Le Majorat (trad. Loève-Veimars)/Chapitre XXII

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Traduction par François-Adolphe Loève-Veimars.
Eugène Renduel (1p. 209-213).


CHAPITRE XXII.


V… passa toute la nuit à lire ce que renfermait le carton noir et le paquet du défunt baron Hubert. Tous ces documens s’accordaient parfaitement et lui dictèrent sa conduite. Il partit.

Dès qu’il fut arrivé à K…, il se rendit chez le baron, qui le reçut avec arrogance. Mais la conférence qu’il eut avec lui fut suivie d’un résultat merveilleux ; car, le lendemain, le baron se rendit devant le tribunal, et déclara qu’il reconnaissait la légitimité de l’union du fils aîné du baron Roderich de R…, avec mademoiselle Julie de Saint-Val. Après avoir fait sa déclaration, il demanda des chevaux de poste, et partit seul, laissant sa mère et sa sœur à R… Il leur écrivit le lendemain, qu’elles ne le reverraient peut-être jamais.

L’étonnement du jeune Roderich fut extrême, et il pressa V… de lui expliquer par quel mystérieux pouvoir ce changement s’était déjà opéré ; mais celui-ci remit cette confidence au temps où il serait en possession du majorât. Un obstacle s’y opposait encore ; car les tribunaux refusaient de se contenter de la déclaration du baron Hubert, et exigeaient la légitimation de Roderich. V… proposa, en attendant, au jeune Roderich de demeurer au château de R…, où il avait déjà offert un asile à la mère et à la sœur du baron Hubert. Le ravissement avec lequel Roderich accepta cette proposition, montra quelle impression profonde avait produite sur son cœur la jeune Séraphine ; et, en effet, il sut si bien mettre le temps à profit, que la baronne consentit bientôt à son union avec sa fille. V… trouvait cette décision un peu prompte, car jusque-là rien n’annonçait encore que le majorât dût échoir à Roderich.

Des lettres de Çourlande interrompirent la vie d’idylle qu’on menait au château. Hubert était parti pour la Russie, où il avait pris du service dans l’armée d’expédition qui se préparait contre la Perse, Ce départ rendait celui de la baronne et de sa fille indispensable ; elles partirent pour leurs terres de Courlande, où leur présence devenait nécessaire. Roderich, qu’on regardait déjà comme un époux et comme un fils, les accompagna, et le château resta désert. La santé du vieil intendant s’affaiblissait chaque jour. On le remplaça, dans ses fonctions, par un garde-chasse nommé François.

Enfin, après une longue attente, V… reçut de la Suisse des nouvelles favorables. Le pasteur qui avait marié le défunt baron Roderich était mort depuis longtemps ; mais il se trouvait, sur le registre de l’église, une note de sa main où il était dit que le fiancé de Julie de Saint-Val s’était fait reconnaître au pasteur, sous le sceau du secret, comme le baron Wolfgang, fils aîné du baron Roderich de R… Deux témoins s’étaient en outre retrouvés, un négociant de Genève et un capitaine français retiré à Lyon. Rien ne s’opposa plus à la remise du Majorat ; et une lettre de Russie en accéléra le moment. On apprit que le baron Hubert avait eu le sort de son jeune frère, mort jadis sur le champ de bataille ; et ses biens de Courlande devinrent la dot de Séraphine de R… qui épousa l’heureux Roderich.