Le Médecin volant (Boursault)

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Le Médecin volant
Tome I
Théâtre de feu M. BoursaultLa Compagnie des Libraires.

LE
MÉDECIN
VOLANT,
COMÉDIE.

ACTEURS.

CLEON, Amant de Lucresse.

LISE, servante de Lucresse.

LUCRESSE, Maîtresse de Cleon.

CRISPIN, Valet de Cleon, Medecin Volant.

FERNAND, Pere de Lucresse.

PHILIPIN, valet de Fernand.

CANTEAS, habile Medecin.


La scene est devant la Maison de Fernand.


SCENE PREMIERE.

LISE, CLEON.
LISE.

N’insultez point, de grace, au malheur de Lucresse,
Je sçai qu’elle a pour vous une forte tendresse ;
Mais enfin de son pere elle craint le pouvoir,
Et ne peut se résoudre au plaisir de vous voir.
Une fille bien née a tous jours de la crainte…

CLEON.

Que veux-tu ? la douleur dont mon ame est atteinte
Rend ma plainte équitable, & me fait murmurer
Contre un objet charmant que je dois adorer.
Mais, Lise, à sa fenêtre une prompte escalade
Peut m’ouvrir une voye…

LISE.

Peut m’ouvrir une voye…Elle fait la malade,
Monsieur ; & le vieux Reistre est parti du matin
Pour chercher par la Ville un expert Médecin.
Sans rien escalader, pour voir une Maîtresse,
Un Amant dans sa manche a tous jours quelque adresse ;
Mettez tout en usage, & puissance, & sçavoir ;
Sans choquer son honneur, essayez de la voir.
Il n’est pas de moyens que l’amour n’autorise,
Sur-tout… mais du vieillard je crains une surprise ;
Adieu, pensez à vous, & vous ressouvenez
Qu’il n’est rien d’impossible aux cœurs passionnez.

SCENE II.

CLEON seul.

Aux cœurs passionnés il n’est rien d’impossible,
Je l’avouë ; & je trouve un moyen infaillible
De donner à mon ame un moment de repos ;
Il faut… mais, ô Crispin, que tu viens à propos !

SCENE III.

CRISPIN, CLEON.
CRISPIN.

Je vous cherche partout pour vous rendre réponse, Monsieur.

CLEON.

Monsieur.Si tu sçavois ce que Lise m’annonce,
Cher Crispin…

CRISPIN.

Cher Crispin…Il m’a dit que tantôt sur le soir…

CLEON.

Quand on a de l’amour, & qu’on a de l’espoir…

CRISPIN.

Je vous dis & redis qu’il m’a dit de vous dire…

CLEON.

Pour des charmes si doux lors qu’une ame soupire.

CRISPIN.

Vous plaît-il que je parle, ô babillard maudit ?
Ou ne dirai-je mot ?

CLEON.

Ou ne dirai-je mot ? Tu m’en as assez dit ;
Le temps m’est précieux, & ma flamme me presse.
Raisonnons entre nous ; je me meurs pour Lucresse.

CRISPIN.

Mourez vous ?

CLEON.

Mourez vous ? Son visage a des attraits puissans,
Elle asservit mon ame, elle charme mes sens ;
En un mot je l’adore, & son pere me l’ôte,
Tu le vois.

CRISPIN.

Tu le vois.Il est vrai ; mais ce n’est pas ma faute.

CLEON.

D’accord, de mon malheur je ne puis t’accuser ;
Mais tu connois son pere, il le faut abuser.
Qu’en dis-tu ?

CRISPIN.

Qu’en dis-tu ? Moi, Monsieur ? abusez, que m’importe ?

CLEON.

Il la tient enfermée, & je veux qu’elle sorte :
Mon cœur pour cet effort ne s’adresse qu’à toi,
Car enfin…

CRISPIN.

Car enfin…A présent il m’importe, ma foi.
A moi, Monsieur ?

CLEON.

A moi, Monsieur ? A toi ; rends mon ame charmée.

CRISPIN.

Ne me dites-vous pas qu’il la tient enfermée ?

CLEON.

Oüi.

CRISPIN.

Oüi.Je n’y puis que faire. En quel lieu du logis ?

CLEON.

C’est dessus le derriere.

CRISPIN.

C’est dessus le derriere.Oüi ?

CLEON.

C’est dessus le derriere.Oüi ? Oüi.

CRISPIN.

C’est dessus le derriere.Oüi ? Oüi.Oüi ?

CLEON.

C’est dessus le derriere.Oüi ? Oüi.Oüi ? Oüi.

CRISPIN.

C’est dessus le derriere.Oüi ?Oüi.Oüi ?Oüi.Tant pis.

CLEON.

Je t’ai dit ma pensée ; instruis-moi de la tienne.

CRISPIN.

Elle est enfermée ?

CLEON.

Elle est enfermée ? Oüi.

CRISPIN.

Elle est enfermée ? Oüi.Que la belle s’y tienne,
Voilà ce que je pense.

CLEON.

Voilà ce que je pense.Ah ! c’est trop s’amuser.
Ecoute, sans scrupule il te faut déguiser.

CRISPIN.

Me déguiser, Monsieur ; & pourquoy ?

CLEON.

Me déguiser, Monsieur ; & pourquoy ? C’est pour cause.
Je veux bien en ce lieu t’informer de la chose.
Pour faire pleinement réüssir mon dessein,
Il faut être aujourd’hui Médecin.

CRISPIN.

Il faut être aujourd’hui Médecin.Médecin ?
Bons Dieux !

CLEON.

Bons Dieux ! Sans perdre ici d’inutiles paroles,
Ce service rendu te vaudra six pistoles ;
Si le gain t’encourage, avise, les voilà.
Examine.

CRISPIN.

Examine.Mon Dieu ! ce n’est pas pour cela.
Médecin !

CLEON.

Médecin ! Médecin ; je n’ai point d’autre ruse.

CRISPIN.

Mais il faut de l’esprit, & je suis une buse ;
Et de plus…

CLEON.

Et de plus…C’est à tort que tu prens de l’effroi ;
Le pere de Lucresse a moins d’esprit que toi.
Ce vieillard chassieux connoît peu ton visage ;
Et tu sçais… Il avance, il me voit, j’en enrage ;
Je le vais aborder ; va m’attendre chez moi,
J’auray soin de m’y rendre aussi vîte que toi.

CRISPIN.

Mais, à moins de m’instruire, apprenez…

CLEON.

Mais, à moins de m’instruire, apprenez…Va, te dis-je,
Je te suis.

Il sort.

SCENE IV.

CLEON, FERNAND, PHILIPIN.
CLEON.

Je te suis.La douleur de Lucresse m’afflige,
Monsieur ; quoique mes soins lui soient indifférens,
Je viens vous informer de la part que j’y prens :
Heureux, quoique toujours sa beauté me captive,
Si pour d’autres que moi j’apperçois qu’elle vive ;
Et toujours trop heureux, si les vœux que je fais
D’un secours nécessaire avancent les effets.
Adieu.

SCENE V.

FERNAND, PHILIPIN.
FERNAND.

Adieu.Ma pauvre fille, elle va rendre l’ame,
Philipin.

PHILIPIN.

Philipin.C’est à vous que j’en donne le blâme.

A la pourvoir d’un homme on a trop retardé,
Un pucelage nuit quand il est trop gardé ;
C’est cela qui l’étouffe, & ces sortes de choses…

FERNAND.

Point, point ; sa maladie a de plus justes causes :
Mais retourne au plus vîte, & va voir, Philipin,
Si l’on attend bientôt ce sçavant Médecin :
J’appréhende si fort que Lucresse ne meure…

PHILIPIN.

S’il étoit de retour, il viendroit tout à l’heure ;
On l’a dit.

FERNAND.

On l’a dit.Il est vrai ; mais apprens mon souci.
D’autres peuvent l’attendre, & l’emmener aussi ;
Et pour lors tout mon cœur accablé de tristesse,
Si Lucresse enduroit…

PHILIPIN.

Si Lucresse enduroit…Peste soit de Lucresse.
Elle a le choix de vivre, ou du moins de mourir ;
Quel plaisir elle prend à me faire courir !

FERNAND.

Surtout ne reviens point que tu ne me l’amenes,
Je t’en prie.

SCENE VI.

FERNAND seul.

Je t’en prie.En mon âge, ô bons Dieux ! que de peines !
Et que dans mes vieux ans…

SCENE VII.

CRISPIN, FERNAND.
CRISPIN en soutane.

Et que dans mes vieux ans…Pitagore, Platon,
Mâche-à-vuide, Pancrace, Hesiode, Caton…

FERNAND bas.

Quel seroit ce docteur ? Ecoutons.

CRISPIN.

Quel seroit ce docteur ? Ecoutons.Caligule,
Polieucte, Virgile, Anaxandre, Luculle…

FERNAND bas.

O Dieux !

CRISPIN.

O Dieux !Robert Vinot, Scipion l’Afriquain,

Jodelet, Mascarille, Aristote, Lucain,
Médecins de César, assassins d’Alexandre,
Vous voyez un phenix qu’a produit votre cendre.

FERNAND bas.

Seroit-ce un médecin ? Il en parle.

CRISPIN.

Seroit-ce un médecin ? Il en parle.Approchez,
Venez voir, grands Docteurs, les mysteres cachez
De l’Enciclopedie & de la Médecine.

FERNAND.

C’en est un.

CRISPIN.

C’en est un.Venez voir ce que c’est que racine
De la mer Arabique, & le flux & reflux.

FERNAND à Crispin.

Monsieur…

CRISPIN.

Monsieur…Que voulez-vous ? Ego sum medicus.
Médecin passé Maître, apprenti d’Hippocrate,
Je compose le baume & le grand mitridate ;
Je sçai par le moyen du plus noble des Arts,
Que qui meurt en Fevrier n’est plus malade en Mars ;
Que de quatre saisons une année est pourvûë,
Et que le mal des yeux est contraire à la vûë.

FERNAND.

Je ne sçaurois douter d’un si rare sçavoir.
Si j’osois vous prier…

CRISPIN.

Si j’osois vous prier…De quoi ? Parlez.

FERNAND.

Si j’osois vous prier…De quoi ? Parlez.De voir
Une fille que j’ai, que chacun désespere.

CRISPIN.

Vous avez une fille ! Et vous êtes son pere,
A ce compte ?

FERNAND.

A ce compte ? Oüi, Monsieur ; & j’ai peur de sa mort.

CRISPIN.

Elle est donc fort malade ?

FERNAND.

Elle est donc fort malade ? Oüi, Monsieur.

CRISPIN.

Elle est donc fort malade ? Oüi, Monsieur.Elle a tort ;
Je lui veux conseiller qu’elle cesse de l’être.
Qui domine sur nous s’en veut rendre le maître.
Or le mal dominant par d’occultes ressorts,
Il corrompt la matiere, il ravage le corps…
L’individu qui souffre, au moment qu’il s’épure,
D’un peu d’apotheose entretient sa nature…

La vapeur de la terre opposée à ce mal
Dans l’humaine vessie établit un canal.
Le cancer froidureux rend l’humeur taciturne ;
Le vaillant Zodiaque envisage Saturne :
Et s’il faut qu’avec eux j’en demeure d’accord,
Rien n’abrege la vie à l’égal de la mort.
Ce sont de ces Auteurs les leçons que j’emprunte.
Votre fille, à propos, seroit-elle défunte ?

FERNAND.

Non, Monsieur.

CRISPIN.

Non, Monsieur.Mange-t-elle ?

FERNAND.

Non, Monsieur.Mange-t-elle ? Un petit, grace aux Dieux.

CRISPIN.

Elle n’est donc pas morte ?

FERNAND.

Elle n’est donc pas morte ? Elle ? Nenni.

CRISPIN.

Elle n’est donc pas morte ? Elle ? Nenni.Tant mieux.
Je m’en réjoüis fort.

FERNAND.

Je m’en réjoüis fort.Et de quoi ? Cette vie
Avant la fin du jour lui peut être ravie.

CRISPIN.

Tant pis ; l’a-t-on fait voir à quelque Médecin ?

FERNAND.

Nullement.

CRISPIN.

Nullement.Elle a donc quelque mauvais dessein,
Puisqu’elle veut mourir sans aucune ordonnance ;
De ces sortes de maux notre Ecole s’offense :
Quand un homme se trouve en état de périr,
Toujours un Médecin doit l’aider à mourir ;
Et c’est faire éclater des malices énormes,
Que vouloir refuser de mourir dans les formes.
Instruisez votre fille, & lui dites du moins
Pour mourir comme il faut, qu’elle attende mes soins.
Son ame à déloger est trop impatiente,
Monsieur.

FERNAND.

Monsieur.Permettez-moi d’appeler sa suivante.

CRISPIN bas.

Appelez. Je le tiens, ô le franc animal !

FERNAND.

Hola, Lise.

SCENE VIII.

LISE, FERNAND, CRISPIN.
LISE.

Hola, Lise.Ah, Monsieur, votre fille est fort mal !

FERNAND.

Que fait-elle ? Je tremble.

LISE.

Que fait-elle ? Je tremble.Elle se plaint du ventre ;
Elle sort de son lit, puis après elle y rentre ;
Se promene, se sied, veut dormir, veut veiller.
Malgré moi de ce pas je la viens d’habiller…

FERNAND.

D’habiller !

LISE.

D’habiller ! D’habiller ; sa boutade m’étonne.
D’habiller ! D’habiller appercevant Crispin.
Je croi… Mais ce gredin vous demande l’aumône,
Monsieur.

FERNAND.

Monsieur.Ah juste Ciel, quel blasphême tu fais !
C’est l’exemple parfait des Médecins parfaits,

Que j’ai bien du sujet de loüer sa rencontre !

LISE.

Médecin ?

CRISPIN.

Médecin ? Médecin, ma soutane le montre.
Mais sans perdre ma peine à prouver qui je suis,
Par ma seule doctrine aisément je le puis.
De la fille égrotante apportez de l’urine,

FERNAND à Lise.

Apportez.Allez vîte en querir.

Lise sort.
CRISPIN.

Apportez.Allez vîte en querir.J’examine
Ce que cette malade à peu près peut avoir ;
Mais je vois de l’urine, & je vais le sçavoir.

SCENE IX.

CRISPIN, FERNAND, LISE.
CRISPIN.

Approchez.

FERNAND.

Approchez.De frayeur j’ai mon ame allarmée.

LISE avec de l’urine.

En voilà.

CRISPIN.

En voilà.Voyez-vous comme elle est enflammée.
Mauvais signe.

FERNAND.

Mauvais signe.O bons Dieux, il en boit.

CRISPIN après avoir tout bu.

Mauvais signe.O bons Dieux, il en boit.Je croi bien.
Mais qui boit pour si peu, ne comprend jamais rien.
Allez-en querir d’autre.

FERNAND à Lise.

Allez-en querir d’autre.Allez vîte.

Lise sort encore.
CRISPIN.

Allez-en querir d’autre.Allez vîte.Mon Prince,
Assez d’autres Docteurs d’une étoffe plus mince
Se seroient contentés du rapport de leurs yeux ;
Mais à croire sa langue on en juge bien mieux :
Bois-Robert nous enseigne en sa belle Plaideuse
Que le goût est solide, & la vûë est trompeuse ;
Et qu’un grand Médecin quand il fait ce qu’il doit,
Il sent mieux une chose à la langue qu’au doigt.

FERNAND.

A ces fortes raisons je n’ai point de réplique.

SCENE X.

LISE, CRISPIN, FERNAND.
LISE avec encore un peu d’urine.

A pisser comme il faut ma Maîtresse s’applique,
Monsieur ; & cependant je n’en ai qu’un filet,
Voyez.

CRISPIN.

Voyez.Pauvre pisseuse !
Voyez.Après avoir encore bû, il dit.
Voyez.Pauvre pisseuse ! Allez au robinet
En tirer.

LISE.

En tirer.Mais, Monsieur…

CRISPIN.

En tirer.Mais, Monsieur…Mais que cette pisseuse
Fasse une ample pissée, & qui soit copieuse,
Copieuse.

LISE.

Copieuse.Ma foi ma maîtresse ne peut ;
On n’a pas le pouvoir de pisser quand on veut.
C’est donner à Lucresse une peine trop grande
Que vouloir…

FERNAND à Lise.

Que vouloir…Dites-lui que Monsieur le commande,
Courez vîte.

LISE.

Courez vîte.Monsieur, votre fille n’a pû ;
Mais enfin pour vous plaire à l’instant elle a bû :
Si Monsieur veut attendre à lui rendre service,
Au plus tard dans une heure il faudra qu’elle pisse.

CRISPIN.

Elle a raison.

LISE.

Elle a raison.De plus, pour chasser son souci,
Elle s’est resoluë à venir jusqu’ici.
Elle vient.

SCENE XI.

LUCRESSE, FERNAND, CRISPIN, LISE.
LUCRESSE.

Elle vient.Ah mon pere !

FERNAND.

Elle vient.Ah mon pere !Ah ma fille !

LISE.

Elle vient.Ah mon pere ! Ah ma fille ! Courage.

LUCRESSE.

Je me meurs.

CRISPIN.

Je me meurs.Je lui trouve un passable visage ;
Serviteur ; si pour vous nos remedes sont vains,
Vous aurez le plaisir de mourir par mes mains ;
Consolez-vous.

LUCRESSE.

Consolez-vous.Helas !

CRISPIN.

Consolez-vous.Helas !Votre bras, que je tâte
Si pour vous il est vrai que la mort ait si hâte ;
Donnez, dis-je !

Au lieu de prendre le bras de Lucresse, il prend celui de son pere, & dit :

Donnez, dis-je !Tudieu ! comme il bat, votre poux !
J’aurois bien de la peine à respondre de vous,
Et votre maladie est sans doute mortelle ;
Prenez-y garde.

FERNAND.

Prenez-y garde.O Dieux ! quelle triste nouvelle !
Je suis donc bien malade, ô Monsieur ?

CRISPIN.

Je suis donc bien malade, ô Monsieur ?Vous, pourquoi ?

FERNAND.

Vous n’avez pris le bras à personne qu’à moi.

CRISPIN.

Et cela vous étonne ? Une tendresse extrême
Rend la fille le pere, & le pere, elle-même :
Entre eux deux la nature est propice à tel point,
Que le sort les sépare, & le sang les rejoint ;
Etant vrai que l’enfant est l’ouvrage du pere,
Sa douleur sur lui-même aisément réverbere ;
Et le sang l’un de l’autre est si fort dépendant,
Que l’enfant met le pere en un trouble évident.

FERNAND.

Il est vrai.

CRISPIN.

Il est vrai.Cependant quoique mon sçavoir brille,
Je veux bien me résoudre à tâter votre fille ;
Votre bras.

LUCRESSE.

Votre bras.Le voilà.

CRISPIN.

Votre bras.Le voilà.Je m’en étois douté,
Il ne vous manque rien que beaucoup de santé,
Sans cela…

LUCRESSE.

Sans cela…J’ai la mort sur le bord de la lévre,
Monsieur.

CRISPIN.

Monsieur.Que je retâte, avez-vous de la fiévre ?

LUCRESSE.

Je ne sçai.

CRISPIN.

Je ne sçai.Non ?

LUCRESSE.

Je ne sçai.Non ?Non ?

CRISPIN.

Je ne sçai.Non ?Non ?Fy !

FERNAND.

Je ne sçai.Non ?Non ?Fy !De quoi ?

CRISPIN.

Je ne sçai.Non ?Non ?Fy !De quoi ?Mauvais régal ;
Par fois, sans qu’on le sçache, on se porte fort mal,
Voyez-vous ?

FERNAND.

Voyez-vous ?De ses maux que je sçache la cause.

CRISPIN.

C’est la fiévre, ce l’est, si ce n’est autre chose.
Mais soit fiévre, ou migraine, ou cangrene, ou mal chaud,
Allez, pour la guérir, je sçai bien ce qu’il faut.

FERNAND à Lise.

Une plume, de l’encre.

CRISPIN.

Une plume, de l’encre.Et pourquoi ?

FERNAND.

Une plume, de l’encre.Et pourquoi ? L’ordonnance,
Monsieur…

CRISPIN.

Monsieur…Vous vous moquez, je les fais par avance.
Je me tiens toujours prêt contre tous accidens ;
En voilà pour les yeux, pour le flux, pour les dents ;
Mais ignorant son mal, il lui faut, ce me semble,
Une ordonnance propre à tous les maux ensemble ;
Il faudra que le sien se rencontre parmi.

Il donne une ordonnance.
FERNAND.

Charitable Monsieur, c’est agir en ami,
Cela ; quel honnête homme ?

CRISPIN.

Cela ; quel honnête homme ?En quel lieu couche-t-elle ?

FERNAND.

Elle a sur le derriere une chambre assez belle.

LISE.

Oüi vrayement une chambre assez belle, en effet !
Si sombre !

CRISPIN.

Si sombre ! Croyez-moi, le devant est son fait.
Qu’on l’y mène ; aussi-bien la journée est malsaine.

SCENE XII.

PHILIPIN, FERNAND, CANTEAS, CRISPIN.
FERNAND voyant venir Philipin.

Philipin, aide à Lise.

PHILIPIN.

Philipin, aide à Lise.A la fin, je l’amene,
Le voici.

Après que Philipin a dit cela, il aide à remener Lucresse.
CRISPIN.

Le voici.Qui donc ? Qu’est-ce ?

FERNAND.

Le voici.Qui donc ? Qu’est-ce ? Un Sçavant Médecin.

CRISPIN bas.

Médecin ? male-peste !

CANTEAS.

Médecin ? male-peste !Excusez ; ce matin

L’intendant d’un seigneur m’a contraint de me rendre,
Monsieur…

FERNAND.

Monsieur…Mon bon Monsieur, je n’ai pû tant attendre ;
Au retour de chez vous pour causer mon repos,
Ce fameux Médecin s’est offert à propos,
Je l’ai pris.

CANTEAS.

Je l’ai pris.Monsieur ?

FERNAND.

Je l’ai pris.Monsieur ?Oüi, mais qu’il a de mérite !
Si vous sçaviez…

CANTEAS.

Si vous sçaviez…Je louë, & je plains ma visite.
Je me tiens malheureux d’avoir pû me ravir
Au plaisir que j’aurois de pouvoir vous servir ;
Et de voir la fortune à mes vœux trop cruelle
M’arracher au bonheur de vous prouver mon zéle :
Mais à voir qui pour vous a daigné s’occuper,
Je me tiens trop heureux qu’il ait pû m’échapper.
Le plaisir que je goûte est mêlé dans le vôtre ;
Si je pers d’un côté, je recouvre de l’autre ;
Puis qu’enfin de Monsieur le sublime entretien
D’être un jour tout à vous m’offrira le moyen.

Appercevant qu’il est au milieu, il dit à Crispin :

Mais, Monsieur, pardonnez, ce n’est point par audace ;
Je n’ai garde avec vous d’occuper cette place ;
C’est à vous qu’elle est duë.

CRISPIN.

C’est à vous qu’elle est duë.Ah !

CANTEAS.

C’est à vous qu’elle est duë.Ah ! Monsieur…

CRISPIN.

C’est à vous qu’elle est duë.Ah ! Monsieur…Palsambleu,
Ah !

CANTEAS.

Ah ! Sans cérémonie on vous doit le milieu,

Crispin par deux fois étant au milieu, comme Canteas veut parler, il s’écoule par derriere lui, & reprend sa premiere place.

Et de grace. Hippocrate… Hé, Monsieur ; je vous jure
Qu’au lieu de m’obliger, c’est me faire une injure ;
Je vous prie. Hippocrate… A quoi bon tout cela ?
Conservez votre place, hé, Monsieur, la voilà,
Empêchez à vos yeux que ma honte n’éclate.
Je reprends ma parole, & je dis qu’Hippocrate,
Qui de la Médecine est l’illustre ornement,

De cet Art salutaire a parlé doctement.
Médecine est, dit-il, une longue science,
Tout-à-fait dangereuse en son expérience ;
Car touchant nostre vie, elle passe si-tôt,
Qu’on n’a pas le loisir d’en juger comme il faut.
Vita brevis, ars verò longa, occasio autam præceps,
Experimentum periculosum, judicium difficile.
Je me plais à l’étude, & j’ai l’ame assiduë
A vouloir de cet art pénétrer l’étenduë :
Mais dedans cet abîme un esprit se confond.
Plus on l’approfondit, plus il semble profond
Cette utile science en enferme tant d’autres,
Qu’il faudroit que mes yeux égalassent les vôtres,
Ou que de leurs rayons vous pussiez m’éclairer,
Pour m’offrir un moyen de ne pas m’égarer.

CRISPIN.

Ho, ho, ho.

CANTEAS.

Ho, ho, ho.De plaisir on a l’ame ravie,
Alors que d’un malade on prolonge la vie ;
Et d’un grand Médecin rien n’égale le sort,
Quand sa seule présence intimide la mort,
Quand il est l’ennemi que la Parque redoute,
Quand sa haute science en détourne la route,
Et qu’enfin le trépas qui nous fait tous trembler,

Pour ne pas le combattre, aime mieux reculer.
Mortem medicamentis removet Medicus expers.
Je ne puis approuver l’importune méthode…
Mais peut-être, Monsieur, je vous suis incommode ;
Car enfin comme vous les esprits élevés
Aux emplois importans sont toujours réservés.

CRISPIN.

Ho, ho, ho.

CANTEAS.

Ho, ho, ho.Je sors donc ; mais j’ose me promettre
Qu’étant moins occupé vous pourrez me permettre
De chercher un prétexte à me faire joïir
Du plaisir qu’on reçoit quand on peut vous oüir.

SCENE XIII.

FERNAND, CRISPIN.
FERNAND.

Hé bien, ce Médecin, vous voyez comme il cause,
Qu’en dites-vous ?

CRISPIN.

Qu’en dites-vous ? Il sçait quelque petite chose.

FERNAND.

Daignez-moi, je vous prie, informer de cela ;
Touchant la Médecine est-il expert ?

CRISPIN.

Touchant la Médecine est-il expert ? Là, là.
Passable.

FERNAND.

Passable.Il n’a donc pas la science parfaite ?
Pour qui passeroit-il près de vous ?

CRISPIN.

Pour qui passeroit-il près de vous ? Pour Mazette.

FERNAND.

Mais, durant qu’il parloit, vous ne disiez mot ?

CRISPIN.

Mais, durant qu’il parloit, vous ne disiez mot ? Moi !
Dites-vous ?

FERNAND.

Dites-vous ? Oüi vraiment, je dis vous.

CRISPIN.

Dites-vous ? Oüi vraiment, je dis vous.Je le croi.
Pour pouvoir de cet homme éprouver la science,
J’ai voulu me résoudre à garder le silence :
Mais enfin si le drôle eust voulu s’arrêter,
Allez, vous m’auriez vû diablement caqueter.
A dessein d’empêcher qu’un malade ne meure,

J’allois débagouler du latin tout à l’heure ;
Voir quel temps il fera dans un vieil almanach ;
Réciter tout par cœur les Quatrains de Pibrac ;
Et pour mieux vous montrer qu’il est vrai que j’excelle,
Je sçai qu’un lavement fait aller à la selle ;
J’ai cent fois en ma vie acheté du sené ;
Et je dis que le Diable est un Diable damné :
Je soûtiens que le corps est le frere de l’ame ;
Que Seneque & Pauline étoient l’homme & la femme ;
Que Narcisse en personne autrefois se noya,
Et semper quoniam tuos alleluya.

FERNAND.

Je ne puis rien comprendre à ces phrases d’élite.

CRISPIN.

Je m’en apperçois bien ; mais adieu je vous quitte,
Je verrai votre fille ou ce soir ou demain.

FERNAND lui veut donner de l’argent.

Monsieur…

CRISPIN.

Monsieur…Ah !

FERNAND.

Monsieur…Ah ! Recevez ces loüis de ma main.

CRISPIN.

Je n’ai garde.

FERNAND.

Je n’ai garde.Prenez ; je vous dois récompense,
Monsieur.

CRISPIN.

Monsieur.Je ne suis pas un Marchand de science.

FERNAND.

Hé de grace.

CRISPIN.

Hé de grace.Non, non ; je vous suis serviteur.

Il s’en va.


SCENE XIV.

FERNAND seul.

Que cet homme est habile, & qu’il est grand Docteur !
Ne point prendre d’argent pour des chose si bonnes !
Il ne ressemble pas ces tueurs de personnes,
Ces méchans Médecins, qui par un triste sort,
En curant notre bourse, enrichissent la mort.
Voyons ce qu’au logis sa science a fait naître,
Et sçachons…

SCENE XV.

FERNAND, CRISPIN.
CRISPIN en habit de valet.

Et sçachons…Au plus vîte attrapons notre maître ;
Rejoüissance… ô Dieux ! C’est Fernand, que je croi !
C’est lui-même !

FERNAND.

C’est lui-même ! Est-ce pas mon Docteur que je voi ?
C’est lui-même, c’est lui : votre mine est pleureuse,
Qu’êtes-vous ?

CRISPIN pleurant.

Qu’êtes-vous ? Moi, Monsieur ? un pauvre homme qui gueuse.

FERNAND.

Quoi ! tu gueuses ?

CRISPIN.

Quoi ! tu gueuses ? Monsieur, mes malheurs sont si grands…

FERNAND.

Mais dedans cette Ville as-tu point de parens ?

CRISPIN.

Ah ! Monsieur, des parens on n’a guéres de grace,

Je suis frere à mon frere, & c’est lui qui me chasse.

FERNAND.

Il faut donc que sans doute il en ait du sujet ;
Qu’as-tu fait ?

CRISPIN.

Qu’as-tu fait ? Répandu la moitié d’un Julet.

FERNAND.

Il est donc Médecin ?

CRISPIN.

Il est donc Médecin ? Oüi, Monsieur.

FERNAND.

Il est donc Médecin ? Oüi, Monsieur.Il me semble
Que ce frere en colere à peu près te ressemble ?

CRISPIN.

Oüi, Monsieur.

FERNAND.

Oüi, Monsieur.Penses-tu qu’on le puisse appaiser.

CRISPIN.

Non, Monsieur.

FERNAND.

Non, Monsieur.Si tu veux je lui vais proposer…

CRISPIN.

Il ne souffrira pas que jamais je le voye,
Monsieur.

FERNAND.

Monsieur.Si je m’en mêle, il aura de la joye ;
Je le viens de quitter, il est fort mon ami.

CRISPIN.

S’il est vrai, je ne sens ma douleur qu’à demi :
Car, Monsieur, je vois bien que vous êtes brave homme ;
Vous aurez de la peine à souffrir qu’il m’assomme.

FERNAND.

Attens-moi, de ce pas, je m’en vais le chercher.

CRISPIN.

Moi, Monsieur ? Point du tout, je m’en vais me cacher.

FERNAND.

Mais il faut te montrer ?

CRISPIN.

Mais il faut te montrer ? Ah ! Monsieur, je ne l’ose,
Sans sçavoir si vos soins auront fait quelque chose,
Je m’en vais, s’il vous plaît vous attendre à l’écart.

SCENE XVI.

FERNAND seul.

Ce garçon malheureux est venu sur le tard :
Deux minutes plus tôt je l’accordois sur l’heure :
Foin de moi ; je ne sçai où son frere demeure :
Mais toujours je l’attens sur le soir…

SCENE XVII.

CRISPIN, FERNAND.
CRISPIN en soutane.

Mais toujours je l’attens sur le soir…Ah ! maraut !
Je vous jure…

FERNAND.

Je vous jure…Ah ! Monsieur, vous venez comme il faut ;
Vous pouvez en ce lieu m’accorder une grace.

CRISPIN.

Moi, Monsieur ; il n’est rien que pour vous je ne fasse ;
Commandez.

FERNAND.

Commandez.Votre frere, il a tant de douleur,
Que j’ai droit d’espérer…

CRISPIN.

Que j’ai droit d’espérer…C’est un coquin, Monsieur.

FERNAND.

Il a tort, il l’avouë ; il se nomme coupable ;
Mais, Monsieur, une faute est assez pardonnable ;
Désormais il en jure, il veut être meilleur ;
Vous aimer, vous servir…

CRISPIN.

Vous aimer, vous servir…C’est un fripon, Monsieur.

FERNAND.

Ne vous puis-je résoudre à la miséricorde ?

CRISPIN.

C’est un pendart, Monsieur, qui mérite la corde.

FERNAND.

C’est manquer de parole aux plus rares Amis.
S’il vous en ressouvient vous m’avez tout promis,
Monsieur ; ce n’étoit donc qu’une pure grimace.

CRISPIN.

Il est vrai, ma parole en effet m’embarrasse.
C’en est fait, je pardonne à ce traître, il vous plaît.

FERNAND.

Il ne tiendra qu’à vous de le voir comme il est.

CRISPIN.

Moi, Monsieur, moi le voir en présence du monde !
Quand je vois ce coquin, mon courroux se débonde ;
Je ne puis.

FERNAND.

Je ne puis.Hé ! Monsieur, il ne faut qu’un instant…

CRISPIN.

Je ne le puis, vous dis-je, un malade m’attend ;
Mais touchant ce maraut je consens qu’il revienne.
Serviteur.

SCENE XVIII.

FERNAND seul.

Serviteur.Quelque effet qui jamais en avienne
A ce pauvre garçon qui frissonne d’effroi,
Je veux faire accorder le pardon devant moi :
Que son frere est honnête ! il s’en vient de l’absoudre,
Et j’ose…

SCENE XIX.

CRISPIN, FERNAND.
CRISPIN en pleurant, & en habit de valet.

Et j’ose… bien, Monsieur, a-t-il pû s’y résoudre ?
Dois-je devant ses yeux ne paroître jamais ?
Dois-je…

FERNAND.

Dois-je…Ne pleure point, j’ai sçû faire ta paix.

CRISPIN.

Vous croirai-je, Monsieur, n’est-ce point moquerie ?

FERNAND.

Quoi tu peux…

CRISPIN.

Quoi tu peux…Ah ! Monsieur, je connois sa furie ;
Il a bien de la peine à pouvoir pardonner.

FERNAND.

Aussi ne veux-je pas te laisser retourner ;
Je veux qu’il te pardonne en ma propre présence.

CRISPIN.

Du pardon de ma faute avez-vous l’assurance,
Monsieur ?

FERNAND.

Monsieur ? Oüi.

CRISPIN.

Monsieur ? Oüi.C’est assez que mon frere ait parlé :
De vos soins obligeans je serois querellé,
Monsieur ; votre bonté pourroit mal me remettre.

FERNAND.

Mais il peut oublier ce qu’il vient de promettre,
Puis après…

CRISPIN.

Puis après…Point, Monsieur, je le vois fort exact ;
Quand on a sa parole, elle vaut un contract ;
Désormais de sa part je ne crains nul outrage,
Monsieur.

FERNAND.

Monsieur.J’ai résolu d’achever.

CRISPIN bas.

Monsieur.J’ai résolu d’achever.J’en enrage.

FERNAND.

Entre sur ce derriere.

CRISPIN.

Entre sur ce derriere.Hé ! Monsieur, où le voir
A cette heure ?

FERNAND.

A cette heure ? En tout cas, il viendra sur le soir.
Entre, dis-je.

Il entre, & Fernand ferme la porte à la clef.

SCENE XX.

FERNAND seul.

Entre, dis-je.En ceci ma charité se montre ;
Mais de notre Docteur recherchons la rencontre,
Il faut battre le fer cependant qu’il est chaud.

SCENE XXI.

CRISPIN à la fenêtre.

Me voilà, grace à Dieu, raisonnablement haut !
Trop obligeant Grison, ta douceur m’assassine.
Maudit moi, maudit Maître, & maudite Doctrine,
Et maudite Lucresse, & maudits six loüis,
Par qui mes yeux tentés se sont vûs ébloüis ;
Maudit… quoi… je commence à connoître ma faute :

Tête-bleu ! d’ici là le moyen que je saute ?
Il le faut toutefois ; Taupe à tout.

Il saute de la fenestre en bas.

SCENE XXII.

PHILIPIN qui sort.

Il le faut toutefois ; Taupe à tout.A présent
Je viens dire… ma foi ce sauteur est plaisant :
Mais il sort de chez nous, il n’a rien que je sçache ;
Il faut pour l’épier qu’un moment je me cache.
Mais j’entens que l’on parle, attrapons quelque coin.

SCENE XXIII.

CRISPIN, FERNAND, & PHILIPIN, au bout du Théâtre.
CRISPIN en soûtane dit à Fernand.

Pour un gueux comme lui vous prenez trop de soin :
Il meriteroit bien qu’on punît son audace,
Le Vaurien !


FERNAND.

Le Vaurien ! C’est là haut qu’il attend votre grace :
Moi je vous la demande ; à la charge d’autant,
Si jamais…

CRISPIN.

Si jamais…En quel lieu dites-vous qu’il m’attend ?
Le coquin !

FERNAND.

Le coquin !Voyez-vous cette grande fenêtre ?

CRISPIN.

Il m’entend, le bourreau ; mais il n’ose paroître ;
De m’avoir offensé l’insolent est confus :
Je n’ai pas le pouvoir de vous faire un refus. :
Ouvrez, j’entre.

FERNAND.

Ouvrez, j’entre.Avec vous, faut-il pas que je monte ?

CRISPIN.

Pour le bien châtier, faisons-lui cette honte ;
Montez, oüi montez… Non ; épargnons ce Maraut ;
Ecoutez seulement je lui parlerai haut,
C’est assez.

Crispin entre seul.
FERNAND.

C’est assez.Je le veux ; Refermons cette porte,
Et voyons…

SCENE XXIV.

PHILIPIN, FERNAND & CRISPIN dans la maison.
PHILIPIN à Fernand.

Et voyons…Quoi ! Monsieur, vous craignez qu’il ne sorte ?
Malepeste ! le Drille ; il sçait bien d’autres tours,
Le Manœuvre !

FERNAND.

Le Manœuvre !Pourquoi me tiens-tu ce discours ?
Ou respecte cet homme, ou redoute ma cane.

PHILIPIN.

Quand on est Baladin, porte-t’on la soutane,
A propos ? Dites-donc : vous riez.

FERNAND.

A propos ? Dites-donc : vous riez.Si je ris ?
Sot.

PHILIPIN.

Sot.Votre ensoutané saute mieux qu’un cabri.
Je le sçai ; mais, chez vous, que peut-il aller faire ?
Répondez, s’il vous plaÎt ?

FERNAND.

Répondez, s’il vous plaÎt ?Pardonner à son frere,

Il étoit en courroux pour certains accidens…

PHILIPIN.

A ce compte, son frere est aussi là dedans ?
N’est-ce pas ?

CRISPIN à la fenêtre.

N’est-ce pas ?Ah fripon friponnant…

FERNAND à Philipin.

N’est-ce pas ? Ah fripon friponnant…Tiens, écoute.

CRISPIN continuant.

Voyez ce qu’aujourd’hui votre faute me coûte ;
J’aurois eu le plaisir de jamais ne vous voir,
Si Monsieur dessus moi n’avoit pas tout pouvoir.
Mais je l’honore plus que personne du monde.

FERNAND à Philipin.

Tu vois bien.

PHILIPIN.

Tu vois bien.Pour le moins, que son frere réponde,
Il le doit.

FERNAND à Crispin.

Il le doit.Votre frere à son tour ne dit mot ;
Qu’il parle.

CRISPIN.

Qu’il parle.Entendez-vous, beau pleureux, maître sot ?
Si ma juste colere est sitôt adoucie.

Déguisant sa voix & pleurant.

Monsieur, je vous rends grace, & je vous remercie,

Je n’ai pas à dessein repandu… Taisez-vous.
Si jamais… Paix, vous dis-je, & craignez mille coups.
Je puis… Taisez-vous donc. Mais mon cher frere… Encore ?

PHILIPIN.

Comment diable fait-il, le futé ? je l’ignore.

FERNAND.

Ils sont deux.

PHILIPIN.

Ils sont deux.Il le semble ; il n’en est pourtant rien.
Mais de bien le sçavoir je découvre un moyen ;
Dites que devant vous il embrasse son frere.

CRISPIN.

N’étoit monsieur Fernand que je veux satisfaire,
Pécore…

FERNAND.

Pécore…Il auroit tort de vous plus offenser ;
Mais, Monsieur, pour me plaire il le faut embrasser,
Et toujours…

CRISPIN.

Et toujours…L’embrasser !

PHILIPIN.

Et toujours…L’embrasser !Que cela l’embarrasse !
Voyez.

FERNAND.

Voyez.De votre part je prétens cette grace.

CRISPIN.

Il seroit trop honteux si ce bien peu commun…

PHILIPIN.

Je vous jure ma foi, qu’ils ne sont ma foi qu’un ;
Le madré ! gardez-vous des finesses qu’il brasse.

FERNAND à haute voix.

Seras-tu trop honteux si ton frere t’embrasse,
L’enfermé ?

CRISPIN.

L’enfermé ? C’est à lui… Paix, Monsieur le badaut ;
Paix fripon, paix belître ; & venez ici haut :

Crispin met son chapeau sur son coude, & puis l’embrasse si adroitement qu’il semble que ce soit une autre personne.

C’est moins par amitié que ce n’est par contrainte ;
Venez, dis-je.

FERNAND à Philipe.

Venez, dis-je.Tu vois, ce n’est pas une feinte.

PHILIPIN.

Je n’y vois ma foi goute, & ne sçai ce que c’est.

CRISPIN à Fernand.

A présent…

FERNAND.

A présent…A present descendez, s’il vous plaît ;
Je vous ouvre.

PHILIPIN.

Je vous ouvre.Epions : car, ou bien je suis yvre,
Ou bien :

CRISPIN descendu.

Ou bien : J’ai fait défense au coquin de me suivre ;
J’en aurois de la honte, il viendra par après ;
Adieu.

Il sort, & met bas la soutane, puis comme Fernand est entré, croyant faire sortir un autre frere, Crispin prend l’occasion, & monte fort diligemment par la fenêtre, & ensuite sort avec Fernand comme si en effet il étoit frere du Médecin.

FERNAND.

Adieu.Je suis ravi d’avoir fait cette paix :
Mais faisons sortir l’autre.

PHILIPIN ramassant la soutane de Crispin.

Mais faisons sortir l’autre.Ah ! je tiens votre guéne,
Doctissime.

CRISPIN en habit de valet.

Doctissime ! Est-il loin ?

FERNAND.

Doctissime ! Est-il loin ? Assez loin.

CRISPIN.

Doctissime ! Est-il loin ? Assez loin.Que de peine,
Monsieur !

FERNAND à Philipin.

Monsieur !Hé bien ?

PHILIPIN.

Monsieur ! Hé bien ?Hé bien, sont-ils deux ?

FERNAND.

Monsieur ! Hé bien ? Hé bien, sont-ils deux ?Ah vraiment…

PHILIPIN montrant Crispin & sa soutane.

Voilà l’un, voilà l’autre.

CRISPIN.

Voilà l’un, voilà l’autre.Ah ! grands Dieux !

FERNAND.

Voilà l’un, voilà l’autre.Ah ! grands Dieux ! Quoi ? comment ?
Que dis-tu ?

PHILIPIN.

Que dis-tu ?Qu’à merveille il grimpe une fenêtre.

FERNAND.

Ah perfide…

CRISPIN.

Ah perfide…Ah ! Monsieur sçachez tout de mon maître,
Le voici.

SCENE XXV. ET DERNIERE.

FERNAND, CLEON, LUCRESSE,
CRISPIN, PHILIPIN, LISE.
FERNAND.

Le voici.C’est Cléon ! c’est ma fille ! ah rusé !
Ce Cléon l’a séduite, & tu m’as amusé,
Médecin de malheur.

CLEON.

Médecin de malheur.Quoi ! Monsieur…

FERNAND.

Médecin de malheur.Quoi ! Monsieur…Je te jure
Que tu l’épouseras, ou je te défigure.

LUCRESSE.

Daignez…

FERNAND.

Daignez…Point de quartier, il sera ton époux,
Ou du moins…

CLEON.

Ou du moins…Cet hymen a des charmes si doux,
Monsieur.

CRISPIN.

Monsieur.Sans affecter compliment ni surprise,
Vous le fait de Lucresse, & moi le fait de Lise,
Confondant tout ensemble & nos biens & les leurs,
Faisons des Médecins, ou Volans, ou Voleurs.

FIN.