Le Livre des mères et des enfants/I/Le petit incendiaire

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LE PETIT INCENDIAIRE.

On a vu un enfant sur le banc des accusés.

Je crois que c’était en France, tout près de nous.

Il se ressouvenait d’un feu d’artifice, dont les soleils et les fusées au fond de la nuit sombre avaient laissé une vive impression dans sa mémoire. Ce spectacle le poursuivait surtout quand le jour tombait. Il eût donné tout au monde pour revoir une fois encore éclater ces ardentes lumières qui avaient enflammé l’air et son imagination de cinq ans. Mais il n’avait rien du tout pour acheter un feu d’artifice, et il rêvait sur le bord de la chaumière.

Les yeux fixes et la tête penchée, il cherchait un moyen d’assister encore à cette fête du soir qui l’avait rempli d’émotion et d’étonnement.

Une idée simple, mais fatale traversa son petit cerveau, comme une lueur traverse l’obscurité. Demeuré seul pour garder la maison dont son père et sa mère s’étaient forcément éloignés un moment, il saisit une lampe qui pendait sous l’âtre et porta lui-même sa flamme dans tout ce qu’elle pouvait dévorer. La grange recelait de la paille, du foin sec ; le feu se répandit avec une telle rapidité qu’il s’élança comme des langues dévorantes vers le ciel, consumant la grange et la chaumière sans qu’il en restât rien, que les cendres noires et tristes comme l’action terrible de ce jeune insensé.

Il venait de réduire à la mendicité son père, sa pauvre mère, et lui, nuisible à tous par cette action stupide dont il regardait l’effet terrible avec une admiration profonde et muette.

Ah ! que ce fut une grande douleur, quand la mère, au milieu des flammes qui sortaient furieuses de la chaumière, s’élança en appelant son vieux père, l’image de Dieu sur la terre, qui porte bonheur à la maison des enfants ! ce bon vieillard paralytique n’avait pas poussé un cri. La fumée sans doute l’avait étouffé dans son lit, on le trouva consumé victime du caprice monstrueux de son petit-fils, qu’il aimait qu’il avait béni avant de s’endormir… Ah ! oui, cela fut, cela est encore une grande douleur ! et l’on ne comprend point comment la mère infortunée ne mourut pas, quand l’enfant, épouvanté des cris et des sanglots de tout ce monde épouvanté, se mit à crier lui-même : J’ai fait le feu ! j’ai fait le feu ! Horreur et pitié !

Jugez quand il passa le lendemain au travers du village, lié avec des cordes, au milieu d’hommes armés comme pour garder un grand criminel et que tout le monde criait après lui : à l’incendiaire ! à l’incendiaire !

Sa mère pâle et ruinée qui le suivait à pied, ne pouvant se résoudre à l’abandonner, joignait les mains comme pour demander à toutes ces voix du silence par pitié pour elle, la mère, la pauvre femme sans chaumière, sans vieux père à servir tous les jours, sans jeune enfant plein d’innocence comme était hier ce coupable garotté !

Voilà comme il parut, suivi d’un peuple immense au tribunal, qui n’avait jamais vu un si jeune coupable et qui resta longtemps dans un triste silence quand l’enfant interrogé répondit, tout épuisé de larmes :

— Je voulais revoir un feu d’artifice.

On le condamna à vivre trois cent soixante-cinq jours dans une obscurité profonde, où sa mère seule l’éclaire et le console… Priez pour lui !