Le Livre des mille nuits et une nuit/Tome 07/L’Étrange khalifat

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Anonyme
Traduction par Joseph-Charles Mardrus.
Éditions de la Revue Blanche (Tome 7p. 247-271).


L’ÉTRANGE KHALIFAT


On raconte qu’une nuit le khalifat Haroun Al-Rachid, pris d’insomnie, fit appeler son vizir Giafar Al-Barmaki et lui dit : « Ma poitrine est rétrécie, et je désire aller me promener par les rues de Baghdad et pousser jusqu’au Tigre, pour essayer de me distraire cette nuit ! » Giafar répondit par l’ouïe et l’obéissance, et se déguisa aussitôt en marchand, après avoir aidé le khalifat à se déguiser également et appelé le porte-glaive Massrour pour qu’il les accompagnât, déguisé aussi comme eux. Puis ils sortirent du palais par la porte secrète, et se mirent à parcourir lentement les rues, silencieuses à cette heure, de Baghdad, et parvinrent de la sorte au bord du fleuve. Ils virent dans une barque amarrée un vieux batelier qui se disposait à s’enrouler dans sa couverture pour dormir. Ils s’approchèrent de lui et, après les salams, lui dirent : « Ô cheikh, nous souhaitons de ton obligeance que tu veuilles bien nous faire descendre dans ta barque pour nous promener un peu sur le fleuve, maintenant que l’heure est fraîche et la brise délicieuse ! Et voici un dinar pour ta peine ! » Il répondit, avec un accent de terreur dans la voix : « Que me demandez-vous là, seigneurs ! Ne connaissez-vous donc pas la défense ? Et ne voyez-vous pas venir à nous le bateau où se trouve le khalifat avec toute sa suite ? » Ils demandèrent, fort étonnés : « Es-tu sûr que ce bateau qui s’avance contienne le khalifat lui-même ? » Il répondit : « Par Allah ! et qui ne connaît pas à Baghdad la figure de notre maître le khalifat ? C’est lui-même, mes seigneurs, avec son vizir Giafar et son porte-glaive Massrour ! Et voici avec eux les mamalik et les chanteurs ! Entendez le crieur, debout sur la proue, qui crie : « Défense aux grands et aux petits, aux jeunes et aux vieux, aux notables et aux hommes du peuple de se promener sur le fleuve ! Quiconque contreviendra à cet ordre aura la tête coupée ou sera pendu au mât de son bateau ! »

En entendant ces paroles…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et se tut discrètement.

MAIS LORSQUE FUT
LA TROIS CENT QUATRE-VINGT-QUATORZIÈME NUIT

Elle dit :

…En entendant ces paroles, Al-Rachid fut à la limite de l’étonnement, car il n’avait jamais donné un ordre pareil, et depuis plus d’une année il ne s’était promené sur le fleuve. Il regarda donc Giafar et l’interrogea des yeux sur la signification de ce procédé. Mais Giafar, aussi étonné que le khalifat, se tourna vers le vieux batelier et lui dit : « Ô cheikh, voici pour toi deux dinars. Seulement, hâte-toi de nous faire descendre dans ta barque et de nous cacher dans un de ces abris voûtés qui sont sur l’eau, simplement pour que nous puissions, sans être aperçus et appréhendés, voir le passage du khalifat et de sa suite. » Le batelier, tout hésitant, finit par accepter l’offre, et, les ayant fait descendre tous les trois dans sa barque, les conduisit sous un abri voûté, et étendit sur eux une couverture noire pour qu’ils fussent encore moins remarqués.

À peine étaient-ils dans cette position, qu’ils virent s’approcher le bateau éclairé par la lueur des torches et des flambeaux qu’alimentaient, avec du bois d’aloès, de jeunes enclaves vêtus de satin rouge, les épaules couvertes de manteaux jaunes et la tête enveloppée de mousseline blanche. Les uns se tenaient à la proue et les autres à la poupe, et ils élevaient leurs torches et leurs flambeaux en criant, de temps en temps, la défense en question. Ils virent aussi deux cents mamalik debout, rangés sur les deux bords du bateau, et entourant une estrade située au centre où, sur un trône d’or, était assis un jeune homme habillé d’une robe en drap noir, que rehaussaient des broderies d’or ; et à sa droite se tenait un homme qui ressemblait étonnamment au vizir Giafar, et à sa gauche se tenait un autre homme, l’épée nue à la main, qui ressemblait exactement à Massrour, tandis qu’au bas de l’estrade étaient assis en bon ordre vingt chanteuses et joueurs d’instruments. À cette vue, Al-Rachid s’écria : « Giafar ! » Le vizir répondit : « À tes ordres, ô émir des Croyants ! » Il dit : « Ce doit être sûrement un de nos fils, ou bien Al-Mâmoun, ou bien Al-Amîn ! Et les deux qui sont debout à ses côtés ressemblent l’un à toi et l’autre à mon porte-glaive Massrour. Et tous ceux qui sont assis au bas de l’estrade ressemblent étrangement à mes chanteurs habituels et à mes joueurs d’instruments. Que penses-tu de tout cela ? Moi je sens mon esprit dans une bien grande perplexité ! » Giafar répondit : « Moi aussi, par Allah ! ô émir des Croyants ! »

Mais déjà le bateau illuminé s’était éloigné de leurs yeux, et le vieux batelier, délivré de ses angoisses, s’écria : « Enfin ! la sécurité est sur nous. Personne ne nous a vus ! » Et il sortit de l’abri et ramena ses trois passagers sur le rivage : Lorsqu’ils eurent débarqué, le khalifat se tourna vers lui et lui demanda : « Ô cheikh, tu dis que le khalifat vient de la sorte se promener toutes les nuits dans le bateau ainsi illuminé ? » Il répondit : « Oui, seigneur, et cela depuis déjà une année ! » Il dit : « Ô cheikh, nous sommes des étrangers en voyage qui aimons à nous réjouir de tous les spectacles et à nous promener partout où il y a à voir de belles choses ! Veux-tu donc prendre ces dix dinars et nous attendre ici même, demain, à cette heure ? » Il répondit : « J’aime et j’honore ! » Alors le khalifat et ses deux compagnons prirent congé de lui et s’en retournèrent au palais en s’entretenant de ce spectacle étrange.

Le lendemain, le khalifat, après avoir tenu toute la journée son diwân et reçu ses vizirs, ses chambellans, ses émirs et ses lieutenants, et expédié les affaires en cours et jugé et condamné et absous, se retira dans ses appartements où il enleva ses habits royaux pour se déguiser en marchand, et prit, avec Giafar et Massrour, le même chemin que la veille pour arriver bientôt au fleuve, où les attendait le vieux batelier. Ils descendirent dans la barque et allèrent se cacher sous la voûte, où ils attendirent l’arrivée du bateau illuminé.

Ils n’eurent pas le temps de s’impatienter, car, quelques instants après, le bateau, au son des instruments, apparut sur l’eau embrasée par les flambeaux. Ils aperçurent les mêmes personnes que la veille, le même nombre de mamalik et les mêmes convives avec, au milieu d’eux, assis sur l’estrade entre l’étrange Giafar et l’étrange Massrour, l’étrange khalifat.

À cette vue, Al-Rachid dit à Giafar : « Ô vizir, je vois là une chose que je n’aurais jamais crue si l’on était venu me la raconter ! » Puis il dit au batelier : « Ô cheikh, prends encore ces dix dinars, et conduis-nous sur la trace de leur bateau ; et ne sois point effrayé, car ils ne nous verront pas, puisqu’ils sont dans la lumière et que nous serons dans les ténèbres. Notre but est de jouir du beau spectacle de cette illumination sur l’eau ! » Le batelier accepta les dix dinars et, bien qu’ému de crainte, se mit à ramer sans bruit dans le sillage du bateau, en se gardant d’entrer dans le cercle lumineux…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et se tut discrètement.

MAIS LORSQUE FUT
LA TROIS CENT QUATRE-VINGT-QUINZIÈME NUIT

Elle dit :

… en se gardant d’entrer dans le cercle lumineux jusqu’à ce qu’ils fussent tous arrivés à un parc qui descendait en pente jusqu’au fleuve, et où le bateau fut amarré. L’étrange khalifat et toute sa suite débarquèrent, et, au son des instruments, pénétrèrent dans le parc.

Lorsque le bateau se fut éloigné, le vieux cheikh fit accoster sa barque dans l’obscurité pour permettre à ses trois passagers de débarquer à leur tour. Une fois à terre, ils allèrent se mêler à la foule des gens qui tenaient les flambeaux et marchaient autour de l’étrange khalifat.

Or, pendant qu’ils suivaient ainsi le cortège, ils furent soudain remarqués par quelques-uns des mamalik et reconnus comme intrus. Aussitôt ils furent saisis et conduits devant le jeune homme qui leur demanda : « Comment avez-vous fait pour entrer ici, et pour quelle raison y êtes-vous venus ? » Ils répondirent : « Ô notre seigneur, nous sommes des marchands étrangers à ce pays. Nous sommes arrivés aujourd’hui seulement, et nous avons poussé notre promenade jusqu’ici, sans savoir que l’accès de ce jardin fût défendu. Et nous marchions tranquillement quand nous avons été appréhendés par vos gens et conduits entre vos mains, sans que nous » ayons pu nous douter de la faute commise ! » Il leur dit : « Soyez donc sans crainte, puisque vous êtes étrangers à Baghdad ! Sans cela, je vous eusse certainement fait trancher la tête ! » Puis il se tourna vers son vizir et lui dit : « Laisse ceux-là venir avec nous. Ils seront nos hôtes ce soir ! »

Ils accompagnèrent alors le cortège et arrivèrent de la sorte à un palais qui ne pouvait être comparé en magnificence qu’à celui de l’émir des Croyants. Sur la porte de ce palais était gravée cette inscription :

En cette demeure où l’hôte est le bienvenu, le temps a mis la beauté de ses teintes, l’art a semé sa décoration, et l’accueil généreux du maître ouvre l’esprit au contentement.

Ils entrèrent alors dans une salle magnifique dont le sol était couvert de tapis de soie jaune, et l’étrange khalifat, s’étant assis sur un trône d’or, permit à tous les autres de s’asseoir autour de lui. On servit immédiatement le festin ; ils mangèrent et se lavèrent les mains ; puis, les boissons rangées sur la nappe, ils burent largement dans la même coupe à tour de rôle. Mais lorsque vint le tour du khalifat Haroun Al-Rachid, celui-ci se défendit de boire. Alors l’étrange khalifat se tourna vers Giafar et lui demanda : « Pourquoi ton ami ne veut-il pas boire ? » Il répondit : « Il y a longtemps, seigneur, qu’il ne boit plus ! » L’autre dit : « En ce cas, je vais lui faire servir autre chose ! » Aussitôt il donna un ordre à un de ses mamalik qui se hâta d’apporter un flacon rempli de sorbet aux pommes, et l’offrit à Al-Rachid, qui cette fois accepta et se mit à boire avec beaucoup de plaisir.

Lorsque la boisson eut eu raison de leur cerveau, l’étrange khalifat, qui tenait à la main une petite baguette d’or, frappa trois coups sur la table, et aussitôt les deux battants d’une large porte s’ouvrirent au fond de la salle pour livrer passage à deux nègres qui portaient sur leurs épaules un siège d’ivoire sur lequel était assise une jeune esclave blanche, au visage brillant comme le soleil. Ils vinrent déposer le siège en face du maître, et allèrent se tenir debout derrière, dans une pose immobile. Alors l’esclave prit un luth indien, l’accorda, et préluda par vingt-quatre modes différents avec un art qui ravit l’esprit des auditeurs. Puis elle revint au premier mode, et chanta :

« Comment peux-tu, loin de moi, te consoler, alors que mon cœur est dans le deuil de ton absence ?

La destinée a séparé les amants, et la demeure est vide qui résonnait des chants du bonheur ! »

Lorsque l’étrange khalifat eut entendu ces vers chantés, il poussa un grand cri, déchira sa belle robe constellée de diamants, sa chemise et ses autres vêtements, et tomba évanoui. Aussitôt les mamalik s’empressèrent de jeter sur lui une couverture de satin, mais pas assez vite pour que le khalifat, Giafar et Massrour n’eussent le temps de remarquer que le corps du jeune homme portait de larges cicatrices et des traces de coups de bâton et de fouet.

À cette vue, le khalifat dit à Giafar : « Par Allah ! quel dommage qu’un jeune homme si beau porte sur le corps des signes qui nous démontrent, d’une façon évidente, que nous avons affaire à quelque brigand ou à quelque criminel étonnant échappé des prisons ! » Mais déjà les mamalik avaient habillé leur maître d’une nouvelle robe, plus belle que la précédente ; et le jeune homme reprit sa place sur le trône, comme si rien ne s’était passé. Il aperçut alors ses trois invités qui se parlaient à voix basse, et leur dit : « Pourquoi cet air étonné et ces paroles à voix basse ? » Giafar répondit : « Mon compagnon que voici me disait qu’il avait parcouru tous les pays et fréquenté bien des personnages et des rois, mais qu’il n’avait jamais vu quelqu’un d’aussi généreux que notre hôte. Il s’étonnait, en effet, de te voir déchirer une robe de la valeur certainement de dix mille dinars. Et il me citait ces vers en ton honneur…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète, se tut.

MAIS LORSQUE FUT
LA TROIS CENT QUATRE-VINGT-SEIZIÈME NUIT

Elle dit :

« … Et il me citait ces vers en ton honneur :

« La générosité a bâti sa demeure au milieu de ta paume, et a fait de cette demeure l’asile désiré.

Si la générosité un jour fermait ses portes, ta main serait la clef qui en ouvrirait les serrures ! »

En entendant ces vers, le jeune homme se montra fort satisfait, et ordonna qu’on fît présent à Giafar de mille dinars et d’une robe aussi belle que celle qu’il avait lui-même déchirée, et l’on se remit à boire et à s’amuser. Mais Al-Rachid, qui ne pouvait avoir de paix depuis qu’il avait aperçu les traces des coups sur le corps du jeune homme, dit à Giafar : « Demande-lui donc l’explication de la chose ! » Giafar répondit : « Il vaut mieux prendre encore patience, et ne pas paraître indiscret ! » Il dit : « Par ma tête et par la tombe d’Abbas ! si tout de suite tu ne l’interroges pas à ce sujet, ô Giafar, ton âme ne t’appartiendra plus à notre arrivée au palais ! »

Or, le jeune homme, s’étant tourné vers eux, les aperçut qui causaient encore à voix basse et leur demanda : « Qu’avez-vous donc de si important à vous dire en secret ? » Giafar répondit : « Rien que du bien ! » Il reprit : « Je te supplie par Allah de me mettre au courant de ce que vous vous disiez, sans rien me cacher ! » Il dit : « Mon compagnon a remarqué sur tes flancs, seigneur, des cicatrices et des traces de coups de verge et de fouet ! Et il en a été étonné à la limite de l’étonnement ! Et il désirerait ardemment savoir à la suite de quelle aventure notre maître le khalifat a subi un pareil traitement, si peu compatible avec sa dignité et ses prérogatives ! » À ces paroles, le jeune homme sourit et dit : « Soit ! je veux bien vous révéler, puisque vous êtes des étrangers, la cause de tout cela ! Et d’ailleurs, mon histoire est si prodigieuse et si pleine de merveilleux que, si elle était écrite avec les aiguilles sur le coin intérieur de l’œil, elle servirait de leçon à qui la considérerait avec attention ! » Puis il dit :


« Sachez, mes seigneurs, que je ne suis point l’émir des Croyants, mais je suis simplement le fils du syndic des bijoutiers de Baghdad. Je m’appelle Môhammad-Ali. Mon père, en mourant, me laissa en héritage beaucoup d’or, d’argent, de perles, de rubis, d’émeraudes, de bijoux et de pièces d’orfèvrerie ; il me laissa, en outre, des propriétés bâties, des terrains, des vergers, des jardins, des boutiques et des magasins de réserve ; et il me laissa le maître de ce palais avec tout ce qu’il contient en esclaves hommes et femmes, en gardes et en serviteurs, en jeunes garçons et jeunes filles.

Or, un jour, comme j’étais assis dans ma boutique au milieu de mes esclaves empressés à exécuter mes ordres, je vis s’arrêter à la porte, et descendre d’une mule richement harnachée, une adolescente accompagnée de trois autres adolescentes, toutes les trois comme des lunes. Elle entra dans ma boutique et s’assit, tandis que je me levais en son honneur ; puis elle me demanda : « Tu es bien, n’est-ce pas, Môhammad-Ali, le joaillier ! » Je répondis : « Mais oui, ô ma maîtresse, et je suis ton esclave prêt à t’obéir ! » Elle me dit : « Aurais-tu quelque bijou vraiment beau, qui pût me plaire ? » Je lui dis : « Ô ma maîtresse, je vais apporter tout ce que j’ai de plus beau dans ma boutique et le mettre entre tes mains. Si quelque chose, dans le nombre, peut arriver à te convenir, nul ne se considérera plus heureux que ton esclave ; et si rien ne peut arrêter tes regards, je déplorerai ma mauvaise chance pendant toute ma vie ! »

Or, moi j’avais justement dans ma boutique cent colliers précieux, merveilleusement ouvragés, que je me hâtai de faire apporter et d’exposer devant elle. Elle les mania et les regarda longuement l’un après l’autre, avec plus de connaissance que je n’en aurais eu moi-même à sa place, puis me dit : « Je veux mieux que cela ! » Je pensai alors à un tout petit collier qu’avait acheté autrefois mon père pour cent mille dinars, et que je tenais, serré tout seul dans un coffret précieux, à l’abri de tous les regards. Je me levai alors et lentement j’apportai le coffret en question avec mille précautions, et je l’ouvris avec cérémonie devant l’adolescente, en lui disant : « Je ne crois pas qu’il y ait l’égal de cela chez les rois ou chez les sultans, chez les petits ou chez les grands ! »

Lorsque l’adolescente eut jeté un rapide coup d’œil sur le collier, elle poussa un cri de joie et s’écria : « Voilà ce que j’ai vainement souhaité toute ma vie ! » Puis elle me dit : « À combien ? » Je répondis : « Son prix de revient, à mon défunt père, a été exactement de cent mille dinars. S’il te plaît, ô ma maîtresse, je serai à la limite du bonheur de te l’offrir pour rien ! » Elle me regarda, sourit légèrement et me dit : « Au prix que tu viens de dire ajoute cinq mille dinars, pour les intérêts du capital mort, et le collier devient ma propriété ! » Je répondis : « Ô ma maîtresse, le collier et son propriétaire actuel sont ta propriété et se trouvent entre tes mains ! Je n’ai rien de plus à ajouter ! » Elle sourit encore, et répondit : « Et moi aussi j’ai fixé l’achat. J’ajoute que je deviens par le fait ta débitrice en gratitude ! » Et, ayant dit ces paroles, elle se leva vivement, sauta avec une légèreté extrême sur sa mule, sans recourir à l’aide de ses suivantes, et me dit en partant : « Ô mon maître, veux-tu tout de suite m’accompagner pour me porter le collier et venir toucher l’argent à ma maison ? Crois bien que cette journée, grâce à toi, est devenue pour moi comme le lait ! » Moi je ne voulus pas insister davantage, de peur de la contrarier, j’ordonnai à mes serviteurs de fermer la boutique, et suivis l’adolescente, au pas, jusqu’à sa maison…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et se tut discrètement.

MAIS LORSQUE FUT
LA TROIS CENT QUATRE-VINGT-DIX-SEPTIÈME NUIT

Elle dit :

… et suivis l’adolescente, au pas, jusqu’à sa maison. Là je lui remis le collier, et elle pénétra dans son appartement après m’avoir prié de m’asseoir sur le banc du vestibule pour y attendre l’arrivée du changeur qui devait me payer les cent mille dinars avec leurs intérêts.

Pendant que j’étais assis sur ce banc du vestibule, je vis arriver une jeune servante qui me dit : « Ô mon maître, prends la peine d’entrer dans l’antichambre de la maison, car le stationnement à la porte n’est pas fait pour les gens de ta qualité ! » Je me levai alors et pénétrai dans l’antichambre où je m’assis sur un escabeau tendu de velours vert, et restai ainsi à attendre un certain temps. Alors je vis entrer une seconde servante qui me dit : « Ô mon maître, ma maîtresse te prie d’entrer dans la salle de réception où elle désire que tu te reposes en attendant l’arrivée du changeur ! » Je ne manquai pas d’obéir, et suivis la jeune fille dans la salle de réception. J’y étais à peine arrivé qu’un grand rideau au fond fut soulevé, et quatre jeunes esclaves s’avancèrent portant un trône d’or où était assise l’adolescente, avec un visage beau comme un rond de lune, et le collier au cou.

À sa vue, le visage ainsi sans voile et complètement à découvert, je sentis ma raison s’affoler, et se précipiter les battements de mon cœur. Mais elle fit signe à ses esclaves de se retirer, s’avança vers moi et me dit : « Ô lumière de mon œil, est-ce que tout être beau doit, ainsi que tu le fais, agir si durement envers celle qui l’aime ? » Je répondis : « La beauté tout entière est en toi, et ses restes, s’il y en a, sont distribués aux autres humains ! » Elle me dit : « Ô joaillier Môhammad-Ali, sache que je t’aime, et que je n’ai usé de ce moyen que pour te décider à venir dans ma maison ! » Et, ayant prononcé ces paroles, elle se pencha sur moi nonchalamment et m’attira à elle en me coulant des yeux langoureux. Moi alors, extrêmement ému, je lui pris la tête dans mes mains et l’embrassai à plusieurs reprises, tandis qu’elle me rendait mes baisers sans avarice et me pressait contre ses seins, que je sentais durs à s’incruster dans ma poitrine. Alors je compris que je ne devais pas reculer, et je voulus mettre à exécution ce qu’il était de ma vertu d’exécuter. Mais au moment où l’enfant, complètement réveillé, réclamait hardiment sa mère, celle-ci me dit : « Que veux-tu donc faire avec cela, ô mon maître ? » Je répondis : « Le cacher, pour m’en débarrasser ! » Elle me dit : « Certes ! tu ne pourras guère le cacher chez moi, car la maison n’est pas ouverte. Il faudrait pour cela d’abord qu’on y ménageât une brèche ! Or, sache bien que je suis une vierge intacte de toute perforation ! De plus, si tu crois que tu as affaire à quelque femme inconnue ou à quelque chiffon d’entre les chiffons de Baghdad, hâte-toi de te détromper ! Apprends, en effet, ô Môhammad-Ali, que, telle que tu me vois, je suis la sœur du grand-vizir Giafar ; je suis la fille de Yahia ben-Khaled Al-Barmaki. »

En entendant ces paroles, ô mes maîtres, moi soudain je sentis l’enfant retomber dans un profond sommeil, et je compris combien il avait été malséant de ma part d’écouter ses cris et de vouloir les apaiser en demandant l’aide de l’adolescente. Pourtant je lui dis : « Par Allah ! ô ma maîtresse, la faute n’est pas à moi si j’ai voulu faire profiter l’enfant de l’hospitalité accordée au père. C’est toi même qui avais bien voulu être généreuse à mon égard, en me faisant voir la route du gîte à travers les portes ouvertes de ton hospitalité ! » Elle me répondit : « Tu n’as point de reproches à te faire, au contraire ! Et tu parviendras à tes fins, si tu veux, mais par les seules routes légales. Avec la volonté d’Allah tout peut arriver ! Je suis, en effet, la maîtresse de mes actes, et nul n’a le droit de les contrôler ! Veux-tu donc de moi comme épouse légitime ? » Je répondis : « Certainement ! » Aussitôt elle fit venir le kâdi et les témoins, et leur dit : « Voici Môhammad-Ali fils d’Ali le défunt syndic. Il me demande en mariage et me reconnaît comme dot ce collier qu’il m’a donné. Moi j’accepte et je consens ! » Aussitôt on écrivit notre contrat de mariage, et, cela fait, on nous laissa seuls. Les esclaves apportèrent les boissons, les coupes et les luths, et nous commençâmes tous deux à boire, jusqu’à ce que notre esprit eût resplendi ! Elle prit alors le luth et chanta en s’accompagnant :

« Par la souplesse de ta taille, par ta démarche fière, je jure que je souffre de ton éloignement.

Aie pitié d’un cœur brûlé du feu de ton amour !

La coupe d’or m’exalte où je trouve, en buvant à sa liqueur, ton souvenir vivace.

De même, au milieu des roses éclatantes, la fleur de myrte me fait mieux apprécier les vives couleurs ! »

Lorsqu’elle eut fini de chanter, je pris le luth à mon tour, et, après avoir montré que je savais en tirer le meilleur parti, je dis ces vers du poète, en m’accompagnant en sourdine :

« Ô prodige ! Je vois sur tes joues s’unir les choses contraires : la fraîcheur de l’eau et la rougeur de la flamme.

Tu es pour mon cœur le feu et la fraîcheur ! Ô ! que tu es amère et douce dans mon cœur ! »

Lorsque nous eûmes terminé nos chants, nous vîmes qu’il était temps de songer au lit. Je l’enlevai dans mes bras et l’étendis sur la couche somptueuse que nous avaient préparée les esclaves…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et se tut discrètement.

MAIS LORSQUE FUT
LA TROIS CENT QUATRE-VINGT-DIX-HUITIÈME NUIT

Elle dit :

… sur la couche somptueuse que nous avaient préparée les esclaves. Alors, l’ayant mise nue, je pus constater qu’elle était une perle imperforée et une cavale non montée. Je me réjouis de cela grandement, et, en outre, je puis assurer que de ma vie je n’ai passé une nuit aussi agréable que cette nuit-là, où, jusqu’au matin, je la tins serrée contre moi comme on tient un pigeon les ailes repliées dans la main !

Or, ce ne fut point une nuit seulement que je passai de la sorte, mais un mois entier, sans discontinuer. Et j’en oubliai mes intérêts, ma boutique, mes biens à gérer, et ma maison avec tout ce qu’elle contenait, jusqu’à ce qu’elle vînt me trouver un jour, qui était le premier jour du second mois, et me dit : « Je suis obligée de m’absenter quelques heures, le temps seulement d’aller au hammam et d’en revenir. Toi, je t’en supplie, ne quitte pas ce lit ; et ne te lève pas jusqu’à ce que je sois de retour. Et je te reviendrai toute fraîche du hammam, et légère et parfumée ! » Puis, pour être plus sûre de l’exécution de cet ordre, elle me fit prêter le serment de ne point bouger du lit. Après quoi elle emmena deux de ses esclaves, qui prirent les serviettes et les paquets de linge et de vêtements, et s’en alla avec elles au hammam.

Or, ô mes maîtres, elle était à peine sortie de la maison, que je vis, par Allah ! la porte s’ouvrir, et entrer dans ma chambre une vieille femme qui me dit, après les salams : « Ô mon maître Môhammad, l’épouse de l’émir des Croyants, Sett Zobéida, m’envoie vers toi pour te prier de te rendre au palais où elle désire te voir et t’entendre ; car on lui a parlé en termes si admiratifs de tes manières distinguées, de ta politesse et de ta belle voix, qu’elle a eu grande envie de te connaître ! » Je répondis : « Par Allah ! ma bonne tante, Sett Zobéida me fait un honneur extrême de m’invitera aller la voir ; mais je ne puis quitter la maison avant le retour de mon épouse qui est allée au hammam. » La vieille me dit : « Mon enfant, je te conseille, dans ton intérêt, de ne pas différer d’un instant la visite qu’on te demande, si tu ne veux pas que Sett Zobéida devienne ton ennemie !

Or, peut-être l’ignores-tu, elle est bien dangereuse, l’inimitié de Sett Zobéida ! Lève-toi donc et va lui parler ! Puis tu reviendras bien vite à ta maison ! »

Ces paroles me décidèrent à sortir, en dépit du serment que j’avais fait à mon épouse, et je suivis la vieille qui marcha devant moi, et me conduisit au palais où elle m’introduisit sans difficulté.

Lorsque Sett Zobéida me vit entrer, elle me sourit, me fit m’approcher d’elle, et me dit : « Ô lumière de l’œil ! c’est toi le bien-aimé de la sœur du grand-vizir ? » Je répondis : « Je suis ton esclave et ton serviteur ! » Elle me dit : « En vérité, ils n’ont guère exagéré tes mérites, ceux qui m’ont dépeint tes manières charmantes et ton parler distingué. Je désirais te voir et te connaître, pour juger par mes yeux du choix et des goûts de la sœur de Giafar. Maintenant je suis satisfaite. Mais tu ferais parvenir mon plaisir à ses limites extrêmes, si tu voulais bien me faire entendre ta voix en me chantant quelque chose ! » Je répondis : « J’aime et j’honore ! » Et je pris un luth, que m’apporta une esclave, et, après l’avoir accordé, je préludai doucement et chantai deux ou trois strophes sur l’amour partagé. Lorsque je cessai de chanter, Sett Zobéida me dit : « Qu’Allah achève son œuvre en te rendant encore plus parfait que tu n’es, ô charmant jeune homme ! Je te remercie d’être venu me voir. Maintenant hâte-toi de rentrer chez toi, avant le retour de ton épouse, pour qu’elle ne s’imagine point que je veuille te ravir à son affection ! » Moi j’embrassai alors la terre entre ses mains, et je sortis du palais par la porte même de mon entrée.

Lorsque je fus arrivé à la maison, je trouvai au lit mon épouse, qui m’y avait précédé. Elle dormait déjà, et ne fit aucun mouvement de réveil. Je me couchai alors à ses pieds, et, tout doucement, je me mis à lui masser les jambes. Mais soudain elle ouvrit les yeux et froidement me donna un coup de pied dans le flanc, qui m’envoya rouler au bas du lit, par terre, et me cria : « Ô traître ! ô parjure ! Tu as manqué à ton serment, et tu t’es rendu auprès de Sett Zobéida ! Par Allah ! si je n’avais horreur de l’opprobre et horreur de livrer mon intimité, au public, j’irais à cette heure même lui faire voir, à Sett Zobéida, ce qu’il en coûte de débaucher les maris des autres femmes ! Mais toi, en attendant, tu vas payer pour elle et pour toi ! » Et elle frappa dans ses mains et cria : « Ya Saouab ! » Aussitôt apparut son chef eunuque, un nègre qui m’avait toujours regardé de travers, et elle lui dit : « Coupe tout de suite le cou à ce traître, à ce menteur, à ce parjure ! » Le nègre aussitôt brandit son épée, déchira un coin du bas de sa robe, et me banda les yeux avec le lambeau d’étoffe qu’il avait ainsi arraché. Puis il me dit : « Fais ton acte de foi ! » et se disposa à me couper le cou. Mais à ce moment entrèrent toutes les esclaves, envers lesquelles j’avais toujours été généreux, les grandes et les petites, les jeunes et les vieilles…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète, se tut.

MAIS LORSQUE FUT
LA TROIS CENT QUATRE-VINGT-DIX-NEUVIÈME NUIT

Elle dit :

… les grandes et les petites, les jeunes et les vieilles, et lui dirent : « Ô notre maîtresse, nous te supplions de lui faire grâce à cause de son ignorance de la gravité de sa faute. Il ne savait pas que rien ne te pouvait davantage contrarier que sa visite à Sett Zobéida, ton ennemie ! Il ignorait absolument ce qu’il pouvait y avoir de rivalité entre vous deux ! Pardonne-lui, ô notre maîtresse ! » Elle répondit : « Soit ! je veux bien lui laisser la vie sauve, mais je désire également lui faire garder un souvenir ineffaçable de son manquement ! » Et elle fit signe à Saouab de laisser l’épée pour le bâton. Et le nègre prit aussitôt une verge d’une souplesse terrible, et se mit à m’en donner des coups sur les endroits les plus sensibles de mon corps. Après quoi il prit un fouet et m’en asséna cinq cents tournées, ajustées cruellement sur mes parties les plus délicates et sur mes côtes. C’est ce qui vous explique, mes seigneurs, les traces et les cicatrices que vous avez pu observer tout à l’heure sur mon corps.

Lorsque ce traitement m’eut été infligé, elle me fit emporter de là et jeter comme une hotte d’ordures dans la rue.

Alors, moi je me ramassai comme je pus, et me traînai jusqu’à ma maison, tout ensanglanté, pour tomber évanoui tout de mon long, à peine arrivé dans ma chambre depuis si longtemps abandonnée.

Lorsque, au bout d’un long temps, je fus revenu de mon évanouissement, je fis venir chez moi un savant rebouteur, à la main très légère, qui pansa délicatement mes blessures et, à force de baumes et d’onguents, réussit à obtenir ma guérison. Je restai pourtant étendu dans l’immobilité pendant deux mois ; et lorsque je pus sortir, je commençai par aller au hammam ; et, mon bain terminé, je me rendis à ma boutique. Là je me hâtai de vendre aux enchères tout ce qu’elle contenait de choses précieuses, je réalisai tout ce que je pus réaliser, et, avec la somme acquise, j’achetai quatre cents jeunes mamalik que j’habillai richement, et ce bateau où vous m’avez vu cette nuit en leur compagnie. Je choisis l’un, d’eux, qui ressemblait à Giafar, pour en faire mon compagnon de droite, et un autre pour lui donner les prérogatives de porte-glaive, à l’exemple de l’émir des Croyants. Et, dans le but d’oublier mes tribulations, je me déguisai moi-même en khalifat, et pris l’habitude de me promener chaque nuit sur le fleuve, au milieu de l’illumination de mon bateau et des chants et des jeux des instruments. Et c’est ainsi que, depuis une année, je passe ma vie, me donnant à moi-même cette illusion suprême d’être le khalifat, pour tâcher de chasser de mon esprit le chagrin qui l’a habité à partir du jour où mon épouse m’a fait châtier si cruellement, pour satisfaire la rivalité que Sett Zobéida et elle-même nourrissaient à l’égard l’une de l’autre ! Et c’est moi seul, l’ignorant de tout cela, qui ai subi les conséquences de cette dispute de femmes ! Or, telle est ma triste histoire, ô mes maîtres ! Et je n’ai plus qu’à vous remercier d’avoir bien voulu vous joindre à nous pour passer cette nuit amicalement ! »


Lorsque le khalifat Haroun Al-Rachid eut entendu cette histoire, il s’écria : « Louanges à Allah qui a fait que chaque effet ait sa cause ! » Puis il se leva et demanda au jeune homme la permission de se retirer avec ses compagnons. Le jeune homme le lui permit ; et il sortit de là pour se rendre au palais, en songeant au moyen de réparer l’injustice commise par les deux femmes à l’égard du jeune homme. Et, de son côté, Giafar se désolait fort que sa sœur fût la cause d’une pareille aventure, maintenant destinée à être connue de tout le palais.

Le lendemain, le khalifat, revêtu des insignes de son autorité, au milieu de ses émirs et de ses chambellans, dit à Giafar ; « À moi le jeune homme qui nous a donné l’hospitalité hier dans la nuit ! » Et Giafar sortit immédiatement, pour revenir bientôt avec le jeune homme qui embrassa la terre entre les mains du khalifat et, après les salams, lui fit en vers un compliment. Al-Rachid, charmé, le fit s’approcher, et s’asseoir à côté de lui et lui dit : « Ô Môhammad-Ali, je te fais venir pour entendre de ta bouche l’histoire que tu as racontée hier aux trois marchands. Elle est prodigieuse et pleine de leçons utiles ! » Le jeune homme, bien ému, dit : « Je ne puis parler, ô émir des Croyants, avant que tu ne m’aies donné le mouchoir de la sécurité ! » Le khalifat aussitôt lui jeta son mouchoir, en signe de sécurité, et le jeune homme répéta son récit, sans omettre un détail. Lorsqu’il eut fini, Al-Rachid lui dit : « Et maintenant aimerais-tu voir ton épouse revenir auprès de toi, malgré ses torts à ton égard ? » Il répondit : « Tout ce qui me viendrait de la main du khalifat serait le bienvenu ; car les doigts de notre maître sont les clefs des bienfaits, et ses actions ne sont pas des actions mais des colliers précieux, ornements des cous ? » Alors le khalifat dit à Giafar : « À moi ta sœur, ô Giafar, la fille de l’émir Yahia ! » Et Giafar fit aussitôt venir sa sœur ; et le khalifat lui demanda : « Dis-moi, ô fille de notre fidèle Yahia ! reconnais-tu ce jeune homme ? » Elle répondit : « Ô émir des Croyants, depuis quand les femmes ont-elles appris à connaître les hommes ? » Il sourît et dit : « Eh bien ! je vais te dire son nom. Il s’appelle Môhammad-Ali, fils du défunt syndic des bijoutiers. Tout ce qui est passé est passé, et dans le présent je désire te donner à lui comme épouse ! » Elle répondit : « Le don de notre maître est sur nos têtes et dans nos yeux ! »

Le khalifat fit aussitôt venir le kâdi et les témoins, et fit écrire légalement le contrat de mariage, qui unit cette fois les deux jeunes gens d’une façon durable, pour leur bonheur qui fut parfait. Et il voulut retenir auprès de lui Môhammad-Ali pour qu’il devînt l’un de ses intimes jusqu’à la fin de ses jours. Et voilà comment Al-Rachid savait consacrer ses loisirs à unir ce qui était désuni et à rendre heureux ceux que le destin avait trahis !


— Mais ne crois point, ô Roi fortuné, continua Schahrazade, que cette histoire, que je ne t’ai racontée que pour faire simplement diversion aux courtes anecdotes, puisse égaler, de près ou de loin, la merveilleuse Histoire de Rose-dans-le-Calice et Délice-du-Monde ! »