Le Livre des mères et des enfants/I/Le tueur de mouches

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LE TUEUR DE MOUCHES.

Tuer une mouche, c’est affliger Dieu. C’est détruire un de ses chers ouvrages.

Un homme bien malheureux qui avait tout perdu sur la terre, hors le souvenir et la résignation, rêvait des heures entières, occupé à regarder ces charmantes promeneuses des vitres, où elles glissent en tous sens comme sur un chemin droit. Un jour, il vit Paul que j’ai bien connu, en saisir au vol, quatre qu’il dépouilla de leurs ailes, pour en faire disait-il des chiens, et les atteler ensuite à quelque charriot fait de papier, ou d’une noisette creuse.

L’homme se retint de parler, mais il soupira une douce croyance s’attachait pour lui au vol imprévu de leurs ailes, sur sa tête ou sur ces mains ; il se persuadait que l’ame de quelque ami, d’un de ses enfants pleurés, venait baiser sa tristesse, et l’action de Paul lui serra le cœur.

Mais Paul, bientôt las de faire courir ses chiens fatigués, leur rendit la liberté et trancha du généreux. Les petites invalides se traînèrent ainsi défigurées sur la terre et moururent.

— En voilà de bien belles ! cria Paul, avec un rire avide de victimes : qu’en ferai-je ?

Une, deux, trois, quatre, cinq, six vestales ! condamnées à être enterrées vives, comme j’ai lu dans mon histoire de Rome. Allons ! pas de grâces mesdemoiselles, votre feu s’est éteint ; plus de lumière pour vous. Dans la terre ! dans la terre !

Il creusa en effet un trou au bord du jardin où il jouait ; puis pour être plus sûr que pas une n’échapperait à sa condamnation, il les plongea d’abord dans un cornet de papier, comme dans un cachot préalable, et les ensevelit après dans l’éternelle nuit. Il parcourut ensuite le jardin, à cloche-pied, tout joyeux et tout fier d’avoir imité les Romains.

À peine fut-il loin, que le témoin de cette mauvaise action se pencha en toute hâte vers la sépulture des mouches et qu’il les délivra. Ce fut, avoua-t-il lui même depuis, un moment de profonde joie pour lui, quand il vit ces six petits souffles du ciel y remonter légères quoiqu’un peu étonnées de leur captivité.

Sans que le regard fixe de cet homme affligé eut suspendu l’acte barbare de Paul, ce regard le poursuivait. Il le perçait d’un reproche, au milieu de son triomphe et des fleurs du jardin. On eût dit sa conscience ! Il revint donc sur ses pas, pour flatter et assoupir cette conscience rigide qui l’empêchait de jouer, et il tourna autour de l’homme immobile.

— Bonjour, monsieur ! bonjour, bon monsieur ! répéta-t-il d’une voix caressante et obstinée. Veux-tu causer avec moi comme hier ?

Je ne cause pas avec le bourreau, répliqua le témoin, qui s’éloigna lentement de Paul anéanti.

Après quelques tours de promenade, il sentit Paul haletant, qui l’accrochait par ses habits et l’étreignait de ses deux bras, au milieu du chemin.

— Monsieur, dit-il, hors d’haleine, je voulait déterrer mes vestales ; car je ne suis pas le bourreau, monsieur, je suis Paul qui demeure là. Mais si tu savais… les vestales n’y sont plus. » Elles sont sauvées ! dit son juge en se penchant vers lui ! sauvées par moi toutes les six… — Merci ! oh ! merci, bon monsieur ! s’écria l’enfant en larmes se jetant à son cou. Paul, appelle-moi Paul, dit-il en le serrant avec passion un jour je serai bon comme toi. »

— Au revoir, Paul ! tu te ressouviendras de moi comme d’un courageux ami, répondit l’homme en passant sa main sur les traits consolés de Paul.

— Tu verras ! dit l’enfant.

Depuis, Paul ne tua pas une mouche.


Il n’y a de créature si petite ni si abjecte qui ne représente la bonté du Créateur.