Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 2/2-LLDF-Ch12

La bibliothèque libre.
Traduction par Ballin, L..
Paris E. Leroux (2p. 150-153).



CHAPITRE XII


LA STATUE DE FER DE BHÎMA EST BRISÉE


Argument : Les Kourouides, en marche, rencontrent les Pândouides. Dhritarâshtra écrase contre sa poitrine une statue de fer de Bhîma, qu’il avait prise pour Bhîma lui-même. Discours de Krishna à Dhritarâshtra.


313. Vaiçampâyana dit : Après que ces armées eurent été détruites, Dharmarâja Youdhishthira entendit dire que son vieux père (Dhritarâshtra) était parti de la (ville) qui tire son nom des éléphants (Hastinapoura).

314. Ô grand roi, rempli de chagrin au sujet de ses fils, il alla avec ses frères vers (son oncle Dhritarâshtra), qui se lamentait (également), sous le coup de la douleur (que lui causait la mort) de ses fils.

315. (Il était) suivi du magnanime héros Dâçârhien, de Youyoudhâna et de Youyoutsou.

316. Draupadî, tourmentée par la douleur que lui faisait éprouver (la mort de) ses enfants, le suivait avec les jeunes femmes Pâñcâlas qui se trouvaient là.

317. Il aperçut le long de la Gangâ les troupes de femmes (Kourouides), qui criaient comme des femelles d’orfraies, ô le plus excellent des Bharatides.

318. Le roi fut entouré par ces milliers d’affligées, les bras levés (au ciel), pleurant et (poussant des cris) bienveillants et malveillants.

319. « Que penser maintenant, (disaient-elles), de la connaissance du devoir et de la bienveillance du roi, puisqu’il a fait mourir pères, frères, gourous, fils et amis ?

320. Après avoir fait tuer Drona et ton grand oncle Bhîshma, ainsi que Jayadratha, quel est (l’état de) ton cœur, ô grand roi ?

321. Que feras- tu de la royauté, ô Bharatide, en ne voyant plus (près de toi) tes pères, tes frères, l’invincible Abhimanyou, et les fils de Draupadî ? »

322. Dharmarâja Joudhishthira passa devant ces (femmes), qui criaient comme des orfraies, et le guerrier aux grands bras alla saluer (le frère aîné) de son père.

323. Puis, quand le tourmenteur de ses ennemis eut salué, selon la règle, (le frère de) son père, les (autres) fils de Pândou (se présentèrent eux-mêmes) de toutes parts, en énonçant leurs noms.

324. Le père, plein de chagrin, tourmenté par la douleur que lui causait la mort de ses fils, embrassa, sans (grand) plaisir, le fils de Pândou, cause de leur trépas.

325. Après avoir embrassé Dharmapoutra et lui avoir adressé des paroles de consolation, le scélérat (de Dhritarâshtra), pareil à un feu brûlant, chercha (des yeux) Bhîma, ô Bharatide.

326. Enflammé contre ce (héros), du feu d’une colère excitée par le vent de son chagrin, il avait l’air de consumer Bhîma, comme l’incendie dévore une forêt.

327. Hari (Krishna), s’apercevant de ses mauvais desseins à l’égard de Bhîma, retira celui-ci d’entre ses mains et lui substitua une (statue de) fer de Bhîma.

328. Hari, doué d’une grande sagesse, avait, à sa mine, instantanément deviné (ses intentions). Le grand sage Janârdana avait, (en conséquence), pris ses précautions à cet égard.

329. Le roi, plein de force, saisissant à l’instant le Bhîma de fer avec ses deux mains, le brisa, croyant que c’était Vrikodara.

330. Doué de la force de dix mille éléphants, ce roi, ayant brisé le Bhîma de fer, (s’était) écrasé la poitrine (contre cette statue), et il vomissait le sang par la bouche.

331. Puis il tomba à terre, baigné de sang, pareil à un (arbre) parijàta (eritrica indica), à la cime et aux branches fleuries.

332. Alors, le savant cocher (Sañjaya), fils de Gavalgani, le saisit, et lui dit, en l’apaisant et le réconfortant : « Change cette manière d’agir. »

333. Ayant exhalé sa fureur et réprimé sa colère, ce roi au grand cœur s’écria, plein de chagrin : « Ah Bhîma ! Ah ! »

334. Voyant que sa colère était calmée et qu’il regrettait d’avoir tué Bhîma, le Vasoudévide, le plus grand des héros, lui adressa ces paroles :

335. « Ne te lamente pas, ô Dhritarâshtra, Bhîma, que voici, n’est pas tué, et tu n’as anéanti, ô roi, que cette image de fer.

336. Ô taureau des Bharatides, en m’apercevant que tu étais en proie à la fureur, j’ai écarté (du danger) le fils de Kountî, qui était (déjà) entre les dents de la mort.

337. Car, ô tigre des rois, nul ne t’égale en force (corporelle). Qui pourrait, ô guerrier aux grands bras, supporter ton embrassement ?

338. Nul ne saurait, pas plus qu’après avoir rencontré Antaka, en sortir vivant. Personne ne saurait survivre à l’étreinte de tes deux bras.

339. Aussi, ô Kourouide, avais-je apporté, à ton intention, cette image de fer de Bhîma, que ton fils avait donné l'ordre de faire.

340. Ton esprit, dévoré du chagrin (de la mort) de tes fils, s’est écarté du devoir, et c’est pour cela, ô Indra des rois, que tu as voulu tuer Bhîma.

341. roi, il ne te profiterait en rien de tuer Vrikodara. Ô grand roi, cela ne rendrait, en aucune façon, la vie à tes fils.

342. Approuve tout ce que nous avons fait, en songeant à la paix, et n’abandonne pas ton esprit au chagrin. »