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Le Livre des milles nuits et une nuit/Tome 03/Histoire d’Aziz et d’Aziza

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Anonyme
Traduction par Joseph-Charles Mardrus.
Éditions de la Revue Blanche (Tome 3p. 290-315).


HISTOIRE D’AZIZ ET AZIZA
ET DU BEAU PRINCE DIADÈME


Il y avait, en l’antiquité du temps et le passé des âges et du moment, une ville d’entre les villes de Perse, derrière les montagnes d’Ispahân. Et le nom de cette ville était la Ville-Verte. Et le roi de cette ville s’appelait Soleïmân-Schah. Il était doué de grandes qualités de justice, de générosité, de prudence et de savoir. Aussi de toutes les contrées les voyageurs affluaient vers sa ville, tant sa bonne renommée s’était étendue au loin et inspirait de confiance aux marchands et aux caravanes.

Et le roi Soleïmân-Schah continua à gouverner de la sorte, durant un très long espace de temps, dans la prospérité et entouré de l’affection de tout son peuple. Mais il ne manquait à son bonheur qu’une femme et des enfants ; car il était célibataire.

Et le roi Soleïmân-Schah avait un vizir qui lui ressemblait beaucoup par ses qualités de libéralité et de bonté. Aussi un jour que sa solitude lui pesait plus que de coutume, le roi fit appeler son vizir et lui dit : « Mon vizir, voici que ma poitrine se rétrécit et ma patience s’épuise et mes forces diminuent ; quelque temps encore ainsi, et je n’aurai plus que la peau sur les os. Car je vois bien à présent que le célibat n’est point un état de nature, surtout pour les rois qui ont un trône à transmettre à leurs descendants. Et, d’ailleurs, notre Prophète béni (sur lui la prière et la paix !) a dit : « Copulez ! et multipliez vos descendants, car je me glorifierai de votre nombre, devant toutes les races, au jour de la Résurrection ! » Conseille-moi donc, ô mon vizir, et dis-moi ce que tu en penses. »

Alors le vizir lui dit : « En vérité, ô roi, c’est là une question fort difficile et d’une délicatesse extrême. J’essaierai de te satisfaire en restant dans la voie prescrite. Sache donc, ô roi, que je ne verrais point avec agrément une esclave inconnue devenir l’épouse de notre maître ; car comment pourra-t-il connaître l’origine de cette esclave et la noblesse de ses ascendants et la pureté de son sang et les principes de sa race, et comment pourra-t-il, par conséquent, conserver intacte l’unité impolluée du sang de ses propres ancêtres ? Ne sais-tu que l’enfant qui naîtra d’une telle union sera toujours un bâtard plein de vices, menteur, sanguinaire, maudit d’Allah, son créateur, à cause de ses abominations futures ? Et une pareille souche ressemble à la plante qui pousse dans un terrain marécageux à l’eau saumâtre et stagnante, et qui tombe en pourriture avant même d’atteindre à sa pleine croissance. Aussi n’attends point de ton vizir, ô roi, le service de t’acheter une esclave, fût-elle la plus belle adolescente de la terre ; car je ne veux pas être la cause de pareils malheurs et supporter le poids des péchés dont j’aurais été l’instigateur. Mais, si tu veux écouter ma barbe, je serais d’avis de choisir, parmi les filles des rois, une épouse dont la généalogie fût connue et la beauté donnée en exemple aux yeux de toutes les femmes ! »

À ces paroles, le roi Soleïmân-Schah dit : « Ô mon vizir, je suis tout prêt, si tu parviens à me trouver une femme pareille, à la prendre pour épouse légitime afin d’attirer sur ma race les bénédictions du Très-Haut ! » Alors le vizir lui dit : « Ton affaire, grâce à Allah, est déjà toute faite. » Et le roi s’écria : « Comment cela ? » Il dit : « Sache, ô roi, que mon épouse m’a raconté que le roi Zahr-Schah, maître de la Ville-Blanche, a une fille d’une beauté sans égale et dont la description est tellement au-dessus des paroles que ma langue deviendrait poilue avant de pouvoir t’en donner la moindre idée ! » Alors le roi s’écria : « Ya Allah ! » Et le vizir continua : « Car, ô roi, comment pourrais-je jamais te parler dignement de ses yeux aux paupières de couleur brune, de ses cheveux, de sa taille si fine qu’elle en est invisible, de la lourdeur de ses hanches et de ce qui les soutient et les arrondit ? Par Allah ! nul ne peut l’approcher sans rester en arrêt, comme nul ne peut la regarder sans mourir ! Et c’est d’elle que le poète a dit :

» Ô vierge au ventre d’harmonie ! Ta taille mince défie le rameau pliant du jeune saule et la sveltesse même des peupliers du paradis.

Ta salive est miel sauvage ! Ah ! de ta salive mouille la coupe et dulcifie le vin, puis donne-le moi, ô houria. Mais surtout, je t’en conjure, ouvre tes lèvres et réjouis mes yeux de tes perles ! »

À ces vers, le roi se trémoussa de jouissance et s’écria du fond de son gosier : « Ya Allah ! » Mais le vizir continua : « Aussi, ô roi, je suis d’avis d’envoyer le plus tôt possible au roi Zahr-Schah un de tes émirs, un homme de confiance, doué de tact et de délicatesse, qui sache le goût de ses paroles avant de les prononcer, et dont l’expérience te soit déjà connue. Et tu le chargeras d’employer toute sa persuasion à obtenir que le père te donne la jeune fille. Et tu te marieras enfin pour suivre la parole du Prophète (sur lui la paix et la prière !) qui a dit : « Les hommes qui se disent chastes doivent être bannis de l’Islam ! Ce sont des corrupteurs ! Pas de célibat pour les prêtres dans l’Islam ! » Or, en vérité, cette princesse est le seul parti digne de toi, elle qui est la plus belle pierrerie sur toute la surface de la terre, et en deçà et au-delà ! »

À ces paroles, le roi Soleïmân-Schah sentit son cœur se dilater, et il soupira d’aise et dit à son vizir : « Et quel homme, mieux que toi, saura mener à bonne fin cette mission toute de délicatesse ? Ô mon vizir, c’est toi seul qui iras arranger la chose, toi qui es plein de sagesse et de politesse. Lève-toi donc, et va dans ta maison faire tes adieux à ceux de ta maison, et termine avec diligence les affaires pendantes ; et va à la Ville-Blanche demander pour moi en mariage la fille du roi Zahr-Schah. Car voici que mon cœur et ma raison sont fort tourmentés et travaillent beaucoup à ce sujet. » Et le vizir répondit : « J’écoute et j’obéis ! »

Et aussitôt il se hâta d’aller terminer ce qu’il avait à terminer, et embrasser ceux qu’il avait à embrasser, et se mit à faire tous les préparatifs du départ. Il prit avec lui toutes sortes de cadeaux riches à satisfaire des rois, par exemple des joyaux, des orfèvreries, des tapis de soie, des étoffes précieuses, des parfums, de l’essence de roses tout à fait pure, et toutes choses légères de poids et lourdes de prix et de valeur. Il ne manqua pas non plus de prendre dix chevaux choisis des plus belles races et des plus pures de l’Arabie. Il prit aussi de très riches armes niellées d’or à poignées de jade incrusté de rubis, et des armures légères d’acier et des cottes de mailles aux mailles dorées ; sans compter les grandes caisses chargées de toutes sortes de choses somptueuses et aussi de choses bonnes à manger, telles que conserves de roses, abricots laminés en feuilles légères, confitures sèches parfumées, pâtes d’amandes aromatisées au benjoin des îles chaudes, et mille friandises destinées à réjouir le goût et à disposer agréablement les jeunes filles. Puis il fit charger toutes ces caisses sur le dos des mulets et des chameaux ; et il prit avec lui cent jeunes mamalik et cent jeunes nègres et cent jeunes filles, destinés tous à faire cortège, au retour, à l’épousée. Et comme le vizir, à la tête de la caravane, les bannières éployées, se disposait à donner le signal du départ, le roi Soleïmân-Schah l’arrêta encore un instant et lui dit : « Et surtout prends garde de revenir ici sans m’amener la jeune fille ; et ne tarde pas, car je suis à rôtir sur le feu ; et je n’aurai de repos et de sommeil qu’après l’arrivée de cette épouse dont la pensée ne me quittera ni de jour ni de nuit et pour qui je suis déjà tout enflammé d’amour ! » Et le vizir répondit par l’ouïe et l’obéissance. Et il partit avec toute sa caravane et se mit à voyager avec célérité, le jour comme la nuit, traversant montagnes et vallées, rivières et torrents, plaines désertes et plaines fertiles, jusqu’à ce qu’il ne fût plus qu’à une journée de marche de la Ville-Blanche.

Alors le vizir s’arrêta, pour le repos, sur le bord d’un cours d’eau, et envoya un courrier rapide prendre les devants pour annoncer son arrivée au roi Zahr-Schah.

Or, il se trouva justement qu’au moment où le courrier, arrivé aux portes de la ville, allait y pénétrer, le roi Zahr-Schah, qui prenait le frais dans un de ses jardins situé près de là, vit ce courrier et devina que c’était un étranger. Il le fit aussitôt appeler et lui demanda qui il était. Et le courrier répondit : « Je suis l’envoyé du vizir tel, campé sur le bord de la rivière telle, et qui vient chez toi de la part de notre maître le roi Soleïmân-Schah, maître de la Ville-Verte et des montagnes d’Ispahân ! »

À cette nouvelle, le roi Zahr-Schah fut extrêmement ravi, et fit offrir des rafraîchissements au courrier du vizir, et donna à ses émirs l’ordre d’aller à la rencontre du grand envoyé du roi Soleïmân-Schah, dont la suzeraineté était respectée jusque dans les pays les plus reculés et sur le territoire même de la Ville-Blanche. Et le courrier baisa la terre entre les mains du roi Zahr-Schah en lui disant : « Demain le vizir arrivera. Et maintenant, qu’Allah te continue ses hautes faveurs et qu’il ait tes défunts parents en ses grâces et sa miséricorde ! » Voilà pour ceux-là.

Mais pour ce qui est du vizir du roi Soleïmân-Schah, il resta se reposer sur les bords de la rivière jusqu’à minuit. Alors il se remit en marche dans la direction de la Ville-Blanche ; et, au lever du soleil, il était aux portes de la ville.

À ce moment, il s’arrêta un moment pour satisfaire un besoin pressant et uriner à son aise. Et, lorsqu’il eut fini, il vit venir à sa rencontre le grand-vizir du roi Zahr-Schah avec les chambellans et les grands du royaume et les émirs et les notables. Alors il se hâta de remettre à un de ses esclaves l’aiguière dont il venait de se servir pour faire ses ablutions, et remonta en toute hâte à cheval. Et, les salutations d’usage ayant été faites de part et d’autre ainsi que les souhaits de bienvenue, la caravane et son cortège entrèrent dans la Ville-Blanche.

Lorsqu’ils furent arrivés devant le palais du roi, le vizir mit pied à terre et, guidé par le grand-chambellan, pénétra dans la salle du trône.

Dans cette salle, il vit un haut trône de marbre blanc diaphane, incrusté de perles et de pierreries, et soutenu par quatre pieds très élevés, formés chacun d’une défense complète d’éléphant. Sur ce trône, il y avait un large coussin de satin vert moiré, tout brodé de paillettes d’or rouge et orné de franges et de glands d’or. Et au-dessus de ce trône, il y avait un dais tout flamboyant de ses incrustations d’or, de pierres précieuses et d’ivoire. Et sur le trône en question, le roi Zahr-Schah était assis…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète selon son habitude, se tut.

MAIS LORSQUE FUT
LA CENT-HUITIÈME NUIT

Elle dit :

Et sur le trône en question, le roi Zahr-Schah était assis, entouré des principaux personnages du royaume et des gardes immobiles dans l’attente de ses ordres.

À cette vue, le vizir du roi Soleïmân-Schah sentit l’inspiration illuminer son esprit et l’éloquence délier sa langue et l’inciter aux dires savoureux. Aussitôt, d’un geste agréable, il se tourna vers le roi Zahr-Schah, et improvisa ces strophes en son honneur :

« À ta vue, mon cœur lui-même me délaissa pour voler vers toi ; et le sommeil lui-même s’enfuit loin de mes yeux, me laissant tout à mes tortures !

Ô mon cœur, eh bien ! puisque tu es déjà chez lui, reste où tu es ! Je t’abandonne à lui, bien que tu sois ce qui m’est le plus cher et le plus nécessaire !

Rien ne saurait plus agréablement reposer mes oreilles que la voix de ceux qui savent chanter les louanges de Zahr-Schah, le roi de tous les cœurs !

Et si je passais toute ma vie, après l’avoir regardé ne fût-ce qu’une seule fois au visage, sans le bonheur d’un second regard, cela me rendrait riche à jamais.

Ô vous tous qui entourez ce roi magnifique, sachez que si quelqu’un prétendait avoir trouvé un roi qui dépasse Zahr-Schah en qualités, il mentirait, et ne serait point un vrai Croyant ! »

Et, ayant fini de réciter ce poème, le vizir se tut sans en dire davantage. Alors le roi Zahr-Schah le fit s’approcher de son trône, et le fit s’asseoir à ses côtés, et lui sourit avec bonté, et l’entretint agréablement pendant un bon moment, en lui donnant les marques les plus démonstratives de l’amitié et de la générosité. Ensuite le roi fit tendre la nappe en l’honneur du vizir, et tout le monde s’assit à manger et à boire jusqu’à satiété. Alors seulement le roi désira rester seul avec le vizir ; et tous sortirent, à l’exception des principaux chambellans et du grand-vizir du royaume.

Alors le vizir du roi Soleïmân-Schah se leva debout sur ses deux pieds, et fit encore un compliment, et s’inclina et dit : « Ô grand roi plein de munificence, je viens vers toi pour une affaire dont le résultat pour nous tous sera plein de bénédictions, de fruits heureux et de prospérité ! Le but de ma mission est, en effet, de demander en mariage ta fille pleine d’estime et de grâce, de noblesse et de modestie, pour mon maître et la couronne sur ma tête, le roi Soleïmân-Schah, sultan plein de gloire de la Ville-Verte et des montagnes d’Ispahân ! Et, à cet effet, je viens vers toi porteur de riches cadeaux et de choses somptueuses, pour te montrer le degré d’ardeur où mon maître se trouve dans son désir de t’avoir comme beau-père ! Je voudrais donc savoir de ta bouche si tu partages également ce désir et si tu veux lui accorder l’objet de ses souhaits. »

Lorsque le roi Zahr-Schah eut entendu ce discours du vizir, il se leva et s’inclina jusqu’à terre ; et ses chambellans et ses émirs furent à la limite de l’étonnement de voir le roi marquer tant de respect à un simple vizir. Mais le roi continua à rester debout devant le vizir et lui dit : « Ô vizir doué de tact et de sagesse, d’éloquence et de grandeur, écoute ce que je vais te dire. Je me considère comme un simple sujet du roi Soleïmân-Schah, et je me fais le plus grand honneur de pouvoir compter parmi ceux de sa race et de sa famille ! Aussi ma fille n’est plus désormais qu’une esclave d’entre ses esclaves ; et dès cet instant même elle est sa chose et sa propriété ! Et telle est ma réponse à la demande du roi Soleïmân-Schah, notre suzerain à tous, maître de la Ville-Verte et des montagnes d’Ispahân ! »

Et aussitôt il fit venir les kâdis et les témoins, qui dressèrent le contrat du mariage de la fille du roi Zahr-Schah avec le roi Soleïmân-Schah. Et le roi porta le contrat à ses lèvres avec joie, et reçut les félicitations et les vœux des kâdis et des témoins, et les combla tous de ses faveurs ; et il donna de grandes fêtes pour faire honneur au vizir, et de grandes réjouissances qui dilatèrent le cœur et les yeux de tous les habitants ; et il distribua des vivres et des cadeaux aussi bien aux pauvres qu’aux riches. Puis il fit faire les préparatifs du départ, et choisit les esclaves pour sa fille : des grecques et des turques, des négresses et des blanches. Et il fit faire pour sa fille un grand palanquin en or massif incrusté de perles et de pierreries, qu’il fit mettre sur le dos de dix mulets rangés en bon ordre. Et tout le convoi se mit en marche. Et le palanquin apparaissait, dans la lueur du matin, tel un grand palais d’entre les palais des génies, et la jeune fille couverte de ses voiles, telle une houria d’entre les plus belles hourias du paradis.

Et le roi Zahr-Schah accompagna lui-même le cortège l’espace de trois parasanges ; puis il fit ses adieux à sa fille, au vizir et à ceux qui l’accompagnaient, et retourna vers sa ville au comble de la joie et de la confiance dans le futur.

Quant au vizir et au convoi…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète comme elle était, renvoya son récit au lendemain.

MAIS LORSQUE FUT
LA CENT-NEUVIÈME NUIT

Elle dit :

Quant au vizir et au convoi, ils voyagèrent en sécurité et, arrivés à trois journées de marche de la Ville-Verte, envoyèrent un courrier rapide les annoncer au roi Soleïmân-Schah.

Lorsque le roi eut appris l’arrivée de son épouse, il se trémoussa de plaisir, et donna une belle robe d’honneur au courrier annonciateur. Et il ordonna à toute son armée d’aller à la rencontre de la nouvelle mariée, avec tous les étendards éployés ; et les crieurs publics invitèrent toute la ville au cortège, de façon à ce qu’il ne restât pas à la maison une seule femme, ni une seule jeune fille, ni même une seule vieille, cassée par l’âge fût-elle ou impotente. Et nul ne manqua de sortir au-devant de la nouvelle mariée. Et lorsque tout ce monde fut arrivé autour du palanquin de la fille du roi, on décida que l’entrée en ville se ferait la nuit en grande pompe.

Aussi, la nuit venue, les notables de la ville firent illuminer à leurs frais toutes les rues et la route qui conduisait jusqu’au palais du roi. Et tous se rangèrent en deux rangs, le long du chemin ; et, sur son passage, les soldats firent la haie, à droite et à gauche ; et, sur tout le parcours, les illuminations éclatèrent dans l’air limpide, et les gros tambours firent entendre leur roulement profond, et les trompettes chantèrent à voix haute, et les drapeaux battirent sur les têtes, et les parfums brûlèrent dans les cassolettes, dans les rues et sur les places, et les cavaliers joutèrent de la lance et du javelot. Et au milieu d’eux tous, précédée par les nègres et les mamalik et suivie par ses esclaves et ses femmes, la nouvelle mariée, vêtue de la robe magnifique que lui avait donnée son père, arriva au palais de son époux le roi Soleïmân-Schah.

Alors les jeunes esclaves délièrent les mulets et, au milieu des cris aigus de joie de tout le peuple et de toute l’armée, prirent le palanquin sur leurs épaules et le transportèrent jusqu’à la porte secrète. Alors les jeunes femmes et les suivantes succédèrent aux esclaves et firent entrer l’épousée dans son appartement réservé. Et aussitôt l’appartement s’illumina de la clarté de ses yeux et les lumières pâlirent de la beauté de son visage. Et elle paraissait au milieu de toutes ses femmes comme la lune parmi les étoiles ou comme la perle solitaire au milieu du collier. Puis les jeunes femmes et les suivantes sortirent de l’appartement et se rangèrent sur deux rangs, depuis la porte jusqu’au bout du corridor, après avoir toutefois fait se coucher la jeune fille sur le grand lit d’ivoire enrichi de perles et de pierreries.

Alors seulement le roi Soleïmân-Schah, traversant la haie formée par toutes ces étoiles vivantes, pénétra dans l’appartement jusqu’au lit d’ivoire, où, toute parée et parfumée, s’allongeait l’adolescente. Et Allah incita à l’heure même une grande passion dans le cœur du roi et lui donna l’amour de cette vierge. Et le roi posséda cette virginité et s’en délecta dans la félicité, et oublia sur cette couche, parmi les cuisses et les bras, toutes ses peines d’impatience et son attente d’amour.

Et le roi, durant un mois entier, demeura dans l’appartement de sa jeune épouse, sans la quitter un seul instant, tant leur union était étroite et conforme à leur tempérament. Et il la rendit enceinte dès la première nuit.

Après quoi, le roi sortit s’asseoir sur le trône de sa justice, et s’occupa des affaires de son royaume pour le bien de ses sujets ; et, le soir venu, il ne manquait pas d’aller visiter l’appartement de son épouse, et cela jusqu’au neuvième mois.

Or, à la dernière nuit de ce neuvième mois, la reine fut prise des douleurs de l’enfantement et s’assit sur la chaise de parturition et, à l’aurore, Allah lui facilita l’accouchement, et elle mit au monde un enfant mâle marqué de l’empreinte de la chance et de la fortune.

Aussitôt que le roi eut appris la nouvelle de cette naissance, il se dilata à la limite de la dilatation et se réjouit d’une haute joie, et fit cadeau de grandes richesses à l’annonciateur ; puis il courut vers le lit de son épouse et, prenant l’enfant dans ses bras, le baisa entre les deux yeux, et fut émerveillé de sa beauté, et vit combien ces vers du poète lui étaient applicables :

Dès sa naissance. Allah lui accorda la gloire et la limite des hauteurs, et le fit lever comme un astre nouveau.

Ô nourrices aux seins splendides et délicats, ne l’accoutumez pas à la courbe de votre taille ! car sa seule monture sera le dos solide des lions et des chevaux cabrés.

Ô nourrices au lait trop doux et trop blanc, hâtez-vous de le sevrer ! car le sang de ses ennemis lui sera la plus délicieuse boisson.

Alors les suivantes et les nourrices prirent soin du nouveau-né, et les sages-femmes lui coupèrent le cordon et lui allongèrent les yeux de kohl noir. Et, comme il était né d’un roi fils de rois et d’une reine fille de reines, et qu’il était si beau et si brillant, on l’appela Diadème.

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète, se tut.

MAIS LORSQUE FUT
LA CENT-DIXIÈME NUIT

Elle dit :

On l’appela Diadème. Et il fut élevé au milieu des baisers et dans le sein des plus belles ; et les jours s’écoulèrent et les années s’écoulèrent ; et l’enfant atteignit l’âge de sept ans.

Alors le roi Soleïmân-Schah, son père, fit venir les maîtres les plus savants et leur ordonna de lui enseigner la calligraphie, les belles-lettres et l’art de se conduire ainsi que les règles de la syntaxe et de la jurisprudence.

Et ces maîtres de la science restèrent avec l’enfant jusqu’à ce qu’il eût quatorze ans. Alors, comme il avait appris tout ce que son père désirait qu’il apprît, il fut jugé digne d’une robe d’honneur ; et le roi le retira des mains des savants et le confia à un maître d’équitation qui lui apprit à monter à cheval et à jouter de la lance et du javelot et à chasser le daim à l’épervier. Et le prince Diadème devint bientôt le cavalier le plus accompli ; et il était devenu si parfaitement beau que lorsqu’il sortait à pied ou à cheval il faisait se damner tous ceux qui le regardaient.

Et lorsqu’il eut atteint l’âge de quinze ans, ses charmes étaient devenus tels que les poètes lui dédièrent leurs odes les plus amoureuses ; et les plus chastes et les plus purs d’entre les sages sentirent leur cœur s’effriter et leur foie s’émietter de tout ce qu’il avait en lui de charme magicien. Et voici l’un des poèmes qu’un poète amoureux avait composé pour l’amour de ses yeux :

L’embrasser, c’est s’enivrer du parfum de musc de toute sa peau ! C’est sentir sous l’étreinte ployer son corps comme la délicate branche humide nourrie seulement de brise et de rosée.

L’embrasser ! mais c’est s’enivrer sans toucher à nul vin ! Ne le sais-je pas, moi qui me trouve au soir tout fermentant du vin musqué de sa salive !

Elle-même la Beauté, en se réveillant au matin, se regarde à son miroir et se reconnaît sa vassale et sa captive ! Alors comment, ô ma folie ! les cœurs mortels pourraient-ils échapper à sa beauté ?

Par Allah ! par Allah ! si la vie m’est encore possible, je vivrai avec, dans mon cœur, sa brûlure ! Mais si je venais à mourir de ma passion et de son amour, ah ! quel bonheur !

Or, tout cela, quand il avait quinze ans d’âge ! Mais lorsqu’il eut atteint sa dix-huitième année, ce fut bien autre chose ! Alors un jeune duvet velouta le grain rose de ses joues, et l’ambre noir mit une goutte de beauté sur la blancheur de son menton. Alors, en toute évidence, il ravit toutes les raisons et tous les yeux, comme dit le poète à son sujet :

Son regard ! s’approcher du feu sans se brûler n’est point si étonnante chose que son regard ! Comment suis-je encore en vie, ô sorcier, moi qui passe ma vie sous tes regards !

Ses joues ! si ses joues transparentes sont duvetées, ce n’est point de duvet comme toutes les joues, mais de soie furtive et dorée.

Sa bouche ! Il y en a qui viennent me demander naïvement où se trouve l’élixir de vie et sa source, sur quelle terre coule l’élixir de vie et sa source !…

Et je leur dis : « L’élixir de vie, je le connais et sa source aussi, je la connais !…

« Elle est la bouche même d’un adolescent, svelte et doux comme un jeune daim, le cou tendre et penché, d’un adolescent à la taille flexible.

« Elle est la lèvre humide et moussue d’un jeune daim mince et vif, d’un adolescent à la douce lèvre humide et de couleur rouge foncé ! »

Mais tout cela quand il avait dix-huit ans ; car, lorsqu’il eut atteint l’âge d’homme, le prince Diadème devint si admirablement beau qu’il fut un exemple cité dans tous les pays musulmans, en large et en long. Aussi le nombre de ses amis et de ses intimes fut très considérable ; et tous ceux qui l’entouraient souhaitaient avec ardeur le voir enfin régner sur le royaume comme il régnait sur les cœurs.

À cette époque, le prince Diadème devint très passionné de chasses et d’expéditions à travers les bois et forêts, malgré toute la terreur que ses absences continuelles inspiraient à son père et à sa mère. Et un jour il ordonna à ses esclaves d’emporter des provisions pour dix jours et il partit avec eux à la chasse à pied et à courre. Et ils marchèrent durant quatre jours pour arriver enfin à une contrée giboyeuse, couverte de forêts habitées par toutes sortes d’animaux sauvages, et arrosée par une multitude de sources et de ruisseaux.

Alors le prince Diadème donna le signal de la chasse. Aussitôt on étendit le grand filet de corde autour d’un très large espace de terrain touffu ; et les rabatteurs rayonnèrent de la circonférence vers le centre, et chassèrent devant eux tous les animaux affolés, qu’ils rabattirent de la sorte vers le centre. Alors on lâcha les panthères, les chiens et les faucons à la poursuite des bêtes difficiles à rabattre. Et l’on fit ce jour-là une chasse à courre très fructueuse en gazelles et en toutes sortes de gibier. Et ce fut une grande fête pour les panthères de chasse, les chiens et les faucons. Aussi, une fois la chasse terminée, le prince Diadème s’assit sur le bord d’une rivière pour prendre quelque repos, et divisa le gibier entre les chasseurs, et réserva la plus belle part à son père le roi Soleïmân-Schah. Puis il s’endormit cette nuit-là, en cet endroit, jusqu’au matin.

Or, à peine réveillés, ils virent à côté d’eux le campement d’une grande caravane qui était arrivée la nuit ; et bientôt ils virent sortir des tentes et descendre faire leurs ablutions à la rivière une quantité de gens, d’esclaves noirs et de marchands. Alors le prince Diadème envoya un de ses hommes s’informer auprès de ces gens de leur pays et de leur qualité. Et le courrier revint dire au prince Diadème : « Ces gens m’ont dit : « Nous sommes des marchands qui avons campé ici, attirés par le vert de cette pelouse et cette eau délicieuse qui coule. Et nous savons que nous n’avons rien à craindre ici, car nous sommes sur les terres pleines de sécurité du roi Soleïmân-Schah, de qui la réputation de sagesse dans le gouvernement est connue de toutes les contrées et tranquillise tous les voyageurs. Et d’ailleurs nous lui apportons en cadeau une grande quantité de choses belles et de valeur, surtout pour son fils, l’admirable prince Diadème ! »

À ces paroles, le beau Diadème, fils du roi, répondit : « Mais, par Allah ! si ces marchands ont avec eux de si belles choses qu’ils me réservent, pourquoi n’irions-nous pas les chercher nous-mêmes ? Cela, d’ailleurs, contribuera à nous faire passer gaiement notre matinée. » Et aussitôt le prince Diadème, suivi de ses amis les chasseurs, se dirigea vers les tentes de la caravane.

Lorsque les marchands virent arriver le fils du roi et comprirent qui il était, ils accoururent tous à sa rencontre et l’invitèrent à entrer sous leurs tentes, et lui dressèrent à l’instant même une tente d’honneur en satin rouge, ornementée de figures multicolores, d’oiseaux et d’animaux, et toute tapissée de soieries de l’Inde et d’étoffes du Cachemire. Et pour lui ils placèrent un magnifique coussin sur un merveilleux tapis de soie dont tout le pourtour était enrichi de plusieurs rangs entremêlés de fines émeraudes. Et le prince Diadème s’assit sur le tapis et s’appuya sur le coussin et ordonna aux marchands de lui étaler leurs marchandises. Et, les marchands lui ayant étalé toutes leurs marchandises, il choisit dans le tas ce qui lui plaisait le plus, et, malgré leurs refus réitérés, les obligea à en accepter le prix qu’il leur paya largement.

Puis, ayant fait ramasser tous ses achats par les esclaves, il voulut remonter à cheval pour retourner à la chasse, quand tout à coup il aperçut devant lui, parmi les marchands, un jeune…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète comme elle était, remit son récit au lendemain.

MAIS LORSQUE FUT
LA CENT-ONZIÈME NUIT

Elle dit :

… Quand tout à coup le prince Diadème aperçut devant lui, parmi les marchands, un jeune homme d’une beauté surprenante, d’une pâleur attirante, et vêtu de très beaux habits fort bien arrangés. Mais son visage, si pâle et si beau, portait empreinte une grande tristesse, comme de l’absence d’un père, d’une mère ou d’un ami très cher.

Alors le prince Diadème ne voulut point s’éloigner sans connaître ce beau jeune homme vers lequel son cœur était attiré ; et il s’approcha de lui et lui souhaita la paix, et lui demanda avec intérêt qui il était et pourquoi il était si triste. Mais le beau jeune homme, à cette question, eut les yeux remplis de larmes et ne put dire que ces deux mots : « Je suis Aziz ! » et il éclata en sanglots, et tellement qu’il tomba évanoui.

Lorsqu’il fut revenu à lui, le prince Diadème lui dit : « Ô Aziz, sache que je suis ton ami. Dis-moi donc le sujet de tes peines. » Mais le jeune Aziz, pour toute réponse, s’accouda et chanta ces vers :

« De ses yeux évitez le regard magicien, car nul n’a échappé au cercle de son orbite.

Les yeux noirs sont terribles quand ils sont langoureux. Car les yeux noirs et langoureux traversent les cœurs comme l’acier luisant des glaives effilés.

Et surtout n’écoutez pas la douceur de son langage, car, tel un vin de feu, il fait fermenter la raison des plus sages.

Si vous la connaissiez ! Elle a des regards si doux ! Et son corps de soie ! s’il touchait le velours il l’éterniserait de douceur.

La distance entre sa cheville cerclée de l’anneau d’or et ses yeux cerclés de kohl noir est remarquable.

Ah ! où est l’odeur délicate de ses robes parfumées, et son haleine qui distille l’essence de roses ! »

Lorsque le prince Diadème eut entendu ce chant, il ne voulut pas, pour le moment, trop insister, et, pour lier conversation, il lui dit : « Pourquoi, ô Aziz, ne m’as-tu pas étalé ta marchandise comme tous les autres marchands ? » Il répondit : « Ô mon seigneur, ma marchandise, en vérité, ne contient rien qui puisse convenir à un fils de roi. » Mais le beau Diadème dit au bel Aziz : « Par Allah ! je veux tout de même que tu me la montres ! » Et il obligea le jeune Aziz à s’asseoir à côté de lui sur le tapis de soie et à lui étaler, pièce par pièce, toute sa marchandise. Et le prince Diadème, sans même examiner les belles étoffes, les lui acheta toutes sans compter, et lui dit ; « Maintenant, Aziz, si tu me racontais le motif de tes peines… Je te vois les yeux en larmes et le cœur affligé. Or, si tu es opprimé, je saurai châtier tes oppresseurs ; et si tu es endetté, je paierai tes dettes de tout cœur. Car voici que je me sens attiré vers toi, et mes entrailles brûlent à ton sujet ! »

Mais le jeune Aziz, à ces paroles, se sentit de nouveau suffoqué par les sanglots, et ne put que chanter ces strophes :

« Ah ! la coquetterie de tes yeux noirs allongés de kohl bleu ! Ah !

La flexibilité de ta taille droite sur tes hanches mouvantes ! Ah !

Le vin de tes lèvres et le miel de ta bouche ! Et la courbe de tes seins et la braise qui les fleurit ! Ah ! A-hah !

T’espérer m’est plus doux qu’au cœur du condamné l’espoir du salut ! Ô nuit ! »

À ce chant, le prince Diadème se remit, pour faire diversion, à examiner une à une les belles étoffes et les soieries. Mais soudain, d’entre les étoffes, tomba de ses mains une pièce carrée de soie brodée que le jeune Aziz aussitôt se hâta de vivement ramasser. Et il la plia, en tremblant, et la mit sous son genou. Et il s’écria :

« Ô Aziza, ma bien-aimée ! les étoiles des Pléiades sont plus faciles à atteindre !

Sans toi maintenant où irai-je, désolé ! Et comment supporter désormais ton absence qui me pèse, alors que je puis à peine supporter le poids de mes vêtements ? »

Lorsque le prince vit ce mouvement effaré du bel Aziz et entendit ces derniers vers, il fut extrêmement surpris et, à la limite de la curiosité, il s’écria…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade, la fille du vizir, vit s’approcher le matin et, discrète comme elle était, ne voulut pas abuser de la permission accordée.

Alors sa sœur, la petite Doniazade, qui avait écouté toute cette histoire en se retenant de respirer, s’écria de l’endroit où elle était blottie : « Ô ma sœur Schahrazade, que tes paroles sont douces et gentilles et pures et délicieuses au goût et savoureuses en leur fraîcheur ! Et que ce conte est charmant et tous ces vers admirables ! »

Et Schahrazade lui sourit, et dit : « Oui, ma sœur ! Mais qu’est cela comparé à ce que je vous raconterai à tous deux la nuit prochaine, si je suis encore en vie par la grâce d’Allah et le bon plaisir du Roi ! »

Et le roi Schahriar dit en son âme : « Par Allah ! je ne la tuerai point avant d’avoir entendu la suite de son histoire, qui est une histoire merveilleuse et étonnante en vérité, extrêmement !

Puis il prit Schahrazade dans ses bras. Et tous deux passèrent le reste de la nuit, enlacés jusqu’au jour.

Après quoi, le roi Schahriar sortit vers la salle de sa justice ; et le Divan fut rempli de la foule des vizirs, des émirs, des chambellans, des gardes et des gens du palais. Et le grand-vizir arriva aussi avec, sous le bras, le linceul destiné à sa fille Schahrazade, qu’il croyait déjà morte. Mais le Roi ne lui dit rien à ce sujet, et continua à juger, à nommer aux emplois, à destituer, à gouverner et à terminer les affaires pendantes, et cela jusqu’à la fin de la journée. Puis le Divan fut levé et le Roi entra dans son palais. Et le vizir fut dans la perplexité et à l’extrême limite de l’étonnement.

Mais aussitôt que vint la nuit, le roi Schahriar alla trouver Schahrazade dans son appartement, et ne manqua pas de faire sa chose ordinaire avec elle.

MAIS LORSQUE FUT
LA CENT-DOUZIÈME NUIT

Aussi la petite Doniazade, une fois la chose terminée, se leva du tapis et dit à Schahrazade : « Ô ma sœur, je t’en prie, continue cette histoire si belle du beau prince Diadème et d’Aziz et Aziza, que le vizir Dandân racontait, sous les murs de Constantinia, au roi Daoul’makân ! »

Et Schahrazade sourit à sa sœur et lui dit : « Oui, certes ! de tout cœur généreux et comme hommages dûs ! Mais pas avant que ne me le permette ce Roi bien élevé et doué de bonnes manières ! »

Alors le roi Schahriar, qui ne pouvait dormir tant il attendait la suite avec ardeur, dit : « Tu peux parler ! »

Et Schahrazade dit :

Il m’est parvenu, ô Roi fortuné, que le prince Diadème s’écria : « Ô Aziz ! que caches-tu donc ainsi ! » Mais Aziz répondit : « Ô seigneur, c’est juste à cause de cela même que je ne voulais pas, dès le début, étaler devant toi mes marchandises. Que faire maintenant ! » Et il poussa un soupir de toute son âme. Mais le prince Diadème insista tant et lui dit de si gentilles paroles que le jeune Aziz finit par dire :

« Sache, ô mon maître, que mon histoire, au sujet de ce carré d’étoffe, est bien étrange ; et elle est pour moi pleine de souvenirs fort doux. Car les charmes de celles qui m’ont donné cette double étoffe ne s’effaceront jamais devant mes yeux. Celle qui m’a donné la première étoffe s’appelle Aziza ; quant à l’autre, son nom m’est amer à prononcer pour le moment ! Car c’est elle qui, de sa propre main, m’a fait ce que je suis. Mais comme j’ai déjà commencé à te parler de ces choses, je vais t’en raconter les détails ; ils te charmeront certainement, et serviront à édifier ceux qui les écouteront avec respect. »

Puis le jeune Aziz tira l’étoffe de dessous son genou, et la déplia sur le tapis où tous deux étaient assis. Et le prince Diadème vit qu’il y avait deux carrés distincts : en soie, sur l’un des carrés était brodée, en fils d’or rouge et fils de soie de toutes les couleurs, une gazelle ; et sur l’autre carré était également une gazelle, mais brodée en fils d’argent et portant au cou un collier d’or rouge d’où pendaient trois pierres de chrysolithe orientale.

À la vue de ces gazelles si merveilleusement brodées, il s’écria : « Gloire à celui qui met tant d’art dans l’esprit de ses créatures ! » Puis il dit au beau jeune homme :

« Ô Aziz, de grâce, hâte-toi de nous raconter ton histoire avec Aziza et avec la maîtresse de la seconde gazelle ! » Et le bel Aziz dit au prince Diadème :

« Sache, mon jeune seigneur… »


FIN DU TROISIÈME VOLUME