Le Livre d’un père/Les Vacances

La bibliothèque libre.







XXXI

LES VACANCES





Changeons, pour ces deux mois, de livres et de maîtres.
Que l’encre et le papier se reposent un peu.
Loin de ces sombres murs, sous les pins et les hêtres,
Étudions ensemble à l’école de Dieu.

Nous reviendrons pâlir sur les œuvres de l’homme ;
La classe aujourd’hui s’ouvre à travers les buissons,
Après les hauts penseurs de la Grèce et de Rome,
Les oiseaux des forêts nous offrent leurs leçons.

Vous le savez, amis, leur sagesse est bien douce ;
Elle entre au fond du cœur avec l’air embaumé.
Nous lirons sans effort, dans l’herbe et dans la mousse,
Le poème éternel sur ce globe imprimé.


À cette heureuse école on apprend mille choses ;
Le disciple endormi s’y retrouve, au réveil,
Savant comme le chêne et frais comme les roses,
Rien qu’en ouvrant son âme aux rayons du soleil.

On s’instruit dans les champs, rien qu’à s’y laisser vivre,
Rien qu’à n’y pas fermer obstinément les yeux,
Rien qu’à toucher du doigt les feuillets de ce livre,
En écoutant le maître avec le cœur joyeux.

Ce maître, c’est le père ! il vient, heureux et tendre,
Aux portes du collège il attendait son jour ;
Il amassait pour vous, brûlant de le répandre,
Le plus grand des savoirs et le plus pur : l’amour.

Il donne une leçon chaque fois qu’il caresse,
Qu’il vous cueille une fleur, qu’il vous montre les cieux,
Qu’avec le souvenir de leur sainte vieillesse,
Il vous transmet, enfants, les baisers des aïeux.

La science est l’écho de leurs âmes bénies,
Le fruit de leurs conseils pratiqués tant de fois ;
Et vous l’entendrez mieux mêlée aux harmonies
Qu’ajoute à nos discours le murmure des bois.

Baignés de la fraîcheur des splendides aurores,
Vous conduirez l’étude à la cime des monts
Où la lumière en nous filtre par tous les pores,
Où l’arôme des pins se boit à pleins poumons.

Car l’esprit ne vit pas du maigre pain des livres ;
Il se nourrit encor de soleil, de grand air,

Des fluides sacrés dont les forêts sont ivres,
Des atomes ardents qui gonflent notre chair.

Il s’anime au contact des choses animées,
Au galop des coursiers, à l’odeur des prés verts,
En passant de l’école aux campagnes aimées,
Et de ces chiffres morts au vivant univers.

Tout savoir n’est pas fait de calculs et d’étude ;
La vie excelle, enfants, à nous le dispenser.
Il est bon de gravir par quelque sentier rude,
De sentir et de voir autant que de penser.

Allons prendre conseil de la terre natale ;
Interrogeons l’esprit des vallons familiers ;
Pour nous verser à flots sa science vitale,
La nature enseignante attend ses écoliers.

Voici la chasse ouverte et les vignes sont mûres !
Je veux voir, dans la classe où demain nous entrons,
Au lieu d’encre à vos doigts le jus pourpré des mûres,
La poussière à vos pieds et le hâle à vos fronts.

Le livre aimé palpite et s’ouvre à notre approche ;
Il est écrit de fleurs, illustré de soleil.
Chaque pas fait jaillir, de l’herbe et de la roche,
Quelque brin de science, une image, un conseil.

Ce vaste mont, fendu de la base à la crête,
Des temps amoncelés nous trahit l’épaisseur ;
Cette plante me livre une vertu secrète ;
La ruse de l’oiseau se transmet au chasseur.


Ce pâtre industrieux nous instruit, sur les landes,
Tressant l’osier flexible ou découpant le bois ;
Du lait de ses troupeaux, du miel de ses légendes,
Le rustique chanteur nous abreuve à la fois.

Avec nous le semeur, à l’affût d’un présage,
Interroge le ciel si prompt à varier ;
Conduite sous nos yeux, l’œuvre du labourage
Nous apprend le respect de son mâle ouvrier.

Partout c’est un conseil inculqué par l’exemple ;
Et le soir, en rentrant, disciples des forêts,
Pleins du vivant esprit qui souffle dans ce temple,
Nous savons mieux prier, voyant Dieu de plus près.

Ainsi, même en nos jeux, l’étude se consomme,
Et, du sombre lycée aux lumineux sommets,
Sur les pas de l’enfant, pour en tirer un homme,
Marche un doux précepteur qui ne s’endort jamais.

Venez donc et montons à travers les bruyères,
Aspirant l’air chargé de parfums et d’accords,
Qui, des flots et des fleurs, porte en haut les prières.
Nous travaillons pour l’âme en exerçant le corps.

Toute vertu s’accroît de leur mâle équilibre,
Dans ces temps de bassesse et d’appétits sans frein,
Il faut, pour rester juste, il faut, pour rester libre,
Un ferme cœur servi par des membres d’airain.

Aussi bien qu’un penseur le sage est un athlète ;
Un fier combat l’attend, à toute heure, en tout lieu.

Il faut, pour lui forger une armure complète,
Que la sainte nature aide l’esprit de Dieu.

Allons nous raviver, nous recréer en elle !
Nous reviendrons plus forts et mieux prêts au combat,
Si nous pressons du cœur la terre maternelle
Qui relève son fils dès que l’ennui l’abat.

Armons-nous, mes amis, pour les luttes prochaines,
Du souffle des hauts lieux sous les pins toujours verts ;
Allons respirer l’air que respirent les chênes…
Les livres sont fermés et les bois sont ouverts.


Avril 1867.