Le Livre d’un père/La Sœur aînée

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XI

LA SŒUR AÎNÉE





Elle avait ses cinq ans à peine,
Qu’on admirait dans la maison,
Dans la maison bruyante et pleine,
Sa bonne humeur et sa raison.

Toujours à bien faire occupée,
Ferme et vaillante avec douceur,
Elle aimait, au lieu de poupée,
Elle aimait sa petite sœur.

Elle veillait à ses toilettes
Comme une petite maman,
Présidait aux jeux, aux emplettes,
Aux surprises du jour de l’an.


Elle arrangeait l’affreux bagage
Des grands frères désordonnés,
Et de jolis nœuds, son ouvrage,
Leurs cous rétifs étaient ornés.

Qu’on perdît un livre d’étude,
Cahier, canif et cætera…
On disait sans inquiétude :
« Bah ! Hélène le trouvera ! »

Faisant moins de bruit que personne,
À peine elle avait entendu,
Au négligent qui l’abandonne
Elle apportait l’objet perdu.

Et parfois, dans les cas suprêmes,
À ses yeux vifs ayant recours,
Le père et la maman eux-mêmes
Avaient besoin de son secours.

Mais c’est quand vint le petit frère,
C’est alors qu’il fallait la voir !
Comme elle était heureuse et fière
De bercer l’enfant chaque soir !

Alors elle était grande et sage,
Bonne aux plus sérieux emplois ;
Ce n’était point un badinage,
Elle avait sept ans, cette fois !

Quelle prudence maternelle
Aux premiers pas du gros bébé !

Jamais en trottinant près d’elle
Le cher petit n’était tombé.

Qu’on le taquine ou qu’on le gronde,
On verra si la bonne sœur,
La servante de tout le monde,
Sait résister à l’oppresseur.

Se dressant de toute sa taille
Et le cachant contre son sein,
Elle est prête à livrer bataille :
La poule défend son poussin.
 
Si vous n’aimiez pas votre Hélène
Après un passé si touchant,
Votre âme serait bien vilaine,
Paul, et vous seriez bien méchant !

Mais des soins et de l’amour tendre,
Cher petit, déjà coutumier,
À la chérir, à la défendre,
Tu seras toujours le premier.

C’est notre jeune providence :
Nous puisons tous à ce trésor.
On aime, on vante sa prudence ;
Toi, tu la vantes plus encor.

Elle fut ta petite mère,
Et tu vois comme elle s’y prend
Pour être douce à son vieux père ;
Tu vois les soins qu’elle me rend.


La voilà grande et presque femme,
Et ceux-là seront trop heureux
Qui, nous ôtant cette chère âme,
Se la partageront entre eux.

Aimez-la bien, la sœur aînée,
Retenez-la dans notre nid ;
C’est pour vous qu’elle nous est née,
Et votre père la bénit.


Décembre 1873.