Le Mari passeport/II

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Éditions Jean Froissard (p. 11-14).

ENFANCE


Je suis née à Bayonne, de famille basque. Sur la souche dont je suis issue, se sont entées des générations de dignes bourgeois, magistrats, notaires, soldats, fonctionnaires. Il y eut également des gentilshommes vivant sur leurs terres, portant l’épée ou adonnés à de lointains labeurs diplomatiques.

Nul n’ignore que dans tout Basque dorment de lointaines hérédités de chercheur d’aventures. Nous avons une origine obscure et que les ethnologues ni les linguistes n’ont encore su préciser. Pourquoi l’âme lointaine des Basques coureurs des mers et des continents, après tant de siècles où les êtres de mon sang avaient ignoré qu’elle pût encore fermenter en eux, s’avisa-t-elle de renaître dans la petite fille promise à toutes les quiétudes, à toutes les monotonies de la vie de province, que j’étais en naissant et que je devais abandonner ?

Cela commença par des témoignages puérils. Par exemple, ma gêne et la secrète protestation de tout mon être lorsqu’il me fallait obéir à des ordres que je n’admettais pas.

Le travail m’attirait, par un ardent besoin de savoir. Seulement, en sus, un non moins ardent désir d’indépendance se développait. Qu’on en juge : à trois ans, je fuyais un beau jour la maison de mes parents. Je voulais sortir seule. Je me sentis fière de passer devant une sentinelle qui gardait l’ancienne poudrière de Bayonne. J’allai me cacher sous un pont où je me sentais plus libre, laissant ma famille s’affoler pendant toute une journée.

Un autre jour, plus tard, ayant pris la bicyclette de ma sœur, sur un chemin de halage, je voulus faire des prouesses que mes petites jambes ne permirent point et je tombai dans le Gave.

Bien entendu, ces fantaisies et combien d’autres, étaient accomplies en dépit des interdictions familiales et dans une sorte de dédain du danger que pourtant je devinais fort bien. Cependant, je grandissais, et avec moi mes « défauts ».

Ma famille donnait l’exemple d’une vie coite et paisible que je commençai d’abominer. Le rituel des convenances, les réceptions, les échanges de visites, les politesses hypocrites, les gentillesses que suivaient des cancans sans douceur, tout ce qui fait le fond de l’existence provinciale, me donnaient la nausée.

Bientôt, je ne pus refréner mes goûts ni les manifestations de mon indiscipline. La docilité dont, malgré tout, je témoignais souvent, fit place à une insubordination violente. Il fallut envisager le meilleur moyen de mettre fin à cet anarchisme enfantin.

On décida de me mettre au couvent. J’avais neuf ans révolus.

Hélas ! Éducateurs et éducatrices ne conçoivent guère de réduire par la persuasion, la douceur, la bonté, les esprits non conformistes. On compte sur la force, qui cependant paraît bien avoir fait faillite. Elle ne devait point réussir avec moi.

J’avais déjà et j’ai toujours, au suprême degré, un grand besoin de vérité, d’exactitude et de franchise. Il correspondait bien aux conseils qu’on me donnait de partout, mais pas à la façon dont il faut les comprendre. On me nommait saint Jean Bouche d’Or, pour ma sincérité brutale.

Mon éducation fut confiée à tous les ordres religieux possibles, en France et en Espagne. De chaque établissement, la révolte, l’impertinence et ce qu’on appelle la dissipation me firent congédier bientôt.

Notez que je n’étais ni paresseuse ni mauvaise élève. La seule fois où je passai toute l’année scolaire dans un de ces couvents, je récoltai tous les prix de la classe, sauf celui de sagesse. Je rentrai chez moi, avec des piles de volumes dorés, une couronne de lauriers comme une impératrice et la bienveillante accolade de Mgr  Gieure, évêque de Bayonne, qui était venu, ce jour-là, présider la distribution des prix aux Ursulines de Fontarabie.

Je cite cet événement, car il fut exceptionnel. Partout ailleurs, avant que juillet arrivât, on me mettait en devoir de partir d’urgence, soit pour avoir scandaleusement violé la règle, soit pour avoir fomenté la révolte dans un dortoir, soit pour une folle équipée conforme à mes goûts. Ma famille, découragée par tant d’expulsions, voulut faire l’essai d’une éducation à la maison. On me confia à une institutrice.

Mais, pendant les vacances, je retrouvai à Biarritz mon cousin d’Andurain qui avait quitté le pays depuis quelques années. Il me plut aussitôt. Je l’invitai à la campagne, notre mariage fut décidé entre nous. Mon père objecta mon extrême jeunesse, l’instabilité de mon caractère, mon manque absolu d’expérience, d’esprit pratique et… Pierre d’Andurain n’avait pas de situation.

Ma chère maman lutta pour obtenir le consentement de mon père. C’est alors que je vis ma future belle-mère ; l’entrevue eut lieu chez d’autres cousins.

On avait, pour cette réception, établi mes cheveux en chignon et je portais une robe longue de ma cousine, de telle sorte que ma mère elle-même faillit ne pas me reconnaître, tant j’étais fagotée pour me vieillir. Sitôt l’entretien terminé, je repris mes jupes courtes, relâchai mes cheveux et repartis vers mes exercices coutumiers qui étaient l’équitation et l’ascension des arbres.

Enfin après six mois de lutte et d’objections mes parents autorisèrent mon mariage.

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