Le Littré de la Grand’Côte/3e éd., 1903/Lettre Q

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Chez l’imprimeur juré de l’académie (p. 282-286).
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Q


Q. — Dix-septième lettre de l’alphabet. Dans mon jeune temps, nous le prononcions toujours ku, mais on s’est mis depuis à prononcer que, de même que t, s, etc., se prononcent te, se, au lieu de , esse, ce qui était bien plus sonore. Cependant, je reconnais que notre prononciation peut entrainer des inconvénients, témoin l’extrait suivant des Souvenirs manuscrits laissés par un grave magistrat sous Louis-Philippe, extrait qu’un descendant a bien voulu me communiquer :

« Les (ici le nom d’un ordre enseignant) de (ici le nom d’un bourg connu) ont environ 50 pensionnaires internes et un grand nombre d’externes. La distribution des prix s’y faisait autrefois solennellement en présence des parents et autres personnes invitées ; elle n’a plus lieu qu’à huis-clos. 11 y a trois ans (1842) que cette solennité se fit publiquement pour la dernière fois. Trois des élèves avaient mérité le même prix ex æquo. C’était un beau volume bien doré. Il fallut tirer au sort à qui resterait le livre. L’abbé (ici un nom très réel et honoré) le fit tirer à la belle lettre. La première des trois lauréates amena la lettre q. L’abbé proclama ce résultat en disant à haute voix : Mademoiselle, vous avez un q, nommant cette lettre comme on la nomme ordinairement. La supérieure le reprit en disant : un que. Le seconde ayant tiré s, l’abbé, en prononçant toujours de même, dit : Le q vaut mieux. La troisième obtint du sort un y, et l’abbé *** de dire, en se retournant vers la première, et lui présentant le volume : Mademoiselle, votre q l’emporte. La supérieure reprenait toujours en prononçant le lettre comme les religieuses la prononcent.

« Cela fit un peu de scandale. Le chapitre décida que dorénavant les prix se distribueraient sans autres témoins que les personnes du couvent. »

Voici une autre gandoise qui a cours chez les canuts : I n’ont mis le petit Cancanet chez les Frères pour y faire apprendre à lire. Ça a bien été jusqu’au p, mais pas plus loin. I se sont mis quatre pour lui faire entrer le q dans la tête, i n’ont jamais pu n’en veni à bout !

QUAND, conj. — En même temps que. J’arriverai quand vous, En même temps que vous. C’est un archaïsme. Le xviie siècle aurait dit : « J’arriverai quand et vous. » Notre expression est plus logique. C’est une ellipse : « J’arriverai quand vous (arriverez). » Cette construction fait comprendre pourquoi de la locution française nous avons supprimé et.

Te presse don pas tant, nous arriverons ben toujours quand nous ! Se dit quand on marche avec un camarade trop pressé. L’observation est d’ailleurs fort juste.

QUARANTAIN, s. m. — Violier annuel. — De quarante, parce que (m’a-t-on dit) il s’écoule quarante jours entre la semaille et la floraison.

QUART. — Deux heures et quart. « Dites Deux heures et un quart ou Deux heures un quart. » Mais « en place », il faut dire Deux heures et demie et non pas Deux heures et une demie. Pourquoi cette absurde contradiction ? Grammaire est féminin : « la Ragione delle Donne : perchè si ».

QUART-DE-POUCE, s. m. — Petit carré de cuivre, percé d’une ouverture rectangulaire d’un quart de pouce en tous sens. À ce carré est ajustée, sur un montant, à distance convenable, une loupe qui permet, en plaçant l’instrument sur une étoile, de compter le nombre de fils compris dans l’ouverture, de connaître l’armure, etc. L’instrument se replie pour tenir moins de place et pouvoir se loger dans le gousset.

QUART-D’HEURE, s. m. — Se dit du petit somme que certaines personnes font après le repas. Par extension, d’un petit somme en général. Qui n’a connu, dans le monde de la fabrique, Mme X…, qui était l’âme de la maison de commerce de son mari, et, par son activité, en a fait la fortune ? Elle se levait toujours la première, à 5 heures du matin, et ne manquait jamais de demander à son mari : X… as-tu besoin de moi avant que je me lève ? — Non ! répondait d’un ton bourru le mari qu’on réveillait. — Allons, c’est bien ; fais ton quart d’heure !

QUARTERON, s. m. — 1. Objets vendus au nombre de 25. Le marchand en ajoute un par gratification. Un quarteron de pommes = 26 pommes.

2. Quart de livre. Un quarteron de beurre.

Les Carteron, célèbres imprimeurs du xviie siècle, avaient pour devise : Les Quarterons font des livres. — De quarte, de quarta.

QUARTIER. — Donner quartier à une pierre, à une poutre, la renverser sur le côté. De quart, avec le suffixe ier, assez mal appliqué. Donner quartier, c’est faire faire un quart de conversion.

QUATRE. — Se mettre en quatre, Se donner énormément de mal pour faire réussir une affaire. Pourquoi en quatre plutôt qu’en cinq ?

Faire ses quatre volontés, Suivre tous ses caprices et au besoin les imposer. Le p’pa et la m’man lui laissent faire ses quatre volontés.

QUE. — 1. Qui. Le mari que tenait sa femme par le bras ne veut pas dire que sa femme le tenait, mais qu’il tenait sa femme.

2. Tellement que, de façon que. Je suis dans une colère, que je ne me sens pas. Cette locution, blâmée bien à tort par des grammairiens, est dans tous les écrivains classiques.

3. Si j’étais que de vous, proscrit par Molard, est excellent français. « Voilà un bras que je me ferois couper tout à l’heure, si j’étois que de vous, » dit Toinette dens le Malade imaginaire.

4. Cela ne laisse pas que d’être est aussi blâmé par Molard. Il avait une apparence de raison en 1810. Il ne l’a plus aujourd’hui. Dans l’édition de 1835 l’Académie a admis le locution. On en trouve d’ailleurs des exemples dans les classiques.

5. Entre deux verbes à la 3e personne du présent de l’indicatif, ou entre deux adjectifs répétés, dans certaines locutions énergiques. Crie que crie, faudra y viendre, Il aura beau crier, il faudra y venir. — Tarde que tarde, arrivera Pâques, En dépit du long temps à passer, Pâques arrivera. — Sonne que sonne, je n’ouvre pas, Sonne tant que tu voudras, tu ne me feras pas ouvrir. On ajoute quelquefois un pronom enclitique au second verbe, c’est alors bien plus énergique : Sonne que te sonne !…Méchant que méchant, il faudra mettre les pouces, Si méchant qu’il soit, il lui faudra céder. — Hasarde qu’hasarde, je m’hasarde (voy. hasard), Quelque risque qu’il y ait à courir, je me hasarde. Je ne « m’hasarde » pas à expliquer la construction syntaxique de ces phrases.

6. Dont. Comment que t’appelles cette fumelle, que son mari est gandou ?

7. Si ce n’est. On peut tout racheter que la mort. Ceci n’est point une incorrection, quoique en dise Humbert, mais bien une tournure excellente, encore bien que légèrement archaïque. « Vous voyez des gens qui entrent sans saluer, que légèrement, » dit la Bruyère, « C’est régner que cela, » dit Paul-Louis.

Que non pas. Humbert blâme cette phrase, Il vaut mieux suivre la grande route que non pas nous perdre. Non pas est inutile au sens, mais la tournure est correcte, tout archaïque qu’elle est : « Devaient plutôt finir que non pas mon discours, » dit Régnier. Même l’emploi de non pas serait indispensable si la phrase d’Humbert était ainsi construite : Il vaut mieux suivre la grande route que non pas que nous nous égarions. Cette tournure, employée par les écrivains classiques, est très heureuse.

Que explétif, dans les interrogations : Comment que ça va ? pour : Comment ça va ? Où donc que te vas ? pour : Où vas-tu donc ? Ce que ajoute beaucoup de grâce à l’oraison. Mame Petelon est toute bouliguée. — Que donc qu’elle a ? — Je crois ben que c’est une poire à deux yeux que s’amène.

QUEL. — Quel… que pour quelque… que. Un homme respectable et nourri aux lettres me manifestait un jour son indignation à propos d’un écriteau qu’il avait vu vers le Parc : « Bal tous les lundis, quel temps qu’il fasse, » au lieu de quelque temps qu’il fasse. Il ignorait que la première tournure, encore bien que proscrite par Vaugelas, est la tournure classique, et même la seule correcte, car, ainsi que le fait remarquer Littré, dans quelque temps qu’il fasse, il y a manifestement un que de trop.

QUELQUE CHOSE. — Avoir quelque chose devant soi, être moyenné, avoir de quoi. Ma foi, Glaudine, si je n’étais que de toi, je prendrais bien le Michel. C’est un garçon qui a quelque chose devant lui.

QUELQUEFOIS, adv. — Peut-être. M. le Préfet viendra-t-il à la séance ? — Quelquefois. — C’est le même emploi que des fois, plus usité (voy. fois 2).

QUÈSER (SE), v. r. — Se taire. Quand le z’anciens porlent, faut se quèser. La forme patoise est restée dans la locut. Quési ton bé ! tais-toi ! littéralement tais ton bec. — De quetiare pour quietare.

QUEUE-DE-RENARD, s. f. — Amarantus caudatus, plante de jardin, à longs épis pendants et de couleur amarante.

QUEUE-DE-RAT, s. f. — 1. Petite bougie en spirale, qu’on nomme aussi Rat-de-cave (voy. ce mot).

2. Sorte de tabatière en écorce de merisier, dont le couvercle se tire à l’aide d’un bout de lanière de cuir qui, à la grande rigueur, peut passer pour la queue d’un rat.

QUIAU (kiò, monosyl.), s. m., terme de canuserie. — Tuyau de carton sur lequel s’enroule la soie de la canette. Quiau est la prononciation contractée de tuyau.

QUIAUME, s. m. — Forme de chiaume (voy. ce mot).

QUIBUS, s. m. — Argent. Aurais-je cru qu’un terme si familier fût au Dictionn. de l’Académie ? Littré cite une lettre du grand Poussin, où il est employé. Le mot, si populaire qu’il soit, est d’origine savante : quibus [fiunt omnia]. Le milanais dit conquibus, c’est-à-dire cum quibus [fiunt, etc.].

QUINA, s. m. — Quina est proscrit par Molard, qui exige quinquina. Que dirait-il maintenant que précisément quinquina est devenu suranné ? C’était en effet le mot primitif, mais quina, sans être au dictionn. de 1798, était déjà une forme classique : « Et toi que le quina guérit, » dit la Fontaine.

QUINARD, ARDE, adj. — Criard. Se dit des objets, non des personnes, C’te pine est ben si quinarde, Cette trompette a donc des sons si criards !

QUINCAILLE, s. f. — 1. Objets sans valeur, barafûtes, vieilles ferrailles. C’est de la quinquaille, Ça n’a pas de valeur. — C’est le vieux franç. clinquaille, ustensiles de ménage en métal.

2. Se dit aussi des gens en manière de mépris. Ces communards, ces socialisses, c’est tout de quincaille.Quincaille représente ici cliquaille, avec nasalisation de i sous l’influence de clinquaille. Cliquaille est fait sur clique, avec le suffixe péjoratif aille comme dans merdaille, cochonnaille, radicaille, etc.

Faire quincaille, Faire clinquaille, — 1. Manquer à un engagement, spécialement faire faillite. Faire quincaille est pour faire la quincaille, agir en clique.

2. Au jeu de gobilles, Voler les gobilles qui sont sur le jeu et s’enfuir. C’est ordinairement un grand, étranger à la partie, qui fait ce coup.

QUINCHARD, DE, adj. — Criard, avec sens intensif, en parlant des personnes et par opposition à quinard, qui se dit des objets. Vous avez un mami qu’esse bin tout plein drôle. — Oui, mais dommage qui soye tant quinchard. — C’est marque d’un bon portement. — De quincher.

QUINCHÉE, s. f. — Cris aigus et perçants. Qu’a don c’t enfant à pousser de ces quinchées ? — De quincher.

QUINCHER, v. n. — Pousser des cris aigus et perçants. Au fig. C’te porte quinche, Cette porte grince en l’ouvrant. — De l’onomatopée kin, avec un suffixe verbal relié par ch.

QUINDER, v. a. — Assaisonner, Quinder la soupe, Y mettre du beurre. — De cundare pour cundire.

QUINDURE, s. f. — Sauce, graisse, beurre employé dans la sauce. Dis don, fenne, t’as metu de quindure dans ta soupe avè un fusil ? Ta soupe manque de beurre. — De quinder.

QUINER, v. n. — Crier aigrement, en parlant d’un chien, d’une porte, d’un enfant. Mais quiner n’est pas pousser des cris aussi terribles que quincher. Les deux mots, quoique tirés de la même onomatopée, kin, caractérisent cette différence.

QUINET, s. m. — 1. Jeu des gones.

2. Petit morceau de bois pointu par les deux bouts, dont on se sert pour jouer au quinet (voy. canichet). — Du vieux franç. cuigne, coin, de cunea. D’où, avec le suffixe et : cuignet, quinet.

QUINQUET, s. m. — Œil. Père Mignotet, disait M. Fumeron, j’ai les quinquets rouges, me cuisent-i ?

QUINSON, s. m. — Pinson. — C’est pinson, dont la consonne initiale a été changée en k, par onomatopée du cri de l’oiseau.

QUINZIAU, s. m. — Vessie ou estomac de chevreau, qui, séché et macéré dans du vin blanc, sert à faire la présure. — Du vieux provenç. cach, de coacium avec le suffixe eau, au, d’ellum.

QUOI. — Avoir du de quoi, Être riche, Comp. le franç. avoir de quoi. « Être riche, contente, avoir fort bien de quoi, » dit Régnier. Cette expression laisse quelque obscurité. Avoir de quoi : quoi ? — Avoir du de quoi exprime au contraire le caractère relatif du pronom : Avoir de cela de quoi (l’on peut tout avoir). C’est la traduction de cum quo (fiunt omnia). Voy. quibus.

Sans dire quoi ni qu’est-ce. Expression énergique pour Sans donner aucune raison.

QUOIQUE. — Quoique ça, adv., Malgré cela, néanmoins. Il est riche, quoique ça il n’est pas heureux. Locution si répandue chez nous, qu’un de mes amis, fort lettré, ne pouvait se figurer que ce ne fût pas du français académique. Joseph Pagnon, qui était Lyonnais dans les moelles, écrivait de Paris à son père : « Ici, on vit comme des oies en cages : je n’entends ni le bruit du vent dans les arbres, ni rien. Quoique ça, je voudrais bien que vous puissiez jeter un coup d’œil sur Paris. » (Lettres et Fragments.)