Le Livre d’un père/Ils sont ma vie

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XXVII

ILS SONT MA VIE





Je suis vieux et presque un aïeul ;
Et, si la maison n’était pleine,
Je me sentirais vivre à peine…
N’étant plus rien, si j’étais seul !

Je serais muet, mort peut-être ;
Je n’aurais plus espoir ni foi,
Si chez vous je ne voyais naître
Ce que l’âge a détruit chez moi ;

Si, déjà, vos jeunes arbustes,
Sous mes baisers et sous mes pleurs,
Chargés de feuilles et de fleurs,
Ne poussaient des branches robustes ;


Si vous n’étiez déjà partis,
Fiers de m’aider sur notre voie,
Portant avec vous, chers petits,
Ma vertu, ma force et ma joie.

Je n’ai plus vaillance ou gaîté,
Je n’ai plus rien de ce qu’on aime ;
Prenez tout ce qui m’est ôté !
Travail, ardeur, amitié même.

Oublié de tous, près de vous,
Si je vous vois, forts et fidèles,
Tâchant d’atteindre mes modèles…
Mon déclin me semblera doux.

Sans plus dépenser de courage,
Je me croirai jeune et vaillant,
Si vous frappez un coup brillant
Dans le repos de mon vieil âge.

Et je pourrai vous dire adieu,
Mes œuvres étant bien complètes,
Fier de léguer cinq bons athlètes
A mon nom, à la France, à Dieu.


Mars 1875.