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Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 2/3-LLDA-Ch14

La bibliothèque libre.
Traduction par Louis Ballin.
Ernest Leroux, éditeur (2p. 277-281).



CHAPITRE XIV


DISCOURS DE DRAUPADÎ


Argument : Draupadî représente au roi qu’il fait tort à ses frères en voulant quitter la royauté, et l’engage à n’en rien faire.


384. Vaiçampâyana dit : Comme le fils de Kountî, Dharmarâja Youdhishthira, ne répondait pas aux différentes paroles védiques, que ses frères lui exposaient,

385, 386. Ô Indra des rois, l’illustre Draupadî aux grands yeux, la plus belle des femmes, issue de noble race, parla au taureau des rois, qui était assis, entouré de ses frères pareils à des lions et à des tigres, comme un (éléphant) roi d’un troupeau est (entouré) des (autres) éléphants.

387. Toujours fière, surtout (en ce qui concernait) Youdhishthira, toujours tendrement aimée par le roi, connaissant le devoir, le voyant (où il était),

388. Cette femme aux larges hanches, que ses douces paroles rendaient extrêmement aimable, après avoir jeté les yeux sur son époux et l’avoir salué, lui adressa ces paroles :

389. Draupadî dit : Ô fils de Prithâ, tes frères que voici, se dessèchent comme des châtakas (sorte de coucou), en te sermonnant à haute voix, et tu ne les approuves pas !

390. Ô grand roi, réjouis, par une bonne parole, ces (hommes) semblables à de grands éléphants affolés, et qui ont toujours eu le malheur en partage.

391. Ô roi, comment, après avoir jadis dit, dans le bois de Dvaita, à ces frères réunis, souffrant du froid, du vent et de l’ardeur du soleil :

392, 393. « Quand, désireux de remporter la victoire dans les combats, nous aurons tué à la guerre Douryodhana, quand nous aurons privé les rois de leurs chars, quand nous aurons détruit les puissants éléphants, quand, ô dompteurs des ennemis, nous aurons jonché le sol de chars et de cavaliers, nous jouirons de la terre qui est remplie de tous les plaisirs,

394. Les souffrances que vous avez éprouvées en habitant les bois, se transformeront en joies, (surtout si), après avoir conquis des offrandes, vous offrez des sacrifices nombreux de diverses sortes. ».

395. Comment, ô le plus vertueux des hommes, après leur avoir tenu ces discours, (viens-tu) maintenant abattre nos courages, ô héros ?

396. Un eunuque ne possède pas la terre. Un eunuque s’acquiert pas de richesses. Un eunuque n’a pas de fils, pas plus que la boue ne sert d’asile aux poissons.

397. Le kshatriya qui n’exerce pas la justice est sans éclat. Celui qui n’exerce pas la justice ne possède pas la terre. Les sujets d’un roi qui n’exerce pas la justice, ne trouvent pas le bonheur, ô Bharatide.

398. L’affection pour tous les êtres, la libéralité, la récitation des védas, l’ascétisme, sont les devoirs particuliers du brahmane et non des rois, ô le plus excellent des rois.

399. Réprimer les (entreprises des) méchants, protéger les gens de bien, ne pas fuir dans les combats, voilà le devoir suprême des rois.

400. Le roi qui connaît ses devoirs, a-t-on dit, est celui chez lequel on trouve la patience et la colère, la crainte et l’intrépidité, qui donne ou prend, qui châtie ou favorise (selon les cas).

401. Tu n’as conquis cette terre, ni en t’instruisant dans la science sacrée, ni par des dons, ni par de douces paroles, ni par un sacrifice (aux dieux), ni en t’abandonnantà la crainte, ni par des coercitions (ascétiques).

402. Et, ô héros, telle qu’elle était composée, l’armée des ennemis, qui ne pouvait pas être plus terrible, (bien) fournie d’éléphants, de chevaux et de chars, dans laquelle on trouvait les trois éléments (de la force : la force provenant du chef, la force provenant des conseils et celle provenant du courage des hommes), (Roy),

403. Protégée par Drona, Karna Açvatthâman et Kripa, a été détruite par toi. Jouis donc de la terre, ô héros.

404. Le Jamboûdvîpa (la région de Jamboû), comprenant différents districts, ô grand roi, a été (jadis), ô tigre des hommes, soumise à ton sceptre, ô roi.

405. Le Krauñcadvipa (la région de Kraunca), semblable à Jamboûdvipa, situé à l’ouest du grand (mont] Merou, a été soumis à ton sceptre.

406. Le Çâkadvipa (la région de Càka), semblable à Krauflcadvîpa, à l’est du grand Merou, a été soumis à ton sceptre, ô maître suprême des hommes.

407. Ô tigre des hommes, le Bhadràçva, au nord du grand Merou, égal (en importance), a été soumis à ton sceptre.

408. Les dvîpas (régions insulaires), avec les îles intermédiaires, comprenant diverses contrées, ont été soumises à ton sceptre, après que tu as eu pénétré dans l'océan, ô héros.

409. Ô Bharatide, après avoir accompli ces exploits qui passent toute mesure, et après avoir été glorifié par les brahmanes, ô grand roi, tu n’es pas satisfait !

410. Ô Bharatide, témoigne ta satisfaction, à la vue de ces frères semblables à des taureaux en rut, à de puissants éléphants chefs de troupeaux,

411. Tous, vous êtes comparables à des immortels, (tous, vous êtes) les fléaux de vos ennemis, (tous vous êtes) victorieux de vos adversaires ; un seul d’entre vous ferait mon bonheur. Voilà quelle est ma pensée.

412. À plus forte raison, ô tigre des hommes, puisque (tous) ces taureaux des hommes sont mes époux et, qu’à eux cinq, ils sont comme les sens (qui président) aux mouvements de mon corps !

413. Ma belle-mère, qui connaissait le devoir et qui voyait tout, ne m’a pas dit une chose fausse : « Ô Pâñcâlienne, (m’a-t-elle dit), Youdhishthira te donnera un bonheur suprême. »

414. Après que tu as tué plusieurs milliers de rois, ô (toi) dont l’héroïsme est rapide, je vois que l’égarement de ton esprit va rendre vain (ce que tu as fait), ô maître suprême des hommes.

415. Ceux dont le frère aîné est fou, imitent (sa folie). Ô grand roi, par suite de l’égarement de ton esprit, tous les fils de Pândou ont l’esprit égaré.

416. Certes, si tes frères n’étaient pas insensés, ô roi, ils t’enchaîneraient avec les impies, et ils gouverneraient la terre.

417, 418. Le fou qui agit comme (toi), ne parvient pas à faire son salut. Il faut traiter avec des parfums, des collyres et des sternutatoires, celui qui suit une mauvaise voie.

Moi que voici, je suis, en ce monde, la plus vile des femmes,

419. Puisque, même privée de mes fils, je désire vivre, ô excellent Bharatide. Que les paroles de ces (héros), qui s’efforcent (de te convaincre), ne soient pas vaines, non plus que (celles que) je (t’adresse) maintenant.

420, 421. En abandonnant la terre entière, tu es l’artisan de ton malheur. Ô roi, tu resplendis comme Mândhâtar et Ambarisha, qui sont considérés comme les deux plus excellents rois (qui aient paru) dans le monde. En protégeant tes sujets selon la loi, gouverne la divine terre,

422, 423. Avec ses montagnes, ses bois et ses îles. Ne t’abandonne pas à la folie. Offre des sacrifices de différentes sortes, combats les ennemis et donne aux brahmanes des richesses, des aliments et des vêtements, ô le plus grand des rois.