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Le Mahâbhârata (traduction Fauche)/Tome 3/voyage au mode d indra

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Traduction par Hippolyte Fauche.
(tome 3p. 214-244).

LE VOYAGE D’ARJOUNA AU MONDE D’INDRA.

Vaîçampâyâna dit :

Quand tous les gardiens du monde furent partis, Indra des rois, le Prithide, meurtrier des ennemis, se mit à penser au char du roi des Dieux. 1714.

Tandis que le sage Goûdakéça roulait ces pensés en lui-même, le char à la grande lumière vint, accompagné de Mâtali. 1715.

Il chassait l’obscurité du ciel, fendait en quelque sorte les nuages et remplissait tous les points du ciel de ses bruits, semblables au fracas des nuées orageuses. 1716.

Autour de lui étaient des épées, des lances de fer épouvantables, des massues hideuses à voir, des traits barbelés d’une céleste puissance, et des éclairs à la grande lumière, 1717.

Des foudres, jointes à des tchakras, des poudres mesurées, des trombes de vent, des ouragans impétueux et des bruits de grands nuages. 1718.

Là étaient des serpents aux vastes corps, à la gueule flamboyante, terribles, épouvantables, et des monceaux de pierres semblables à des nuées blanches. 1719.

Dix mille chevaux, coursiers rapides comme le vent, traînaient ce char céleste, ouvrage de la magie, qui ravissait aux yeux la lumière. 1720.

On voyait là Vaîdjayanta au champ d’azur, drapeau à la grande lumière, porté sur un bambou, orné d’or et bleu comme un lotus. 1721.

Ayant vu placé dans ce char un cocher aux ornements d’or bruni, le Prithide aux longs bras de penser que c’était le Dieu même. 1722.

Tandis qu’il agitait cette pensée, Mâtali incliné, prenant un air modeste, adressa ce langage à Arjouna : « Oh ! oh ! fortuné fils de Çalra, ce Dieu a envie de te voir : que ta grandeur se hâte de monter dans ce char estimé d’Indra. 1723-1724.

» Le plus grand des Immortels, Çatakratou, ton père, m’a dit : « Que les habitants du ciel voient le fils de Kountî arrivé dans ces lieux. » 1725.

» Voici que Çakra t’attend désireux de te voir, environné par les Dieux, les troupes des rishis, des Gandharvas et des Apsaras. 1726.

» Monte de ce monde, à l’ordre de Pâkaçàsana, dans le monde des Dieux avec moi : tu reviendras, quand tu auras reçu les armes. » 1727.

Arjouna lui répondit :

» Mâtali, va promptement, toi I monte dans le plus excellent des chars, bien difficile à obtenir, fût-ce par des centaines d’açvamédhas et de râdjasouûyas. 1728.

» On ne peut monter dans ce char éminent, grâce à des sacrifices, riches des plus beaux honoraires, offerts par les plus vertueux des princes, fût-on Dânava ou Dieu même. 1729.

» Il est impossible ou de voir ou de toucher ce char grand et céleste, sans avoir accompli une pénitence : combien moins y monter ! 1730.

» Entre d’abord, vertueux cocher, dans ce char, que traînent de vigoureux coursiers ; je monterai ensuite, moi ! comme un homme récompensé, dans la route des gens de bien. » 1731.

À peine eut-il entendu ces paroles, le cocher d’Indra, Mâtali de monter vite dans le char et de retenir les coursiers avec les rênes. 1732.

L’âme alors pleine de joie, Arjouna se baigne dans la Gangâ et, devenu pur, le fils de Kountî et de Kourou murmure la prière, suivant la règle. 1733.

Quand il eut rassasié d’eau les mânes de ses ayeux conformément aux rites et suivant la convenance, il se mit à faire ses adieux au Mandara, le roi des montagnes : 1734.

« Ô toi, montagne, qui fus toujours le refuge des anachorètes vertueux, au caractère pur, aux œuvres saintes, qui désirent la route du Swarga, 1736.

» Les brahmes, les kshatryas et les vaîçyas, qui, grâce à ta faveur, sont montés au Swarga, s’y promènent toujours, libres d’inquiétudes, avec les Dieux. 1736.

» Grand mont, roi des monts, asile des solitaires, qui es comme un saint lieu de pèlerinage, je te fais mes adieux et je pars : j’ai doucement habité chez toi. 1737.

» Tes plateaux tes berceaux, tes rivières, tes ruisseaux et tes tirthas bien saints, je les ai visités plus d’une fois. 1738.

» Çà et là, j’ai savouré tes fruits embaumés ; j’ai bu dans ces cours d’eau parfumés, qui sortent de ton corps, dans ces ondes de tes ruisseaux, qu’il faut boire comme l’ambroisie. Tel qu’un enfant est couché doucement sur le sein de son père, tel, auguste roi des montagnes, je me suis joué sur ton sein, que remplissent des troupes d’Apsaras et qui résonne du bruit des Védas. 1739-1740-1741.

» J’ai toujours, montagne, habité avec plaisir sur tes plateaux ! » Après ce langage, le meurtrier des héros ennemis, Arjouna, de saluer la montagne. 1742.

Le sage Kourouide monta joyeux sur ce char divin, qui éclairait comme un soleil, et fut porté au sein des airs par ce véhicule, admirable chef-d’œuvre, céleste et qui semblait un soleil ! Il fut bientôt hors de la route, où peut atteindre l’œil des mortels, qui suivent le sentier de la vertu. 1743-1744.

Il vit par milliers des chars aux formes merveilleuses : il n’y avait là ni soleil, ni lune ; le feu n’y brillait pas.

Là, sous forme d’étoiles, qui paraissent lumineuses, on voit des saints briller d’une clarté propre, récompense de leurs vertus. 1745-1746.

Le fils de Pândou vit là reluire de leur splendeur même en des places assignées de bien grands corps aux formes enflammées, qui dans l’éloignement ressemblaient à des lampes. Là, étaient des rois saints et des héros accomplis, qui avaient succombé dans la guerre. 1747-1748.

Ils sont allés par troupes de centaines dans le Swarga, que leur pénitence a conquis. Là, sont des milliers de Gandharvas à la splendeur flamboyante comme le soleil. 1749.

PhâlgounDa foi saisi d’étonnement, en voyant les troupes des Gouhyakas, des rishis et des Apsaras former ces lumières du monde, qu’il avait crues inanimées. 1750.

Il interrogea Mâtali, qui répondit affectueusement : « Ce sont les personnes aux actions vertueuses, qui, dans leurs places respectives, vues sur la surface de la terre, y semblent des étoiles ! » Il vit ensuite debout auprès d’une porte le superbe éléphant de la victoire, Aîravata, aux quatre défenses, haut comme une cime du Kaîlâsa. Le plus vertueux des fils de Pândou, le plus grand des princes Kourouides avait accompli son heureux voyage et resplendissait là, comme jadis Mândhatri. Le guerrier aux yeux de lotus bleu avait dépassé les mondes des rois. 1751-1752-1753-1754.

Tandis qu’il faisait route ainsi dans le monde du Swarga, le héros à la vaste renommée vit enfin Amaravatî, la ville de Çakra. 1755.

Il vit cette immense cité, habitée par les Siddhas et les Tchâranas, embellie d’arbres saints, qui se paraient de fleurs en toutes les saisons. 1756.

Là, éventé par une brise aux pures odeurs, mêlée au parfum des lotus et des fleurs doucement embaumées, il admira le céleste bois du Nandana, hanté par les chœurs des Apsaras, et dont les arbres semblaient se disputer à qui produirait le plus de fleurs divines. 1757-1758.

Ce monde des hommes aux actions vertueuses est interdit aux yeux de ceux, qui n’ont pas accompli une pénitence, ou qui n*ont pas entretenu plusieurs feux sacrés, ou qui ont tourné le dos dans une bataille, 1769.

Ou qui n’ont pas célébré des sacrifices, ou qui n’ont pas observé leurs vœux, ou qui furent exclus des Védas et de la tradition, ou de qui les corps ne se sont pas baignés dans plusieurs tîrthas, ou qui sont restés en dehors de l’aumône et des cérémonies. 1760.

Les coudras, destructeurs des sacrifices, ne peuvent le voir, ni les insensés, qui mangent de la chair, qui boivent des liqueurs enivrantes, ou qui ont souillé la couche de leur gourou. 1761.

Admirant ces divins bocages, qui retentissaient de chants célestes, le guerrier aux longs bras entra dans la ville chère à Çakra. 1762.

Il vit par milliers rassemblés des chars célestes, qui allaient suivant la volonté, et vers lesquels on se rendait par dizaines de mille. 1763.

Le fils de Pândou s’avançait, loué par les Gandharvas et les Apsaras, éventé par le souffle pur des vents, qui voituraient le parfum des fleurs. 1764.

Les rishis du plus haut rang, les Siddhas, les Gandharvas et les Dieux célébraient d’une âme joyeuse le fils de Prithâ aux œuvres infatigables. 1765.

Comblé de bénédictions, le guerrier aux longs bras s’avançait au son de célestes instruments de musique, paria grande voie des constellations, nommée la Souravîthi, retentissante de conques et de tambours. Ses louanges, à l’ordre d’Indra, étaient répétées de tous les côtés dans sa marche. 1766-1767.

Alors les Sâdhyas et les Viçvas, les Maroutes et les deux Açvins, les Adityas, les Vasous, les Roudras et les purs Brahmarsis, 1768.

Les Râdjarsis en grand nombre et les rois, en tête desquels marchaient Diltpa, Toumbourou, Nârada et les deux Gandharvas Hâhâ et Hoûhoû : 1769.

Eux tous furent abordés suivant l’étiquette et salués le victorieux descendant de Kourou, qui vit ensuite le roi des Dieux, Çatakratou. 1770.

Descendu de son char sublime, le Prithide aux longs bras vit son père visible à ses yeux, Pâkaçâsana, le souverain des Immortels, 1771.

Sous une ombrelle blanche, portée sur une belle hampe d’or. On l’éventait avec un éventail aux senteurs de parfum céleste. 1772.

Sa gloire était chantée par Viçvâvasou et les autres Gandharvas, encomiastes de la louange, et par les principaux des brahmes, identifiés avec le Rig, l’Yadjour et le Sâma. 1773.

Ensuite le fils vigoureux de Kounti, s* étant avancé, inclina sa tête, et Çakra le reçut entre ses bras ronds et potelés. 1774.

Mais, le prenant par la main, Indra le fit asseoir près de lui dans son trône saint, honoré par des troupes de Dévarshis. 1775.

Le roi des Dieux, meurtrier des héros ennemis, le baisa sur la tête et le fit alors, modeste et incliné, monter dans son anka. 1776.

Entré dans son trône, à l’ordre de l’Immortel aux mille yeux, le fils de Kountî à l’âme sans mesure occupa le siège comme un second Indra. 1777.

L’ennemi de Vritra toucha affectueusement, pour le caresser, de sa main, qui avait le parfum des fleurs, la tête charmante d’Arjouna. 1778.

Il flatta doucement ses bras longs, bien faits, solides, que la corde de Tare avait marqués de ses coups et qui ressemblaient à des colonnes d’or. 1779.

Le caressant mainte et mainte fois, le Dieu, qui tient le tonnerre, frappa à petits coups ses bras d’une main, où la prise de la foudre avait imprimé ses traces. 1780.

Le Dieu aux mille regards contemplait en souriant Goutâkéça, et le meurtrier de Vritra ne pouvait en rassasier ses yeux épanouis de joie. 1781.

Assis dans un même siège, ils éclairaient ce palais, comme le soleil et la lune éclairent le ciel, quand ils brillent de concert dans une pléoménie. 1782.

Ici, les Gandharvas les plus éminents, comme Tambourou, habiles dans les chants du Sâma, entonnaient des hymnes d’une voix supérieurement douce. 1783.

Ghritâkshî, Ménakâ, Rambhâ, Poûrvatchitti, Swyaamprabhâ, Ourvaçî, Miçrakéçî, Dandagaâurî et Yiroûthinî,

Gopâlî, Sahadjanyâ, Koumbhayoni, Pradjâgarâ, Tchitrâsénâ, Tchitralékha avec Madhourasvanâ : 1784-1785

Celles-là et d’autres Apsaras aux yeux de lotus dansèrent çà et là par milliers, s’associant pour se concilier l’esprit des Siddhas. 1786.

Femmes aux grandes hanches et aux vastes lombes, elles ravissaient le cœur et l’âme par la douceur de leur coquetterie, leurs obliques regards et leurs seins tremblants.

Bientôt, prenant le plus magnifique arghya, les Dieux et les Gandharvas, à l’ordre d’Indra, honorent le fils estimé de Prithâ. 1787-1788.

Tenant l’eau pour laver les pieds et l’eau destinée à purifier la bouche, ils introduisent le fils de roi dans la demeure de Pourandara. 1789.

Ainsi honoré, Djishnou habita le palais de son père, où le Pândouide étudia les grands astras avec le secret de les arrêter. 1790.

Il reçut de la main d’Indra, sa foudre chérie, et son astra intolérable, et ses tonnerres aux vastes bruits, qui ont pour signes les paons des nuages à la queue rouante.

Quand il eut reçu l’astra, le fils de Kountî et de Pândou se rappela ses frères : Il vécut là heureux cinq années suivant l’ordre de Pourandara. 1791-1792.

Ensuite, le temps venu, après qu’il eut terminé l’étude des armes, Çakra dit au Pândouide : « Apprends, fils de Kountî, apprends de Tchitraséna le chant, la danse et les instruments de musique, imaginés par les Dieux. Acquiers ce qui n’existe pas dans le monde des hommes, et tu posséderas, certainement, ce qu’il y a de plus excellent 1793-1794.

Pourandara lui donna Tchitraséna pour ami ; et le Prithide, s’étant réuni avec lui, se divertit, exempt de maladie.

Ce maître lui enseigna le chant, les instruments de musique et, de plus, la danse elle-même. Néanmoins, irrité jusqu’à la mort contre Douççâsana et Çakouni, le fils de Soubala, ce héros ne voulut pas goûter un divertissement causé par le jeu. Ayant obtenu partout, grâce à lui, un plaisir sans égal, il acquit la science des instruments de musique et une danse Gandharvique et nompareille. 1795-1796-1797-1798.

instruit de plusieurs qualités de la danse, instruit de toutes les qualités, substance des instruments et du chant, le meurtrier des héros ennemis ne goûtait pas cependant une joie parfaite au souvenir de ses frères et de Kountî, sa mère. 1799.

Dans le commencement, Çakra, fils de Vasou, ayant observé que les yeux du Prithide restaient fixés sur Ourvaçî, dit en secret à Tchitraséna : 1800.

« Va maintenant, envoyé par moi, roi des Gandharvas, trouver Ourvaçî, la plus belle des Apsaras, et qu’elle s’unisse d’amour avec Phâlgouna, le tigre des hommes !

» Il te faut, docile à mes ordres, rendre, grâce à ta science, ce guerrier, qui a reçu mes armes, aussi habile dans le commerce des femmes qu’on lui a fait d’honneur ici. » 1801-1802.

« Soit ! » répondit à ces mots le roi des Gandharvas, qui, ayant reçu les instructions du fils de Vasou, se rendit près de la séduisante Ourvaçî. 1803.

À sa vue, il se fit connaître, et, joyeux, salué par elle d’une bien-venue, assis doucement, il dit en souriant ces mots à elle, doucement assise : 1804.

« Sache que je viens ici, femme charmante, envoyé par l’unique souverain du ciel, qui se félicite de ta bienveillance ; 1805.

» Lui, qui est célèbre parmi les Dieux et les hommes pour ses qualités naturelles, sa fortune, son caractère, sa beauté, ses vœux et la répression des sens ; 1806.

» Lui, qui est vanté pour la force, estimé pour la valeur ; lui, qui est plein d’audace, radieux, environné de splendeur, patient et libre d’envie ; 1807.

» Lui, qui a lu les quatre Védas, les Oupanishads, les Védângas et les cinq Tantras, qui est doué d’intelligence, d’obéissance à l’égard de son gourou, et qui est la substance des huit qualités. 1808.

» Ce Maghavat, l’unique protecteur du Tridiva et duquel on vante la continence, la politesse, les fils et la jeunesse ; 1800.

» Lui, qui n’est pas un glorieux, qui se plait à rendre l’honneur, qui a pour but de grandes choses et parle à tous d’une manière agréable ; loi, qui répand sur ses amis une pluie de breuvages et de mets divers ; 1810.

» Lui, de qui la parole est l’expression de la vérité ; lui, qui est honoré, éloquent, plein de formes, exempt d’ostentation, qui est miséricordieux à l’égard de ses fidèles adorateurs, beau, aimable et véridique en ses promesses ; 1811.

» Ce Mabéndra, l’égal de Varouna par l’abondance de ses qualités enviables te dit : « Que le héros Arjouna goûte à la récompense du Swarga. » 1812.

» Qu’il aille donc aujourd’hui même à tes pieds avec la permission de Çakra. Exécute ainsi cet ordre, femme illustre ; Dhanandjaya a du penchant pour toi. » 1813.

Souriante à ces mots et lui ayant rendu un grand honneur, la ravissante Ourvaçî de répondre affectueusement en ces termes : 1814.

« La description de ses qualités, que tu viens d’offrir à mes yeux, est vraie. D’après la peinture de cette condition florissante d’un mortel, je choisis Dhanandjaya pour amant : que peut-on reprendre à cela ? 1815.

» Va donc comme il te plaît ; j’acquiesce à ta volonté par l’ordre de Çakra, par affection pour toi et aussi parce que la foule de ses qualités a fait naître mon amour pour le fils de Prithâ. » 1816.

Après qu’elle eut congédié avec un sourire le Gandharva, heureux dans sa mission, Ourvaçî, désirant l’amour du fils de Kountî, procéda à son bain. 1817.

Elle revêtit ses parures à la suite du bain, ses guirlandes éclatantes, agréables comme autant de flèches envoyées par l’Amour sous la forme d’Arjouna. 1818.

Ardente, l’âme transpercée par le Dieu qui fait aimer, le cœur tout à sa pensée, l’esprit occupé de son projet, elle se jouait déjà avec ce beau Phâlgouna, amené par le désir dans un grand et splendide lit, jonché de célestes couvertures. 1819-1820 :

L’Apsara charmante sortit à l’heure, où la lune levée est plongée dans la bouche de la nuit, et se rendit au palais du fils de Prithâ. 1821.

Elle marchait, resplendissante et folâtre, portant un faisceau de fleurs dans ses cheveux abondants, longs, annelés et doux. 1822.

Elle semblait porter un défi dans sa marche avec la lune de son visage, qui avait la douceur de l’éloquence des œillades, à la lune même, qui avait, pour la défendre, son agrément et sa beauté. 1823.

Ses deux seins, où flottait un vaste collier de perles, arrosés d’un sandal divin et parfumés d’onguents célestes, l’un et l’autre d’une perfection exquise, palpitaient dans sa marche. 1824.

Admirable par la guirlande, dont la ceignaient les trois plis, elle brillait infiniment par sa taille, et s’inclinait à chaque pas sous la charge de sa gorge tremblante. 1825.

Sa croupe grasse, courbée, étendue par en bas comme une montagne, brillante habitation de l’Amour, était ornée d’une guirlande en forme de ceinture. 1826.

Son djaghana superbe rayonnait sous un vêtement délié et portait le trouble dans l’âme même des célestes rishis. 1827.

Ses deux pieds aux talons cachés, aux doigts, dont la surface était longue, dorée, inclinée comme le dos de la tortue, resplendissaient, chargés de parures gazouillantes. 1828.

Satisfaite d’une légère ivresse, causée par le sîdhou bu, elle était la plus admirable des femmes par ses diverses agaceries. 1829.

Les Siddhas, les Tchâranas et les Gaudharvas marchaient devant cette dame gracieuse aux formes les plus merveilleuses dans le Swarga même aux nombreuses merveilles. 1830.

Elle marchait, son corps d’argent enveloppé d’un outtarîya du tissu le plus délié, couleur des nues ; tel, dans le ciel, le croissant de la lune environné des nuages. 1831.

La femme au candide sourire, qui s’avançait comme le vent ou la pensée, fut arrivée dans un instant au palais de Phâlgouna, le fils de Prithâ. 1832.

Là, parvenue à la porte, ô le plus vertueux des hommes, Ourvaçî aux beaux yeux fut annoncée à Arjouna par les portiers. 1833.

Elle s’approcha de cette habitation pure et des plus ravissantes : elle venait trouver, l’âme pleine d’incertitude, sire, Dhanancyaya pendant la nuit. 1834.

À la vue d’Ourvaçî, les yeux du Prithide se couvrirent de pudeur ; il fit un salut et lui rendit l’honneur comme à son gourou. 1835.

« Je te salue en courbant ma tête, ô la plus charmante des plus belles Apsaras, lui dit Arjouna. Que m’ordonnes-tu, reine ? Me voici devant toi comme ton serviteur. » 1836.

Ourvaçî eut à peine entendu ces paroles de Phâlgouna que la connaissance lui fut ravie ; elle fit alors entendre au héros toutes les paroles du Gandbarva. 1837.

Elle répondit :

« Je vais te parler, ô le plus grand des hommes, comme il me fut dit par Tchitraséna et l’expliquer comment je suis venue ici. 1838.

» Dans la grande fête, par laquelle on célébra ton arrivée dans le Swarga et qui fut ravissante sous les yeux de Mahéndra » 1839.

» Près des Rendras et des Adityas réunis, en présence des Açvins et des Vasous mêmes, ô le plus grand des hommes, 1840.

» Au milieu des chœurs des Maharshis, des plus éminents Râdjarshis, des Yakshas, des Tchâranas et des Siddhas, au milieu des troupes des grands Nàgas, 1841.

» Tous assis suivant leur dignité, leur rang, leur excellence, dans les élévations richement flamboyantes du feu, de la lune et du soleil, 1842.

» Au milieu des vînâs et des instruments de musique, joués par les Gandharvas, alors que des chants céleste ravissaient les oreilles, fils aux grands yeux de Çakra, 1843.

» Que toutes les plus belles Apsaras dansaient, toi, rejeton de Kourou, tu n’avais des yeux que pour me voir seule entre toutes, sans les cligner, là, dans cette fête, auprès des habitants du ciel. Les Dieux, congédiés par ton père, de s’en retourner chacun dans son palais. 1844-1845.

» Toutes les Apsaras les plus distinguées et d’autres en outre, immolateur des ennemis, s’en vont dans leurs maisons, congédiées également par ton père. 1846.

» Ensuite, les instructions de Çakra reçues, Tchitraséna vint en ma présence et me dit ces mots, prince aux yeux comme les pétales du lotus : 1847.

» Je suis envoyé à cause de toi par le souverain des Dieux, noble dame. Fais ce qui est agréable à Mahéndra, à moi et à toi-même. 1848.

» Attache un désir, femme ravissante, sur le fils de Prithâ, qui possède la vertu de la générosité et qui est un héros égal à Çakra dans les combats. » C’est de cette manière qu’il a parlé. 1849.

» Ainsi autorisée par ton père, mortel sans péché, c’est pour lui obéir, dompteur des ennemis, que je suis venue ici en ta présence. 1850.

» Mon âme est entraînée par tes qualités ; je suis tombée sous la puissance de l’amour ; et ce plaisir est, héros, ce que je désire depuis long-temps. » 1851.

Dès qu’il eut entendu ces paroles d’elle, Arjouna fut tout rempli de pudeur, et, couvrant ses oreilles de ses mains, lui tint ce langage dans le palais des Dieux : 1852.

« Que tout ce que tu m’as dit, élégante et noble dame, soit toujours difficile à entendre pour moi ; car tu es à mes yeux égale assurément aux épouses de mon père, femme au charmant visage. 1853.

» Tu es, noble dame, ce qu’est la vertueuse Kountî, ce qu’est Indranî-Çatchî : il n’y a pas de doute à faire ici.

» Écoute dans la vérité, illustre femme au sourire pur, quelle cause antérieure me poussa à te regarder manifestement plus que les autres. 1854-1855.

» Voilà, me disais-je, l’heureuse mère de la race de Vasou ! et, dans cette pensée, je t’ai regardée alors de mes yeux tout grands ouverts. 1856.

» Ne veuille pas, noble dame, penser autre chose ; tu es l’Apsara la plus chérie de mon père, et je vois en toi la souche de ma race. » 1857.

« Nous n’avons pas d’époux, fils du roi des Dieux, lui répondit Ourvaçî ; ne veuille donc pas, héros, me mettre ici dans le rang de ton père. 1868.

» Ceux, qui, fils ou petit-fils dans la race de Pourou, sont venus ici, font leur plaisir de la pénitence, et il n’existe aucune transgression d’eux avec nous, 1859.

» Sois favorable pour moi ; ne veuille pas me renvoyer malheureuse, consumée par l’amour ; aime-moi, qui t’aime, ô toi, qui donnes l’honneur. « 1860.

« Écoute, femme charmante à la jolie taille, reprit Arjouna, ce que je vais dire dans la vérité. Que les points cardinaux m’entendent, et les points intermédiaires, et tous les Dieux ! 1861.

» Tu es ici devant moi, femme irréprochable, comme Prithâ, comme Mâdrî, comme Çatchî ! Souche de ma race, tu es encore plus respectable maintenant à mes yeux. 1862.

» Va ! je courbe ma tête sous tes pieds, illustre dame ; car je dois t’honorer comme une mère et tu dois me garder comme un fils. » 1863.

À ces mots du fils de Prithâ, Ourvaçt, tremblante, pleine de colère, les sourcils contractés sur le visage, de prononcer une malédiction contre Dhanandjaya : 1864.

« Puisque tu n’as aucun égard pour moi, tombée sous la puissance d’une flèche de l’Amour, dit-elle, et venue dans ton palais même avec la permission de ton père, 1865.

» À cause de cela, toi, fils de Prithâ, danseur, privé d’honneur, tu erreras, comme un eunuque, au milieu des femmes : a Ce n’est pas un homme 1 diront-elles. » 1866.

Dès qu’elle eut lancé contre Arjouna cette malédiction, les lèvres tremblantes et poussant des soupirs, Ourvaçî, à la hâte, s’en revint dans son palais, 1867.

Aussitôt le Pândouide, dompteur des ennemis, alla bien vite, malgré la nuit, trouver Tchitraséna et, lui racontant la scène d’Ourvaçî, il dit et redit exactement cette malédiction, qu’elle avait fulminée contre lui. 1868-1869.

Tchitraséna d’informer complètement Çakra de l’aventure. Le Dieu, véhicule de Hari, se fit amener son fils en particulier, le caressa, le flatta avec de brillantes paroles, et lui dit : « Heureuse mère est cette Prithâ de posséder en toi son fils, ô mon chaste fils ! 1870-1871.

» Ta continence a vaincu les rishis mêmes, guerrier aux longs bras. Cette imprécation d’Ourvaçî contre toi, enfant, qui fais ma gloire, te sera utile et avantageuse. Il vous faut habiter inconnus, mortel sans péché, dans une certaine demeure sur la face de la terre. 1872-1873.

» Là, héros, tu purgeras cette malédiction, la treizième année, sous le travestissement d’un danseur et le déguisement d’un eunuque. 1874.

» Quand tu auras ainsi passé une seule année, tu reviendras à ta condition d’homme ! » À ces paroles de son père, Phâlgouna, le meurtrier des héros ennemis, goûta une joie sans égale ; il ne songea plus à sa malédiction, et, dans la société de Tchitraséna, l’illustre Gandharva, Dhanandjaya, le fils de Pândou, savoura le plaiair dans le palais du Swarga.

Le désir de quiconque prêtera sans cesse l’oreille à cette histoire du fils de Pândou ne se portera jamais sur les choses criminelles. Quand ils ont lu cette sainte et vénérable histoire de Phâlgouna, le fils du roi des Immortels, les Indras des hommes, s’élevant au ciel, y jouissent de voir effacées leurs fautes d’amour, de fraude et d’orgueil. 1875-1876-1877-1878.

Vaîçampâyana dit, continuant le fil de la narration :

Un jour, le grand rishi Lomaça vint au palais de Çakra, amené par le désir d’y voir Pourandara. 1879.

Arrivé là, et dès qu’il eut rendu ses hommages au roi des Dieux, le grand anachorète vit le fils de Pândou, qui partageait le siège d’Indra. 1880.

À l’invitation de Çakra, le plus vertueux des brahmes, honoré par les Maharshis, prit place sur un siège haut et vaste. 1881.

À la vue du fils de Prithâ assis dans le trône d’Indra, il eut alors cette pensée : « Conment ce kshatrya, fils de Kountî, a-t-il mérité d’occuper le siège d’Indra ? 1882.

» Quelle bonne œuvre a-t-il faite ? Quels mondes a-t-il conquis, lui, qui est ainsi parvenu à ce siège, auquel sont adressés les hommages des Dieux ? » 1883.

L’époux de Çatchî, Çakra, le meurtrier de Vritra, connut sa pensée et dit à Lomaça, en souriant, ces paroles :

« Bramarshi, écoute ma réponse à ce que tu veux me dire dans ton esprit. Ce guerrier n’est pas seulement un mortel, descendu à la condition humaine. 1884-1885.

» Ce guerrier aux longs bras est mon fils, Mahaarshi, il est né de Kountî ; il est venu ici chercher des armes Quelle autre cause aurait pu l’y conduire ? 1886.

» Oh ! ta grandeur ne peut reconnaître en lui un antique et le plus saint des rishis : écoute de ma bouche, brahme, qui il est et quelles furent ses actions. 1887.

» Il y eut jadis deux rishis très vertueux, Nara et Nârâyana : sache ce que sont Rishîkéça et Dhanandjaya.

Ces rishis Nara et Nârâyana sont renommés dans les trois mondes ; ils sont descendus sur la terre, le séjour des bonnes actions, pour certaine affaire, que ni les Dieux ni les magnanimes rishis ne pouvaient accomplir. Il eurent alors pour héritage un lieu saint, illustre, sous le nom de Vadari. 1888-1889-1890,

» Ce fut d’abord l’habitation de Vishnou et de Djishnou. De là, ils allèrent sur les bords de la Gangâ, fréquentée des Siddhas et des Tchâranas. 1891.

» Nés là-bas, suivant mon ordre, ces deux êtres à la grande splendeur, à la grande force, y soulageront la terre du fardeau, qui l’oppresse. 1892.

» Car certains Asouras orgueilleux, nommés les Nivâtakavatchas, enivrés des grâces, qu’ils ont reçus, s’y livrent à des actes, qui nous déplaisent. 1893.

» Exaltés par l’orgueil de leur force, ils songent à tuer les Souras, et, pleins des faveurs, qui leur sont accordées, ils ne font nul cas des Dieux. 1894.

» Ces fils de Danou, rejetons formidables, à la grande vigueur, habitent le Pâtala ; et toutes les multitudes des Dieux ne sont pas capables de soutenir la guerre avec eux. 1896.

» Le fortuné Vishnou, le meurtrier de Madhou, est venu sur la terre : c’est le Dieu adorable, Hari, l’Invaincu, nonmé aussi Kapila. 1896.

» C’est lui, seigneur, de qui jadis la seule vue a suffi pour tuer ces magnanimes fossoyeurs des enfers, les fils de Sagara. 1897.

» Lui et le fils de Prithâ, associés dans une vigoureuse bataille, ils doivent exécuter pour nous, ô le plus vertueux des brahmes, un exploit signalé : il n’y a là-dessus aucun doute. 1898.

» Il peut anéantir par sa vue les Asouras et leurs suivants, tous ces Nivâtakavatchas, comme des serpents dans un grand lac. 1899.

» Mais il ne faut pas réveiller le meurtrier de Madhou pour une petite affaire ; car cette montagne immense de splendeur, si elle était réveillée, incendierait tout l’univers.

Il est capable de leur faire obstacle à tous, et, quand ce héros les aura immolés dans une bataille, il reviendra chez les hommes. 1900-1901.

» Que ta sainteté s’en aille maintenant, d’après mon ordre, sur la surface de la terre ; tu y verras le héros Youddhishthira, qui habite dans le Kâmyaka. 1902.

» Il te faut parler, suivant mes instructions, à cet homme juste, voué à la vérité : il ne doit concevoir aucune inquiétude à l’égard d’Arjouna. Il reviendra bientôt, une fois qu’il saura les armes. 1903.

» Bhîshma, Drona et les autres peuvent résister dans la guerre à ce héros, s’il ne sait pas les armes et si la vigueur de ses bras est sans expérience dans les combats. 1904.

» Mais aujourd’hui, Goudakéça aux longs bras, au grand cœur, a reçu des armes : il a complété l’étude des instruments de musique, du chant et de la danse célestes.

« Dompteur des ennemis et souverain des enfants de Manou, lui diras-tu, ta majesté, accompagnée de ses frères, mérite de voir les tîrthas solitaires. 1905-1906.

» Quand tu te seras plongé dans l’onde pure de ces bains, alors, Indra des rois, tu jouiras en paix de ton royaume, libre de soucis, exempt de péchés et tes souillures effacées. » 1907.

» Que ta sainteté, douée de la puissance des mortifications, veuille donc, ô le plus grand et le plus vertueux des brahmes, le sauver sur la terre, dont il parcourt la surface. 1908.

» Qu’elle étende sur eux sa surveillance ; car des Rakshasas épouvantables habitent sans cesse les lieux impraticables et les pays rompus des montagnes. » 1909.

À ces mots de Mahéndra, Bîbhatsou dit avec soumission à Lomaça : « Protège le rejeton de Pândou ! 1910.

» Que le roi visite, défendu par toi, ô le plus vertueux des hommes, tous les tîrthas ; agis de manière, grand anachorète, qu’il donne l’aumône. » 1911.

« Qu’il en soit ainsi ! » répondit le solitaire aux bien grandes pénitences, et, se dirigeant sur le bois Kâmyaka, Lomaça descendit sur le sol de la terre. 1912.

Il vit là Dharmarâdja, le victorieux fils de Kountî, que les pénitents et ses frères environnaient de tous les côtés. 1913.

Djanamédjaya demanda :

« Qu’est-ce qu’a dit, brahme, Dhritaràshtra à la grande science, quand il eut appris cette action plus que merveilleuse du Prithide à la force sans mesure ? » 1914.

Vaîçampâyana lui répondit :

« Dès qu’on eut rapporté an roi, fils d’Ambîka, que le Prithide était allé dans le monde de Çakra, il dit ces mots à Sandjaya d’après Vyâsa, le plus excellent des rishis : 1911.

« Connais-tu entièrement et suivant la vérité, cocher, cette action du sage fils de Prithâ, qui me fut racontée. 1916.

» Mon fils, bien insensé, négligent, au peu d’âme, livré au vice, adonné à des soins grossiers, fera périr la terre, 1917,

» Il trouvera, pour combattre, eût-il même les trois mondes avec lui, Dhanandjaya, ce magnanime, de qui les paroles sont toujours vraies dans les choses rentes. 1918.

» Quel homme, tandis qu’il marche, soumis à la vieillesse et à la mort, oserait tenir devant Arjouna, quand il envoie ses dards oreillés, à la pointe acérée, comme des rochers aigus ? 1919.

» Mes fils sont des insensés, ils suivent tous la puissance de la mort : la bataille, qui les menace, est avec les inaffrontables Pândouides ! 1920.

» J’ai beau y penser continuellement, je ne vois pas, quel maître de char oserait s’avancer contre Arjouna, quand il tient l’arc Gândiva à sa main ! 1921.

» Si Drona et Karna, si Bhishma lui-même, marchaient en guerre contre lui, ils courraient un grand danger ; je vois là dans le monde une victoire obtenue sur nous. 1922.

» Karna est un censeur négligent, Atchârya est un vieux précepteur ; mais le fils de Prithâ est fort, impatient, fier et d’un courage infaillible. 1923.

» Il naîtra un combat tumultueux, où la victoire ne sera même d’aucun côté ; car tous seront des héros, qui savent les armes et qui ont acquis une grande renommée. 1924.

» Tous, invaincus, ils aèrent à la domination universelle, et, pour sûr, il n’y aura de paix que dans leur mort ou celle de Phâlgouna. 1925.

» Il n’est pas un homme, qui puisse tuer Arjouna ; son vainqueur n’existe pas au monde : comment se calmerait sa colère, fûtrelle dirigée contre moi-même ! 1926.

» C’est un héros égal au souverain du Tridaça ; il a rassasié le feu dans le Khândava ; il a vaincu tous les rois dans le grand sacrifice du râdjasoûya. 1927.

» Tombant sur le front de la montagne, le tonnerre, mon enfant, pourrait en faire la destruction ; et, lancées par la main de Kiriti, ses flèches ne pourraient la détruire » Tels que les rayons du soleil brûlent id-bas les êtres immobiles et mobiles ; telles, envoyées par le bras du Prithide, ses flèches consumeront mes fils. 1928-1929.

» L’armée Bharataine semble déjà comme rompue de toutes parts, en proie à la crainte, que sème le bruit du char de l’ambidextre. 1930.

» Grâce aux flèches, qu’il vomit et qu’il disperse, on dirait que le créateur a fait de Kirîti le Trépas, qui met fin à toutes choses : tant il est invincible, ce destructeur de tout ce qui tient devant lui ! » 1931.

« Tout ce qui fut dit par toi sur Douryodhana, reprit Sandjaya, le fut dans la vérité, sire, et rien ne fut dit sans raison, maître de la terre. 1932.

» La colère a saisi les fils de Pândou à la grande force, depuis qu’ils ont vu conduite à l’assemblée Draâupadî, leur illustre et légitime épouse. 1933.

» Depuis qu’ils ont entendu les paroles aux conséquences épouvantables de Douççâsana et de Karma, ils doivent, c’est mon opinion, grand roi, mépriser de tels hommes.

» J’ai ouï dire, auguste majesté, comment le Prithide avait charmé Sthânou aux onze corps par son adresse à manier l’arc dans son combat avec lui. 1934-1935.

» L’adorable Kapardî, le souverain de tous les Dieux, avait revêtu le corps d’un chasseur montagnard, et, désirant le vaincre soi-même, lui avait livré bataille. 1936.

» Là, les gardiens du monde lui montrèrent Atchyouta, le plus éminent des Kourouides, triomphant dans une grande pénitence pour acquérir des armes. 1937.

» Nul autre homme que Phâlgouna n’a jamais pu obtenir sur la terre la vue en personne de ces puissants monarques des Dieux. 1938.

» Quel héroïque guerrier, sire, pourrait exterminer dans un combat celui, que n’a pu détruire Mahadéva même, le Dieu aux huit formes ? 1939.

» Ils auront donc à soutenir des combats tumultueux, horribles, épouvantables, les insensés, qui ont traîné Draàupadi autour d’une salle et suscité la colère des Pândouides. 1940.

» Elle aura un sens cette parole, que Bhlma jadis a prononcée de ses lèvres tremblantes, quand il vit Douryodhana montrer à nu les deux cuisses de Draâupadi : 1941.

« Scélérat ! je briserai ta cuisse sous le coup de cette massue à la fougue épouvantable au terme de ces treize années, condition de ce jeu cruel ! » 1942.

» Tous sont les meilleurs des combattants, tous ont la connaissance de toutes les armes, tous possèdent une force outre mesure et sont invincibles aux Dieux mêmes.

» Agités par la colère, pleins de ressentiment des injures faites à leur épouse, les Pândouides, je le pense, conduiront tes fils à leur fin. » 1943-1944.

» Pourquoi Karna a-t-il prononcé des paroles blessantes, cocher ? lui répondit Dhritarâshtra. Et pourquoi, en traînant Krishna dans l’assemblée, a-t-on suscité cette juste inimitié ? 1945.

» Si mes fils ont manqué de raison maintenant, c’est parce que leur frère aîné, leur chef, n’est pas resté dans les bornes de la décence. 1946.

» Me voyant privé des yeux et l’âme sans essor, cet insensé ne veut pas, cocher, obéir à ma parole. 1947.

» Karna, le fils de Soubala et les antres, qui sont ses conseillers stupides, augmentent encore plus les fautes de ce prince sans intelligence. 1948.

» Les flèches, envoyées avec indifférence par le fils de Prithâ à la splendeur sans mesure, consumeraient mes fils ; à plus forte raison, quand elles sont anvenimées par la colère ! 1949.

» Les célestes dards, réjouis par les charmes, envoyés par le bras du Prithide, décochés par son grand arc, pourraient immoler les Dieux mêmes. 1950.

» Quelle chose ne serait pas vaincue par celui, quia pour conseiller, pour défenseur, pour ami Hari-Djanârdana, le protecteur des trois mondes ? 1951.

» Certes ! c’est un fait bien grandement admirable, Sandjaya, qu’Arjouna ait pris à bras-le-corps Mahadéva, comme nous l’avons ouï-dire ; 1952.

» Et ce que dans le Khândava, jadis, exécutèrent Phâlgouna et Damaudara à la face de l’univers entier dans leur alliance avec le Feu ! 1953.

» Mes fils, secondés par les ministres, sont incapables, malgré leur grande vigueur, de résister à Bhîma irrité, au fils de Prithâ et à Krishna l’Yadouide » 1954.

Djanamédjaya dit :

« Il est inutile de redire, anachorète, toutes les plaintes, que soupira le roi Dhritarâshtra, après qu’il eut prononcé l’exil des héros Pândouides ; 1955.

» Et de quelle manière le roi souffrit que Douryodhana, son fils insensé, irritât la colère des fils de Pândou aux grands chars. 1956.

» Il faut nous dire quelle fut la nourriture des Pândouides au milieu des bois : que ta sainteté nous raconte la vie, qu’ils ont traînée dans la forêt. » 1957.

Vaiçampâyana lui répondit :

Ta majesté saura que ces hommes éminents ont nourri les plus grands des brahmes avec des fruits sauvages et de la venaison, qu’ils abattaient sous leurs flèches luisantes. 1958.

Alors des brahmes avec des feux ou sans feux avaient suivi ces héros aux grands arcs dans le bois, sire, où ils avaient mis leur habitation. 1959.

Là, Youddhisbthira nourrit dix mille brahmes magnanimes ou maîtres de maison, versés dans les moyens de la délivrance. 1960.

Il abattait sous diverses flèches les rourous[1], les gazelles noires et d’autres hôtes purs des bois, qu’il distribuait aux brahmes. 1961.

On ne voyait là aucun homme de mauvaise classe, ou malade, ou maigre, ou faible, ou qui fût malheureux, ou qui eût peur. 1962.

Youddhishthira-Dharmarâdja, le plus vertueux des Kourouides, les nourrissait tous comme des parents du même sang, comme des frères chéris, comme des fils.

Quand Draâupadî avait servi ses époux et les brahmines illustres, comme ses mères, elle mangeait alors ce qui restait. 1963-1964.

Battant sans cesse la campagne pour se procurer des vivres, toujours Tare au poing, ils faisaient la destruction des gazelles, le roi au levant, Bhîma au midi, les deux jumeaux au nord et au couchant. 1965.

Cinq années s’écoulèrent ainsi pour eux, lisant les Védas, murmurant la prière, célébrant des sacrifices, dans ce Kâmyaka, où ils habitaient, regrettant Arjouna, dont ils étaient privés. 1966.

Dès qu’il eut appris leur conduite merveilleuse et qui dépassait l’humanité, le fils d’Ambikâ, enveloppé dans le chagrin de ses pensées, l’âme inondée de ressentiment, poussant de longs et brûlants soupirs, l’auguste Dhritarâshtra, adressant la parole à son cocher Sandjaya, lui dit : 1967-1968.

« Je ne puis trouver, ni le jour ni la nuit, un moment de tranquillité, cocher, occupé sans cesse de cette conduite mauvaise, épouvantable de mes fils, le résultat du jeu, 1969.

» Et songeant au courage, à la fermeté, à la constance éminente, à l’affection mutuelle et plus qu’humaine de ces frères d’une valeur insoutenable ; 1970.

» À ces vertueux fils des Dieux, qui ont une splendeur égale à celle du roi des Immortels, Nakoula et Sahadéva, les fils attribués à Pândou, ivres dans les combats ; 1971.

» Aux armes solides, aux coups, qui atteignent de loin, aux pensées continuellement portées vers les batailles, à la main prompte, à la colère énergique, impétueux et toujours ensemble. 1972.

» Quand ces deux héros, à la suite de Bhîma et d’Arjouna, se tiendront à la tête de la bataille, courageux comme des lions, difficiles à soutenir comme les deux Açwins, 1973.

» Je ne vois pas, Sandjaya, que je puisse conserver un reste d’armée, car ces deux héros, enfants des Dieux, sont irrésistibles dans les combats. 1974.

» lis ne pardonneront pas les mauvais traitements exercés envers Draâupadî, ces irascibles guerriers, ni les Vrishnides aux grands arcs, ni les Pântchâlains à la grande force. 1976.

» Défendus au milieu des combats par le Vasoudévide, fidèle à la vérité, les Prithides consumeront l’année de mes fils dans la bataille. 1976.

» Il est impossible à tous les combattants mêmes de soutenir dans la guerre, fils de cocher, l’impétuosité de Krishna et de Baladéva, ces deux Vrishnides, quand ils se portent en avant. 1977.

» Au milieu d’eux se promènera avec sa massue, homicide des héros et qu’un lien attache à son bras[2], le héros Bhîmaséna au courage épouvantable. 1978.

» Les rois ne peuvent supporter le bruit de l’arc Gândîva, qui résonne comme le tonnerre, ni l’impétuosité de la massue de Bhîma. 1979.

Alors, moi, qui ai suivi la volonté de Douryodhana, je me rappèlerai les paroles de mes amis, paroles, qui n’étaient pas à oublier et que j’ai eu le malheur de ne pas observer. » 1980.

« C’est parce que tu as pardonné, sire, cette immense transgression, lui répondit Sandjaya, qu’on ne peut retirer ton fils de son égarement, quelque fort que l’on soit.

» À peine eut-il appris que les fils de Pândou avaient été vaincus au jeu, Atchyouta, le meurtrier de Madhou, se hâta de venir au Kâmyaka voir ces fils de Prithâ. 1981-1982.

» Il était accompagné des fils de Droupada, qui avaient mis à leur tête Dhristadyoumna, de Virâta, de Dhristakétou et des héros Kalkéyides. 1983.

» Ils virent ce qu’on leur avait raconté, ce qu’on avait appris des espions, et ce que tu as appris de moi, les Pândouides dans la condition, où les avait mis leur défaite. 1984.

» Réuni là avec eux, Hari, le meurtrier de Madhou, environné par les Pândouides, leur promit de conduire le char de Phâlgouna sur le champ de bataille. 1985.

» Irrité à la vue des Pândouides tombés dans une telle condition et n’ayant que des peaux d’antilope noire pour vêtement supérieur, Krishna tint ce langage à Youddhishthira : 1986.

« Cette prospérité, dont les fils de Prithâ jouissaient dans Indraprastha, cette prospérité inabordable aux autres rois et dont je fus le témoin au sacrifice du râdjasoûya, 1987.

» Là, où je vis tous les rois de la terre, qui infligeaient la terreur par la force de leurs armes, les Bangas, les Angas, les Paâundras, les Oudras, les Tcholas, les Drâvidas et les Andhrakas, ceux qui habitent les bords et les humides régions de la mer, les Sinhalas, les Barvaras, les Mlétchhas, et les habitants de Lanka, les royaumes de l’occident par centaines, les riverains de la mer, les Pallavas, les Daradas, tous les Kirâtas, les Yavanas et les Çakas, les Haras et les Huns, les Chinois, les Tousharas, ceux qui errent sur les rives du Sindhou, les Djagoudas, les Ramatas, les Haînas, les troupes, qui habitent le royaume des femmes, les Katkéyains, les Mâlavas et les hôtes du Kâçmire ; cette prospérité mobile et fugitive, j’ôterai la vie à ceux, qui te l’ont enlevée, moi, assisté de Balarâma, de Bhlmaet d’Arjouna, d’Akroûra, de Gada et de Çâmba, de Pradyoumna, d’Ahouka, du héros Dhrishtadyoumna et du fils de Çiçoupâla. (De la stance 1988 à la stance 1995.) Bientôt j’immolerai dans un combat Douryodhana, et Karna, et Douççâsana, et le fils de Soubala, et tout autre, qui osera combattre avec moi. 1995.

» Toi, grâce à cet exploit, habitant avec tes frères dans Hâstinapoura, en possession de la fortune des enfants de Dhritarâshtra, donne tes lois à cette terre. » 1996.

» Alors, dans cette assemblée de héros, le roi de lui répondre, entendu par tous les héros, Dhrishtadyoumna à leur tête : 1997.

» J’accepte cette parole vraie de ta bouche, Djanârdana ; tu immoleras mes ennemis avec leurs adhérents, guerrier aux longs bras, 1998.

» Mais après la quatorzième année ! Donne de la vérité à mes paroles, Kéçava ; car j’ai promis au milieu des rois cette habitation dans les bois. » 1999.

» Les membres de l’assemblée, Dhrishtadyoumna à leur tête, accèdent à ces paroles de Dharmarâdja ; ils s’empressent d’apaiser la colère de Kéçava par un langage doux, convenable aux circonstances, et disent à la Pântchâlaine consolée aux oreilles du Yasoudévide : 2000-2001.

« Douryodbana, reine, aba^idonnera la vie sous ta colère ; nous te le promettons dans la vérité : cesse de t’affliger, noble dame. 2002.

» Les loups et les oiseaux riront, en dévorant les chairs de ces hommes, qui ont ri alors qu’ils te virent perdue au jeu. 2003.

» Les vautours et les chacals boiront le sang et traîneront les membres supérieurs de ces gens, par qui tu fus traînée toi-même sur la face de la terre. 2004.

» Tu verras, Pântchâlaine, plus d’une fois, les membres de ces hommes tratnés et mangés par des carnassiers sur le sol de la terre. 2005.

» Cette terre boira le sang des têtes coupées à ceux, par qui tu fus accablée ici de chagrins et par qui tu fus livrée au mépris ! » 2006.

» Tels et de sortes diverses étaient les discours, que lui tinrent ces chefs des Bharatides, tous héros impétueux, tous portant les cicatrices des batailles. 2007.

» Tous ces guerriers aux grands chars, environnant Dharmarâdja, viendront sous la conduite du Vasoudévide, une fois expirée la treizième année : 2008.

» Balarâma, Krishna, Dhanandjaya, Pradyoumna et Çâmba, Youyoudhâna et Bhîma, les deux fils de Mâdrî, les fils du roi des Katkéyains, les fils du Pântchâlain et le roi de Matsya. 2009.

» Quel homme, s’il aime la vie, affronterait dans un combat tous ces lions à la vaste crinière, ces héros du monde, invincibles, magnanimes, avec leurs parents, avec leurs armées ? 2010.

» Voici ce que m’a dit au temps du jeu Vîdoura : « Si tu vaincs les Pândouîdes, ce sera, pour sûr, la perte lamentable des Kourouides ! On verra naître un grand danger et verser le sang à torrents. » 2011.

» Il en sera ainsi, je pense, comme jadis me l’a assuré la parole de Kshattri. Cette guerre aura lieu, sans aucun doute, suivant la parole des Pàndouides, une fois le temps arrivé. » 2012.


  1. Espèce de daims.
  2. Ici, est un mot dont aucun Dictionnaire ne donne l’explication, çaîkyâ, et que je suppose venir de çikya.