Le Livre des mille nuits et une nuit/Tome 15/Histoire du huitième capitaine

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HISTOIRE RACONTÉE PAR LE HUITIÈME
CAPITAINE DE POLICE


Il y avait une fois un joueur de clarinette ambulant. Et il était marié avec une femme. Et elle devint enceinte de ses œuvres et accoucha, avec l’aide d’Allah, d’un garçon. Mais le joueur de clarinette n’avait aucune pièce d’argent chez lui, soit pour payer la sage-femme, soit pour acheter quelque chose à son épouse, l’accouchée. Et, ne sachant plus que faire, et son embarras étant devenu sans issue, il s’en alla fâché, en disant à sa femme : « Je vais aller sur la route d’Allah mendier deux piécettes de cuivre aux gens pitoyables ; et j’en donnerai une en acompte, à la sage-femme, et la seconde, en acompte, aussi, au marchand de poulets, pour t’acheter un poulet dont te nourrir en ce jour de tes couches. »

Et il sortit donc de sa maison. Et, comme il traversait un champ, il trouva une poule assise sur un tertre. Et il s’approcha doucement de la poule, et la saisit avant qu’elle eût le temps de s’échapper. Et il découvrit sous elle un œuf fraîchement pondu. Et il le mit dans sa poche, en disant : « La bénédiction est descendue aujourd’hui. C’est juste ce qu’il me faut ; et je n’ai plus besoin d’aller mendier. Car je vais donner cette poule à la fille de l’oncle, après l’avoir cuite à son intention, en ce jour de sa délivrance ; et je vendrai l’œuf pour une piécette de cuivre que je donnerai en acompte à la sage-femme. » Et il alla au souk des œufs, dans cette intention.

Or, en passant par le souk des orfèvres et bijoutiers, il rencontra un juif de ses connaissances, qui lui demanda : « Que portes-tu là ? » Il répondit : « C’est une poule avec son œuf ! » Il lui dit : « Fais voir ! » Et le joueur de clarinette montra au juif la poule et l’œuf. Et le juif lui demanda : « Veux-tu vendre cet œuf ? » Il répondit : « Oui ! » Il dit : « Pour combien ? » Il répondit : « Toi, parle le premier ! » Le juif dit : « Je te l’achète pour dix dinars d’or ! Il ne vaut pas davantage ! » Et le pauvre dit, croyant que le juif se moquait de lui : « Tu te moques de moi parce que je suis pauvre ; tu sais bien que ce n’est pas son prix » Et le juif crut qu’il en demandait davantage, et lui dit : « Je t’en offre, comme dernier prix, quinze dinars ! » Il répondit : « Qu’Allah ouvre ! » Alors le juif dit : « Voici vingt dinars d’or neuf. C’est à prendre ou à laisser. » Alors le joueur de clarinette, voyant que l’offre était sérieuse, remit l’œuf au juif, contre les vingt dinars d’or, et se hâta de lui tourner le dos. Mais le juif courut derrière lui, et lui demanda : « As-tu beaucoup de ces œufs-là, chez toi ? » Il répondit : « Je t’en apporterai un demain, lorsque la poule aura pondu, et ce sera au même prix. Mais, si c’était un autre que toi, je ne le lui vendrais pas pour moins de trente dinars d’or ! » Et le juif lui dit : « Montre-moi ta maison ; et tous les jours je viendrai prendre l’œuf, sans que tu te fatigues ; et je te donnerai les vingt dinars. » Et le joueur de clarinette lui montra sa maison, et se hâta ensuite d’aller acheter une autre poule que cette pondeuse-là, et alla la faire cuire pour son épouse. Et il paya largement la sage-femme pour ses peines.

Et, le lendemain, il dit à son épouse : « Ô fille de l’oncle, garde-toi d’égorger la poule noire qui vit dans la cuisine. Elle est la bénédiction de la demeure. Elle nous pond des œufs qui valent chacun, au tarif courant, vingt dinars d’or…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète, se tut.

MAIS LORSQUE FUT
LA NEUF CENT QUARANTE-NEUVIÈME NUIT

Elle dit :

« … Elle nous pond des œufs qui valent chacun, au tarif courant, vingt dinars d’or. Et c’est le juif un tel qui nous les achète à ce prix-là ! »

Et, de fait, le juif se mit à venir chaque jour prendre l’œuf fraîchement pondu, en le leur payant, au comptant, vingt dinars d’or. Et le joueur de clarinette ne tarda pas à parvenir à une grande aisance, et à ouvrir une belle boutique de marchand dans le souk.

Et quand son fils, qui était né le jour de l’entrée de la poule, fut devenu assez grand pour pouvoir aller à l’école, l’ancien joueur de clarinette fit bâtir à ses frais une belle école, et y rassembla les enfants pauvres pour qu’ils y apprissent à lire et à écrire avec son propre fils. Et il choisit pour eux tous un excellent maître d’école, qui savait le Korân par cœur, et qui pouvait le leur réciter, même en commençant par le dernier mot pour arriver au premier.

Après quoi il résolut d’aller en pèlerinage au Hedjaz, et dit à son épouse : « Prends bien garde que le juif ne se moqué de toi et ne te prenne la poule ! » Puis il partit avec la caravane de la Mecque.

Or, quelque temps après le départ de l’ancien joueur de clarinette le juif dit un jour à la femme : « Je vais te donner une malle pleine d’or. Me donneras-tu la poule en échange ? » Elle répondit : « Comment le pourrais-je, ô homme ? mon époux, avant de partir, m’a bien recommandé de ne te céder que les œufs. » Il dit : « S’il se fâche, tu es hors de cause. J’en assume la responsabilité, et il peut s’en prendre à moi, qui suis dans une boutique au milieu du souk. » Et il lui ouvrit la malle, et lui montra l’or qu’elle contenait. Et la femme se réjouit d’avoir tant d’or à la fois, et remit la poule au juif. Et il la prit, et l’égorgea séance tenante, et dit à la femme : « Nettoie-la et fais-la cuire ; je viendrai la prendre. Mais si un morceau en manque, j’ouvrirai le ventre de celui qui l’a mangé, pour l’en retirer. » Et il s’en alla.

Or, à l’heure de midi, le fils du joueur de clarinette rentra de l’école. Et il vit que sa mère retirait la poule de la casserole et la mettait sur un plat de porcelaine et la couvrait d’un foulard de mousseline. Et son âme d’écolier souhaita vivement manger un morceau de cette belle poule-là. Et il dit à sa mère : « Donne-m’en un morceau, ma mère. » Elle lui dit : « Tais-toi donc ! est-ce qu’elle nous appartient ? » Puis, comme elle s’était absentée un moment pour un besoin, le garçon découvrit le foulard de mousseline et, d’un seul coup de dents, trancha le cul de la poule et l’avala tout chaud. Et une des esclaves le vit, et lui dit : « Ô mon maître, quel malheur et quelle calamité sans remède ! Fuis de la maison, parce que le juif, qui va venir prendre sa poule, t’ouvrira le ventre pour en retirer le cul que tu as avalé ! » Et le garçon dit : « C’est vrai, il vaut mieux m’en aller que de perdre ce bon cul-là ! » Et il monta sur sa mule et partit.

Or, le juif ne tarda pas à venir pour prendre sa poule. Et il vit que le cul manquait. Et il dit à la mère : « Où est le cul ? » Elle répondit : « Pendant que j’étais sortie pour un besoin, mon fils a tranché le cul avec ses dents, à mon insu, et l’a avalé. » Et le juif s’écria : « Malheur à toi ! J’ai donné tout mon argent pour ce cul-là. Où est-il ton fils, le garnement, pour que je lui ouvre le ventre et l’en retiré ? » Elle répondit : « Il s’est enfui, dans sa terreur ! »

Et le juif sortit en toute hâte, et se mit à voyager, à travers les villes et les villages, en donnant le signalement du garçon, jusqu’à ce qu’il l’eût rencontré dans les champs, endormi. Et il s’approcha doucement de lui pour le tuer, quand le garçon, qui ne dormait que d’un œil, se réveilla en sursaut. Et le juif lui cria : « Viens ici, ô fils de la clarinette. Qui t’a dit de manger le cul ? Moi j’ai donné pour lui une caisse remplie d’or, et j’ai posé des conditions à ta mère. Et maintenant les conditions vont marcher, par ta mort ! » Et le garçon, sans s’émouvoir, lui répondit : « Va-t’en, ô juif ! N’as-tu pas honte de faire tout ce voyage pour un cul de poule ? Et n’est-ce pas une honte encore plus grande de vouloir m’ouvrir le ventre à cause de ce cul-là ? » Mais le juif répondit : « Moi je sais ce que j’ai à faire. » Et il tira son couteau de sa ceinture pour ouvrir le ventre du garçon. Mais le garçon saisit le juif d’une seule main, et le souleva et le frappa contre le sol, où il broya ses os et fit entrer sa longueur dans sa largeur. Et le juif — qu’il soit maudit ! — mourut à son heure.

Or, le jeune garçon devait bientôt éprouver les effets, sur sa personne, de ce cul de poule. En effet, il revint sur ses pas, pour retourner chez sa mère ; mais il se perdit en route, et arriva dans une ville où il vit un palais de roi à la porte duquel quarante têtes moins une étaient suspendues. Et il demanda aux gens : « Pourquoi ces têtes-là sont-elles suspendues ? » On lui répondit : « Le roi a une fille très forte à la lutte sur le terrain. Celui qui entrera et la vaincra, l’épousera ; mais celui qui ne la vaincra pas, aura la tête tranchée. »

Alors le jeune garçon entra sans hésiter chez le roi, et lui dit : « Je veux descendre sur le terrain avec ta fille, pour mesurer ma force avec la sienne. » Et le roi lui répondit : « Ô mon garçon, crois-moi, va-t’en ! Que d’hommes plus forts que toi sont venus qui ont été vaincus par ma fille ! C’est dommage de te tuer. » Sur ce, il répondit : « Je veux qu’elle me vainque, qu’on me coupe la tête, et qu’on la suspende à la porte. » Et le roi dit ; « Bien, écris en ce sens, et appose ton cachet sur le papier. » Et le garçon écrivit et cacheta.

Là-dessus, on étendit un tapis dans la cour intérieure, et la jeune fille et le garçon descendirent sur le terrain, et se prirent l’un l’autre par le milieu du corps, et mirent leurs aisselles l’une dans l’autre. Et ils luttèrent ensemble merveilleusement. Et tantôt le garçon la prenait et la renversait par terre ; et tantôt elle se levait, comme un serpent, et le renversait à son tour. Et il continua à la renverser, et elle à le renverser, pendant deux heures de lutte, sans qu’aucun d’eux pût faire toucher l’épaule à l’adversaire. Alors le roi devint fâché, en voyant que sa fille, cette fois, ne se distinguait pas davantage, Et il dit : « C’est assez pour aujourd’hui. Mais demain vous descendrez encore une fois sur le terrain, pour la lutte. »

Puis le roi les sépara et rentra dans ses appartements, et appela les médecins du palais et leur dit : « Cette nuit vous ferez respirer du bang narcotique, pendant son sommeil, au garçon qui a lutté avec ma fille ; et, quand le narcotique aura produit son effet, vous examinerez son corps pour voir s’il porte sur lui un talisman qui le rend aussi résistant. Car, en vérité, de tous les preux chevaliers du monde, ma fille a vaincu les plus forts, et a fait mordre la terre à quarante moins un d’entre eux. Comment donc n’a-t-elle pu terrasser un jouvenceau tel que celui-ci ? Il faut donc qu’il y ait une cause cachée, et c’est cette cause qu’il vous faut découvrir. Sans quoi, votre science sera en défaut, et votre assistance se montrera à moi sans vertu, et je vous chasserai de mon palais et de ma ville ! »

Aussi, lorsque la nuit fut venue et que le garçon fut endormi, les médecins allèrent lui faire respirer le bang narcotique, et l’assoupirent profondément. Et ils examinèrent son corps point par point, en frappant dessus comme on frappe sur les jarres, et ils finirent par découvrir, à l’intérieur de sa poitrine, enveloppé dans ses entrailles, le cul de la poule. Et ils allèrent chercher leurs ciseaux et leurs instruments, firent une incision, et retirèrent le cul de la poule de la poitrine du garçon. Puis ils recousirent la poitrine, l’arrosèrent de vinaigre héroïque, et la remirent dans l’état où elle était.

Or, le matin, le garçon s’éveilla du sommeil narcotique, et sentit que sa poitrine était fatiguée, et que lui-même n’avait plus la même robustesse qu’auparavant. Car ses forces s’en étaient allées avec le cul de la poule, qui était doué de la vertu de rendre invincible celui qui l’avait mangé. Et, se voyant désormais en état d’infériorité, il ne voulut point s’exposer à tenter une épreuve dangereuse, et s’enfuit de peur que la jeune lutteuse le vainquît et le tuât.

Et, ses jambes livrées au vent, il ne cessa de courir qu’il ne fût hors de la vue du palais et de la ville. Et il rencontra trois hommes qui se querellaient entre eux. Et il leur demanda : « Pourquoi vous querellez-vous ? » Ils répondirent : « Pour une chose ! » Il leur dit : « Une chose ? Quelle est-elle ? » Ils répondirent : « Nous avons ce tapis, que voici. Si quelqu’un se met dessus, et le frappe avec cette baguette, en lui demandant d’aller serait-ce jusqu’au sommet de la montagne Kâf, le tapis le transporte en un clin d’œil. Et nous nous étranglons en ce moment pour sa possession ! » Il leur dit : « Au lieu de vous étrangler mutuellement pour la possession de ce tapis volant, prenez-moi pour arbitre, et j’agirai avec justice entre vous. » Et ils répondirent : « Sois notre arbitre pour cette affaire. » Il leur dit : « Déployez par terre ce tapis, pour que je voie sa longueur et sa largeur. » Et il se mit au milieu du tapis, et leur dit : « Je vais lancer une pierre de toute ma force, et vous courrez après tous les trois ensemble. Et celui qui la saisira le premier, prendra le tapis volant. » Ils lui dirent : « Bien. » Alors il prit une pierre et la lança ; et les trois coururent après. Et, pendant qu’ils couraient, il frappa le tapis avec la baguette, en lui disant : « Transporte-moi en ligne droite au milieu de la cour du palais du roi un tel ! » Et le tapis exécuta l’ordre, à l’heure et à l’instant, et déposa le fils du joueur de clarinette dans la cour du palais en question, à l’endroit où d’ordinaire avaient lieu les luttes de la princesse.

Et le garçon s’écria : « Voici le lutteur ! Que vienne son vainqueur ! » Et la jeune fille descendit, devant tout le monde, au milieu de la cour, et se plaça sur le tapis en face du garçon. Et aussitôt il frappa le tapis avec sa baguette, en disant : « Vole avec nous jusque sur le sommet de la montagne Kâf. » Et le tapis s’éleva dans les airs, au milieu de la stupéfaction générale, et, en moins de temps qu’il n’en faut pour fermer un œil et l’ouvrir, il les déposa sur le sommet de la montagne Kâf.

Alors le garçon dit à la fille : « Qui est maintenant le vainqueur ? Est-ce celle qui a pris de ma poitrine le cul de la poule, ou celui qui a pris la fille du roi du milieu de son palais…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète, se tut.

MAIS LORSQUE FUT
LA NEUF CENT CINQUANTIÈME NUIT

Elle dit :

« … Qui est maintenant le vainqueur ? Est-ce celle qui a pris de ma poitrine le cul de la poule, ou celui qui a pris la fille du roi du milieu de son palais ? » Elle répondit : « Sous ta protection ! Pardonne-moi ! Et si tu veux me reconduire dans le palais de mon père, je t’épouserai, en disant : « Celui-ci m’a vaincue. » Et j’ordonnerai aux médecins de remettre le cul de la poule dans ta poitrine. » Il dit : « Bien. Mais le proverbe dit : « Il faut battre la barre quand elle est molle ! » Et moi je veux faire avec toi ce que tu sais, avant le transport ! » Elle dit : « Bien. » Alors il la prit, et se coucha sur elle, et, l’ayant trouvée à point, il s’apprêta à la battre où il fallait pendant qu’elle était molle. Mais, soudain, elle lui asséna un coup de pied qui l’envoya rouler hors du tapis. Et elle frappa le tapis avec la baguette, en disant : « Vole, ô tapis, et transporte-moi dans le palais de mon père ! » Et le tapis, à l’instant même, s’envola avec elle et la porta au palais.

Et le fils du joueur de clarinette ambulant resta seul sur le sommet de la montagne, risquant de mourir de faim et de soif, sans que, même les fourmis, pussent retrouver ses traces. Et il se mit à descendre de la montagne, en se mordant la paume de rage. Et il descendit ainsi pendant une journée et une nuit, sans s’arrêter, et arriva, vers le matin, au milieu de la montagne. Et, pour sa chance, il trouva là deux dattiers qui ployaient sous leurs régimes de dattes mûres.

Or, l’un des deux dattiers portait des dattes rouges, et l’autre des dattes jaunes. Et le garçon se hâta de cueillir une branche de chaque espèce. Et, comme il préférait les jaunes, il commença par avaler avec délices une de ces dattes jaunes-là. Mais, aussitôt, il sentit quelque chose qui lui grattait la peau de la tête ; et il porta sa main à sa tête, à l’endroit où ça le grattait, et sentit une corne qui lui sortait de la tête avec rapidité, et s’entortillait autour du dattier. Et il eut beau vouloir se dégager, il resta fixé par sa corne au dattier. Alors il se dit : « Mort pour mort, je préfère encore satisfaire d’abord ma faim, et ensuite mourir ! » Et il s’attaqua aux dattes rouges. Et voici ! Dès qu’il eut avalé une de ces rouges-là, il sentit que sa corne se dénouait du dattier, et que sa tête se dégageait. Et, en un clin d’œil, la corne fut comme si elle n’avait jamais été. Et il n’en resta pas même la trace sur sa tête.

Alors le garçon se dit : « Bien. » Et il se mit à manger des dattes rouges, jusqu’à ce qu’il eut satisfait sa faim. Puis il remplit sa poche de dattes rouges et jaunes, et continua à voyager jour et nuit, pendant deux mois entiers, jusqu’à ce qu’il arrivât à la ville de son adversaire, la fille du roi.

Et il vint sous les fenêtres du palais, et se mit à crier, disant : « Ô dattes hors de saison, ô dattes ! Doigts des princesses, ô dattes ! Compagnes des cavaliers, ô dattes ! »

Et la fille du roi entendit le cri du vendeur de dattes hors de leur saison, et dit à ses suivantes : « Descendez vite m’acheter des dattes de ce vendeur, et choisissez-les bien croquantes, ô jeunes filles. » Et elles descendirent acheter des dattes, qui ne leur furent cédées, vu leur rareté, que moyennant un dinar chacune. Et elles en achetèrent seize, pour seize dinars, et montèrent les remettre à leur maîtresse.

Et la fille du roi vit que c’étaient des dattes jaunes, précisément celles qu’elle aimait le mieux. Et elle les mangea l’une après l’autre, toutes les seize, le temps de les porter à sa bouche. Et elle dit : « Ô mon cœur, qu’elles sont délicieuses ! » Mais elle avait à peine fini de prononcer ces mots, qu’elle sentit une vive démangeaison, qui lui démangeait, en seize endroits différents, la tête. Et elle porta vivement la main à sa tête, et sentit que seize cornes perçaient son cuir à cheveux en seize endroits différents et symétriques. Et, le temps de crier, que déjà les seize cornes s’étaient développées et, quatre par quatre, étaient allées se prendre au mur, solidement.

À cette vue, et aux cris perçants qu’elle se mit à lancer, de concert avec ses suivantes, son père accourut, en haletant, et demanda : « Qu’y a-t-il ? » Et les suivantes lui répondirent : « Ô notre maître, nous levions les yeux quand nous vîmes tout à coup ces seize cornes sortir de la tête de notre maîtresse, et aller se fixer quatre par quatre au mur, telles que tu les vois. »

Alors son père assembla les médecins les plus habiles, ceux-là qui avaient retiré de la poitrine du garçon le cul de la poule. Et ils apportèrent des scies pour scier les cornes, mais elles ne se laissèrent pas scier. Et ils employèrent d’autres moyens, mais sans aboutir à un résultat, et sans réussir à la guérir.

Alors son père recourut aux moyens extrêmes, et envoya un crieur par la ville, crier : « Celui qui donnera un remède à la fille du sultan, et la délivrera des seize cornes, l’épousera et sera désigné pour la succession au trône ! »

Or, qu’arriva-t-il ?

Le fils du joueur de clarinette, qui n’attendait que ce moment, entra au palais et monta chez la princesse, en disant : « Moi, je ferai disparaître ses cornes. » Et, dès qu’il fut en sa présence, il prit une datte rouge, la cassa en morceaux, et la mit dans la bouche de la princesse. Et, à l’instant même, une corne se détacha du mur, et, à vue d’œil, se raccourcit et finit par disparaître entièrement de la tête de la jeune fille.

À cette vue, tous les assistants, le roi en tête, s’exclamèrent de joie, et s’écrièrent : « Ô ! le grand médecin ! » Et il dit : « Demain je ferai disparaître une seconde corne ! » Alors on le retint au palais, où il resta seize jours, faisant disparaître chaque jour une corne, jusqu’à ce qu’il l’eût délivrée des seize cornes.

Aussi, le roi, à la limite de l’émerveillement et de la gratitude, fit écrire aussitôt le contrat de mariage du garçon sur la princesse. Et les noces furent célébrées avec réjouissances et illuminations. Puis vint la nuit de la pénétration.

Or, dès que le garçon entra chez son épouse, dans la chambre nuptiale, il lui dit : « Et maintenant ? Qui de nous deux est le vainqueur ? Est-ce celle qui a enlevé de ma poitrine le cul de la poule, et volé le tapis magique ? Ou bien est-ce celui qui t’a fait pousser seize cornes sur la tête, et les a fait disparaître en un rien de temps ? » Et elle lui dit : « C’est donc toi ? Ah, l’éfrit ! » Il lui répondit : « Oui c’est moi, le fils de la clarinette ! » Elle lui dit : « Par Allah ! tu es mon vainqueur ! »

Et ils se couchèrent tous deux ensemble, et furent d’égale force et d’égale puissance. Et ils devinrent roi et reine. Et ils vécurent tous ensemble en pleine félicité et en bonheur parfait.

Et telle est mon histoire ! »

— Lorsque le sultan Baïbars eut entendu cette histoire du capitaine Nizam Al-Dîn, il s’écria : « Ouallahi, je ne sais pas si ce n’est pas celle-ci, la plus belle histoire que j’aie jamais entendue ! » Alors un neuvième capitaine de police s’avança, qui s’appelait Gelal Al-Dîn ; et il embrassa la terre entre les mains du sultan Baïbars, et dit : « Inschallah, ô roi du temps, l’histoire que je vais te raconter te plaira certainement. » Et il dit :