Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 2/3-LLDA-Ch27

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Traduction par Ballin, L..
Paris E. Leroux (2p. 335-338).



CHAPITRE XXVII


DISCOURS DE VYÂSA


Argument : Youdhishthira renouvelle ses plaintes à propos de la mort de ses parents. Vyâsa lui répond qu’il a tort de s’affliger.


799, 800. Youdhishthira dit : Abhimanyou, (encore) dans l’enfance, ayant été tué dans le combat, ainsi que les fils de Draupadî, Dhrishtadyoumna, Virâta, le roi Droupada, Vasoushena, qui connaissait ses devoirs, le prince Dhrishtaketou, et d’autres Indras des hommes de différents pays,

801. Le chagrin ne m’accorde pas de trêve (et me rend) malade, moi qui, dans mon avidité pour la royauté, suis devenu le très cruel meurtrier de mes parents, et le destructeur de ma propre race.

802. Ce fils de la Gangâ, sur le sein duquel je me suis roulé en riant, a, dans la lutte, été abattu par moi qui convoitais la royauté !

803. Quand je le vis, chancelant, et tremblant, sous les flèches pareilles à la foudre, du fils de Prithâ, devenir l’objet des regards de Çikhandin,

804. Mon esprit fut épouvanté. Quand je vis notre grand oncle, ce lion des hommes éclatants, pareil à un vieux lion couvert de flèches brûlantes,

805. Tomber sur son char, la face en avant, lui ce destructeur des chars (ennemis), vaillant comme un rocher (déraciné) par la tempête, je perdis mes sens.

806. Ce Kourouide qui, l’arc et les flèches à la main, soutint pendant plusieurs jours, à Kouroukshetra, un grand combat avec (Râma) fils de Bhrigou,

807. Le héros fils d’une rivière, (qui), avec un seul char, en vue (d’enlever) des jeunes filles (pour les marier à son frère), défia au combat la caste princière des kshatriyas, réunie à Vârânasî,

808. (Celui) dont les armes brûlantes consumèrent le maître du monde, le terrible roi Ougrayoudha, a été abattu par moi dans la bataille !

809. Celui qui, protégeant en personne le Pâñcâlien Çikhandin, (qui devait être, il le savait, l’instrument de sa) mort, ne l’abattait pas avec ses flèches, a succombé sous les coups d’Arjouna !

810. Ô le plus grand des mounis, quand je le vis tombé à terre, baigné de sang, je fus saisi d’une fièvre terrible.

811, 812. Ce (héros), par qui nous avions été élevés et protégés dans notre enfance, a été mis à mort par moi, pervers, avide de régner, meurtrier de mes gourous, en vue d’une souveraineté de peu de durée ! Et le grand archer (Drona), notre précepteur, honoré de tous les princes,

813. A été, dans ma méchanceté, faussement renseigné par moi au sujet de son fils ! Ce que le gourou me dit, quand je l’approchai, me brûle les membres.

814. Voici ce que me dit le brahmane qui attendait la vérité de ma part : « Ô roi, dis-moi si réellement mon fils est vivant. »

815. En sous-entendant (le mot) éléphant, par méchanceté et dans ma vive convoitise de la royauté, j’en usai faussement avec lui.

816. Me dépouillant de la cuirasse de vérité, je dis à ce gourou : « Açvatthâman a été tué par moi », tandis que c’était l’éléphant de ce nom qui avait péri.

817. Vers quels mondes irai-je, après avoir été aussi pervers et après avoir fait tuer Karna, qui ne fuyait (jamais) dans les combats,

818, 819. Mon terrible frère aîné ? Est-il, (sur terre), un fou plus coupable que moi ? Et pour avoir fait pénétrer, dans une armée protégée par Drona, le jeune Abhimanyou, pareil à un lion né dans la montage, je ne puis plus regarder en face Bibhatsou (son père),

820, 821. Ni Krishna aux yeux de lotus (son oncle) ; je suis un homme coupable d’infanticide. Je pleure aussi sur la malheureuse Draupadî, privée de ses cinq fils, semblable à la terre qui aurait perdu ses cinq montagnes. Quant à moi, misérable pécheur, je cause la destruction du monde.

822. Puisqu’il en est ainsi, je ferai, en le privant de nourriture, gémir ce corps, qui attend une mort (prochaine). Voyez en moi le meurtrier de mes gourous !

823. Destructeur de ma race, (je dois agir de façon) à ne plus passer par d’autres naissances. Désormais, je ne prendrai plus de nourriture ni de boisson.

824. Je finirai ici ma vie, ô ascète. En m’inclinant devant vous, je vous demande (de me laisser) remplir le désir que j’ai d’aller où je voudrai.

825. Vous tous, accordez-moi (ma demande). J’aspire à quitter ce corps.

826. Vaiçampâyana dit : Vyâsa, le plus excellent des mounis, interrompit le fils de Prithâ, agité par le chagrin (que lui causait la perte) de ses parents, et auquel (la peine faisait) tenir ce langage ; il lui dit : « Cela ne doit pas être. »

827. Vyâsa dit : Ô grand roi, tu ne dois pas t’abandonner à un chagrin intempestif. Ô roi, je vais te répéter ce que je t’ai (déjà) dit : « C’est le destin (qui est la cause de tout ce qui est arrivé). »

828. Les agrégats (qui forment) les êtres vivants, (une fois qu’ils sont) nés, ont pour fin certaine la dissolution. Comme les bulles dans l’eau, ils paraissent et disparaissent.

829. Tout ce qui est composé finit par la désagrégation. Les élévations aboutissent à des chutes. La mort est la fin de la vie.

830. La paresse est un plaisir qui finit en peine, activité est une peine qui produit le plaisir. La richesse, la prospérité, la modestie, la renommée, sont le lot de l’homme actif, non du paresseux.

831. Les amis ne suffisent pas à faire le bonheur, ni les ennemis à causer le malheur. La sagesse ne suffit pas pour (faire réussir) les affaires, et la richesse ne suffit pas pour procurer le bonheur.

832. Puisque l’ordonnateur du monde t’a créé pour l’action, agis en conséquence. Tu n’es pas maître (de renoncer) aux œuvres, ô roi, fils de Kountî.