Le Livre des milles nuits et une nuit/Tome 03/Histoire de la mort du roi

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Anonyme
Traduction par Joseph-Charles Mardrus.
Éditions de la Revue Blanche (Tome 3p. 184-209).


HISTOIRE DE LA MORT DU ROI OMAR
AL-NÉMÂN ET LES PAROLES
ADMIRABLES QUI LA PRÉCÉDÈRENT.


Un jour d’entre les jours, le roi Omar Al-Némân se sentant la poitrine rétrécie de la douleur de votre absence, nous avait tous appelés autour de lui pour que nous essayions de le distraire, quand nous vîmes entrer une vénérable vieille femme dont le visage était empreint des marques de la sainteté ; et elle avait avec elle cinq adolescentes vierges aux seins arrondis, et belles comme des lunes, et si parfaitement belles, en vérité, que nulle langue ne saurait en rendre toutes les perfections ; et, avec toute leur beauté, elles savaient étonnamment le Koran et les livres de la science et les paroles de tous les sages d’entre les musulmans. Et la vénérable vieille s’avança entre les mains du roi et baisa la terre avec respect et dit : « Ô roi, voici que je t’apporte cinq joyaux que ne possède aucun roi de la terre. Et je te prie d’en examiner la beauté et de les mettre à l’épreuve ; car la beauté n’apparaît qu’à celui qui la cherche avec amour ! »

À ces paroles, le roi Omar fut extrêmement charmé, et la vue de la vieille lui inspira un très grand respect et la vue des cinq adolescentes lui plut infiniment. Et il dit à ces jeunes filles…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète, se tut.

MAIS LORSQUE FUT
LA SOIXANTE-DIX-NEUVIÈME NUIT

Elle dit :

Il m’est parvenu, ô Roi fortuné, que le roi Omar dit aux jeunes filles : « Ô jeunes filles gentilles, s’il est vrai que vous soyez si versées dans la connaissance des choses délicieuses du temps passé, que chacune de vous s’avance à son tour et m’en dise quelques paroles dont je puisse me dulcifier ! »

Alors la première adolescente, qui avait un regard modeste et fort doux, s’avança et baisa la terre entre les mains du roi et dit :


PAROLES DE LA PREMIÈRE ADOLESCENTE


« Sache, ô roi du temps, que la vie n’existerait pas sans l’instinct de la vie. Et cet instinct a été placé dans l’homme afin que l’homme puisse, avec l’aide d’Allah, être le maître de lui-même et en profiter pour se rapprocher d’Allah le Créateur. Et la vie a été donnée à l’homme afin que l’homme puisse se développer en beauté, tout en se mettant au-dessus des errements. Et les rois, qui sont les premiers parmi les hommes, doivent être les premiers dans la voie des vertus nobles et du désintéressement. Et l’homme sage, à l’esprit cultivé, ne doit, en toute circonstance, et surtout envers ses amis, agir qu’avec douceur et juger qu’avec aménité. Et il doit se garder soigneusement de ses ennemis et choisir ses amis avec circonspection ; et, une fois qu’il les a choisis, il ne doit plus faire intervenir entre eux et lui un juge quelconque, mais tout régler par la bonté ; car, ou il a choisi ses amis parmi les hommes détachés de ce monde et voués à la sainteté, et alors il doit les écouler sans arrière-pensée et se rapporter à leur jugement, ou il les a choisis parmi ceux qui sont attachés aux biens de la terre, et alors il doit veiller à ne jamais les léser dans leurs intérêts, ni les contrarier dans leurs habitudes, ni les contredire dans leurs paroles ; car la contradiction aliène même l’affection du père et de la mère, et elle est superflue ; et un ami est une chose si précieuse ! Car l’ami n’est point comme la femme d’avec qui on peut divorcer pour la remplacer par une autre ; et la blessure faite à un ami ne se cicatrise jamais, comme dit le poète :

« Songe que le cœur de l’ami est chose bien fragile et qu’on doit le surveiller comme toute chose fragile ;

« Car le cœur de l’ami y une fois blessé, est comme le verre délicat qui, brisé, ne peut jamais être raccommodé.

« Laisse-moi maintenant te rapporter quelques paroles des Sages. Sache, ô roi, qu’un kâdi, pour rendre un jugement vraiment juste, doit faire faire la preuve d’une façon évidente, et traiter les deux partis en toute égalité, sans témoigner plus de respect à l’inculpé noble qu’à l’inculpé pauvre ; mais surtout il doit tendre à réconcilier les deux partis entre eux, pour faire toujours régner la concorde entre les musulmans. Et, particulièrement dans le doute, il doit réfléchir longuement et revenir à plusieurs reprises sur son raisonnement, et s’abstenir si le doute continue. Car la justice est le premier des devoirs, et revenir vers la justice, si l’on a été injuste, est plus noble de beaucoup que d’avoir toujours été juste, et de beaucoup plus méritoire devant le Très-Haut. Et il ne faut point oublier qu’Allah Très-Haut a placé les juges sur la terre pour juger seulement des choses apparentes, et Il s’est réservé pour Lui seul le jugement des choses secrètes. Et il est du devoir du kâdi de ne jamais essayer de tirer des aveux d’un inculpé en le soumettant à la torture ou à la faim, car cela n’est point digne des musulmans. Et d’ailleurs Al-Zahri a dit : « Trois choses font déchoir un kâdi : qu’il témoigne de la condescendance ou du respect à un coupable haut placé, qu’il aime la louange, qu’il craigne de perdre sa situation. » Et le khalifat Omar ayant un jour destitué un kâdi, celui-ci lui demanda : « Pourquoi m’as-tu destitué ? » Il répondit : « Parce que tes paroles outrepassent tes actes ! » Et le grand Al-Iskandar aux Deux Cornes réunit un jour son kâdi, son cuisinier et son scribe principal ; et il dit à son kâdi : « Je t’ai confié la plus haute et la plus lourde de mes prérogatives royales. Aie donc l’âme royale ! » Et il dit à son cuisinier : « Je t’ai confié le soin de mon corps, qui désormais dépend de ta cuisine. Sache donc le traiter avec un art sans violence ! » Et il dit à son scribe principal : « Quant à toi, ô frère de la plume, je t’ai confié les manifestations de mon intelligence. Je t’adjure de me transmettre intégral aux générations, au moyen de ton écriture ! »

Et la jeune fille, ayant dit ces paroles, ramena son voile sur son visage et recula parmi ses compagnes. Alors s’avança la seconde adolescente, qui avait…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète, se tut.

MAIS LORSQUE FUT
LA QUATRE-VINGTIÈME NUIT

Elle dit :

Le vizir Dandân continua de la sorte :

Alors s’avança la seconde adolescente, qui avait un regard éclairé et un menton fin et divisé d’un sourire, et elle baisa sept fois la terre entre les mains de ton défunt père, le roi Omar Al-Némân, et dit :


PAROLES DE LA DEUXIÈME ADOLESCENTE


« Sache, ô roi fortuné, que Lokmân le Sage a dit à son fils : « Ô mon fils, il y a trois choses qui ne peuvent être contrôlées que dans trois circonstances : on ne peut savoir qu’un homme est vraiment bon que lors de sa colère, qu’un homme est valeureux que lors du combat, et qu’un homme est fraternel que lors de la nécessité ! » Et le tyran ou l’oppresseur est torturé et expiera ses injustices, malgré les flatteries de ses courtisans ; tandis que l’opprimé, malgré l’injustice, sera sauf de toute torture. Et ne traite point les gens d’après ce qu’ils disent, mais d’après ce qu’ils font. Et, d’ailleurs, les actions elles-mêmes ne valent que par l’intention qui les inspira ; et chaque homme sera jugé d’après ses intentions, et non d’après ses actions. Sache aussi, ô roi, que la chose la plus admirable en nous, c’est notre cœur. Et comme on demandait, un jour, à un sage : « Quel est le pire des hommes ? » Il répondit : « C’est celui qui laisse le mauvais désir s’emparer de son cœur. Car il perd toute virilité. Et comme le dit le poète, d’ailleurs fort bien :

« La seule richesse est celle recelée dans les poitrines. Mais qu’il est difficile d’en trouver le chemin ! »

« Et notre Prophète (sur lui la paix et la prière !) a dit : « Le véritable sage est celui qui préfère aux choses périssables les immortelles. » On raconte que l’ascète Sabet pleura tellement que ses yeux furent malades ; alors on appela un médecin qui lui dit : « Je ne puis te traiter, à moins que tu ne me promettes une chose. » Il répondit : « Et quelle chose ? » Le médecin dit : « De cesser de pleurer. » Mais l’ascète répondit : « À quoi donc me serviraient mes yeux si je ne pleurais plus ! »

« Mais, ô roi, sache aussi que l’action la plus belle est celle qui est désintéressée. On raconte, en effet, que dans Israël il y avait deux frères ; et l’un de ces frères dit un jour à l’autre : « Quelle est l’action la plus effroyable que tu aies jamais faite ? » Il répondit : « C’est celle-ci : comme je passais un jour près d’un poulailler, je tendis le bras et je saisis une poule, et, l’ayant étranglée, je la rejetai dans le poulailler. C’est là la plus effroyable chose de ma vie. Mais toi, ô mon frère, qu’as-tu fait de plus effroyable ? » Il répondit : « C’est d’avoir fait ma prière à Allah pour lui demander une faveur. Car la prière n’est belle que lorsqu’elle est la simple élévation de l’âme vers les hauteurs. » Et d’ailleurs…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète, se tut.

MAIS LORSQUE FUT
LA QUATRE-VINGT-UNIÈME NUIT

Elle dit :

Il m’est parvenu, ô Roi fortuné, que la deuxième adolescente continua ainsi :

« Et, d’ailleurs, le poète dit excellemment cela en ce vers :

« Il y a deux choses dont tu ne dois jamais t’approcher : l’idolâtrie envers Allah et le mal envers ton prochain ! »

Puis la seconde jeune fille, ayant dit ces paroles, recula au milieu de ses compagnes. Alors la troisième adolescente, qui réunissait en elle les perfections des deux premières, s’avança entre les mains du roi Omar Al-Némân, et dit :


PAROLES DE LA TROISIÈME ADOLESCENTE


« Quant à moi, ô roi fortuné, je ne te dirai que peu de paroles en ce jour, car je suis un peu indisposée et, d’ailleurs, les sages nous recommandent la brièveté dans nos discours.

« Sache donc, ô roi, que Safiân a dit : « Si l’âme habitait le cœur de l’homme, l’homme aurait des ailes et s’envolerait léger vers des paradis ! »

« Et ce même Safiân a dit : « En vérité sachez que le simple fait de regarder au visage une personne atteinte de laideur constitue le plus lourd péché contre l’esprit ! »

Et, ayant dit ces deux phrases admirables, la jeune fille recula au milieu de ses compagnes. Alors s’avança la quatrième adolescente qui avait des hanches sublimes, et dit :


PAROLES DE LA QUATRIÈME ADOLESCENTE


« Et moi, ô roi fortuné, me voici prête à le dire les paroles qui me sont parvenues de l’histoire des hommes justes. On raconte que Baschra le Déchaussé a dit : « Gardez-vous bien de la plus abominable chose ! » Alors ceux qui l’écoutaient lui dirent : « Et quelle est la plus abominable chose ? » Il répondit : « C’est le fait de rester longtemps à genoux pour faire parade de la prière. C’est l’ostentation de la piété. » Alors l’un d’eux lui demanda : « Ô mon père, apprends-moi à connaître les vérités cachées et le mystère des choses ! » Mais le Déchaussé lui dit : « Ô mon fils, ces choses ne sont point faites pour le troupeau. Et nous ne pouvons les mettre à la portée du troupeau. Car c’est à peine si sur cent justes il y en a cinq qui soient purs comme le vierge argent. »

« Et le cheikh Ibrahim raconte : « Je rencontrai un jour un homme pauvre qui venait de perdre une petite pièce de monnaie de cuivre. Alors je m’avançai vers lui et lui tendis un drachme d’argent, mais l’homme le refusa et me dit : « À quoi me servira tout cet argent de la terre, à moi qui ne vise que les félicités immortelles ? »

« On raconte également que la sœur du Déchaussé alla un jour…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète, se tut.

MAIS LORSQUE FUT
LA QUATRE-VINGT-DEUXIÈME NUIT

Elle dit :

« On raconte également que la sœur du Déchaussé alla un jour trouver l’imam Ahmad ben-Hanbal et lui dit : « Ô saint imam de la foi, je viens m’éclairer. Éclaire-moi ! J’ai coutume de veiller la nuit sur la terrasse de notre maison à filer la laine à la clarté des flambeaux qui passent ; car nous n’avons point de lumière à la maison. Et le jour je travaille et je prépare la nourriture de la maison. Dis-moi donc s’il m’est permis d’user ainsi d’une clarté qui ne m’appartient pas. » Alors l’imam lui demanda : « Qui es-tu, ô femme ? » Elle dit : « Je suis la sœur de Baschra le Déchaussé. » Et le saint imam se leva et baisa la terre entre les mains de la jeune fille et lui dit : « Ô sœur du plus parfumé d’entre les saints, que ne puis-je toute ma vie humer la pureté de ton cœur ! »

« On raconte aussi qu’un sage d’entre les sages a dit cette parole : « Lorsque Allah veut du bien à l’un de ses serviteurs, il ouvre devant lui la porte de l’inspiration. »

« Il m’est parvenu que lorsque Malek ben-Dinar passait dans les souks et voyait des objets qui lui plaisaient, il se réprimandait en se disant : « Mon âme, c’est inutile ! Je ne t’écouterai pas ! » Car il aimait à répéter : « Le seul moyen de sauver son âme, c’est de ne point lui obéir ; et le sûr moyen de la perdre, c’est de l’écouter. »

« Et Mansour ben-Omar nous raconte le fait suivant : « J’étais une fois allé en pèlerinage à la Mecque en passant par la ville de Koufa. Et c’était une nuit pleine de ténèbres. Et j’entendis, dans le sein de la nuit, près de moi, sans distinguer d’où elle sortait, une voix haute qui disait cette prière : « Ô Seigneur Dieu plein de grandeur, je ne suis point de ceux qui se révoltent contre tes lois ni de ceux qui ignorent tes bienfaits. Et pourtant, Seigneur, dans les temps passés, j’ai peut-être péché lourdement, et je viens implorer ton pardon et la rémission de mes erreurs. Car mes intentions n’étaient pas mauvaises, et mes actes m’ont trahi ! »

« Et, cette prière une fois terminée, j’entendis un corps tomber pesamment sur le sol. Et je ne savais point ce que pouvait être cette voix, dans cette nuit ; et je ne comprenais pas ce que signifiait cette prière, dans ce silence, alors que mes yeux ne pouvaient distinguer la bouche qui la disait ; et je ne devinais pas ce qu’était ce corps qui tombait sur le sol pesamment. Alors je m’écriai à mon tour : « Je suis Mansour ben-Omar, un pèlerin de la Mecque ! Qui donc a besoin d’un secours ? » Et rien ne me répondit. Et je m’en allai. Mais le lendemain je vis passer un convoi mortuaire et je me mêlai aux gens qui suivaient le convoi ; et devant moi marchait une vieille femme épuisée par la peine. Et je lui demandai : « Qui est donc ce mort ? » Elle me répondit : « Hier, mon fils, ayant dit la prière, récita les versets du Livre d’Allah qui commencent par ces mots : « Ô vous qui croyez à la parole, fortifiez vos âmes… » Et lorsque mon fils eut fini les versets, cet homme, qui est maintenant dans ce cercueil, sentit son foie éclater et il tomba mort. Et c’est tout ce que je puis dire. »

Et la quatrième jeune fille, ayant dit ces paroles, recula au milieu de ses compagnes. Alors s’avança la cinquième adolescente, qui était la couronne sur la tête de toutes les adolescentes, et dit :


PAROLES DE LA CINQUIÈME ADOLESCENTE


« Moi, ô roi fortuné, je te dirai ce qui est parvenu jusqu’à moi des choses spirituelles du temps passé.

« Le sage Moslima ben-Dinar a dit : « Tout plaisir qui ne pousse pas ton âme plus près d’Allah, est une calamité. »

« On raconte que lorsque Moussa (la paix sur lui !) était à la fontaine de Modaïn, arrivèrent deux jeunes bergères avec le troupeau de leur père Schoaïb. Et Moussa (la paix sur lui !) donna à boire aux deux jeunes filles, qui étaient deux sœurs, et au troupeau dans l’abreuvoir en tronc de palmier. Et les deux jeunes filles, de retour à la maison, racontèrent la chose à leur père Schoaïb qui dit alors à l’une d’entre elles : « Retourne près du jeune homme et dis-lui de venir chez nous. » Et la jeune fille retourna à la fontaine ; et lorsqu’elle fut près de Moussa, elle se couvrit le visage de son voile et lui dit : « Mon père m’envoie vers toi te dire de m’accompagner à la maison afin de partager notre repas en récompense de ce que tu as fait pour nous. » Mais Moussa fut très affecté et ne voulut point d’abord la suivre ; puis il finit par s’y décider. Et il marcha derrière elle. Or, la jeune bergère avait un très gros derrière…

— À ce moment de sa narration Schahrazade vit apparaître le matin et se tut discrètement.

MAIS LORSQUE FUT
LA QUATRE-VINGT-TROISIÈME NUIT

Elle dit :

Il m’est parvenu, ô Roi fortuné, que la cinquième adolescente continua ainsi :

« Or la jeune bergère avait un très gros derrière, en vérité, et le vent tantôt collait la robe légère contre sa rondeur et tantôt soulevait la robe et faisait apparaître, tout nu, le derrière de la jeune bergère. Mais Moussa, chaque fois que le derrière apparaissait, fermait les yeux pour ne le point voir. Et comme il craignait que la tentation ne devînt trop forte, il dit à la jeune fille : « Laisse-moi plutôt marcher devant toi. » Et la jeune fille, assez étonnée, vint marcher derrière Moussa. Et ils finirent tous deux par arriver à la maison de Schoaïb. Et lorsque Schoaïb vit entrer Moussa (sur eux deux la paix et la prière !) il se leva en son honneur et, comme le dîner était prêt, il lui dit : « Ô Moussa, qu’ici l’hospitalité te soit large et cordiale pour ce que tu as fait à mes filles ! » Mais Moussa répondit : « Ô mon père, je ne vends point sur la terre, pour de l’or et de l’argent, des actes qui ne sont faits qu’en vue du Jugement ! » Et Schoaïb reprit : « Ô jeune homme, tu es mon hôte et j’ai coutume d’être hospitalier et généreux envers mes hôtes ; et c’était d’ailleurs aussi la coutume de tous mes ancêtres. Reste donc et mange avec nous. » Et Moussa resta et mangea avec eux. Et à la fin du repas Schoaïb dit à Moussa : « Ô jeune homme, tu demeureras avec nous et tu mèneras paître le troupeau. Et au bout de huit ans, pour prix de tes services, je te marierai avec celle de mes filles qui était allée te chercher à la fontaine. » Et Moussa, cette fois, accepta et se dit en lui-même : « Maintenant que la chose devient licite avec la jeune fille, je pourrai user sans réticence de son derrière béni ! »

« Il est raconté qu’Ibn-Bitar ayant rencontré un de ses amis, celui-ci lui dit : « Où étais-tu donc tout ce temps que je ne t’ai point vu ? » Ibn-Bitar dit : « J’étais occupé avec mon ami Ibn-Schéab. Le connais-tu ? » Il répondit : « Si je le connais ! Il est mon voisin depuis plus de trente ans. Mais je ne lui ai jamais adressé la parole. » Alors Ibn-Bitar lui dit : « Ô pauvre homme, ne sais-tu donc pas que celui qui n’aime pas ses voisins n’est pas aimé d’Allah ? Et ne sais-tu pas qu’un voisin doit autant d’égards à son voisin qu’à son propre parent ? »

« Un jour Ibn-Adham dit à un de ses amis qui revenait avec lui de la Mecque : « Comment vis-tu ? » Il répondit : « Lorsque j’ai à manger je mange, et lorsque j’ai faim et qu’il n’y a rien je patiente ! » Et Ibn-Adham répondit : « En vérité tu ne fais pas autrement que ne font les chiens du pays de Balkh ! Quant à nous, lorsque Allah nous donne notre pain nous le glorifions, et lorsque nous n’avons rien à manger nous le remercions tout de même. » Alors l’homme s’écria : « Ô mon maître ! » Et ne dit pas autre chose.

« On dit que Mohammad ben-Omar demanda un jour à un homme qui vivait dans l’austérité : « Que penses-tu de l’espoir qu’on doit avoir en Allah ? » L’homme dit : « Si je base ma confiance en Allah, c’est à cause de deux choses : j’ai appris par expérience, que le pain que je mange n’est jamais mangé par un autre ; et je sais, d’autre part, que si je suis venu au monde, c’est avec la volonté d’Allah. »

Et, ayant dit ces paroles, la cinquième jeune fille recula au milieu de ses compagnes. Alors seulement, d’un pas grave, s’avança la sainte vieille femme. Elle baisa neuf fois la terre entre les mains de ton défunt père, le roi Omar Al-Némân, et dit :


PAROLES DE LA VIEILLE


« Tu viens, ô roi, d’entendre les paroles édifiantes de ces jeunes filles sur le mépris des choses d’ici-bas, dans la mesure où ces choses doivent être méprisées. Moi, je te parlerai de ce que je sais concernant les faits et gestes des plus grands d’entre nos anciens.

« Il est raconté que le grand imam Al-Schâfi (qu’Allah l’ait en ses bonnes grâces !) divisait la nuit en trois parties : la première pour l’étude, la seconde pour le sommeil et la troisième pour la prière. Et, vers la fin de sa vie, il veillait toute la nuit, ne réservant plus rien pour le sommeil.

« Le même imam Al-Schâfi (qu’Allah l’ait en ses bonnes grâces !) a dit : « Durant dix ans de ma vie, je n’ai point voulu manger à ma faim de mon pain d’orge. Car trop manger est nuisible de toutes les manières. Cela épaissit le cerveau, endurcit le cœur, annihile les facultés intellectuelles, attire le sommeil et la paresse et enlève jusqu’à la dernière énergie. »

« Le jeune Ibn-Fouâd nous raconte : « J’étais un jour à Baghdad, au moment où l’imam Al-Schâfi y séjournait. Et j’étais allé sur la rive du fleuve pour faire mes ablutions. Or, pendant que j’étais accroupi à faire mes ablutions, un homme, suivi d’une foule silencieuse, passa derrière moi et me dit : « Ô jeune homme, soigne bien tes ablutions et Allah te soignera ! » Et je me retournai et je vis cet homme qui avait une grande barbe et un visage sur lequel était empreinte la bénédiction ; et aussitôt je me hâtai de terminer mes ablutions et je me levai et le suivis. Alors il me vit et se tourna vers moi et me dit : « As-tu besoin de me demander quelque chose ? » Je lui dis : « Oui, ô vénérable père ! Je désire que tu m’apprennes ce que certainement tu tiens d’Allah le Très-Haut ! » Et il me dit : « Apprends à te connaître ! Et alors seulement agis ! Et alors seulement agis selon tous tes désirs, mais en prenant garde de ne pas léser ton voisin ! » Et il continua son chemin. Alors je demandai à l’un de ceux qui le suivaient : « Qui donc est-il ? » Il me répondit : « C’est l’imam Mohammad ben-Edris Al-Schâfi ! »

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète selon son habitude, se tut.

MAIS LORSQUE FUT
LA QUATRE-VINGT-QUATRIÈME NUIT

Elle dit :

Il m’est parvenu, ô Roi fortuné, que la sainte vieille continua de la sorte :

« On raconte que le khalifat Abou-Giafar Al-Mansour voulut nommer kâdi Abi-Hanifa et lui allouer dix mille drachmes par an. Mais lorsque Abi-Hanifa eut appris l’intention du khalifat, il pria la prière du matin, puis s’enveloppa de sa robe blanche et s’assit sans dire un mot. Alors entra l’envoyé du khalifat pour lui remettre d’avance les dix mille drachmes et lui annoncer sa nomination. Mais, à tout le discours de l’envoyé, Abi-Hanifa ne répondit pas un mot. Alors l’envoyé lui dit : « Sois pourtant bien sûr que tout cet argent que je t’apporte est chose licite et admise par le Livre. » Alors Abi-Hanifa lui dit : « Cet argent est chose licite, en vérité, mais Abi-Hanifa ne sera jamais le serviteur des tyrans ! »

Et, ayant dit ces paroles, la vieille ajouta : « J’eusse voulu, ô roi, te rapporter encore des traits admirables de la vie de nos anciens sages. Mais voici que la nuit approche, et d’ailleurs les jours d’Allah sont nombreux pour ses serviteurs ! » Et la sainte vieille ramena son grand voile sur ses épaules et recula au milieu du groupe formé par les cinq adolescentes.

Ici le vizir Dandân cessa un moment de parler au roi Daoul’makân et à sa sœur Nôzhatou qui était derrière le rideau. Mais, après quelques instants, il reprit :


Lorsque ton défunt père, le roi Omar Al-Némân, eut entendu ces paroles édifiantes, il comprit que vraiment ces femmes étaient les plus parfaites de leur siècle, en même temps que les plus belles et les plus cultivées de corps et d’esprit. Et il ne sut quels égards leur témoigner qui fussent dignes d’elles, et il fut complètement sous le charme de leur beauté, et il les désira avec ardeur, en même temps qu’il fut plein de respect pour la sainte vieille, leur conductrice. Et en attendant, il leur donna, pour y demeurer, l’appartement réservé qui avait appartenu jadis à la reine Abriza, reine de Kaïssaria. Et, durant dix jours de suite, il alla lui-même prendre de leurs nouvelles et voir par lui-même si rien ne leur manquait ; et chaque fois qu’il y allait, il trouvait la vieille en prière, qui passait ses journées dans le jeûne et ses nuits dans la méditation. Et il fut tellement édifié de sa sainteté qu’un jour il me dit : « Ô mon vizir, quelle bénédiction que d’avoir dans mon palais une si admirable sainte ! Mon respect pour elle est devenu extrême et mon amour pour ces jeunes filles, sans limites. Viens donc avec moi pour demander enfin à la vieille, puisque les dix jours de notre hospitalité sont passés et que nous pouvons parler affaires, quelle somme elle veut nous fixer comme prix de ces adolescentes, ces cinq vierges aux seins arrondis. » Nous allâmes donc à l’appartement réservé et ton père demanda la chose à la vieille, qui lui dit : « Ô roi, sache que le prix de ces jeunes filles consiste en des conditions qui sont en dehors des conditions ordinaires des ventes et des achats. Car leur prix ne se paie point en or, ni en argent, ni en pierreries. »

À ces paroles, ton père fut extrêmement étonné et lui demanda : « Ô femme vénérable, en quoi consiste donc le prix de vente de ces jeunes filles ? » Elle répondit : « Je ne puis te les vendre qu’à cette seule condition : un jeûne d’un mois entier que tu ferais en passant tes journées dans la méditation et tes nuits dans les veilles et la prière. Et au bout de ce mois de jeûne complet, par lequel ton corps serait purifié et deviendrait digne de communier avec le corps de ces jeunes filles, tu pourrais jouir totalement de leurs douceurs. »

Alors ton père fut édifié à la limite de l’édification et son respect pour la vieille ne connut plus de bornes. Et il se hâta d’accepter ses conditions. Et la vieille lui dit : « De mon côté, je t’aiderai par mes prières et mes vœux à supporter le jeûne. Maintenant apporte-moi un broc de cuivre. » Alors le roi ton père lui donna un broc de cuivre qu’elle remplit d’eau pure, et elle abaissa ses regards sur le broc et se mit à dire dessus des prières en une langue inconnue et à marmonner pendant une heure des paroles auxquelles nul de nous ne comprit un mot. Puis elle couvrit le broc d’une étoffe légère qu’elle cacheta de son sceau, et le remit à ton père en lui disant : « Au bout des dix premiers jours de jeûne, tu décachèteras l’étoffe et tu couperas ton jeûne en buvant cette eau sainte qui te fortifiera et te lavera de toutes tes souillures passées. Et maintenant, moi, je vais aller trouver mes frères qui sont les Gens de l’Invisible, car il y a longtemps que je ne les ai vus ; et au matin du onzième jour je viendrai te voir. »

Et la vieille, ayant dit ces paroles, souhaita la paix à ton père et s’en alla.

Alors ton père prit le broc et se leva et choisit une cellule complètement isolée du palais, dans laquelle pour tout meuble il mit le broc de cuivre, et s’y enferma pour jeûner et méditer et mériter de la sorte l’approche de ces corps de jeunes filles. Et il ferma la porte à clef, à l’intérieur, et mit la clef dans sa poche…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète selon son habitude, se tut.

MAIS LORSQUE FUT
LA QUATRE-VINGT-CINQUIÈME NUIT

Elle dit :

Et il ferma la porte à clef, à l’intérieur, et mit la clef dans sa poche. Et il commença immédiatement le jeûne.

Et lorsque fut le matin du onzième jour, le roi ton père prit le broc et en décacheta l’étoffe légère et le porta à ses lèvres et le but d’un seul trait. Et aussitôt il éprouva un bien-être général et des effets d’une grande douceur sur ses entrailles. Et, à peine l’avait-il bu, que l’on frappa à la porte de la cellule. Et, la porte ouverte, la vieille entra en tenant à la main un paquet fait avec des feuilles fraîches de bananier.

Alors le roi ton père se leva en son honneur et lui dit : « Bienvenue soit ma mère vénérable ! » Elle lui dit : « Ô roi, voici que les Gens de l’Invisible m’envoient vers toi pour te transmettre leur salut ; car je leur ai parlé de toi et ils ont été très réjouis d’apprendre notre amitié. Et ils t’envoient, comme signe de leur bienveillance, ce paquet qui contient, sous les feuilles de bananier, des confitures délicieuses, de celles faites par les doigts des vierges aux yeux noirs du paradis. Aussi lorsque viendra le matin du vingt-unième jour, tu enlèveras ces feuilles de bananier et tu couperas ton jeûne en mangeant les confitures. » À ces paroles, ton père se réjouit extrêmement et dit : « Louange à Allah qui m’a donné des frères parmi les Gens de l’Invisible ! » Puis il remercia beaucoup la vieille et lui baisa les mains et l’accompagna avec beaucoup d’égards jusqu’à la porte de la cellule.

Or, comme elle l’avait dit, au matin du vingt-unième jour la vieille ne manqua pas de revenir et dit à ton père : « Ô roi, sache que j’ai appris à mes frères de l’Invisible que j’ai l’intention de te donner les jeunes filles en cadeau ; et cela les a réjouis beaucoup à cause de l’amitié qu’ils ont maintenant pour toi. Aussi, avant de les mettre entre tes mains, je vais les conduire chez les Gens de l’Invisible afin qu’ils mettent en elles leur souffle et répandent en elles l’odeur agréable qui te charmera ; et elles te reviendront avec un trésor du sein de la terre, qui leur aura été donné par mes frères de l’Invisible ! »

Lorsque ton père eut entendu ces paroles, il la remercia pour toutes les peines qu’elle prenait et lui dit : « C’est trop, en vérité ! Et quant au trésor du sein de la terre, vraiment je craindrais d’abuser. » Mais elle répondit à cela comme il fallait ; et ton père lui demanda : « Et quand penses-tu me les ramener ? » Elle dit : « Au matin du trentième jour, une fois que tu auras terminé ton jeûne et que tu te seras ainsi purifié le corps ; et de leur côté elles auront en elles une pureté de jasmin et elles t’appartiendront totalement, ces adolescentes dont chacune vaut plus que tout ton empire ! » Il répondit : « Oh ! que cela est vrai ! » Elle dit : « Maintenant si même tu voulais me confier la femme que tu aimes le mieux parmi tes femmes, je la prendrais avec moi et les adolescentes pour que les grâces purificatrices de nos frères les Gens de l’Invisible rejaillissent également sur elle. » Alors le roi ton père lui dit : « Comme je te remercie ! J’ai en effet, dans mon palais, une femme grecque que j’aime, nommée Safîa ; et elle est la fille du roi Aphridonios de Constantinia ; et Allah m’a déjà accordé d’elle deux enfants que j’ai, hélas ! perdus depuis de nombreuses années. Prends-la donc avec toi, ô vénérable, pour que sur elle rejaillisse la grâce des Gens de l’Invisible et qu’elle puisse, par leur intercession, recouvrer ses enfants dont nous avons perdu toute trace ! » Alors la vieille sainte lui dit : « Mais certainement. Fais-moi vite amener la reine Safîa ! »

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète, se tut.

MAIS LORSQUE FUT
LA QUATRE-VINGT-SIXIÈME NUIT

Elle dit :

Alors la vieille dit : « Fais-moi vite amener la reine Safîa ! » Et le roi ton père fit immédiatement venir la reine Safîa, ta mère, et la confia à la vieille qui la réunit aussitôt aux adolescentes. Puis la vieille alla un instant dans son appartement et en revint avec une coupe cachetée ; et elle donna cette coupe au roi Omar Al-Némân et lui dit : « Au matin du trentième jour, une fois ton jeûne terminé, tu iras prendre un bain au hammam, et tu reviendras te reposer dans ta cellule et tu boiras cette coupe qui complètera ta purification et te rendra enfin digne de tenir dans ton sein les adolescentes royales ! Et maintenant que sur toi soient la paix, la miséricorde d’Allah et toutes ses bénédictions, ô mon fils ! »

Et la vieille emmena les cinq jeunes filles et ta mère, la reine Safîa, et s’éloigna.

Or, le roi continua son jeûne jusqu’au trentième jour. Et au matin de ce trentième-là il se leva et alla au hammam et, son bain fini, il revint à la cellule et défendit à quiconque de le venir déranger. Et, étant entré dans la cellule, il en referma sur lui la porte à clef, et prit la coupe, en enleva le cachet, la porta à ses lèvres et la but, puis s’étendit se reposer.

Quant à nous tous, qui savions que ce jour-là était le dernier jour du jeûne, nous attendîmes jusqu’au soir, et puis pendant toute la nuit, et jusqu’au lendemain au milieu de la journée. Et nous pensâmes : « Le roi se repose probablement de toutes les veilles qu’il a supportées ! » Mais comme le roi persistait à ne pas ouvrir, nous nous approchâmes de la porte et nous donnâmes de la voix. Et personne ne répondit. Alors nous fûmes très effrayés de ce silence et nous nous décidâmes à casser la porte et à entrer. Et nous entrâmes.

Or, le roi n’était plus là. Mais nous trouvâmes seulement ses chairs en lambeaux et ses os émiettés et noirs. Alors nous tombâmes tous évanouis.

Et lorsque nous fûmes revenus à nous, nous prîmes la coupe et nous l’examinâmes. Et nous trouvâmes dans le couvercle un papier sur lequel ceci était écrit :

« Nul homme nuisible ne saurait inspirer du regret ! Et que toute personne qui lira ce papier sache que telle est la punition de celui qui séduit les filles des rois et les corrompt. Tel est le cas de cet homme-ci ! Il a envoyé son fils Scharkân enlever de notre pays la fille de notre roi, la malheureuse Abriza ! Et il l’a prise et a consommé sur elle, vierge, ce qu’il a consommé ! Puis il la donna à un esclave noir qui lui fit subir les pires outrages et la tua ! Et maintenant, à cause de cet acte indigne d’un roi, le roi Omar Al-Némân n’est plus. Et, moi qui l’ai tué, je suis la courageuse, la vengeresse dont le nom est Mère-des-Calamités ! Et non seulement, ô vous tous, infidèles qui me lirez, j’ai tué votre roi, mais j’ai emmené la reine Safîa, fille du roi Aphridonios de Constantinia ; et je vais la rendre à son père ; et puis nous reviendrons tous en armes vous assaillir et ruiner vos maisons et vous exterminer tous jusqu’au dernier ! Et il n’y aura plus sur la terre que nous, les chrétiens, qui adorons la Croix ! »

Lorsque nous eûmes lu ce papier, nous comprîmes toute l’horreur de notre calamité, et nous nous frappâmes le visage de nos mains et nous pleurâmes longtemps. Mais à quoi devaient nous servir nos larmes, puisque l’irréparable était accompli ?

Et c’est alors, ô roi, que l’armée et le peuple furent en désaccord pour l’élection du successeur du défunt roi Omar Al-Némân. Et ce désaccord dura un mois entier, au bout duquel, comme on n’avait aucune nouvelle de ton existence, on résolut d’aller élire le prince Scharkân, à Damas. Mais Allah te mit sur notre chemin, et il arriva ce qui arriva !

Et telle est, ô roi, la cause de la mort de ton père, le roi Omar Al-Némân !