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Le Livre des ballades/Aux pauvres gens tout est peine & misere

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Ballade des pauvres Gens

Rois qui ſerez jugés à votre tour,
Songez à ceux qui n’ont ni ſou ni maille ;
Ayez pitié du peuple tout amour
Bon pour fouiller le fol, bon pour la taille
Et la charrue, & bon pour la bataille.
Les malheureux ſont damnés, — c’eſt ainſi ! —
Et leur fardeau n’eſt jamais adouci.
Les moins meurtris n’ont pas le néceſſaire.
Le froid, la pluie & le ſoleil auſſi
Aux pauvres gens tout eſt peine & miſère.

Le pauvre hère en ſon triple ſéjour,
Eſt tout pareil à ſes bêtes qu’on fouaille.
Vendange-t-il, a-t-il chauffé le four
Pour un feſtin ou pour une épouſaille,
Le ſeigueur vient, toujours plus endurci.
Sur ſon vaſſal, d’épouvante ſaiſi,

Il met la main, comme un aigle ſa ſerre,
Et lui prend tout, en diſant : « Me voici ! »
Aux pauvres gens tout eſt peine & miſère.

Ayez pitié du pauvre fou de cour !
Ayez pitié du pêcheur qui treſſaille
Quand l’éclair fond ſur lui comme un vautour,
Et de la vierge aux yeux bleus, qui travaille,
Humble & rêvant ſur ſa chaiſe de paille.
Ayez pitié des mères ! Ô ſouci,
Ô deuil ! L’enfant roſe & blond meurt auſſi.
La mère en pleurs entre ſes bras le ſerre,
Pour réchauffer ſon petit corps tranſi :
Aux pauvres gens tout eſt peine & miſère.


ENVOI.


Prince ! pour tous je demande merci !
Pour le manant ſous le ſoleil noirci
Et pour la nonne égrenant ſon roſaire
Et pour tous ceux qui ne ſont pas d’ici :
Aux pauvres gens tout eſt peine & miſère.


Théodore de Banville.