Le Livre des mille nuits et une nuit/Tome 16/Le Poète Find

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LE POÈTE FIND ET SES DEUX FILLES GUERRIÈRES OFAÏRAH LES SOLEILS ET HOZEILAH LES LUNES


Il nous est revenu que le poète Find, alors centenaire et chef de la tribu des Bani-Zimmân, branche de la grande tribu des Békrides, de la souche première des Rabiah, avait deux filles adolescentes qui s’appelaient, l’aînée, Ofaïrah les Soleils, et, la petite, Hozeilah les Lunes. Et, en ce temps-là, la tribu entière des Békrides était en guerre avec les Thaâlabides nombreux et puissants. Et Find, malgré son grand âge, fut jugé digne, parce qu’il était le cavalier le plus renommé de sa tribu, d’être envoyé par ses compagnons à la tête de soixante-dix cavaliers, pour tout contingent, afin de se joindre à l’expédition générale des Békrides. Et les deux adolescentes, ses filles, étaient au nombre des soixante-dix. Et le messager, qui alla annoncer à l’assemblée générale des Békrides l’arrivée du contingent de guerre des Bani-Zimmân, dit à ceux vers qui il était envoyé : « Notre tribu vous envoie un contingent de mille guerriers, plus soixante-dix cavaliers. » Il voulait dire par là que Find, à lui seul, valait une armée de mille hommes.

Puis, quand tous les contingents des tribus békrides furent réunis, la guerre se déchaîna comme l’ouragan. Et c’est alors que fut livrée cette bataille, restée célèbre dans toutes les mémoires, qui fut appelée la Journée de la coupe des toupets, à cause de la grande humiliation que firent subir à leurs prisonniers les Békrides vainqueurs, en leur coupant le toupet avant de les renvoyer, libres, montrer leur défaite à leurs frères des tentes thaâlabides. Et ce fut précisément à cette bataille mémorable que s’illustrèrent à jamais les deux filles de Find, lutins pétulants, héroïnes de la journée…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète, se tut.

MAIS LORSQUE FUT
LA NEUF CENT SOIXANTE-QUINZIÈME NUIT

Elle dit :

… Et ce fut précisément à cette bataille mémorable que s’illustrèrent à jamais les deux filles de Find, lutins pétulants, héroïnes de la journée.

Car, au plus fort du combat, et comme le succès semblait chancelant, les deux jeunes filles sautèrent soudain à bas de leurs chevaux, se dévêtirent en un clin d’œil, et, jetant au loin habits et cottes de mailles, elles se précipitèrent toutes nues, les bras en avant, l’une au milieu de l’aile droite de l’armée békride, et l’autre au milieu de l’aile gauche, frémissantes et toutes nues, ayant seulement gardé sur la tête leurs ornements aux vertes couleurs. Et, dans la mêlée, elles clamèrent de toute leur voix chacune un chant de guerre improvisé, qui, depuis lors, se chanta sur le rythme ramel lourd et sur la tonique de la moyenne corde du tétracorde, en manquant le second rythme frappé sourdement par le daff.

Or, voici d’abord le chant de guerre d’Ofaïrah les Soleils :

À l’ennemi ! à l’ennemi ! à l’ennemi !

Chauffez la bataille, enfants de Bekr et de Zimmân, serrez la mêlée !

Les hauteurs sont inondées d’escadrons sauvages.

En avant donc, à l’ennemi ! à l’ennemi !

Honneur ! honneur à qui, en cette matinée, s’habille du rouge manteau !

Allons, nos guerriers ! Fondez sur eux, et nous vous embrasserons à pleins bras.

Que les blessures, larges, ressemblent à l’ouverture du vêtement d’une folle en furie !

Et nous vous préparerons une couche aux coussins moelleux.

Mais si vous reculez, nous vous fuirons, comme des hommes indignes d’amour.

En avant donc, à l’ennemi ! à l’ennemi !

En avant, et honneur aux enfants de Bekr et de Zimmân.

Chauffez la bataille, serrez la mêlée.

Tuez et vivez, enfants de ma race ! En avant !

Et voici le chant de guerre clamé par la colère de Hozeilah les Lunes, pour exalter l’ardeur de ceux qui entouraient le drapeau des Bani-Zimmân, aux côtés de son père Find qui avait coupé les jarrets de son chameau pour être sûr de ne pas reculer d’un pas :

Courage, enfants de Zimmân, courage nobles Békrides,

Frappez, frappez de vos sabres coupants.

Secouez sur leurs têtes les mille brandons de la guerre rouge !

Égorgeons, égorgeons tout !

Courage, défenseurs de vos mères et de vos femmes !

Nous sommes les belles filles de l’étoile du matin ;

Le musc parfume nos chevelures, les perles nous ornent le cou,

Égorgez, égorgez tout ! Et nous vous serrerons dans nos bras.

Courage, courage, héroïques cavaliers de Rabiah !

Au plus brave de vous je sacrifierai ma fleur virginale.

Foncez sur l’ennemi ! Au plus brave, Hozeilah les Lunes !

Égorgez, égorgez tout !

Mais les lâches qui reculent, nous les dédaignons.

De ce dédain des lèvres et du cœur qu’accompagne le mépris.

Frappez donc de vos sabres coupants ! Que leur sang serve de tapis à nos pieds !

Égorgez tout, frappez de vos sabres coupants ! Égorgez tout !

Et, à ce double chant de mort, un nouvel enthousiasme fit bouillonner l’ardeur des Békrides, l’acharnement redoubla, et la victoire leur resta, décisive et définitive.

Et voilà comment se battaient nos pères de la gentilité. Et voilà comment étaient taillées leurs filles ! Que les feux de la géhenne ne leur soient pas trop cruels !


— Puis le jeune homme dit à ses auditeurs exaltés : « Écoutez maintenant l’Aventure amoureuse de la princesse Fatimah avec le poète Mourakisch, qui vivaient tous deux également à l’époque de la gentilité. »

Et il dit :