUVIER, s, m. terme de batellerie. — Mât que portait la première barque d’un train de bateaux et auquel on attachait la maille. — D’arbor (malus navis), avec le suffixe arius = ier. Arborarium donne arbrouier, arbrou-v-ier, arbouvier. Comp. le vieux franç. arbrier, arbre de couche.

ARBRE DE PRESSOIR. — La vis du pressoir. Le français a de même l’arbre des moulins à sucre, l’arbre de couche, etc.

ARCADE, s. f. terme de canuserie. — Fil très fort composé de quatre ou cinq fils de lin tordus ensemble, qui s’emploie pour la fabrication des façonnés. Le fil d’arcade supporte le fil de maille, auquel est appendu le maillon où passe le fil de la chaine. Les dessins ne comprenant généralement pas toute la largeur de l’étoffe, mais formant plusieurs chemins (voy. ce mot), les arcades correspondantes dans les chemins sont réunies deux par deux au moyen d’une boucle et accrochées au fer de collet. Si le dessin a six chemins, on aura à chaque collet trois boucles d’arcades formant six branches d’arcades. La mécanique, en enlevant le collet, enlèvera les arcades et les fils de maille correspondants. Mais pour que les fils de la chaine ne soient pas tiraillés obliquement des bords au centre, on fait passer les fils d’arcade dans une planchette horizontale, nommée la planchette à arcades, où les arcades sont enfilées suivant un ordre désigné. Par ainsi les fils de maille gardent la position verticale, et les branches d’arcades seules sont inclinées du bord au milieu. Elles forment une sorte d’arcade ; d’où le nom. — Par extension : Une arcade. Un bout de ficelle.

ARCHET, s. m. 1. terme de maçonnerie lyonnaise. — Petit arc en briques, jeté au-dessus d’une baie pour protéger la couverte.

2. terme de charpenterie lyonnaise. — Le petit cintre qui sert de moule à cet arc. — Diminutif d'arc. Comp. le franç. archet de violon qui, au moyen âge, avait exactement la forme de notre archet.

ARÇONS, s. m. pl. — Ce sont les petits arcs qui forment une voûte au-dessus de la tête d’un berceau, et sur lesquels, pour abriter le mami, on pose un morceau d’étoffe qu’on nomme couvre-arçons. — D'arc, compréhensiblement.

ARCS. — Voy. arqueducs.

ARDENTS, s. m. pl. terme de construction. — Pierre d’attente qu’on laisse en saillie en construisant la tête d’un mur, pour que, plus tard, le temps venu de bâtir la maison voisine, on puisse la relier à l’ancien mur sans avoir besoin d’y pratiquer des prises. — De redent, devant lequel on a préposé un a pour la commodité de la prononciation : aredent est devenu ardent, sous l’influence de ardent, d’ardentem.

ARÉOSTAT, s. m. — Aérostat. Métathèse si facile que, même des personnes qui n’ont pas fait leur éducation autour du collège, comme l’auteur, la commettent quelquefois.

ARGENT. — Être chargé d’argent comme un crapaud de plumes. Voy. chargé.

Avoir de l’argent. — Se dit d’une boule lancée trop fort. Laissez passer, elle a de l’argent, dit-on pour se gausser du joueur. En effet, quand on a de l’argent on va loin.

L’argent est ronde, c’est pour qu’elle roule. À quoi il y en a qui répondent : L’argent est plate, c’est pour qu’elle s’empile.

Argent ou blé. — C’est notre commun proverbe pour dire qu’il faut payer de manière ou d’autre, en argent ou en équivalent. Cela me remémore une petite dame de mes voisines qui disait qu’elle payait son propriétaire en blé.

Prendre quelque chose pour de l’argent comptant. — Jouer le rôle de dupe, croire à des mensonges.

Argent blanc. — Espèces monnayées par opposition au papier. Le souvenir des assignats a tellement persisté à Lyon que pendant longtemps le billet de banque n’a été accepté qu’avec méfiance. Encore tous les baux d’aujourd’hui portent la vieille formule : payables en espèces d’or ou d’argent ayant cours, formule vaine, d’ailleurs, si les billets de banque ont cours forcé.

En 1840, nous occupions un appartement rue Belle-Cordière (aujourd’hui rue de la République), n° 17. Propriétaire, le père Nant, vieil entrepreneur, primitivement chapelier, sourd comme un tupin, très honnête homme d’ailleurs, qui avait bâti l’immense cour des Fainéants. Sur la frise de la façade qui regarde le midi dans la cour, il avait fait peindre l’inscription suivante :

L’industrie et les arts ont changé mon destin ;
Cour des fainéants j’étais, cour des diligents je suis devenue.

Le public, selon son habitude, fit des couyonnades là-dessus, et l’on effaça l’inscription, comme plus tard, pour raisons de même genre, on effaça le distique de Soulary sur l’horloge intérieure de la Bourse.

Revenant à mon propos, lorsque, pour la première fois advint Noël, mon père porta le loyer en billets de banque, que le père Nant refusa d’un geste à faire rentrer sous terre M. Soleil qui orna cependant tant de billets de sa griffe vénérée. Mais le Soleil, quoi qu’on en dise, ne luit pas pour tout le monde. Il fallut renquiller ses chiffons et revenir avec de l’argent blanc. — Argent blanc est un archaïsme qu’on trouve au Diction. de l’Acad., édit. de 1694.

Je n’ai pas encore vu la couleur de son argent. — S’entend de reste.

Argent de poche. — Argent pour les menus plaisirs. Humbert écrit : « Dites argent de la poche. » Mais non, mais non ! La suppression de l’article indique une généralité ; sa présence, une localisation : l’argent de la poche que voilà. L’argent de poche, c’est l’argent des poches en général. De même dit-on « un voleur de grand chemin » ; et non « un voleur du grand chemin » ; et « un coup de bourse », et non « de la bourse », etc.

ARGENTÉ, ÉE, adj. — Qui est moyenné. La contre-partie est désargenté.

ARGENTERIE.Argenterie de Berlin, Maillechort, métal blanc. — Après la guerre de 1870, en dépit de la rançon énorme du vaincu, il y eut une crise financière terrible à Berlin : On en fit des gorges-chaudes, maigre réconfort, hélas ! de la perte de l’Alsace et de la Lorraine, et le populaire donna à la fausse argenterie le nom d'argenterie de Berlin.

Argenterie de Saint-Claude. — Couverts de buis qui se fabriquent à Saint-Claude. Pour fatiguer la salade on ne se sert que d’argenterie de Saint-Claude, vu que le vinaigre abime l’argenterie.

ARIAS, s. m. pl. — Tumulte, cris, embarras. Je connaissais deux modères, grands amis. Naturellement, l’un fut surpris en fendant des lyres (expression de la belle-mère d’un certain poète) avec la femme de l’autre. Ménélas de tomber à coups de poing sur Pâris. Celui-ci réparant en hâte le désordre de sa toilette : C’est don pour ça que te fais tant de z’arias ! C’est pour ça que te cognes un ami de vingt ans ! C’est bon ! c’est bon ! On s’en rappellera !… Contient le radical du vieux fr. harier, harceler, vexer : arrie, obstacle ; harel, émeute, tumulte ; harer, exciter un chien à combattre. Orig. german. Scandinave harry, piller.

Aria est français et dérivé de Aria, grand air d’opéra. (Mami Duplateau.)

ARME. — Passer l’arme à gauche. Mourir. De ce que, lorsque le soldat est dans le rang, l’arme au pied, le fusil est à sa droite. Passer l’arme à gauche, c’est n’être plus sous l’attitude militaire, c’est avoir rompu l’ordre, le rang.

ARMURE, s. f. terme de fabrique, — 1. Mode de croisement des fils de la chaîne avec les fils de la trame. En ce sens, le taffetas est une armure, le satin en est une autre.

2. Spécialement se dit au contraire d’une étoffe qui a un autre mode de croisement que le taffetas et le satin, par exemple d’un sergé. Que fais-tu en ce moment ? Du taffetas ? — Non, c’est une armure. On les fabrique maintenant avec de petites mécaniques. — Ital. armadura, armure. Le croisement des fils a été comparé à celui des mailles de l’haubergeon.

ARPAILLETTE, s. f. terme de batellerie. — Sorte de petit aviron qui peut servir soit de petit arpi, soit pour gouverner un barquot, soit même au besoin pour pagayer. Il se termine en façon de palette, avec deux pointes de fer au bout. — D’harpailler, fréquentatif de harper, saisir.

ARPAN, s. f. — Mesure de longueur que les gones, lorsqu’ils jouent aux gobilles, prennent du bout du pouce à l’extrémité du médius, en étendant la main le plus possible. — De palmum, qui a donné le provenç. pan. La première partie du mot (ar) a sans doute été rapportée sous l’influence du franç. arpent.

ARPE, s. f. — Griffe. L’arpe du chat est bien mauvaise, disait mon maitre d’apprentissage, mais l’arpe de la femme est encore plus mauvaise. — Vieux prov. arpa.

ARPI, s. m. terme de batellerie. — Croc avec pointe emmanché d’un long bâton. Le marinier s’en sert tour à tour pour repousser le bateau loin du bord ou pour l’y attirer. — D’arpe, avec suff. patois i, répondant au franç. ier. Dans l’Hist. de N.-D. de Bonnes-Nouvelles, on lit : « Se voüa, elle et son mary, à N.-D. et aussitôt, au premier coup d’arpic, furent tirés. » L’auteur a pourvu arpi d’un c final, parce qu’il a vu dans le mot l’idée de piquer, arpicque, arpic.

ARPION, s. m. — Ergot, griffe. Se dresser sur ses arpions, Se lever, et aussi se mettre en mesure de combattre, comme le coq. — Dérivé d’arpe.

ARQUEBUSE. — L’eau d’arquebuse de la Déserte était jadis célèbre pour les chutes, les contusions, les maux de tête, apoplexies, etc., etc. Il y en avait dans toutes les maisons. Assez agréable au goût, elle devait contenir, avec de l’arnica, quantité d’ingrédients. Elle se préparait à l’abbaye royale des Bénédictins de la Déserte, qui occupait l’emplacement actuel du Jardin des Plantes et de la place Sathonay. Dans mon enfance, on disait toujours aller à la Déserte pour « aller à la place Sathonay ». Ma grand’mère maternelle avait été l’amie de la dernière abbesse, Mme de Montjouvent, qui après la Révolution, réduite à une grande gêne, lui vendit un très beau reliquaire du xviie siècle, que nous possédons encore et qui contient une quantité extraordinaire de reliques. Mme de Montjouvent, restée d’humeur fort gaie, en dépit de l’adversité, s’était retirée dans un humble logement, avec sa fidèle Julie, sa femme de chambre au temps de l’abbaye, et son perroquet. Ce perroquet avait été élevé dans les grandes traditions. Quand Mme de Montjouvent entrait, il scandait lentement, avec des inflexions de théâtre, un : « Bon-jour, Ma-da-me l’Ab-besse ! » Quand c’était Julie, il n’y mettait pas tant de façons, et se bornait à lui dire d’un ton bref : « Julie, baise mon c.. ! »

La recette de l’eau d’arquebuse était, dans mon enfance, conservée par les dames Garcin, deux vieilles, qui avaient été au couvent. À leur mort elles Ia léguèrent à la fabrique de Saint-Louis (aujourd’hui Saint-Vincent), qui, à son tour, l’a cédée à un pharmacien de la place de la Miséricorde.

ARQUEDUCS, s. m. pl. (Quelques-uns disent archiducs, mais c’est une faute.) — Aqueducs. — Les Lyonnais ont vu dans arqueducs un dérivé d’arcs, nom sous lequel on désigne aussi les aqueducs. À Saint-Irénée, il y a le chemin des Arcs, ainsi nommé parce qu’il y avait d’anciens aqueducs.

ARQUET, s. m. t. de canuserie. — Pelit ressort qui est fixé à la pointizelle (voy. ce mot). La pression de l’arquet a pour but d’empêcher la canette de se dérouler trop vite, et par conséquent de maintenir une certaine tension à la trame. « Mon cœur gassait comme une canette dont l’arquet de la pointizelle est trop mince. » (Réponse de la satinaire, 1795). — Diminutif d’arc.

ARRACHURE, s. f. terme de canuserie. — Lorsque, en pincetant sa façure, un canut trop vif enlève brusquement un bouchon ou une coste, il arrive parfois qu’il fait tirer le coup de trame tout entier ou un fil de chaine et en arrache un morceau, ce qui est fort vilain. Ce défaut s’appelle une arrachure.

ARRAISONNER, v. a — Faire des remontrances. J’ai arraisonné ma femme, rapport que je la trouve tous les soirs à minuit avé le Michel, que c’est pas joli. — C’est raisonner avec le préfixe intensif a. Comp. arregarder, appeser. On dit aussi quelquefois arraisonner pour raisonner simplement. C’est h’un homme qu’arraisonne bien.

ARRAPER, v. n. — Adhérer. Le petit Jujules : M’man, ma chemise que s’est arrapée.La soupe de gaude a arrapé au fond du tupin. — D’arrapare pour arripere. La contre-partie s’est conservée dans le terme de marine déraper, lever l’ancre.

ARRAPEUX, EUSE, adj. — Se dit d’un objet qui a la qualité d’arraper. J’ai mangé de mélasse, ça m’a metu les mains tout arrapeuses.

Se dit aussi de certaines poires qui dessèchent la bouche en râpant la langue. C’est une forme de râpeux.

ARREGARDER, v. a. — Regarder attentivement, fixer fixement. I m’a z’arregardée entre les deux yeux… — Arregardez voire ! Locution pour manifester de l’étonnement. — De regarder, avec préfixe intensif. Le bon du Fall emploie agarder. « Car, agardez, elle eût échiné un homme. » En effet, cela se voit tous les jours.

ARRENTER, v. a. — Louer à bail. Arrenter une terre, une maison. — De renter, au sens primitif, avec préfixe intensif a.

Pour ce, le jardin lui transfère,
Que maistre Pierre Bourguignon
Me renta…

(Villon.)

ARRÊTÉ, adj. des 2 g. — Mon camarade Ricot n’eut jamais de chance. Il n’avait pas plutôt remonté sa montre qu’elle était « arrête » ; voulait-il manger une pomme, elle était « gâte » ; voulait-il aller à la campagne, il était sûr de recevoir une avale d’eau et de rentrer tout « trempe » : portait-il seulement trois ans un pantalon, il était « use » ; se trouvait-il deux minutes à un courant d’air, encore bien qu’il eût deux onces de coton dans les oreilles, il avait tout de suite la gaugne « enfle » ; mangeait-il seulement deux livres de flageôles, il était « gonfle », et s’il y ajoutait une livre de double, il était « tube ».

Remarquez que les sept attributs en question ont cela de particulier qu’ils sont des adjectifs et non des participes, c’est-à-dire qu’ils expriment un état, une qualité, et non une action. On dit : « cette pomme est gâte, » mais « cette pièce est gâtée », pour dire qu’elle a été gâtée par le canut. Dans le premier cas, la pomme a une qualité, dans le second la pièce a subi une action.

La formation d’adjectifs sur le radical des verbes est un vieux procédé de la langue française. Comp. asseür, sûr, d’asseürer.

ARRIÉRAGE, s. m. — Arriéré.

ARRIÈRE. — Être en arrière d’un terme, Pittoresque expression pour dire que l’on n’a pas pu payer le terme écoulé.

ARRIÈRE-GRAND-PÈRE, s. m. — Bisaïeul, Expression très heureuse et très exacte : le père en arrière de mon grand-père. On dit cependant que ce n’est pas français parce que l’aïeul est avant le père et non en arrière. C’est juste. Je reçois précisément une lettre de décès où il y a arrière-grand’tante. Pour parler français il eût fallu mettre avant-grand’tante, hein ?

ARRIMAIS, adv. et interj. — Donc, certes, présentement, en vérité. « Vous avez vu, arrimay, ce te z’heroïne d’Angolême, à l’aureure de sa jeunesse. » (Les Canettes.) — C’est ad retro magis, c’est-à-dire arrière et plus, passé au sens de : même plus, enfin plus, encore plus. Le vieux français arrier signifie « derechef, aussi ».

ARS (ar). — C’est un bois d’Ars. Se dit d’un endroit où l’on est pillé, volé. La Bourse est un bois d’Ars. Quant on a un peu dépassé Limonest, en allant à Villefranche, on a le bois d’Ars à sa gauche. L’expression vient de ce que jadis l’endroit était célèbre par ses arrestations à main armée. Notre bois d’Ars est la forêt de Bondy des Parisiens. — De l’all. Hartz, montagne couverte de forêts.

ART’ CHOUYI ! BOUM ! — Chemin de campagne. Passe un homme. Sur son dos une hotte de cuir aux flancs arrondis comme les vases canopes des Égyptiens. Sur la hotte, un morceau de cuir épais, roulé. Dedans, un marteau, des broquettes, un poinçon, du ligneul. Au-devant de la maison il crie : Art’ chouyi ! — À quoi, si vous étiez gone, vous avez aussitôt répondu : Boum ! en vous ensauvant, crainte d’un bon coup de gaule.

Art’ chouyi ne représente rien de moins que la contraction de cette phrase : Raccommodeur de souliers (!). La voix appuie surtout sur les toniques : eur devenu ar, et iers devenu yi. Les trois syllabes initiales sont tombées. Reste ar d’ souyis (pour soulhis), transformé en art’ chouyis par la prononciation de ch pour s, les regrolleurs étant tous Auvergnats.

J’ignore absolument ce que signifie la réponse Boum.

(La Convention avait fait des levées en Auvergne, pour grossir l’armée qui assiégeait Lyon. Quelques-uns de ces bataillons se débandèrent au premier coup de canon. Si bien que plus tard, quand les pacifiques carreleurs de souliers reprirent, aux environs de Lyon, leur cri : Carl’ d’ chouyi ! les gones ne manquaient jamais de leur répondre, en imitant les gens qui veulent faire peur : Boum !)

ARTE (on ne fuit pas de liaison devant a : les-h-artes), s. f. — Teigne, insecte. La Comtesse : J’ai oublié de faire bagueter ma palatine par mes domestiques : les artes ont tout petafiné le minon. — De tarmitem, comme le démontrent les diverses formes des dialectes congénères. — Vieux franç. artre, ver qui ronge le bois.

ARTET, s. m. — Homme adroit et rusé. C’est un artet : i se vous fait de l’argent où les autres n’en mangent. — Du vieux franç. arteus : 1. qui opère avec adresse, prudence ; 2. qui opère avec artifice, ruse, Arteus vient lui-même d’artem.

ARTIGNOLE, s. m. — Ne se dit pas en manière d’éloge. L’artignole est vif, remuant, verbeux, menteur, sans parole, sans honneur, faiseur d’embarras. Que d’artignoles parmi nos politiciens ! — Artet, plus un suffixe péjoratif de fantaisie, comme dans torgnole, croquignole.

ARTILLERIE DE VILLEURBANNE. C’était ces voitures peintes en vert, chargées chacune d’un immense tonneau et pourvues d’une lanterne, dont la lueur bleue semblait un poétique rayon de lune emprisonné, qui, la nuit, ébranlaient en files interminables le pavé de nos rues.

J’avais un camarade amoureux, dont la flamme habitait cours Bourbon, en face du pont Charles X. C’est sur cette place que, sur le coup de dix heures du soir, l’artillerie se rassemblait afin de prendre le mot d’ordre et se répandre de là, sous la direction de pointeurs incomparables, — car ils ne manquent jamais leur coup, et, où qu’ils visent, ils atteignent toujours le nez, — et se répandre de là, dis-je, dans tous les quartiers de la ville. Un soir, à la fenêtre, en face de cette multitude de lumières bleuâtres, comme en juillet, au sein de la nuit, les lucioles dans la baie de Naples ; au bruit sourd des flots du Rhône couvert de brouillards ; respirant ces effluves étranges transformés par l’amour, ils se jurèrent d’éternels serments, que le temps, hélas ! emporta où sont maintenant les brouillards de cette soirée !.…

Mais, naguère encore, lorsque mon camarade apercevait de loin ces lumières connues, que son odorat était frappé par ces effluves mnémoniques, il était ému comme à l’heure de ses serments, ses genoux se dérobaient !… Le jour où l’on a vidé les fosses à la vapeur…, il en est mort.

On dit aussi Fiacres de Villeurbanne, les propriétaires de ces véhicules étant répartis surtout dans cette florissante contrée dont Venissieux est l’Athènes, et Villeurbanne l’heureuse Mycènes, fertile en chars.

La langue lyonnaise, toujours délicate, emploie aussi l’image élégante d’Essence de Venissieux, au lieu des expressions naturalistes ou même scientifiques, en cours dans la langue littéraire, et qui ne réveillent aucune idée agréable.

Enfin les extracteurs de cette utile essence forment l’honorable corporation des Parfumeurs de Venissieux.

ARTISON, s. m. — Ver qui mange le bois. — Du vieux franç. artuison, formé sur artuis, trou de ver ; formé lui-même sur arte.

ARTISONNÉ, ÉE, adj. — Piqué des artisons. À une soirée : Savez-vous que Mme Claqueposse, avè ses quarante-cinq ans, n’est rien artisonnée !

ARTISONNEUX, EUSE, adj. — Se dit du bois qui a des artisons. Si vous achetez votre lit de noces au Cupelu, prenez bien garde qu’il ne soit pas artisonneux, parce que cela fait des appartements pour les bardanes.

ARTON, s. m. — Pain. Ne s’emploie plus que dans les expressions : Quel troc d’arton !… Donne-moi une chique d’arton, et autres de ce genre. On ne va pas « acheter de l’arton ». D’Αρτον, par un bas latin artonum.

ARTOUPAN, s. m. — Mauvais sujet. Il y a une signification péjorative croissante dans ces trois mots : artet, artignole, artoupan, tous dérivés du vieux franç. arteus. Oupan est un suffixe de fantaisie pour accuser le caractère.

ASCENSION. — À l’Ascension, des cerises sur le pont. — L’origine du proverbe, d’après des anciens, serait un cerisier qui avait pris racine entre les pierres, sur un éperon du Pont du Change, et qui avait communément des cerises à l’Ascension.

AS DE PIQUE. — Éminence triangulaire qui sert de couronnement à l’édifice du croupion chez les poulailles, canards, etc. À un festin de noces, le père de la mariée au jeune frère de celle-ci : Cadet, veux-tu le perrier ? — Non, p’pa, j’aime mieux l’as de pique.

Si bien qu’on approprie l’as de pique, il garde toujours le goût, pour dire que l’on ne peut jamais corriger complètement les penchants naturels.

De la forme de la chose, qui est très exactement celle d’un as de pique.

On dit aussi : Me prends-tu pour un as de pique ? pour : « tu me laisses là campé ? »

ASPERGÈS, s. m. — 1. Goupillon. D’un prêtre qui officie bien, l’on dit en manière de louange qu’il est venu au monde l’aspergès à la main.

2. La cérémonie qui précède la messe. Je suis arrivé à l’aspergès. — D’Asperges, premier mot de l’antienne chantée à la cérémonie. Aussi les personnes qui savent le latin disent de préférence un aspergès meis, ce qui est très bon latin, puisque les premiers mots de l’antienne sont : asperges me hys | opo

ASSASSINER. — Assassiner un travail, un ouvrage. Cette expression dépréciante est plus particulière au bâtiment. Une fois je regardais une pierre de choin mal taillée et me fâchais : Ah, mecieu Puitspelu, faisait la coterie, cette pierre est si résistante ! — C’est cela, elle vous résistait et vous l’avez assassinée ! Le malheureux n’avait jamais vu jouer Antony, il ne comprit pas.

ASSOLIDER, v. a. Consolider. C’te table branlicote, faut l’assolider. — Fait sur solide, avec le préfixe a, de ad. Comp. assainir, assaillir, assécher, etc.

ASTHME, adj. des 2 g. — Asthmatique. Que voulez-vous, bonnes gens, en partie tous les vieux Lyonnais sont asthmes. C’est les brouillards. — Sur cette « adjectivation » du substantif, comp. le vieux franc. crampe pour atteint de la crampe.

ATOUSER, v. a — I te lui a atousé un emplon ! — D’atout, lorsque déjà le t final était tombé dans la prononciation.

ATOUT, s. m. — Coup, gifle, donner, recevoir un atout. Un mari ne doit jamais donner un atout à sa femme sans une urgente nécessité. — De l’impression désagréable éprouvée par le joueur qui voit tomber un atout de la main de son adversaire. Ce mot, si répandu, est tout récent. On ne le trouve dans aucune pièce ancienne.

ATTATTENDS ! — Interjection qui se prononce en frappant du pied sur le temps fort, non, je veux dire sur le ttends fort, dans les grandes occasions, par exemple si vous bichez le gone qu’est après la molette de beurre, ou votre femme qu’est en conversation trop chaleureuse. Le gone, votre femme, sentent tout de suite que cela va mal tourner. — C’est attends, avec un redoublement intensif. Ces tt sont instinctifs. Quand il lance un chien, le piqueur fait : ta ! ta ! ta !

ATTEINTE. — Atteinte de voix, Extinction de voix. Atteinte est pour éteinte, et éteinte pour extinction.

ATTENANT, adv. — Sans discontinuer, d’affilée. Pour prendre appétit nous ons fait dix-sept parties de boules attenant.

ATTIRÉE, s. f. — Lieu où l’on a l’habitude d’aller aussitôt qu’on en a le loisir. Le Toine nous scie le dos, il a pris une attirée chez nous tous les dimanches. (P. B.)

ATTRAPE, s. f. — Farce, mystification. Généralement on ne le croit pas français ; il est cependant au Dictionn. de l’Acad. Je conseillais à un jeune architecte d’aller un peu dans le monde. Comme il n’accueillait ces ouvertures qu’avec réserve, je lui en demandai la raison. Aller dans le monde, me dit-il, ce n’est pas toujours si agréable. La dernière fois que j’y suis allé, ils ont mis de la m…élasse dans mon chapeau. Je n’aime pas ces attrapes.Subst. verbal d’attraper.

AUBERGE, s. f. — Alberge. C’est le vieux mot et le bon. Il faut dire auberge, comme on dit aube, aubour, auberge (logis) et et non albe, albour, alberge.

AULAGNE, s. f. — Noisette. Quand on est jeune, on n’a gin d’aulagnes ; quand on est vieux, y a prou d’aulagnes, mais gin de dents pour les casser. — D’avellanea.

AULAGNIER, s. m. — Noisetier. — Aulagne + ier, comme prune + ier, amande + ier, etc.

AUMÔNE. — Des yeux à demander l’aumône à la porte d’un… Tiens, je suis embarrassé pour finir !… Le lyonnais est parfois sale. — À la porte de quoi ? Est-ce d’un logis ? Oui, si le logis ressemble à un haut-de-chausses. — Se dit des femmes qui n’ont pas les yeux dans leur poche.

AUMÔNIER. — L’aumônier des chiens. Titre irrévérencieux sous lequel on désigne à Lyon l’aumônier de l’Académie, je veux dire de l’École vétérinaire, bien entendu.

AUMÔNIEUX, EUSE, adj. — Qui fait beaucoup d’aumônes. À Lyon, il y a beaucoup de gens aumônieux. Quand M. le comte d’Herculais, notre propriétaire sur le quai Monsieur, tout petit, avec ses deux touffes de cheveux gris sur les tempes, ses yeux demi-fermés, ses jambes maigres dans un vieux pantalon venant à la cheville, son petit camail râpé, son chapeau qui montrait le carton, sortait chaque jour de la messe de dix heures à la Charité, il était assailli par une bande de quarante à cinquante cougnes. Il donnait à tous, et le plus beau, sans jamais s’impatienter. Ce n’était bien entendu qu’un grain de mil dans ses aumônes. Tous ses revenus y passaient, avec des achats de livres. — Voilà un type bien lyonnais.

AUNAGE, s. m. — Avoir l’aunage, Avoir la mesure. Quand les bouteilles ont commenté à ne plus tenir le litre (1852), on a dit qu’elles n’avaient plus l’aunage. (P. B.)

AUNE. — Mesurer tout le monde à son aune. — Mme Lacoca, en colère (elle est toujours en colère) : Je te dis que Mme Quiquenet trompe son mari !M. Lacoca, pacifiquement : Ah bah ! Te mesures tout le monde à ton aune.

Allonger la demi-aune — Mendier. — De ce que l’avant-bras fait à peu près la longueur d’une demi-aune.

AUTANT, adv. — Aussi bien. — Je montais un jour la rue du Commerce, au bras de ce pauvre Émile Bonnardel qui, bien que très petit, était de taille bien prise, avait un grand nez à la François Ier, des yeux très noirs, et surtout une barbe épaisse, régulière, bien unie, auprès de laquelle la houille de Montrambert paraissait chlorotique. Passe une forte femme, brune aussi, nous dépassant de la tête, avec une poitrine, autant celle de l’épouse du Cantique des Cantiques. Jetant un coup d’œil d’appréciateur sur Bonnardel, elle dit, en passant auprès de nous : Une femme sans tetons, un homme sans barbe, autant une… (voir le reste dans V. Hugo). Si, malgré mon jeune âge, je n’avais pas eu déjà de la barbe, c’est moi qui aurais été humilié !

AUTEUR. — S’emploie pour Cause. M. Quiquenet : J’ai une boucharle à la lèvre que me picole.Mme Quiquenet, aigrement : Je n’en suis pas l’auteur. — Je me demande pourquoi c’est une faute. Entre « l’auteur de mes jours », comme disent les poètes, et « l’auteur de ma boucharle », je ne vois pas l’épaisseur d’un poil.

N’être pas l’auteur que les grenouilles n’ont pas de queue, Ne pas avoir inventé la poudre.

AUTERON, s. m. — Butte, éminence. — De hauteur, plus suff. on. Auteron représente hauteuron, écrit auteron pour indiquer qu’il n’y a pas d’aspiration.

AUTRE. — Me prends-tu pour un autre ? Me prends-tu pour un imbécile ? Ellipse : pour un autre (que je ne suis).

AUTREMENT. — Transition ingénieuse dans l’oraison. Et autrement, où le trouve-t-on, ce m’ssieu ?… Autrement, que dites-vous de la politique ? On emploie aussi effectivement au même usage, en abrégeant en Fectivement.

AUTRES FOIS (LES). — Les autres fois pour autrefois me semble fort rationnel, car autrefois ne voudrait rien dire s’il n’était une apocope de « les autres fois ».

AUVENT, s. m. — Assemblage de trois planches peintes en clair au-devant d’une fenêtre. Celle d’en face, rectangulaire, est inclinée pour diriger le jour d’en haut à l’intérieur. Les deux autres, en forme de triangles isocèles, maintiennent la première et empêchent les rayons latéraux de pénétrer horizontalement. Il paraît que quelque chose de semblable était déjà connu au XVIIe siècle : « il a le cati et les faux-jours pour faire valoir sa marchandise, » dit la Bruyère des marchands de son temps. On met aussi des auvents aux fenêtres des couvents, des prisons, pour empêcher de voir dans la rue.

Le mot, au sens lyonnais, est moderne. En vieux lyonnais, auvent a le sens français. 1536, 25 avril, « A été ordonné à Humbert Paris, voyer de la ville… de faire abattre tous les auvans de posts (charpente) et autres forgets qui sont tant sur les rivières que parmi les rues de la Ville. »

Paraît représenter ante ventum. L’emploi de avant-vent pour auvent en vieux français donne de la créance à cette étymologie.

AVALE, s. f. — Une avale d’eau. Une trombe, une grande averse. Avale est ici par confusion avec aval, au sens de chute. Et, en effet, dans une trombe la terre avale beaucoup d’eau. « Dites avalaison ou avalasse. » (Molard.) — À quoi A. Fraisse de répondre : « Non, Molard, ne croyez pas ! Jamais je ne pourrai me résoudre à dire l’avalasse du Niagara ni l’avalaison du Rhin ! »

AVALE-TOUT-CRU. — Glouton. Au fig. matamore, avaleur de charrettes ferrées.

AVALÉ, ÉE, adj. — Avoir les joues avalées, ou creuses. C’est le contraire du sens primitif. Avalé, d’aval ad vallem, veut dire pendant, flape. Dans les campagnes le sens s’est conservé : Cela fena a le tette avaló, cette dame a des appas avalés. Mais le sens étymologique s’étant perdu chez nous, le lyonnais a vu dans joues avalées l’idée de quelqu’un qui aurait avalé ses joues, ce qui, en effet, l’amaigrirait beaucoup.

AVALER. — Avaler le gorgeon, Essuyer une perte, éprouver un déboire, arrivé le plus souvent par sa faute. Vous avez eu l’imprudence d’entrer en visites avec la fille de votre portière, qui vous a rendu père. Force est de l’épouser. Il faut avaler le gorgeon, et quel gorgeon ! Et que de gorgeons jusqu’au dernier : « Frère, l’heure a sonné, il faut avaler le gorgeon ! »

AVALOIR, s. m. — Gosier. J’ai eu la barbe blanche longtemps avant les cheveux. Un bon canut, sans gêne, que j’avais pour ami, prétendait que ça tenait à ce que, chez moi, l’avaloir avait plus travaillé que l’entendoir.

Les Lyonnais font souvent masculin les mots en oire : un écritoir, un araignoir, un avaloir. « Dites avaloire. » (Molard.) Arm. Fraisse, qui avait subi l’influence lyonnaise, ajoute : « Encore un conseil que je ne puis me décider à suivre. » En quoi il a tort. Il disait certainement une passoire. Or qu’est-ce qu’un avaloir, si ce n’est une passoire sans grille ?

AVANCES. — Avoir des avances, être dans ses avances, Avoir quelque chose devant soi. Et en effet, celui qui a quelque chose a de l’avance sur celui qui n’a rien.

AVANGLÉ, ÉE, s. — Personne très gloutonne : Te bâfres comme un avanglé. Au fig. très avide. — Les mots d’oc afangala, avangouli paraissent donner la clef : famem plus l’armoric. gwal, mauvais. Comp. faimgale, devenu fringale. Avanglé, qui a la fringale.

AVANT, s. m. — Les anciennes églises du Lyonnais avaient souvent la grande porte abritée par un toit reposant sur des colonnes ou simplement supporté par des consoles. C’est l’avant.

AVANTAGE. — Un habit à l’avantage, Un habit à dessein un peu trop grand. On avait eu le tort de négliger de faire mon habit de première communion à l’avantage, de sorte qu’il n’a pu servir pour mon mariage.

À l’avantage. — Manière d’adieu. On sous-entend de vous revoir.

AVARICE. — Crève l’Avarice ! Exclamation que l’on pousse lorsqu’on se livre à quelque acte d’excessive prodigalité. J’ai acheté à ma femme pour ses étrennes une coiffe de quinze sous. Crève l’avarice !

AVARO, s. m. — Galop, danse, semonce.

AVEINDRE, v. a. — Atteindre. Poulotte, fais-me don passer le thomas. — Je peux pas y aveindre. — D’advenere pour advenire.

AVIS. — Je copie Arm. Fraisse : « À Lyon, on prononce généralement l’s. C’est une faute, disent les dictionnaires. Mais pourquoi est-ce une faute ? et où se trouve la règle invariable de la prononciation ? Est-ce que la prononciation parisienne doit être imposée à toute la France ? Que la syntaxe et l’orthographe soient unes et invariables partout dans un même pays, rien de plus nécessaire. Mais vouloir établir des règles de prononciation uniforme par toute la France, c’est aussi absurde que si l’on voulait établir partout la même température. Gardons notre accent et ne soyons point des perroquets. Est-il rien de plus ridicule qu’un provincial qui, revenant de Paris, essaie de prendre l’accent parisien et ne réussit qu’à faire lever les épaules à ceux qui écoutent son charabia ? »

AVISER, v. a. — Regarder, apercevoir. On le trouve dans Molière : « Car, comme dit l’autre, je les ai avisés le premier, avisés le premier je les ai. » — De ad-visare pour ad-visere.

AVOCAT. — Avocat de plate, Lavandière. — Parce que, ainsi que les avocats, elles ont le don de l’éloquence.

AVOINE DE CURÉ. — Poivre. Même expression en provençal, Civado de capelan.

AVOIR. — Avoir à aller. — Je m’ensauve, j’ai beaucoup d’endroits à aller.

Avoir beaucoup de dîners. — J’ai eu tellement de dîners ce carnaval que ça m’a mis le ventre en liaque.

Avoir du poil aux dents. Se dit d’un brave qui ne commence à trembler que lorsqu’il voit sa tête à quinze pas devant lui. C’est très rare d’avoir du poil aux dents, les physiologistes l’ont constaté. Aussi y a-t-il des mal embouchés qui remplacent le mot de dents. Mais ce sont façons de parler qui ne sauraient trouver place dans un honnête dictionnaire comme celui-ci.

Avoir le poil à quelqu’un. — Avoir le dernier dans une contestation. Nous ons joué aux dominos, moi Flaquet, toute l’après-dinée, mais j’ai fini par lui avoir le poil. — De ce que, lorsqu’on se prend aux cheveux, c’est celui à qui il en reste le plus dans la main qui est vainqueur.

Avoir quelque chose devant soi. — Voyez Avances.

Avoir une dent qui manque. — J’ai un marteau qu’est gâte et une dent d’en bas que me manque. — Extraordinaire ! car enfin si ma dent manque, je ne dois plus l’avoir !

Avoir s’emploie pléonastiquement au début d’une phrase. — M. Culet : Y a le petit Culet qui n’a que treize ans, qu’il est déjà en neuvième au collège. — M. Lantibard : Faut qu’il oye beaucoup des moyens. On emploie souvent la 1re personne du pluriel : Nous avons en partie tous les grands savants que sont un peu couyons. Ou la 3me du singulier : Y a M. Melachier qu’a monté une épicerie.

AYU, part. passé d’avoir. — Elle a-t-ayu vingt ans à la Saint-Fiacre. Manière de rompre l’hiatus, qui remonte au temps où l’on prononçait é-ü. Elle a é-ü, quelle cacophonie ! elle a-t-ayu, quelle musique !

  1. Étienne Molard, professeur de grammaire et de latin, directeur de l’École secondaire du Midi en l’an XIII, et l’un des fondateurs du Cercle littéraire, est l’auteur d’un ouvrage, publié en 1792. intitulé Lyonnoisismes ou Recueil d’expressions vicieuses usitées à Lyon. Cet ouvrage, peu à peu considérablement augmenté, a eu au moins cinq éditions sous divers titres. Celle de 1810 porte celui de Le mauvais langage corrigé. Molard est mort le 6 mars 1825.
  2. Jean Humbert, savant genevois, professeur d’arabe à l’Académie de Genève, correspondant de l’Institut, mort en 1851, est l’auteur d’un Nouveaux glossaire genevois, comprenant les idiotismes et les expressions en usage à Genève.