Le Livre pour toi/J’ai marché sur d’autres routes

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XCI


J’ai marché sur d’autres routes et longé le gave courroucé que les rochers divisent.

J’ai vu les bœufs humiliés sous le joug et le paysan qui les touche de sa baguette longue, avec un geste de magicien, le même que firent son père et son aïeul.

J’ai vu les petits ânes qui se résignent, en baissant la tête vers leurs pieds délicats.

J’ai vu les oies de neige éclairer, au crépuscule, les bords des mares.

Mais, pour les hommes, je n’ai pas détourné les yeux.

Car c’est toi qui m’as donné à boire un jour d’été que l’air était étouffant.

C’est toi qui m’as regardée partir, avec des yeux douloureux, dans la vallée noircie par l’orage.

C’est toi qui m’as aimée librement, sous le ciel où vivaient des milliards d’étoiles.

Qui regarderais-je à présent ?