Le Livre pour toi/Dors, ma pensée te berce

La bibliothèque libre.



VII


Dors, ma pensée te berce, mon amour te garde et la nuit tranquille s’est couchée au seuil de la maison.

Laisse ton front sur mon épaule meurtrie où ton souffle passait comme le vent chaud dans les blés mûrs.

Dors d’un grand sommeil qui entr’ouvre ta bouche heureuse comme celle d’un petit enfant. Je mettrai des rêves doux dans ton cœur qui se tait, ton cœur qui galopait tantôt, aussi fougueux qu’un coursier de bataille, fonçant dans la charge, aveugle de sang, et qui va maintenant plus lent que l’horloge, marquant ses pas menus sur la route du temps.

Dors, la lune bienfaisante est entrée pour voiler ton corps allongé d’un drap d’argent, et sur ton repos, sa face bénie rayonne divinement.

Ô Sylvius, chair de ma chair, ô mon amant, que la nuit verse à ta poitrine sa souveraine fraîcheur, qu’elle ranime ta force de ses mains trempées de rosée, tandis que je goûte avec ivresse la sérénité descendue sur ton visage aimé.

La chouette crie dans les noyers, mais le malheur est loin de nous ; la mélancolie de sa voix solitaire pénètre dans mon âme sans amertume.

Je ne crains rien, tu dors, mais tu es près de moi.

J’ai posé ma main sur ta hanche immobile et j’ai senti sous ma paume ton être tout entier. Je te frôle à peine, tes doigts ouverts n’ont pas un tressaillement, un calme surnaturel me vient de ta béatitude, mais je voudrais savoir, ô Sylvius, quand tu dors, m’aimes-tu ?

Je me penche, ta lèvre sourit encore à mon baiser, ton bras s’est courbé pour me reprendre. Oui, tu m’aimes quand tu dors.

Alors, je pose ma tête près de la tienne, je partage avec toi le céleste manteau que la lune nous donne.

Je puis dormir, Sylvius, à l’aube le coq chantera.