Le Loriot

La bibliothèque libre.
Notes de voyage
Le Loriot
◄   Jersey Nids d’oiseaux   ►


En revenant du monde où vivent les oiseaux, j’aurais bien des choses à vous dire, ne suivrais-je que le fil de mes souvenirs ; mais il faut se borner. Nous ne parlerons aujourd’hui ni du cincle plongeur, enveloppé de bulles d’air, qui, sans trébucher, marche au fond des rivières comme un oiseau filigrane d’argent ; ni du martin-pêcheur, ce pauvre philosophe vêtu de si fastueux habits, restant de longues heures au bout des branches mortes, en quête d’une proie trop souvent imaginaire ; ni du pic de nos grandes forêts, cet étrange et farouche oiseau vert, à calotte de pourpre, auscultant les vieux arbres, dont la coutume, par un bizarre contraste, est de rire dans la pluie et de se lamenter quand le ciel est bleu (plus tard je vous dirai pourquoi) ; autrefois il était religieusement consulté des augures. Aujourd’hui, si vous le permettez, je vous dirai simplement quelques mots sur un bel étranger qui, tous les ans, dans la saison des fleurs, nous vient d’Espagne ou d’Italie. Vous avez bien souvent entendu sa voix, sans avoir aperçu le chanteur, car il est d’un accès difficile ; vous l’avez à peine entrevu quand il passait d’un arbre à l’autre dans les hautes branches, en vous jetant dans les yeux sa magnifique lueur jaune ; mais, dans la durée d’un éclair, l’oiseau n’a pu se fixer dans vos souvenirs.

Ses ailes revêtent, de leur mantelet noir, une robe toute jaune, mais réellement d’un jaune superbe. Ce n’est pas le jaune des canaris, ni le jaune des hoche-queues printaniers, qui, entre parenthèses, cheminent avec tant de grâce sur les herbes flottantes de nos cours d’eau ; ce n’est pas non plus le jaune des populages, ni le jaune des lysimachies ; ni le jaune des iris, ni le jaune des villarsies : car la nature est d’une richesse inépuisable dans la répartition de ses jaunes. Serait-ce donc la fleur de genêt ou la fleur d’ajonc qui s’en rapprochent ? A moins que l’oenothère ou le papillon soufré ? Pas encore. J’ai cueilli dans les marais de La Vergne, en Saintonge, une haute plante à tige uniflore, la grande douve (ranunculus lingua), sans pédantisme ; sa fleur est d’un jaune loriot. J’avais peut-être oublié de vous nommer l’oiseau.

De la grosseur du merle et de la grive, ce grand mangeur de cerises présente de singulières particularités : l’iris de son œil est rouge comme un reflet de ces beaux fruits vermeils : c’est un vrai miroir à cerises ; et ses œufs, blancs comme ceux des piverts et des martins-pêcheurs (n’en déplaise à M. de Buffon), sont en outre jaspés de pourpre noir comme si on leur avait insufflé le jus des guignes. Certes, voilà des couleurs harmoniques.

Le loriot niche de préférence sur les hauteurs des bois, comme le ramier, dans ces régions lumineuses qu’empourprent les premières lueurs d’aurore, et que réchauffent encore les adieux des soleils couchants. Son nid, à la fourche des branches, est une merveille de confort et de solidité : feutré à l’intérieur de peluches de chardon, douces comme plumes de marabout, il offre une couche des plus douillettes aux futurs héritiers du chanteur ; extérieurement, il est suspendu à la fourche des branches comme un petit hamac oscillant, par des lianes ou des lanières de bouleau ou de cerisier ; grâce à cet ingénieux système d’équilibre, quand les grands vents font rage dans les hautes futaies et versent parfois les œufs des autres nids, le nid du loriot ressent à peine une petite secousse, un semblant de houle, qui berce en paix les conjoints ou les nouveau-nés.

Il me reste à caractériser sa voix, dont j’ai parlé d’abord ; elle n’a qu’un couplet, un couplet de cinq notes, mais modulées avec tant de fraîcheur et de suavité qu’on se demande : « Est-ce une ritournelle de flûte magique ou un clair gazouillis de source lointaine ? » Le sucre des cerises contribue sans doute un peu à cette éternelle fraîcheur du gosier et le ferment de ces fruits entretient sa joyeuse humeur. La phrase musicale du loriot a sa valeur intrinsèque absolue, entendue séparément ; mais dans les grands concerts du printemps, sous les bois, écoutez-la : sur la basse profonde des ramiers, le verbe guttural des grives, les deux notes du coucou (qui vont jusqu’à trois quand il est ému), les appels de la huppe, à brèves intermittences isochrones, répétant neuf ou dix fois la première syllabe de son nom, sur toutes ces voix la ritournelle du loriot se détache en or pur. Peu d’oiseaux des tropiques ou de l’équateur, sans omettre les paille-en-queue et les paradisiers, peuvent se comparer à notre loriot d’Europe. L’heureux pèlerin, laissant passer les bourrasques de mars et d’avril, nous arrive dans les fleurs de mai, et s’en va bien avant la fin des beaux jours, après la cueillette des fruits, par les ciels lumineux d’octobre, vers l’été de la Saint-Martin. Bon voyage à l’ami de nos cerisiers, et qu’il revienne tous les ans se cantonner dans nos bois !

Après tout, la question des dégâts ne doit pas entrer en ligne de compte : un gamin qui monte à l’arbre en met plus sous la dent ou dans sa poche, en un seul jour, que l’oiseau charmant dans toute la saison.

◄   Jersey Nids d’oiseaux   ►