Le Livre d’un inconnu/21

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XXI


La nuit tombait, et dans le jardin solitaire
La pluie humide et froide avait trempé la terre ;
Les parterres étaient lamentables à voir ;
Les arbres, spectres nus, dans la brume du soir,
Dressaient lugubrement leurs branches désolées,
Et leurs feuilles jonchaient le sable des allées.
Une ombre vint à moi, comme hésitant, — c’était
Un homme pauvrement vêtu qui marmottait
En s’approchant une humble et pressante requête,
La plainte, hélas ! toujours la même que répète

La misère aux abois luttant contre la faim :
Plus de travail, partant plus de feu, plus de pain ;
Je lui donnai le peu que j’avais dans ma bourse.
— Pauvre homme ! me disais-je en reprenant ma course,
Et je sentais des pleurs qui me montaient aux yeux,
Quel est le plus à plaindre et le plus malheureux
De celui qui reçoit ou de celui qui donne ?
Et quel passant viendra pour me faire l’aumône ?