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Le Maître d’École sous l’ancien régime

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Le Maître d’École sous l’ancien régime
Revue pédagogique, premier semestre 190648 (p. 339-354).

Le Maître d’École
sous l’ancien régime.


Depuis une vingtaine d’années, de nombreux auteurs ont pris à tâche de retracer l’histoire de l’enseignement primaire dans nos anciennes provinces. Grâce à leurs recherches, on peut se rendre compte de l’état général de l’instruction populaire sous l’ancien régime. Cependant, malgré l’abondance des matériaux, on n’a pas encore tenté, croyons-nous, d’écrire une monographie un peu complète du maître d’école d’autrefois. Ce silence tient sans doute aux conditions essentiellement variables de l’existence de nos devanciers, conditions nées de l’absence d’unité de direction dans l’organisation de l’enseignement. Ici, le maître d’école dépendait de l’autorité civile, là de l’autorité ecclésiastique, ailleurs de l’abbaye ou du principal seigneur du lieu. Dans telle province, il vivait assez facilement grâce aux nombreuses gratifications dont il bénéficiait par l’usage ; dans telle autre, il végétait. Une pareille diversité était bien faite pour rebuter au premier abord ceux qui ont la douce habitude de tout renfermer en quelques formules.

En pareil sujet, l’écueil était de généraliser sans avoir réuni le plus grand nombre de documents possibles, Qu’on ne s’étonne donc pas de voir les citations s’accumuler dans les pages qui vont suivre : cette méthode était la seule rationnelle, la seule qui permit de faire revivre, d’une façon à peu près exacte, la physionomie originale du maître d’école sous l’ancien régime.

Maître d’école et instituteur. — Le mot d’instituteur, par lequel la loi désigne aujourd’hui les maîtres des écoles primaires, dérive de celui d’institution, autrefois synonyme d’éducation. Un chapitre des Essais de Montaigne est intitulé : De l’institution des enfants. Rabelais nous raconte « comment Gargantua fut institué par un sophiste ès lettres latines… » Descartes dira, au xviie siècle : « La bonne institution sert beaucoup pour corriger les défauts de la naissance ». Et La Chalotais au xviiie : « Si l’humanité est susceptible d’un certain point de perfection, c’est par l’institution qu’elle peut y arriver ».

C’est seulement depuis la Révolution que le mot d’instituteur est devenu officiel. Il ne pouvait l’être plus tôt : car le maître de jadis n’était pas réellement un éducateur, au sens pédagogique du mot. Son rôle se bornait à enseigner machinalement le catéchisme, la civilité, la lecture, l’écriture, un peu de calcul. L’explication du catéchisme, d’où l’éducation morale était censée découler, revenait au prêtre. La partie la plus noble comme la plus délicate de nos fonctions lui échappait. Aussi le désignait-on communément par les termes de maître d’école ou de magister, de régent, de recteur, d’écrivain ou de clerc. Encore ce dernier mot se rapportait-il surtout à ses fonctions à l’église paroissiale ; cela est si vrai que le xixe siècle ayant dédoublé l’instituteur-sacristain, le nom de clerc, en Normandie, est resté pour désigner l’employé du culte. La mention de clerc sur les anciens registres des fabriques n’implique donc pas nécessairement l’existence d’une école dans le village ; elle peut se rapporter exclusivement à des fonctions de chantre ou de sonneur de cloches.

Le Nord, et plus spécialement la Flandre, les diocèses de Reims et de Saint-Quentin, avaient leurs coutres, coustres ou custodes. Dans son Histoire de Roubaix, M. Leuridan donne la liste des coutres de cette ville depuis le milieu du xve siècle ; ils étaient chargés d’instruire la jeunesse et jouissaient d’une maison dite de la coutrerie sur un fonds appartenant à l’église, comme en Normandie les clercs jouissaient de la maison cléricale, ailleurs les régents ou recteurs de la maison rectorale.

Pour la première fois, nous rencontrons le mot d’instituteur dans les statuts synodaux publiés en 1697 par l’évêque d’Amiens : « Nous défendons à toutes personnes de remplir les fonctions d’instituteurs ou d’institutrices sans que nous les ayons examinées sur leur religion, leurs mœurs et leur capacité ». Condorcet lui donna entrée dans la langue officielle par son Rapport à l’Assemblée Législative des 20-21 avril 1792.

Recrutement des maîtres parmi le clergé. — Les premiers conciles du : moyen âge enjoignirent aux prêtres de tenir eux-mêmes l’école dans leur presbytère ou dans l’église de la paroisse. Bien que Charlemagne eût sanctionné cette obligation, les écoles de campagne furent bientôt délaissées à des « clercs », classe intermédiaire qui n’était plus laïque et n’appartenait pas encore au clergé. Les clercs trouvaient dans les fonctions de maîtres d’école quelques menus profits qui leur permettaient de subsister jusqu’à l’ordination.

La même considération de lucre explique la présence de membres du clergé séculier à la tête des petites écoles jusqu’à la Révolution. Ce clergé était nombreux, les décimateurs assez peu soucieux de leurs devoirs. Aussi une foule de vicaires et de prêtres se trouvaient-ils réduits à la portion congrue ou au produit aléatoire de quelques messes de fondations. Dans ces conditions, le revenu de l’école n’était pas à dédaigner. Ainsi expliquons-nous ce passage des Statuts d’Angers de 1680 : « Nous ordonnons que, dans les paroisses où il y aura plusieurs prestres, le dernier reçu sera tenu de faire cette fonction, si ce n’est qu’un plus ancien s’offre à le faire, lequel prestre sera tenu de se présenter devant nous pour être examiné sur sa capacité et recevoir notre approbation ». Un bourgeois de Reims, Oudart Coquault, écrit en 1658 : « La plupart d’iceux (des prêtres) üennent escole de petiz enfans, à l’ayde de quoi ils vivent et sans quoi ne pourroient subsister[1] ». Même constatation dans le Midi. Un correspondant de Grégoire lui écrivait du Gers en 1792 : « Les curés sont chargés de l’enseignement presque partout, parce que, à titre de régents, ils jouissent toujours de quelque métairie ou tout au moins de quelque grande pièce de terre qui suffirait au maintien d’une famille honnête[2] ».

En Bretagne, « des prêtres n’ayant qu’un faible revenu réunissaient autour d’eux les enfants des villages qu’ils habitaient. » En 1781, dans l’évêché de Quimper, sur 50 paroisses visitées par l’évêque, 18 étaient pourvues d’écoles, toutes dirigées par des recteurs ou autres prêtres de paroisse[3]. En Normandie, la proportion des maîtres ecclésiastiques dépassait un tiers : 368 sur 855 écoles de garçons en 1710-1717. Toutefois, dans les doyennés du Havre, des Loges, de Fauville et de Saint-Romain, elle était de 13 sur 95 écoles existantes[4]. À Paris, sur 44 maîtres mentionnés dans un arrêt du Parlement de 1625, 21 sont des prêtres. Par contre, dans l’Est et la région de Bordeaux, presque tous les maîtres étaient laïques.

Ainsi, d’une façon générale, les maîtres ecclésiastiques formaient la minorité, et leur nombre ne cessa de diminuer à mesure que le clergé s’enrichit. À défaut de prêtres, les communautés durent se contenter des laïques qui s’offraient à leur succéder[5].

On se demandera quelle pouvait être la valeur de l’enseignement donné par les membres du clergé. Le correspondant de Grégoire déjà cité s’exprimait ainsi : « Ces messieurs les Curés font mine de faire dire la leçon à tous les enfants qui se présentent, et dans le fait ils se bornent à enseigner une ou deux fois à servir la messe. Ces pauvres enfants qui sont déjà utiles à leurs parents ont la constance de revenir chaque jour chez leur curé durant quatre, cinq et quelquefois six ans, et jamais ils ne savent lire ». — Un autre correspondant du Lot-et-Garonne, dont l’impartialité paraît moins sujette à caution, affirme que ces maîtres « se distinguaient par le zèle et l’assiduité pour apprendre aux enfants leurs devoirs envers Dieu et envers le prochain » ; mais ils négligeaient l’instruction proprement dite, si bien qu’à son avis, ceux qui savaient lire ne formaient pas le douzième de la population, proportion peu exagérée, car les statistiques de Maggiolo accusent pour cette région une moyenne de 14,5 pour cent de conjoints ayant pu signer leur acte de mariage.

À Paris, un arrêt du Parlement du 7 février 1654 défendit de choisir des prêtres habitués pour les fonctions de maîtres d’école « à cause de la résidence qu’ils ne peuvent donner à l’église et à l’école ». Pour le diocèse de Rouen, il nous suffira de renvoyer aux procès-verbaux des visites épiscopales où se répète, à l’état de formule, cette plainte de l’archevêque : « Le vicaire tiendra les petites écoles, — ou les tiendra plus exactement, à peine de saisie de son temporel. » De son côté, M. Léon Boutry a trouvé mention, dans un procès-verbal d’enquête au bailliage criminel d’Alençon, d’une classe dirigée par un prêtre habitué. Un élève âgé de seize ans en était sorti sans savoir lire, et trois enfants de quatorze ans déclaraient ne savoir signer. Un enfant de douze ans commençait à former ses lettres[6].

En 1789, les cahiers du tiers fournissent nombre de doléances dans le style de celle des Andelys : « Nous demandons que des écoles soient établies pour la jeunesse, vu que les chapelains ne veulent rien faire. » On pourra citer de-ci de-là des vicaires qui poussaient le zèle jusqu’à enseigner le latin aux enfants des moindres villages. Il est plus naturel de supposer que, dans l’ensemble, les classes des ecclésiastiques n’étaient pas les meilleures : les pratiques religieuses y devaient être l’objet de soins excessifs et les exercices scolaires trop souvent sacrifiés aux soins du ministère auquel, en définitive, les maîtres étaient voués avant tout.

Tentatives de recrutement régulier. — L’une des tentatives les plus intéressantes faites pour le recrutement régulier des maîtres d’école fut l’œuvre d’un prêtre de Lyon, Charles Démia. Nommé en 1674 directeur général des écoles de cette ville, Démia reconnut que la plupart des maîtres et maîtresses « ignoraient non seulement la méthode de bien lire et de bien écrire, mais encore les principes de la religion ; que parmi les maîtres il y en avait d’hérétiques, d’impies, et qui avaient exercé des professions infâmes, sous la conduite desquels la jeunesse était dans un danger évident de se perdre ». Pour mettre fin à cet état de choses, Démia établit un séminaire de jeunes gens destinés à exercer, dans les paroisses, la double fonction de vicaires et d’instituteurs. De bonne heure, il eut à éprouver de nombreuses défections, même parmi ses meilleurs sujets, et son entreprise échoua.

Instruit par son exemple, l’abbé de La Salle exigea de ses disciples une science beaucoup plus modeste, et son institut se recruta plus facilement, surtout quand il eut modéré pour les frères les dures macérations qu’il s’imposait à lui-même. Une autre institution non moins curieuse fut celle des frères Saint-Antoine, à Paris, qui se consacrèrent à l’instruction gratuite des enfants pauvres tout en conservant le costume laïque[7].

Si considérable qu’ait été pour l’époque l’influence de ces sociétés enseignantes, leur action ne franchit pas les limites de quelques grandes villes. En Haute-Normandie, les frères de La Salle ne s’établirent qu’à Rouen et à Dieppe. En 1789, ce même institut comptait à peine mille associés dirigeant 120 écoles environ. Les petites écoles de campagne ne devaient trouver leurs véritables maîtres que parmi l’élément séculier. Là encore nous rencontrons l’abbé de La Salle. En 1684, il ouvrit à Reims un séminaire de maîtres d’école où 25 élèves furent bientôt réunis. L’année suivante, à son instigation, le duc de Mazarin, neveu du Cardinal, fonda dix-sept bourses dans la maison des frères de Rethel, en faveur de jeunes hommes « destinés à être instruits des véritables maximes des pédagogues chrétiens, comme aussi à bien lire, à bien écrire et à chanter pour pouvoir aller ensuite instruire la jeunesse dans les terres, paroisses, bourgs et villages de son duché de Mazarin ». Cette nouvelle école normale fut transférée dans le marquisat de Montcornet, au diocèse de Laon. Dans la suite, La Salle fonda un établissement du même genre à Paris, et il y joignit une école primaire, sorte d’école d’application, où les élèves s’exerçaient à la pratique de l’enseignement[8].

Si louables qu’aient été ces efforts, il leur manquait, comme à toute l’organisation scolaire d’ailleurs, l’impulsion d’une administration centrale. En vain l’abbé de Chennevières demandait-il à Louis XIV, au lendemain de la Révocation, d’établir dans chaque diocèse un séminaire de maîtres d’école ; ce projet n’eut pas de suite. En 1783, l’abbé Courtalon reprend la même idée et esquisse l’organisation d’écoles normales diocésaines : « Il y aurait un maître d’écriture et d’arithmétique, un maître de plainchant, et l’ecclésiastique (le directeur nommé par l’évêque) serait chargé des conférences sur la religion suivant l’ordre du catéchisme[9] ». Bref, malgré quelques essais peu durables, comme le séminaire de maîtres d’école établi par Drouas, évêque de Toul (1754-1773) dans sa ville épiscopale[10], comme aussi cette petite école normale qu’une dame Guillard, marchande drapière à Dunkerque, fonda à Saint-Wast (Pas-de-Calais) par une rente de 8 000 l.(1753)[11], — Bernardin de Saint-Pierre pouvait avec raison formuler ce « vœu d’un solitaire » : « Avant d’établir une école de citoyens, on devrait établir une école d’instituteurs. J’admire avec étonnement que tous les arts ont parmi nous leur apprentissage, excepté le plus difficile de tous, celui de former des hommes. »

Titres de capacité. — « Nous n’avons point de lois qui demandent d’autres qualités dans les maîtres d’école que la bonne doctrine et les mœurs », dit Guy du Rousseaud de la Combe[12]. Cependant, ce même juriste cite un arrêt du Parlement de Paris du 7 février 1754 exigeant des maîtres d’école de cette ville la qualité de maîtres ès arts. Exception était faite pour les écoles de charité tenues par des prêtres habitués pour les garçons, et par des sœurs pour les filles. Ainsi cet arrêt, dans une intention excellente sans doute, tendait à exiger des directeurs d’école le titre que, suivant Étienne Pasquier, on demandait aux régents ou professeurs de collège. Mais il est certain que cette prescription, si elle fut appliquée, ne s’étendit pas à la province. Chaque évêque, dans son diocèse, resta libre de fixer les conditions à remplir pour obtenir l’autorisation de tenir école.

Examens et concours. — Quand un examen avait lieu, il portait généralement sur l’instruction religieuse du candidat, le plain-chant, la lecture des livres et des manuscrits, l’écriture, l’orthographe et les premières règles de l’arithmétique.

Comme exemples, nous citerons d’abord divers règlements de l’évêque de Toul. En 1695, il ordonne que l’examen comprendra « la lecture, l’écriture, la doctrine chrétienne, le chant ecclésiastique et l’office divin ». L’arithmétique n’apparaîtra qu’en 1717, En 1719, le même prélat fait imprimer une Méthode familière pour les petites écoles. « Il est nécessaire, y lisons-nous, que les maîtres et maîtresses sachent lire couramment d’une voix nette, unie et naturelle, dans les imprimés et dans les manuscrits, en français et en latin, qu’ils sachent bien écrire, c’est-à-dire non seulement former de beaux caractères, mais encore suivre les règles de l’orthographe…, et l’arithmétique qui peut se pratiquer par la plume et les jetons. »

En Flandre, les aspirants devaient produire une composition en orthographe sur le flamand et le français, deux règles d’arithmétique, des problèmes usuels et une page d’arithmétique. À Bourbourg (Nord), en 1764, l’épreuve d’écriture comportait trois lignes en « petit gros », deux lignes de moyenne, deux lignes de ronde et huit lignes de fine. En arithmétique, on demandait d’effectuer l’addition de six sommes d’argent exprimées en livres, sous et deniers, puis la multiplication de 1500 par 1100 et les deux problèmes suivants :

45 livres coûtent 138 florins, combien coûteront 70 livres ?

Quatre particuliers se sont associés et ont mis en communauté comme suit : le 1er 3490 ; le deuxième 7730; le troisième 5150 et le quatrième 1080 livres. Ils font un bénéfice de 1589 livres. Combien revient-il à chacun proportionnellement à sa mise ?

Sur quatorze concurrents, neuf firent l’addition juste, onze la multiplication, quatre la règle de trois et deux seulement la règle de société[13].

En Picardie, il suffisait au postulant de connaître les principales cérémonies de l’église, de savoir lire et écrire, et de connaître « tout le catéchisme par cœur[14] ».

En Normandie, le maître était accepté par les paroissiens ou le curé s’il se montrait « habile homme, tant pour l’écriture que pour le chiffre[15] », capable d’enseigner « les éléments de la doctrine chrétienne » (Anquetierville, 1691), et « même le plainchant à ceux qui auront de la voix » (Baïlly-en-Rivière, 1771). Le 10 mai 1544, le chapitre de Rouen accorde permission à Fremin Bloquet, prêtre, d’enseigner à Martinéglise « l’art d’écriture et dépendances, conformément au modèle par lui présenté ». La règle de trois était le summum de ses connaissances. Bref, comme à Eslettes, le clerc enseignait « pour autant qu’il en savait, c’est-à-dire peu de chose ».

Dans le Vermandois, on n’était pas plus difficile. Le 6 avril 1684, l’assemblée des habitants de Ribemont reçoit un clerc qui lui a paru excellent « tant pour le chant que pour l’écriture ». Ceux de Corbeny, étant appelés à choisir entre deux candidats, « entendent leurs voix et chant et examinent leurs cahiers et règles d’arithmétique[16] ». Ainsi, l’ampleur de son registre était le : premier mérite d’un bon magister. Même constatation dans le diocèse d’Autun : en 1728, les paroissiens de Molinot « ont un maître d’école capable d’instruire les enfants pour lire et écrire, mais qui ne sçait pas chanter, de sorte qu’il ne paroit guère convenir à la communauté[17] ». Voici même, dans le diocèse de Lyon, des maîtres qui enseignent sans savoir lire ! Celui de Feurs ne sait pas écrire. « Il est fort ignorant, ajoute le délégué de l’archevêque, mais fort sage et conduit les enfants à la messe. » On ne lui en demandait pas davantage[18]. Les habitants de Trévilly (Yonne) ne furent pas aussi conciliants ; ils se plaignirent à l’archidiacre d’Avallon en termes énergiques : « L’instruction manque trop à nos enfants, dirent-ils, et il est impossible qu’une bête remontre à d’autres ».

Par exception, nous relevons dans une ordonnance de 1568 pour les comtés de Montbéliard et de Richeville, un passage tendant à réclamer du candidat une certaine aptitude pédagogique : « Que le maître puisse enseigner les enfants à cognoistre les lettres, à conjoindre les syllabes… et qu’il sçache même la manière d’instruire les enfants en ces choses. »

L’engagement des maîtres ne se faisait pas partout de la même façon. En Champagne, vers la fin de l’ancienne monarchie, les postulants recouraient aux « offres et demandes d’emploi » des feuilles périodiques. On lit dans le Journal de Troyes du 29 décembre 1784.

AVIS

Un jeune homme, d’une conduite régulière, voudrait trouver dans quelque village du diocèse une place de maître d’école qui, jointe à son industrie, pût le faire vivre et l’entretenir honnêtement. Il possède assez bien le plain-chant ; il sait les premières règles de l’arithmétique ; sans avoir une bonne écriture, il a de fort bons principes ; du reste, il a beaucoup d’intelligence et d’émulation, une bonne volonté et des dispositions qu’il est en âge de mettre à profit, car il n’a que dix-neuf ans. S’adresser au Bureau ou à M. le curé de Dierrey-S-P.

Nous relevons maintenant l’annonce insérée par une communauté en quête de magister :

Messieurs les notables de la ville de Vendeuvre font savoir que la place de maître d’école de ce lieu est vacante, que les personnes qui voudraient y prétendre peuvent se présenter d’ici à Pâques prochain pour être examinées par M. le Curé ou autres notables préposés à cet effet, qui jugeront de leur capacité et des preuves de bonnes mœurs qui leur seront fournies.

Dans le sud-ouest, l’habitude de fermer l’école pendant la durée des travaux champêtres avait transformé les maîtres les plus sédentaires en gens nomades, toujours à la recherche d’une position sociale. En Provence, les villages un peu importants avaient des maîtres d’école depuis la Toussaint jusqu’à Pâques ; ils arrivaient du Briançonnais à la fin de l’automne, quand les travaux étaient finis dans leurs montagnes. « C’est une chose curieuse, dit en l’an IX le préfet des Hautes-Alpes, de voir dans les foires considérables de l’automne ces instituteurs couverts d’habits grossiers, se promener dans la foule et au milieu des bestiaux de toute espèce, ayant sur leur chapeau une plume qui indique et leur état et leur volonté de se louer pour l’hiver moyennant un prix convenu. Il est peu d’hommes qui utilisent autant leur existence et qui soient plus respectables aux yeux de la société[19]. »

Lorsque plusieurs candidats se présentaient pour la même école, ils s’abouchaient avec le syndic du lieu, lequel les invitait à formuler leurs conclusions par écrit sur la porte de l’église paroissiale. Cette affiche manuscrite, entièrement rédigée de la main des postulants, contenait, en résumé, le programme de l’enseignement qu’ils étaient capables de donner. Ils y déployaient leurs talents calligraphiques et se défiaient pour le débat ou concours public, la dispute, au jour fixé par les magistrats de la paroisse ?. Dans la ville de Digne, en 1546, la régence des écoles était mise au concours dans les termes suivants :

MM. les Consuls aient à faire savoir à tous ceux qui veulent les écoles de la présente ville, que les écoles se bailleront au premier jour de dimanche après la foire franche (de la Toussaint) au plus sçavant d’eux.

Le débat avait lieu dans l’église. Il engendrait parfois de curieux incidents. En 1737, les consuls de Sisteron font publier, à son de trompe, que la « disputte » des écoles aura lieu le 15 octobre. Sont convoqués pour y assister : les consuls, le greffier, le crieur, un bachelier, et… un chirurgien. Deux candidats se présentent : Bellier, perruquier de Sisteron, et Ailhaud, chapelain des Pénitents. Le chapelain déclare ne pouvoir se disputer avec un perruquier attendu que son titre de prêtre et la recommandation de l’évêque de Gap doivent l’en dispenser, et il proteste énergiquement. Il s’offre à « régenter » pour 51 livres. Mais les consuls répliquent que, pour se conformer aux ordres du roi[20], il faut qu’il y ait dispute. Sur le refus du sieur Ailhaud, la commission passe « à l’interrogat » de Bellier, qui tient bon. On l’interroge sur sa foi et sa doctrine, et il répond pertinemment sur tous les faits, même sur les principes de la grammaire. Il explique à livre ouvert, dans le bréviaire, un sermon du pape saint Léon. Il répond sur l’arithmétique. On le fait lire, écrire en gros et petit caractère, et à l’unanimité, il est investi de la régence des écoles pour 90 l., prix habituel[21].

Nous retrouvons les mêmes concours entre magisters dans d’autres parties de la France. Tantôt, la commission d’examen est composée du conseil tout entier des paroissiens ou chefs de famille, tantôt de quelques notables, tantôt du curé seul. Dans le premier cas, l’élection du magister se faisait à la pluralité des suffrages, en présence d’un officier public qui en dressait acte. Le spectacle devait être curieux de ces paysans, la plupart illettrés, jugeant de la capacité de ceux qui devaient instruire leurs enfants. Quant aux candidats, leur habileté était de s’ingénier, par l’exhibition de tous les talents possibles, à gagner les suffrages des villageois. L’un s’engage « à enseigner la jeunesse à lire, à écrire, à jouer du luth, de la mandore et autres perfections », pendant que sa femme instruira les petites filles « en plusieurs poincts d’esguille et principalement en nuances[22] ». En 1763, à Auxerre, Philippe Thibout, arithméticien, et sa femme, prêtent serment, le mari de bien enseigner l’écriture, l’arithmétique et la danse, la femme la lecture aux enfants[23].

L’examen n’était guère plus sérieux quand l’assemblée déléguait quelques-uns de ses membres pour interroger le candidat, À Fontenay-le-Fleury, en 1714, le jury se compose du curé escorté de douze notables dont sept déclarent ne savoir écrire ni signer. À Brétigny (Seine-et-Oise), 27 chefs de famille sur 120 environ se réunissent en l’étude du notaire pour nommer un maître ; ce sont eux « la plus grande et saine partie des habitants » : 13 seulement savent signer. Il nous serait facile de multiplier ces exemples.

Comme toute élection qui se respecte, celle du magister pouvait devenir l’occasion de profondes divisions dans la paroisse.

La minorité s’opiniâtrait et envoyait ses enfants au recteur de son choix. Les parents des camps opposés s’injuriaient dans la rue, les écoliers se livraient des batailles rangées, et dans le sanctuaire, les magisters se disputaient le lutrin. Finalement, les habitants portaient leurs suffrages sur un tiers, et la paix était rétablie[24]. Le plus simple et le meilleur, en définitive, était de laisser au curé le soin de choisir son magister sous réserve de l’approbation des paroissiens. Tel était le mode de nomination usité en Normandie[25]. Restait à obtenir l’autorisation de l’évêque, et parfois celle de l’intendant.

D’après ce qui précède, on conçoit que l’instruction générale des maîtres était fort variable. On ne saurait donc formuler à cet égard de jugement catégorique, ni trop suspecter certaines délibérations de paysans ignares, résolus de se débarrasser d’un magister qui a cessé de leur plaire[26]. Si beaucoup de maîtres étaient plutôt faibles, on remarquait aussi une élite ayant pleinement conscience de son rôle : les doléances présentées en 1789 par les instituteurs de Bourgogne en sont une preuve éclatante[27].

Baux et contrats. — Les obligations réciproques du maître d’école et des paroissiens étaient consacrées par un bail ou contrat, passé devant notaire et valable soit pour un an, soit pour 3, 6 ou 9, ou jusqu’à résiliation de l’une des parties. A Paris, le chantre n’accordait de lettres de provisions que pour un an ; chaque maître ou maîtresse devait rendre sa permission au synode, sans pouvoir résigner sa fonction en faveur de qui que ce fût[28].

Les contrats annuels étaient particulièrement préjudiciables à la stabilité des maîtres et par suite à la prospérité des écoles. Dans la subdélégation de Saint-Mihiel, c’était une « navette continuelle ». Le contrat, il est vrai, pouvait être renouvelé en faveur du même titulaire, mais chaque réélection était l’occasion de sollicitations de toute nature. « Le maître d’école, dit le curé d’Uguy, en Lorraine, est obligé de se présenter à la communauté tous les ans, deux mois avant la Saint-Jean. Et tous les ans on fait un nouveau traité. Pour l’obtenir, ce sont des cabales, des flatteries et souvent des buvettes pour apaiser les mauvais et les mécontents ». « Le maître d’école, dit un autre curé, paye vin et eau-de-vie, se réconcilie par là avec la communauté, et recommence tous les ans à nouveaux frais[29]. » Le fait était si fréquent que l’évêque de Toul, par un mandement du 7 avril 1717, déclara indignes et incapables de l’emploi de maîtres d’école ceux qui useraient de brigues, buvettes et autres mauvaises pratiques.

On ne buvait pas moins au pays de la pomme où les ligues antialcooliques n’’existaient pas davantage. Il était d’usage que le maître payât sa bienvenue aux habitants sous forme de copieuses rasades d’eau-de-vie, et l’on trouvait cela très naturel ! Tel ce « chétif maître d’école » du Tilleul, près d’Étretat, appréhendé par les employés des aides pour avoir consommé, en vingt-trois jours, 37 pots d’eau-de-vie ! Le subdélégué du Havre le défendit près de l’intendant, alléguant que ce clerc, nouvel entrant dans la paroisse, avait peut-être, pour « achalander son école », versé de l’eau-de-vie aux laboureurs. En 1783, deux maîtres des environs de Rouen furent également poursuivis parce que leur consommation familiale dépassait de beaucoup ce qu’il était permis d’absorber à un simple contribuable, et laissait à supposer qu’ils vendaient l’eau-de-vie à muchepot, c’est-à-dire en cachette.

Dans cette même province, le bail était simplement constaté par la délibération de la communauté signée des assistants. Sa durée était illimitée. Dans ces conditions, un maître pouvait accomplir toute sa carrière dans le même village, et avoir son fils pour successeur, si bien que ces fonctions semblaient à la longue l’apanage de certaines familles. Dans l’arrondissement du Havre, on cite les Duflo, les Bion, les Leroux, les Lecanu, etc.

Il en était de même dans les régions riches de la Champagne et dans le Nord. À Villiers-Herbisse (Aube), la charge de magister se perpétue dans une famille de 1672 à 1799[30]. En 1787, Jean Lamy était recteur d’école à Grignon depuis cinquante ans. En 1755, meurt à Crochte (Nord) Van Daele, clerc depuis quarante-sept ans. À Godewaersvelde, les Varlet sont instituteurs de père en fils de 1727 à 1878. À Merckeghem, J.-B. Devulder, clerc, est remplacé par son fils en 1714, et plus tard par son petit-fils, si bien que leurs descendants sont encore appelés les coutres. On montre, dans l’église de Bambecque (Nord), la pierre sépulcrale de Romain den Ameele, clerc-maître d’école (coster-schoolmeister) mort en 1722 après avoir exercé cinquante-neuf ans dans ce village[31].

Traitements. — Les déclarations royales des 13 décembre 1698 et 14 mai 1724 prescrivirent des allocations annuelles de 120 l. aux maîtres et de 100 1. aux maîtresses d’école. L’époque de persécution religieuse où elles furent promulguées indique suffisamment dans quel esprit elles étaient conçues. Quoi qu’on ait dit, ces déclarations demeurèrent lettre morte[32]. De 1750 à 1765, à quatre reprises, le clergé revint à la charge et réclama l’application exacte des deux déclarations royales. Le roi répondit par de vagues promesses : en 1750, « je ferai examiner la demande du clergé ». En 1755, « Sa Majesté prendra les mesures qu’elle estimera les plus convenables pour y pourvoir ». En 1760, « le roi ordonnera pour cet article les ordres qu’il jugera nécessaires ». En 1765, « je favoriserai toujours l’instruction publique, et je me ferai un devoir de confirmer les établissements utiles qui se formeront par des contributions volontaires[33] ». Les habitants ne devaient donc compter que sur eux-mêmes pour assurer le traitement de leur maître d’école.

Là encore nous allons observer la plus grande diversité d’une province à l’autre. Le plus souvent, le maître était logé par la communauté, ou recevait une indemnité représentative de logement. Ses appointements comportaient : un traitement fixe payé par la communauté, les droits d’écolage payés par les parents des élèves, le casuel de l’église et divers revenus accessoires.

S’il cumulait les revenus, le maître cumulait aussi les fonctions, et l’examen de son budget nous initiera en même temps à ses multiples occupations journalières.

Traitement fixe. — Le traitement fixe était généralement déterminé par le conseil des paroissiens, et prélevé sur le Trésor de la fabrique, alors le seul budget communal. Son montant variait très sensiblement d’une paroisse à l’autre. En Haute-Normandie, il excédait rarement 200 l. par an, soit environ 500 francs de notre monnaie[34]. Parfois, au lieu d’être payé par la fabrique, le traitement fixe était prélevé sur les paroissiens à raison de tant par feu, ou, ce qui était plus équitable, à raison de tant par acre de terre, ou encore au marc la livre de la taille royale.

Une coutume analogue existait en Bourgogne. M. Charmasse cite des paroisses où l’on payait 40 sous par laboureur et 20 sous par manouvrier, ou 1 l. 10 s. par laboureur et 10 s. par veuve ou manouvrier[35]. À Thomirey ; Côte-d’Or), en 1773, chaque laboureur paye 4 l. 2 s., les demi-laboureurs 2 l. 12 s., et les manouvriers 1 l. 10 s. À Saux, dans le même département, le manouvrier devait 16 s., la veuve 8 s., et le laboureur deux boisseaux de froment. Dans l’Aube, la cotisation variait de 3 à 10 sols par feu au commencement du xviiie siècle ; les manouvriers payaient moitié prix, et les demi-ménages, les veuves probablement, payaient 2 s. 6 d.[36].

En outre, le maître jouissait souvent des produits d’un jardin attenant à la maison d’école. En Normandie, il avait droit aux fruits du verger et à la coupe de l’herbe qui croissait parmi les tombes. En Lorraine, chaque habitant lui donne une gerbe de blé et une d’orge, avec une portion dans les bois comme un habitant, « laquelle les habitants qui ont des escolliers promettent de luy en charroyer chacun un chariot en le coupant et le façonnant[37] ». En lui accordant une parcelle de biens communaux, on pouvait déterminer le nombre de vaches ou de brebis qu’il devait y laisser pâturer. En Bourgogne, les maîtres d’école n’avaient aucun droit de cette nature, et ils s’élèveront en 1789 contre l’exclusion dont ils étaient les victimes à cet égard.

Cette répartition du traitement du magister sur tous les habitants n’était pas, comme on l’a dit, un premier pas vers l’instruction devenue un service public, en d’autres termes vers l’instruction gratuite comme on l’entend de nos jours. Ce traitement n’excluait jamais les droits d’écolage et rétribuait surtout le service de l’église. De là ces mentions particulièrement fréquentes dans le diocèse d’Autun : « Le maître d’école fait bien son devoir et n’a point d’enfants à enseigner[38] ». « Nous a été rapporté que dans ladite paroisse il y a un maître d’école et point d’écoliers[39]. » « Les enfants n’ont point d’éducation, quoiqu’il y ait un maître d’école sur les lieux, à qui personne n’envoie des écoliers crainte de le payer[40]. » « Le maître d’école aide à chanter au chœur, et l’on est sur le point de convenir avec lui pour instruire les enfants[41]. » Au contraire, dans le diocèse de Bordeaux où les régents n’étaient jamais sacristains, ils n’avaient d’autres gages que les rétributions scolaires. Aussi, les villages sans école y étaient-ils nombreux. L’’allocation paroissiale constituait donc moins un traitement principal qu’un supplément nécessaire qui permettait aux magisters de subsister. Sous ce rapport, leur situation était assez comparable à celle des instituteurs de campagne, obligés de se faire employés municipaux pour équilibrer tant bien que mal leur modeste budget.

Droits d’écolage. — Les droits d’écolage ou casuel étaient payés chaque mois par les parents des élèves. Ils variaient suivant le degré d’avancement de ces derniers. En Normandie, ils étaient en moyenne de 4 sous pour la lecture, de 6 à 8 sous pour l’écriture, de 10, 12 ou 15 sous pour l’arithmétique et le plainchant. Il paraît naturel que le versement de ces cotisations ait dû se faire par l’intermédiaire des élèves ; cependant le clerc se rendait en personne de ménage en ménage pour y tendre la main, et c’est afin d’éviter cette corvée, humiliante pour leur vicaire-instituteur, que les habitants d’Orival (Seine-Inf.) lui accordèrent 200 l. en 1733.

La méthode d’enseignements successifs étant partout la même, on observe un semblable système de rétribution dans toutes les parties de la France. En Flandre, les élèves payaient 3 à 9 patars, le patar valant six centimes et demi, et le traitement du coutre pouvait atteindre 300 I. En Seine-et-Marne, le tarif était de 6 s. pour la lecture, 8 pour la lecture du latin, 10 pour le latin et le français, 10 pour l’écriture et l’arithmétique. Dans l’Yonne, les catégories de payants étaient plus nombreuses ; à Lucy-le-Bois, en 1782, on voyait des élèves à 4, 6, 8, 10, 12 et 15 sous. L’’instruction coûtait moins cher dans les régions pauvres de la Haute-Marne et ne dépassait pas 5 s. pour l’arithmétique et le plainchant. Mais on payait davantage dans la région de Bordeaux parce que les écoles étaient plus rares ; le tarif variait même suivant la condition des parents : à Castillon, en 1759, les enfants du « bourgeois » devaient 15, 30 et 40 s. par mois, ceux de l’ « artizan », 10, 20 et 30 sous.

Ainsi, là encore et jusque dans un même diocèse, il y avait manque d’uniformité. L’évêque d’Autun tenta d’y remédier en 1685 pour les écoles de son vaste évêché. On lit dans le règlement qu’il publia à cette date :

« Art. 5. — Les écoliers qui apprennent seulement à lire doivent payer 5 sols par mois ; ceux qui apprennent à lire et à écrire, 10 sols ; ceux qui apprennent en outre l’arithmétique et le latin, 15 sols. Ce qui se doit entendre pour les villes, car, dans les villages, on aura égard à la coutume et à la pauvreté des lieux. »

Les maîtres de Paris avaient reçu des instructions analogues. « Il faut, dit l’École paroissiale, donner liberté de demander le salaire juste et raisonnable, aux uns plus, aux autres moins, ce qui doit se régler selon ce que les enfants apprennent, selon la faculté des parents et selon la coutume raisonnable des lieux. »

En définitive, les droits d’écolage constituaient une lourde charge pour les familles auxquelles la gratuité n’était pas accordée. On notera, en effet, qu’il faudrait doubler ou tripler les tarifs qui précèdent pour avoir leur équivalence en monnaie de nos jours. Rien d’étonnant d’après cela que des parents se soient abstenus d’envoyer leurs enfants à l’école pour échapper à ces rétributions onéreuses[42] ; le maître, de son côté, craignait de diminuer ses revenus en abaissant le taux de ses leçons.

Rétributions du culte. — En sa qualité de sacristain, le maître d’école assistait à tous les offices de l’église. Cette foncPage:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/465 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/466 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/467 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/468 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/469 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/470 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/471 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/472 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/473 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/474 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/475 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/476 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/477 Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/478

« On les regarde (les maîtres d’école) comme de vils mercenaires auxquels chaque communauté donne un gage comme au dernier des valets… Quoique vivant très sobrement, ils ont à peine leur subsistance. Ils n’ont aucune part des biens communaux et ne jouissent d’aucuns privilèges locaux. Ils sont regardés comme des étrangers et non comme des citoyens et n’ont point entrée aux assemblées des communes. Comme gens errants et sans aveu, ils n’y ont aucune voix délibérative[43]… »

L’égalité civile et politique, la Révolution nous l’a donnée comme à tous les autres citoyens. En même temps, elle a fait de l’instituteur un homme nouveau. En lui confiant la première éducation du futur citoyen, le législateur lui a imposé de lourdes responsabilités ; aussi l’a-t-il émancipé de la domination jalouse de l’Église pour le prendre sous sa protection. Il a relevé sa dignité morale au niveau de son rôle social. Ce dernier progrès, on le sait, restera l’honneur de la troisième République.

A. Lechevalier.
Instituteur à Cuverville-en-Caux.



  1. A. Babeau, La ville sous l’ancien régime, p. 484.
  2. Gazier, Lettres à Grégoire sur les palais de France, p. 95.
  3. L’abbé Piéderrière, Les petites écoles avant la Révolution dans la province de Bretagne (Revue de Bretagne, août-octobre 1877, p. 217).
  4. De Beaurepaire, Recherches sur l’instruction publique dans le diocèse de Rouen avant 1789, t. II, p. 406-407.
  5. « On ne peut trouver de prêtre pour faire la fonction de clerc, disent en 1757 les paroissiens de Grémonville (Seine-Inférieure) ; mais il se présente un clerc laïque capable de tenir les écoles, de donner l’instruction convenable, de chanter à l’église et de la tenir propre. » (Archives de la Seine-Inférieure.)
  6. Léon Boutry, L’enseignement primaire et la monarchie, p. 42.
  7. Voir Renaud (le citoyen), Mémoire historique sur la communauté Saint-Antoine et vies de plusieurs frères, Paris, 1804 (au Musée pédagogique).
  8. Compayré, Histoire de la pédagogie, p. 218.
  9. Albert Babeau, L’instruction primaire dans les campagnes avant 1789, d’après des documents tirés des archives communales et départementales de l’Aube, p. 33.
  10. Schmidt, L’instruction primaire à la campagne en Lorraine, il y a cent ans, d’après l’enquête de 1719, p. 18.
  11. Fontaine de Resbecq, Histoire de l’enseignement primaire avant 1789 dans les communes qui ont formé le département du Nord, p. 61.
  12. Recueil de jurisprudence canonique et bénéficiale, p. 60.
  13. Fontaine de Resbecq, p. 417.
  14. Règlements pour les clercs-lays ou magisters du diocèse d’Amiens, 1776.
  15. Betteville, 1767 (Archives de la Seine-Inférieure, G 8016).
  16. Danglehem, instituteur, Histoire de Ribemont. — Mézitres, instituteur, Monographie de Corbeny.
  17. Charmasse, État de l’instruction primaire dans l’ancien diocèse d’Autun pendant les XVIIe et XVIIIe siècles, 2e édit., p. 109.
  18. Dictionnaire de pédagogie, t. II, p. 1759.
  19. Mémoire sur la statistique du département des Hautes-Alpes, par le préfet Bonnaire, 5 pluviôse an IX.
  20. V. Rey, L’enseignement primaire dans les États pontificaux de France avant 1789.
  21. Note transmise au Musée pédagogique en 1879, par l’inspecteur primaire de Sisteron, et reproduite par R. Rey, ouvrage cité. — En Béarn, l’examen se passait partie à l’église, partie à la maison commune. À Louvie-Juzon, 1684, l’assemblée « … lou a feit entrar à l’églcise, feit légir et cantar, et ensuite esten rentratz en l’assemblade, lou auren feit escriber et feit far chiffres… » (Sérurier, L’instruction primaire en Béarn, p. 39-40).
  22. Rameau, L’instruction primaire à Mâcon avant 1789, in Revue de la Société littéraire de Mâcon, juillet-août 1873.
  23. Dictionnaire de pédagogie, t. I, p. 274.
  24. Volenay, 1782. — Histoire de Volenay, citée par Charmasse, p. 89-90.
  25. À l’origine, le droit de présenter aux écoles fut considéré, par quelques seigneurs normands, comme une conséquence du droit de présenter à la cure. Cet honneur se négociait comme toute autre dignité. Le 18 août 1460, le curé d’Auvergni acheta des moines de Lire, au prix de 60 sous de rente, le droit de patronage des écoles de la Jeune-Lire (Léopold Delisle, Études sur la condition de la classe agricole en Normandie, p. 179), ce qui permet de supposer que ces écoles n’étaient pas gratuites. — De là parfois des conflits suivis de scènes violentes dont l’école mème était le théâtre. En 145, Guillaume des Hayes, ayant présenté aux écoles de Saint-Paer, Robert de Meynemares, seigneur de Bellegarde, se prévalant des prérogatives de son fief, se rendit dans la maison du maître d’école « accompagné de plusieurs personnes garnies de bâtons invisibles, et là, par force et voies de fait, s’empara de deux grands livres d’études et d’une arbalète appartenant audit maître ». L’affaire fut l’occasion d’un procès devant l’Échiquier de Normandie. (De Beaurepaire, ouvr. cité, t. I, p. 50.)
  26. Villers-sur-Aumale, xviie siècle. — Les syndics et principaux habitants adressent à l’archevêque de La Rochefoucauld un placet contre un magister, du métier de carreleur, qu’ils représentent comme incapable, ne sachant ni lire ni écrire, ni distinguer 1 d’avec 2 ; il avait été reçu par le curé. La plainte fut jugée calomnieuse. — Dans le département de l’Aube, en 1791, les paroissiens de Langayes se plaignent que depuis 39 ans que Guyottot, leur magister, est dans la paroisse, pas un seul enfant n’a appris à lire et à écrire : « Guyottot, ajoutaient-ils, a une habitude à laquelle nous ne pouvons adérer ; c’est de fumer considérablement sa pipe, laquelle est trop occupée par lui. » Cette méchante humeur ne dura pas puisque Guyottot, un humaniste de première force, continuait ses leçons l’année suivante. (Babeau, ouvr. cité.)
  27. Voir Albert Duruy, L’instruction publique et la Révolution, p. 371-372.
  28. Cf. Joly, Traité historique des écoles épiscopales et ecclésiastiques pour les droits des chantres, chancelliers, etc., p. 283.
  29. Matthieu, L’ancien régime dans la province de Lorraine et Barrots ; Schmidt, ouvr. cité.
  30. Babeau, ouvrage cité, p. 18. — Charmasse, p. 91.
  31. Fontaine de Resbecq, ouvrage cité, p. 177, 181, 188, 200.
  32. En 1722, Bossuet, évêque de Troyes, ordonne à tous les curés de faire en sorte qu’il y ait, dans chaque paroisse, même les succursales, un maître d’école ; d’exhorter les paroissiens et de solliciter la charité et la piété des seigneurs à contribuer à cette bonne œuvre qui les intéresse presque tous également. (Statuts synodaux pour le diocèse de Troyes, éd. 1729, statuts de 1722, p. 169.)
  33. Collection des procès-verbaux des assemblées du clergé de France, t. VIII, pièces justificatives, p. 74, 202, 203, 204, 306 et 488.
  34. L’Inventaire des Archives de la Seine-Inférieure fournit de nombreux exemples à l’appui : Ambourville, 1701, le clerc se contente de la somme de 19 l. 13 s. « à la considération que M. le curé s’est bien voulu donner la peine de luy enseigner le latin et lui donner sa nourriture » ; en 1786, le clerc reçoit 120 l, mais il paye 30 l. pour la maison qu’il occupera. — Ancretteville-sur-Mer, 1787, 120 l. par an, — Angerville-la-Martel, 1786, 130 l. par an. — Anglesqueville-la-Bras-Long, 1770, le curé dispose de 200 l. pour un clerc ou un vicaire qui tiendra les petites écoles. — Anquetierville, 1691, le trésor paye 33 l. par an. — Beaunay, 1680, 40 l. — Saint-Pierre-Bénouville, 1680, 50 l. ; en 1739, 30 l. — Betteville, 1767, 40 l. — Beuzeville-la-Grenier, 1762, 42 l. — Ecretteville-les-Baons, 1623, 16 l. — Saint-Martin-d’Ernemont, 30 l. — Grémonville, 1712, 50 l. ; en 1759, 200 l. — Hautot-Saint-Sulpice, 1773, 96 l. — Martainville-sur-Ry, 1779, 48 l., plus 31 l. pour faire le catéchisme le samedi, la prière matin et soir. — Montroty, 1763, 53 l. 2 s. — Ourville, 1693, 50 l. — Petit-Quevilly, 1626, 60 l. — Pommeréval, 1752, 50 l. — Préaux, 1762, 50 l. — Raimbertot, 1787, 40 l., etc.
  35. Marcigny-sous-Thil, 1776, et Montigny, 1757 (Charmasse, p. 189).
  36. Marolles, 13 septembre 1719 (Babeau, p. 25).
  37. Bagneux, 1713. Suivent les signatures des habitants. Le maître d’école devait ensuite obtenir l’agrément du curé qui le formula en ces termes : « Je consens au marché que dessus, à condition que ledit Benoît balaiera l’église toutes les semaines et tiendra l’école exactement depuis les semences Jusqu’à Pâques. » (Maggiolo, De la condition de l’instruction primaire et du maître d’école en Lorraine avant 1589, p. 10-11.)
  38. Sauvigny-le-Bois, 1640.
  39. Pouillenay, 1667.
  40. Châteauneuf, 1708.
  41. Fain, 1667 (Charmasse, ouvrage cité, p. 117, 149, 170, 193).
  42. M. Charmasse cite les exemples suivants : Ouroux-en-Morvan, 1687, plus de mille communiants ; « il n’y a point d’école ; il y a eu un maître, mais les paroissiens n’ayant pus voulu contribuer à son entretien, il a quitté, » — Vernoy, 1704 : « Les habitants s’excusent de ce qu’ils n’ont point de maître d’école sur la misère des temps ». — Martrois, 1681 : « Il n'y a point de maître d’école à cause de la pauvreté du lieu ». — À Billy, Pouillenny, Châteauneuf, on n’envoyait pas les enfants chez le maître d’école « crainte de le payer ».
  43. À citer dans le même sens ce témoignage du subdélégué de Bourmont (1779) : « Les habitants de la campagne regardent les maîtres d’école comme des espèces de valets à gages et ils n’ont pour eux presque aucun égard. » (Schmidt, ouvrage cité, p. 23.)