Le Livre d’un père/L’Absent

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XXIX

L’ABSENT





Pauvre enfant, que fait-il ce soir ?
Las, meurtri, malade… que sais-je ?
Les pieds glacés par cette neige,
Peut-être il n’a que son pain noir !

Pour un geste, une maladresse,
Pour un mot trop vite échappé,
Peut-être injustement frappé,
Il se ronge dans sa tristesse.

Et moi je ne puis rien pour lui !
Rien que souffrir de son absence ;
Et je dois souffrir en silence,
Je dois lui cacher mon ennui.


Je le cherche à la vieille table
Où s’assied un cercle joyeux.
J’ai le sourire dans les yeux,
Pendant que le chagrin m’accable.

Le sarment a beau flamboyer,
Et j’ai beau faire l’intrépide,
J’ai froid, près de ce doux foyer,
En regardant sa place vide.

Lorsque tu reçois mes sermons,
Tu trouves ma lettre bien rude ;
Sais-tu bien comme nous t’aimons,
Pauvre ami, dans ta servitude !

Tu crois peut-être, par moment,
Qu’on t’oublie et qu’on te dédaigne ;
Quand ton vieux père, en te nommant,
Joint les mains sur son cœur qui saigne.

Si tu voyais, cher exilé,
Durant ton absence infinie,
Les nuits du père désolé
Et sa douloureuse insomnie !

Adieu ! mais songeons au revoir !
Assez pleuré sur cette page !
Pour que tu fasses ton devoir,
Gardons tous deux notre courage.


Novembre 1875.