Le Marquis des Saffras, scènes de la vie comtadine/04

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Le Marquis des Saffras, scènes de la vie comtadine
Revue des Deux Mondes2e série de la nouv. période, tome 12 (p. 775-814).
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IV

LA SAINT-ANTONIN.

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I.

Lorsque le maire Tirart fut informé de la visite de Lucien à la Pioline et de la rupture qui en était la suite, il courut chez le lieutenant Cazalis pour tout renouer, et de son chef il présenta les excuses les plus gracieuses, au nom de son neveu, comme si le refus venait de lui seul. — Mon Lucien s’est délié comme un étourdi, dit-il en finissant. Ô mademoiselle Blandine, vous qui êtes si raisonnable, comment avez-vous pu le prendre au mot ? Il en sera au désespoir, j’en suis sûr. Laissez-moi faire, et je vous le ramène avant deux jours.

La tante sentait bouillonner toutes ses colères ; elle allait faire un éclat, et M. Cazalis se hâta de congédier le maire. — Partez, partez au plus vite, dit-il en poussant Tirart sur le chemin ; ma sœur n’est pas dans ses bons jours. Il ne faut pas la brusquer en public ; mais quand nous sommes seuls, je fais d’elle ce que je veux. Au revoir, et ramenez-nous votre neveu dans deux ou trois semaines ; d’ici là j’aurai tout arrangé. Qu’il fasse un petit voyage d’un mois, et tout ira au mieux.

Au lieu de rentrer à la Pioline après cet entretien, le lieutenant se glissa le long de la haie pour gagner furtivement le bois de l’Olivette et s’y promener jusqu’à la nuit ; mais la tante le guettait au passage. La scène fut terrible. — Comment ! c’est lui qui nous refuse ! ne cessait de répéter Mlle  Blandine. Oh ! c’est trop fort ! C’est nous qui sommes refusés, c’est nous qui allons rentrer en grâce ! Voilà où nous mènent vos ménagemens, vos ajournemens, vos politesses ! Vous dévoreriez tous les affronts. Ah ! il nous reviendra, ce Lucien !… Et vous oseriez le recevoir ?… Oh ! jamais, jamais ! Non-seulement je lui refuse ma nièce, mais j’exige de lui des excuses et des excuses publiques ; sinon, vous me verrez sortir de la Pioline, et pour toujours.

Le lieutenant courbait la tête, laissant passer l’orage. Il se disait à part lui : — Bast ! me voilà tiré de souci pour une quinzaine au moins, et je m’en vais remettre à flot ma tragédie. — Mais la tante avait déjà organisé une grande conspiration contre la Mort de César. À toute heure elle assaisonnait ses discours de railleries contre la comédie, et dès la première répétition, les acteurs, pris isolément, à l’arrivée, au départ, furent comblés d’avanies par Mlle  Blandine et la fidèle Zounet. Il n’en fallait pas tant pour blesser l’irritable susceptibilité des paysans ; presque tous résolurent de ne plus reparaître à la Pioline, et les quelques figurans que le sergent Tistet parvint à retenir faisaient la plus triste mine. La tante ourdissait trames sur trames, elle était décidée à pousser les choses à l’extrême ; c’était peine inutile : la Mort de César se disloquait d’elle-même, et l’anarchie intérieure y suffisait. Le départ de Lucien avait tout remis en question. Dix concurrens se présentèrent pour le personnage d’Antoine, qu’Espérit avait repris ; le terrailler crut bien faire en donnant sa démission au profit d’un homme influent du pays. Vingt candidats nouveaux surgirent ; puis c’étaient tous les jours de nouvelles prétentions, souvent très bizarres : Cayolis voulait introduire des chœurs d’opéra dans la tragédie, d’autres exigeaient qu’on montât Zaïre ou Mérope pour faire jouer leurs bien-aimées ; le sergent Tistet déclarait qu’il resterait à l’écart tant que le caporal Robin n’aurait pas été exclu pour son inconduite, et le magister Lagardelle demandait que tous les rôles fussent mis au concours. À travers ces rivalités courait et batifolait Perdigal, semant à pleines mains les discordes. Toutes les passions que suscite le métier de comédien, il les mettait en éveil, en lutte ; il surexcitait à plaisir les vanités, les jalousies, il enflammait les amours-propres les plus grotesques ; il soufflait des ambitions aux plus lourdauds, aux plus ignorans, même à ceux qui ne savaient pas lire. Cette petite république était en feu. Robin voulait qu’on répétât à la Mule-d’Or. Perdigal l’avait enfiévré d’orgueil : le malicieux poète était en train de lui persuader que « Tirard branlait au manche, et que lui Robin avait grande chance d’être nommé maire de Lamanosc. » Quant à Triadou, il faisait les frais de ces ambitions, payant à boire.

Dans la pensée d’Espérit, cette tragédie devait servir à rapprocher les cœurs, et il se trouvait au contraire que ce n’était qu’une occasion de déchiremens et de disputes. Il en était consterné. Tous les jours, de nouvelles difficultés se dressaient devant lui ; il mettait en jeu toutes les ressources de son génie ; il allait de l’un à l’autre avec un grand bon vouloir, usant de douceur, de patience et d’amitié ; il remettait tant bien que mal les choses en état. À peine remontée, la machine craquait et se détraquait de nouveau. Quelle que fût sa ténacité, si vif que fût son désir d’exercer aux tragédies les gens de Lamanosc, jamais il ne se serait aventuré dans cette entreprise, s’il avait pu prévoir à quels obstacles il allait se heurter, quelles crises il aurait à traverser. Au milieu de ce grand désordre, il s’attristait et se désespérait de plus en plus ; il avait voulu réunir, il divisait ; il avait espéré la fraternité, il ne suscitait que des haines, des discordes, des jalousies. Et le mal empirait tous les jours. Le marquis des Saffras en vint à désirer que le projet de tragédie lut tout à fait abandonné.

Un jour de marché, il arriva cependant que Perdigal et Triadou se rencontrèrent à la ville, sur la place du théâtre. La veille, des comédiens de passage à bout d’industrie, criblés de dettes, avaient donné Lucie de Lammermoor pour frapper un grand coup. La recette avait été nulle. Ces malheureux acteurs avaient été saisis à la requête des hôteliers, et l’on vendait leur vestiaire à la criée, dans la rue. Perdigal et Triadou arrêtèrent leurs charrettes. L’huissier tenait en main un magnifique pourpoint de Ravenswood en velours fané. — Triadou, voilà ton affaire, dit Perdigal ; quel costume pour jouer Cimber !

Le poète n’avait d’autre but que d’engager son ami dans une dépense inutile, absurde ; de tous les gens de Lamanosc, c’était bien celui qui se souciait le moins de la tragédie. Avec son impudence ordinaire, il persuada au teinturier que la Mort de César serait jouée ; il lui prouva, par toute sorte d’argumens saugrenus, qu’elle n’avait jamais été en si bonne voie, enfin qu’il y avait un ordre formel du préfet. Triadou le crut sur parole. Cet homme soupçonneux ne se méfiait jamais que de la vérité, il ouvrit sa sacoche de cuir et paya le costume.

— Il y aurait là encore une belle toge pour Robin, dit Perdigal en montrant la robe d’Éléazar, que l’huissier passait au trompette de ville. Si j’étais en fonds comme toi, je l’achèterais pour le caporal… Tu as vendu tes moutons hors de prix, et l’on sait que l’argent ne te pèse guère.

Triadou se laissa complimenter longuement sur sa générosité, et comme chez lui la vanité l’emportait sur l’avarice, il acheta le costume de Robin ; il aurait acheté toute la friperie, pour peu qu’on l’eût poussé.

Dans la soirée, il y eut exhibition de costumes à la Mule-d’Or. Robin prit le Voltaire et se mit à déclamer des tirades « à l’instar de Paris. » Son succès fut grand ; on but à outrance, les têtes s’échauffèrent, et la reprise de la tragédie fut votée d’acclamation.

Le lendemain, il y avait dîner à la Pioline. Au dessert, on annonça la députation de la Mule-d’Or. Le notaire Giniez eut l’imprudence de leur dire : — Eh quoi ! y pensez-vous encore à cette Mort de César ? Mais, malheureux, comment ferez-vous sans Lucien ? — Ce propos du notaire revint à la Mule-d’Or commenté, grossi, et prit les proportions d’un défi ; les amours-propres se piquèrent, et, dans leur désir de donner une bonne leçon aux bourgeois du pays, tous les acteurs se remirent à leurs rôles ; Perdigal lui-même prit à cœur le succès de la tragédie.

Sur ces entrefaites, il se trouva que la tante Blandine fut conviée à Methamis pour un baptême. Elle avait déjà, de ci de là, quatorze filleules, toutes vouées au blanc et toutes dotées à leur naissance d’un brillant trousseau. Quand il s’agissait de confectionner ces belles layettes des filleules, tout le manoir des Cazalis était en révolution. La tailleuse Rosine arrivait avec une bande d’apprenties, et pendant quinze jours la Pioline était changée en atelier de couture ; la Zounet, la fermière, Mlle  Sabine elle-même, étaient placées sous les ordres de la belle Rosine, et, toute affaire cessante, on travaillait pour la nouvelle filleule. Du matin au soir, des rires et des chansons ; la maison n’était plus tenable, partout des ouvrières et des chiffons ; le père Cazalis ne savait où donner de la tête ; on lui enlevait sa fille, il n’y avait plus d’heures pour les repas, on dînait à la diable ; personne ne s’occupait de lui, ni pour le gronder ni pour le soigner. Il était libre. — Eh ! si votre filleule allait être un garçon ? disait le lieutenant. À quoi la tante répondait en haussant les épaules : — Est-ce que les lunes m’ont jamais trompée ? — Elle avait de petits calculs à elle pour deviner la naissance des filles, et de fait elle ne se trompait jamais dans ses prédictions, à tel point que, dans les familles privées de garçons, on l’accusait très positivement de maléfice, et quand il survenait une fille, on disait : — Cette vieille tante de là-bas dans son arche de Noé, avec ses lunes, nous n’avons plus de garçons !

À l’occasion de cette filleule de Methamis, il y eut donc, comme toujours, grand remue-ménage à la Pioline, et, sans que Mlle  Blandine y prît garde, le lieutenant put aller tous les jours à Lamanosc, dans les cabarets, conférer avec ses chers tragédiens. M. Cazalis était très aimé des paysans, il fut donc d’un grand secours à Espérit. Sa présence mit fin à tous les malentendus ; d’autorité, il imposa tous les changemens nécessaires, il obtint sans conteste des remaniemens de rôles réputés impossibles huit jours plus tôt. Quand la layette fut terminée, la tante Blandine partit pour son quinzième marrainage, en compagnie de sa nièce et de la Zounet, et le lieutenant mit à profit ces deux jours d’absence pour faire un coup à sa tête : il donna un grand banquet à la Pioline ; tous les acteurs y furent convoqués, jusqu’aux figurans. Les dernières difficultés furent enlevées à table entre deux vins ; la nouvelle distribution des rôles se fit au dessert, le verre à la main, et dans la matinée du dimanche un grand tableau, dont le double resta déposé aux archives communales, fut affiché en mairie par les soins du sergent Tistet. Ce tableau n’était que le résumé d’un travail général que le sergent Tistet avait entrepris et mené à réussite. On pouvait consulter chez lui un immense registre, tenu, comme un livre de caisse, en partie double, où tous les acteurs avaient leur compte arrêté, acte par acte, scène par scène ; les vers et les hémistiches de chacun s’y trouvaient énumérés en leur ordre, dans des cases distinctes, ainsi que des valeurs additionnées par francs et centimes. Après le personnage de Cinna, le tableau ne désignait plus les acteurs que par des chiffres. Tistet pensait que, ces figurans n’ayant pas de nom dans la pièce de Voltaire, ils ne devaient plus avoir de nom d’homme dans la vie privée.

Cette réaction, favorable à la tragédie, coïncidait avec l’approche de la Saint-Antonin. Pressés par le temps, les tragédiens s’étaient mis résolument à leurs rôles, comme de bons ouvriers de tout cœur à leur tâche. Des vieilles haines, des querelles de parti, des factions, des discordes, il n’en était plus question. Ce bon accord réjouissait Espérit tout autant que le succès de la Mort de César, qui de jour en jour prenait tournure. Ces grands travailleurs, qui, dès l’aube jusqu’à la nuit, restaient en chantier, prenaient sur leur sommeil pour étudier et s’exercer entre eux ; ceux qui n’avaient que des rôles muets, tels que les licteurs, les sénateurs, les Romains, n’étaient pas les moins assidus aux répétitions. Ils s’étaient tellement identifies avec leur tragédie, qu’ils n’en voulaient pas perdre un seul mot.

Dans la dernière quinzaine qui précéda la fête, les acteurs se réunissaient tous les soirs à la mairie. Les dimanches et les jeudis, on répétait à la Pioline ; Sabine évitait de se trouver à ces répétitions, et M. Cazalis était convaincu qu’elle obéissait à quelque ordre secret de la tante. — Ma sœur aura fini par lui monter la tête contre la Mort de César, disait-il ; c’est une tyrannie incroyable ; parce que Mlle  Blandine n’aime pas la tragédie, il faut que ma fille en ait horreur.

Le lieutenant déployait un grand zèle, il était toujours prêt ; on le rencontrait partout le Voltaire à la main, et, comme tout service vaut un service au dire des paysans, les tragédiens ne laissaient échapper aucune occasion de se rendre utiles à leur directeur. Après la répétition, ils trouvaient toujours des prétextes pour travailler au bien de la Pioline. Tantôt c’était un chemin à empierrer, une muraille à soutenir, à couronner de grosses pierres, des talus à relever, à gazonner ; tantôt il fallait d’urgence tailler les saules, les haies vives, curer les fossés, vider l’écluse, — ou bien encore c’étaient des arrosages de prés, des sarclages de garances. Le lieutenant se mettait en colère, et pour les congédier de force, il jurait ses plus beaux jurons de marine, avec des menaces terribles contre ces envahisseurs qui violaient son domicile : on n’en travaillait qu’avec plus d’ardeur, et lorsque M. Cazalis mettait le syphon au barricel de muscat pour rafraîchir ses hommes au départ, ces braves gens donnaient encore un bon coup de main dans les champs, avant de reprendre le chemin de Lamanosc, surtout si la lune était claire, — si bien que la Pioline était tenue comme un jardin. Quant aux chasseurs de la bande, ils ne restaient pas oisifs ; les plus beaux coups de fusil se tiraient pour les Cazalis, et les gibiers les plus rares pendaient au croc de la Zounet.

Le soir, au retour de l’ouvrage, les paysans qui n’étaient pas de la troupe tragique s’en allaient sur l’emplacement du théâtre pour piocher, terrasser ou brouetter des sables, des pierres, des gazons. Les hommes des corps d’état travaillaient de leur côté très vaillamment à établir les charpentes, plancheyer le théâtre, étayer les gradins, dresser les cloisons, les mâts et les échafaudages. Il y en avait de bien habiles, et chacun faisait de son mieux, charrons, menuisiers, serruriers, maçons. Les plus experts ajustaient les décors. Les enfans allaient à Ventoux couper des buis et des ramures vertes pour les poteaux et les arcs de triomphe. Pour façonner les costumes, les draperies, les tentures, les femmes veillaient très avant dans la nuit. On cousait d’une ardeur sans égale, les aiguilles allaient comme les langues, et les langues comme le vent. Partout c’était la même animation, le même entrain. Cette tragédie (’-tait vraiment l’œuvre de tous. Riches et pauvres, grands et petits, chacun aidait aux préparatifs, et de tous ses moyens : l’un venait au théâtre avec ses mules, ’autre avec son ânesse ; le maire prêtait ses voitures et le balayeur sa brouette ; tous les ménages se dépouillaient, les dons provoquaient les dons : de tous côtés, on recevait des rideaux à fleurs, carrelés, bigarrés, des nattes, des escabeaux, de vieilles tapisseries ; il n’était pas jusqu’aux grand’mères qui ne prêtassent pour les tentures leurs belles courtes-pointes à losanges de couleur.

Le groupe des censeurs protestait encore, mais timidement ; le notaire Giniez n’en avait pas moins fait voter qu’on enverrait à l’amphithéâtre les belles banquettes neuves du cercle d’Apollon. Dans les rues, on se montrait du doigt les tragédiens ; à toute heure, on les voyait passer et repasser sous les fenêtres, devant les ateliers de couture, en gens qui sentent leur importance. Les licteurs et sénateurs n’étaient pas les moins fiers. Quelques hôteliers et gens de commerce se demandaient encore quels seraient les profits qui leur reviendraient de ce concours d’étrangers attirés dans le village par l’éclat de la fête, mais ce n’était là qu’une infime minorité. À Lamanosc, la grande masse vivait vraiment dans un ordre de sentimens plus nobles et plus désintéressés. Ils aimaient leur tragédie pour elle-même, pour ses beautés, ses émotions, ses pompes, et pour ce grand lustre qu’elle allait jeter sur la commune. C’était une heure lumineuse dans la vie de ce petit peuple ; les esprits étaient arrachés pour un temps aux grossières préoccupations égoïstes, aux misères de chaque jour ; une sorte d’activité intellectuelle leur était imprimée ; on se passionnait pour une chose idéale, immatérielle.


II.

Enfin le grand jour arriva. Le l/i septembre 184…, à cinq heures du matin, tous les acteurs étaient sur pied, en grande tenue de théâtre, et ce ne fut pas sans peine que le curé obtint d’eux qu’ils changeraient de costume pour assister à la grand’messe. C’était Triadou qui avait conçu ce beau projet de faire une promenade civique, et d’arriver ainsi à l’église, pour y prendre la statue du patron de la paroisse, qu’on aurait portée au milieu du cortège jusqu’au théâtre. Pour tout concilier, le maire décida que la statue de saint Antonin serait promenée jusqu’à la place, en avant du conseil municipal, puis ramenée à l’église par les gendarmes. Les choses se firent ainsi que l’avait réglé le maire. À l’issue de la grand’messe, le cortège se mit en bataille sur la place de l’église, et le défilé commença. Les vingt-quatre licteurs s’étaient divisés en deux escouades, blanche et rouge. Les douze licteurs blancs étaient en tête, avec les tambours : les douze rouges fermaient la marche, avec les autorités et la musique.

Des places d’honneur avaient été réservées sur l’estrade pour le maire et la famille Cazalis, au milieu des notables. Le lieutenant, en grand uniforme, alla s’asseoir au fond de la loge avec sa fille ; la tante et la Zounet s’étaient déjà emparées des banquettes du devant : jusqu’au dernier moment, Mlle  Blandine avait juré ses grands dieux qu’elle ne mettrait pas les pieds au théâtre ; au départ, elle s’était fait prier, supplier, quoiqu’elle mourût d’envie de venir.

On commença par les luttes. Avignon avait envoyé le célèbre Quiquine, et l’ambitieux Djindjourle était venu de La Palud pour se mesurer avec cette vieille gloire ; mais la foule impatiente se montra d’une grande indifférence pour ces jeux, si populaires dans le midi qu’ils portent par excellence le nom de joies. Les prix de la course et du saut furent mollement disputés ; à peine applaudit-on la belle Rosine, qui la première atteignit le but, le broc sur la tête, ras jusqu’aux bords, sans répandre une seule goutte d’eau sur ses brillans atours ; tout l’intérêt de la journée était à la tragédie.

À deux heures, un immense cri de joie s’éleva, les cloches sonnèrent à toutes volées, les fanfares éclatèrent, les confrères de Sainte-Barbe mirent le feu à leur artillerie, les tambours battirent aux champs, et la toile se leva.

Un grand silence se fit ; Espérit et Marcel étaient en scène.

Espérit s’avança lentement, gauchement, tête basse. A deux pas de la statue de Pompée, il s’arrêta net, les bras collés au corps, tremblant, très ému, les lèvres glacées, l’œil fasciné par les yeux ardens de la foule. Marcel lui tendit la main ; Espérit se sentit tout à coup une grande assurance. Sous la toge et le laticlave, il se retrouvait Espérit comme devant, la tragédie était bien oubliée ; sans nul souci de la chose romaine et des antiques discordes, loin du Capitole et de la sanglante Italie, il ne vivait plus qu’à Lamanosc, au milieu des siens, au grand jour de la Saint-Antonin. Ce n’était pas le Tibre, mais la rivière de Mèdes qui roulait ses eaux rougies par les sables, au pied de la colline, à travers les romarins et les lavandes. Dans le rôle du consul Marc-Antoine, il ne voyait plus qu’une chose, l’amitié fidèle ; Jules César, c’était Marcel ; il mettait sa fierté à lui rendre témoignage en public, et cette langue éclatante du vers l’enchantait comme une forme plus haute et plus lumineuse donnée à sa pensée.

..................
Antoine, tu le sais, ne connaît point l’envie :
J’ai chéri plus que toi la gloire de ta vie.
..................
Content d’être sous toi le second......
Plus grand de te servir que de régner moi-même,
Ta grandeur fait ma joie............

Il prononça ces vers avec un accent d’éloquence vraie ; dès ce début, les sympathies du public étaient conquises. Marcel lui répondit. — Ah ! qu’il a bonnes façons ! disaient les femmes en faisant sauter les petits enfans sur leurs genoux. Tous les spectateurs battaient des mains. — Bravo, bravo ! criait le lieutenant, et pour applaudir, il faisait danser son sabre dans le fourreau ; les gendarmes l’imitaient bruyamment. — Vois donc, Sabine, quelle fière mine a notre Sendric, quel air de franchise ! — Sabine, confuse et joyeuse, se retirait au fond de la loge, derrière les colonnes de feuillage, comme si tous les yeux de la foule se fussent portés sur elle.

— Eh bien ! l’ami Tirart, répétait M. Cazalis, comme nous marchons ! Dirait-on jamais que ce sont là des paysans ? Mais qu’avez-vous ? qu’avez-vous donc, notre maire ? Vous êtes inquiet, chagrin ; vous ne tenez pas en place : que se passe-t-il ?

Le maire Tirart était en grand souci. Il y avait là, à l’angle de l’amphithéâtre, quelques groupes de jeunes gens étrangers, isolés de la foule par la ligne de charrettes qui leur servaient de gradins. Ces jeunes gens étaient tous de Lardeyron, village ennemi de Lamanosc. C’était la première fois qu’ils revenaient à Lamanosc depuis la grande bataille qui s’était livrée en 1833 ; ils se tenaient à l’écart, en silence, mais leur attitude n’avait rien de provoquant. — Cette grande sagesse m’effraie, disait le maire ; je n’en augure rien de bon. — Et par prudence il envoya une estafette à la ville pour demander deux brigades de renfort.

— Mais applaudissez donc, disait M. Cazalis. Qu’avez-vous à toujours regarder votre montre ? Voyez comme nos acteurs sont bien en scène !

— Cet Espérit, dit Marins, cet Espérit avec sa tragédie !

— Elle ne vous plaît pas ? Vous êtes difficile. Moi, qui ai vu jouer Talma devant l’empereur, je vous jure que je suis fort content.

— Mais voyez donc, dit le maire en étendant le bras du côté des charrettes de Lardeyron. Ils ne se quittent pas. Quatre-vingt-huit ! Je les ai bien comptés. Je crains une rixe terrible. Je n’aurai mes brigades que dans une beure au plus tôt, et d’ici là, que faire si le feu prend aux poudres ? Mes cantonniers sont sénateurs. Quatre gendarmes qui sont sur les dents, un garde champêtre qui n’a qu’un bras, un forestier qui est ivre, — en cas d’émeute, voilà une belle armée pour le maire Tirart !.. Cet Espérit !..

— Tout s’arrangera, dit le lieutenant. Je ne crois pas à ces haines de village à village. Comment pouvez-vous avoir de pareils préjugés ? Vous n’êtes donc pas partisan du progrès ? Voici Dolabella qui entre en scène ; il a fort bonne mine en Romain, ce maître Cayolis. Bien dit ce premier vers. Voilà une marché de sénateurs très remarquable, très bien réglée ; le sergent Tistet s’est surpassé.

— Ah ! si j’avais mes trois brigades ! disait le maire ; cet Espérit, cet Espérit avec ses almanachs !…

Des chants rauques et des roulemens de tambour se firent entendre tout à coup du côté des vergers. Une bande de jeunes gens déboucha sur la route, tourna la colline au pas de course, et vint prendre position à l’entrée de l’enceinte formée par la ligne des charrettes. Le maire les compta ; ils étaient bien cent cinquante, tous de Lanjade et de Meyrenc. Cette farandole était menée par un grand maigre du nom de Sambin, agile, déhanché, tout vêtu de bazin blanc, avec des chaînes d’or sur la chemise entr’ouverte, — un faraud. D’une main il faisait flotter son drapeau, et de l’autre il relevait le mouchoir qui formait le premier anneau de la farandole. Tout en gambadant, il entraîna la colonne en avant jusqu’à l’orchestre. Arrivé là, il battit quelques brillans entrechats, et retomba sur un seul pied, la tête en arrière, le drapeau sur la hanche. Alors la farandole vint se dérouler autour de lui, tourna et passa sous l’arcade formée par les mains unies des deux premiers danseurs. Pendant ce défilé, le tambour battait la charge, et Sambin, pirouettant toujours, agitait le drapeau et le lançait au-dessus de sa tête, comme une flèche, jusqu’aux plus hautes branches ; puis, le rattrapant en l’air, il le jetait de côté pour le faire virer sous jambes, à grande vitesse, au ras du sol, en jonglant des deux mains. C’était un défi en règle, une provocation insolente ; le peuple de Lamanosc y répondit par des cris de fureur. Alors le bataillon silencieux des gens de Lardeyron se leva et cria tout d’une voix : Vive Lanjade et vive Meyrenc !

— À mort ! à mort ! répétaient les jeunes gens de Lamanosc en bondissant autour des charrettes jusqu’à l’orchestre ; en bas Meyrenc ! en bas Lanjade et Lardeyron ! à mort ! à mort !

Cayolis récita ses deux vers d’une voix forte, puis, jetant bas son costume de sénateur, il cria : — Attends-moi, Sambin, je suis ton homme.

D’un bond, le maire Tirart se trouva en tête de la farandole ; il s’élança sur Sambin, et d’un mouvement si brusque, qu’il put enlever le drapeau au passage ; il saisit Sambin par le bras, et l’arrêta net devant lui.

— Vrais ou ennemis ? dit-il, répondez ! Si c’est amis, prenez vos places, et malheur à qui vous attaque ! Si c’est ennemis, qu’on le sache. Venez-vous pour la bataille ? Dites-le ; j’en suis, qui en veut ? Les gendarmes ne sont pas loin ; vous ne voyez ici que l’avant-garde. J’ai écrit au préfet ; il en arrivera de tous côtés pour vous fusiller. Ah ! le premier de vous qui vient troubler ma commune, je le brûle, S’il n’aime mieux aller en cour d’assises. Et toi, Sambin, je te connais par ton nom, tu me réponds de tout. S’il arrive malheur, je te fais fusiller sur place pour l’exemple. Gendarmes, chargez les carabines ! Allons ! tais-toi et tiens-toi, grand cadeou ! cadélas !

Au sens littéral, ce mot de cadeou signifie jeune chien ; mais on l’applique par métaphore à tous les adolescens et jouvens qui n’ont pas encore tiré au sort, race bruyante et courageuse, fanfaronne, ardente au travail, à la danse, aux batailles. Il faut les voir, les jours de semaine, dans les chantiers de garance, défiant leurs aînés, s’attaquant aux plus durs sillons, creusant au plus profond. Et le dimanche, à la sortie de l’église, quels cris, quels rires, quelles poussées joyeuses ! Les voilà descendant à grands sauts les rues escarpées, courant par bandes et faisant sonner les pièces d’argent dans leurs poches, renversant tout, s’appelant et se heurtant à grands coups d’épaules, embrassant et mordant les chiens, tirant les mulets par la queue, bousculant les charrettes, ou faisant des grâces autour des filles, une grosse fleura la bouche et le poing sur la hanche, le castor sur l’oreille et la veste jetée sur l’épaule, à la hussarde. Ces héros des votes, ces farauds des villages du Comtat, ces fringans, ces glorieux, qui les reconnaîtrait dans ces conscrits tristes et timides qui d’année en année viennent remplir les cadres des compagnies du centre ?

La farandole s’était arrêtée derrière Sambin ; Sambin était encore tout étourdi de cette brusque attaque du maire ; l’attitude piteuse du cadcou excitait la verve moqueuse des manœuvres. On lui criait de tous côtés : — Oou, Sambin ! cadeou ! cadélas ! — Eh bien ! mon bon, qu’en dis-tu ? Il te l’a mis la cocarde ! — Ohé ! court de langue ! D’autres chantaient :


T’an toundut,
Cabassut ;
La cigalo t’a mourdut[1].


Sambin, réveillé par ces insultes, se cramponnait au drapeau, il se cabrait et se tordait sous la main de fer de Tirart. Du haut de son arbre, Cascayot cria : — Eh ! Marius, laisse-le donc, c’est un enfant. Il est comme les figues vertes ; si on lui écrasait le nez, il en sortirait du lait. Sambin fit un violent effort, se dégagea des mains du maire et fit appel aux amis. Tous les spectateurs s’étaient levés et répondaient par des cris de colère aux provocations de la farandole ; une cinquantaine de jeunes Lamanoscans se jetèrent en avant des charrettes. Les ennemis étaient en présence ; le choc était inévitable ; les gens de la farandole et de Lardeyron offraient la bataille ; la jeunesse de Lamanosc tout entière acceptait avec joie ; il semblait impossible de séparer ces combat tan s acharnés. En apparence, que pouvaient contre eux ces notables du pays, ces curieux venus de la ville, ces étrangers indifférées ou peureux, ces femmes, ces vieillards ? Le maire Tirart n’avait pour lui que cette foule pacifique ; par son audace, il la transforma, De toutes ces faiblesses unies, groupées, il fit une force immense : il en était maître, il la tenait pour ainsi dire toute ramassée dans sa main. Ces spectateurs étaient troublés dans leurs plaisirs, inquiétés dans leur tranquillité ; dans leur exaspération, dans leur effroi, ils investissaient le maire Tirart d’une dictature illimitée ; Tirart était l’homme du salut public ; il pouvait tout oser, même contre les siens ; il aurait arrêté une armée. Il s’avança seul au milieu des groupes menaçans et les fit reculer. — Tirart n’a pas deux justices, cria-t-il ; ce que j’ai dit pour Meyrenc et Lardeyron, je le dis pour Lamanosc. À moi, gendarmes ! le premier de la commune qui manque à l’hospitalité, je vous jure, sur mon nom, qu’il part à l’instant même pour les galères en carrosse, vrai comme il n’y a qu’un Marins Tirart. Brigadier, droit ici ! faites déblayer à gauche, du troisième au septième banc. Place à nos amis de Meyrenc ! Toi, Sambin, donne-moi ton drapeau, que je l’arbore en signe d’honneur et d’amitié, à l’estrade, sous le buste du roi, à côté du drapeau de ma commune. Et toi, dit-il au tambour de la farandole, va te ranger auprès du lieutenant, tu es tambour de ville, obéis.

Alors le maire releva le drapeau, et, saisissant de nouveau Sambin par le bras, il l’entraîna lui et les siens jusqu’aux bancs déblayés par les gendarmes. Il était devenu le chef de la farandole, il la conduisit au galop entre deux rangées de spectateurs ; il sautait les bancs à pieds joints, et, dans cette course, il dansait, lui aussi, très lourdement, et de sa main gauche il faisait virer le drapeau. Tout cela fut fait si vivement, avec tant d’assurance et de résolution, d’un tel entrain, d’une telle vigueur, que la farandole se laissa conduire et placer sans résistance aux bancs désignés. Cette manœuvre fut décisive ; la farandole se trouvait ainsi tout à fait isolée, à égale distance de ses alliés de Lardeyron et des jeunes gens de Lamanosc, engagée très avant dans la cohue des femmes, des vieillards, des marmots, au milieu des bourgeois, des belles dames et des paniers, coupée en plusieurs bandes, cernée, neutralisée de tous côtés par l’élément pacifique. Déjà démoralisée par l’humiliation de son chef, le maire la désorganisait à fond en lui enlevant le tambour et le drapeau, et quand il leur dit : — Allons, les enfans, les mains libres et les mouchoirs dans les poches ! a-t-on jamais fait la farandole quand on est assis pour la comédie ? — tous ces mutins obéirent avec une précision mécanique comme des soldats prussiens. Le maire remonta aussitôt lentement les degrés de l’amphithéâtre, se retournant à chaque pas, et toujours salué par des acclamations enthousiastes. Arrivé au milieu de l’estrade, devant le buste du roi, il croisa les drapeaux, et les tambours battirent aux champs :

— À l’union des quatre communes ! dit-il. Vive Meyrenc ! vive Lardeyron ! vive Lanjade ! et vive Lamanosc ! Vive le roi ! vive Tirart !

À ce dernier cri, il jeta son chapeau en l’air, et la foule répondit par des applaudissemens frénétiques.

— Maintenant silence ! dit le maire.. Massapan, fais baisser et relever la toile, et qu’on recommence toute la pièce pour nos amis des villages.

La tragédie fut reprise avec un grand succès. Dès la première scène, les gens de la farandole furent conquis, séduits par l’attrait du spectacle. Poésie creuse, tragédie de collège que cette Mort de César ! les beaux esprits du dernier siècle en ont fait leurs délices. L’action du temps est des plus sensibles sur ces œuvres secondaires qui visent au sublime ; mais sous ces formes vieillies, sous cet apparat suranné vit toujours le grand drame de l’histoire, et l’instinct des masses ne s’attache qu’à l’intérêt très réel qui sort du fond du sujet même, de la grandeur des situations ; il s’y attache avec ce bon vouloir, cette force d’attention que l’enfance porte dans ses premières lectures, et pour un public neuf, inexpérimenté, enthousiaste comme celui de Lamanosc, ces évocations du passé seront toujours saisissantes et pathétiques. La patrie, la liberté, la gloire, l’horreur de la tyrannie, les ambitions enjeu, César et Brutus, ces grands noms, ces grandes choses, ces paroles magiques et ces souvenirs impérissables de Rome notre mère, ces appels aux passions, cette éclatante mise en scène des actions et des sentimens virils, c’était là pour eux toute la tragédie ; tout un monde héroïque revivait sous leurs yeux. Pour eux d’ailleurs, ce n’était pas simplement un plaisir, une fête ; c’était plus qu’un spectacle, c’était un acte, un événement de leur vie, un travail spirituel, l’éveil des intelligences. Quel sérieux et quel silence ! quelle attention ardente, farouche, ombrageuse ! Les jeunes citadins, clercs et courtauds, qui s’étaient promis de rire de cette tragédie rustique, se tenaient cois, et prudemment rentraient en poche les clefs forées. Celui qui se serait avisé de siffler eût été lapidé sur place, déchiré en lambeaux. C’était merveille de voir à quel point la passion commune apaisait et disciplinait ces populations turbulentes. Les élémens les plus hostiles se trouvaient rapprochés, unis, confondus. Jeunes et vieux, paysans et moussus, gens de Lamanosc et des villages, factieux et mutins, ils étaient là tous dans la même attitude, inclinés en avant, les mains sur les genoux, suivant la déclamation sans perdre un vers, un hémistiche, une syllabe, et de la tête marquant en mesure les cadences des vers sonores. La redondance même des périodes voltairiennes charmait l’instinct musical de ce peuple artiste, amoureux du beau langage. Comme ils écoutaient tous ! avec quel intérêt, quelle obstination ! souvent sans bien saisir le sens précis des mots, des idées, des tournures, mais s’ingéniant, devinant, s’excitant l’esprit pour pénétrer cette langue française qu’ils ne comprenaient qu’à demi ; lutte vive et féconde ! Le français pour eux, c’était la langue de la science, la science même, la vie supérieure qui les sollicitait et les attirait : avide désir de connaître, curiosité vierge que rien n’a lassée ni trompée, mouvemens libres et sincères ; ascension des esprits montant et s’élevant de toutes leurs forces, comme ces plantes semées à l’ombre et qui cherchent la lumière.


III.

La toile était tombée au milieu des applaudissemens de la foule.

— Eh bien ! cette fois êtes-vous content, monsieur l’alarmiste ? dit le lieutenant. Que craignez-vous encore ?

— La journée n’est pas encore finie, dit le maire, j’aurais dû garder les joies pour l’entr’acte. Bast, je m’en vais supprimer l’entr’acte. Ah ! si j’avais mes brigades !

Il manda Tistet et lui donna l’ordre de ramener les acteurs sur la scène. — Impossible, répondit le sergent ; tous les acteurs sont à se rafraîchir chez Triadou qui leur offre un punch, et moi-même je serais avec eux s’il n’était arrivé un malheur dans mes machines ; un décor vient de tomber sur le général Pompée. Tout est brisé jusqu’au socle. — Cette statue de Pompée sortait de la fabrique d’Espérit. Le terrailler l’avait façonnée en terre glaise ; après l’avoir enduite de son plus beau vernis, il l’avait fait cuire au four. Cette grande poterie s’était fendue de la tête aux pieds, mais les draperies du costume dissimulaient assez habilement les lézardes ainsi que les maladresses du moulage, et le sergent Tistet lui trouvait une tournure très militaire. — Comment remplacer le général ? dit-il au maire ; où trouver un autre Pompée dans Lamanosc ?

— Eh bien ! qu’on supprime la statue !

— Jamais ! jamais ! dit le sergent, je ne le souffrirai pas ; c’est devant Pompée que nous devons jurer la mort de César ; pas de statue, pas de tragédie.

Il y avait dans l’escalier de la mairie un Apollon du Belvédère en plâtre ; il fut décidé qu’on l’habillerait en Pompée. Espérit et Tistet se chargèrent du transport, et le maire les accompagna pour procéder légalement à l’enlèvement de l’Apollon. Toutes ces formalités prirent du temps ; lorsque Marius revint à l’amphithéâtre, les groupes ennemis étaient déjà en présence, préludant par des provocations fanfaronnes à la manière antique. Entre eux tourbillonnait la bande de manœuvres, arrogans et moqueurs, lancés en avant comme des tirailleurs pour engager la bataille. Il en sortait de tous côtés, ils se pressaient autour des charrettes, avec des cris de bêtes, des risées, des sifflets, se sentant excités, soutenus, usant très largement de leur droit d’insolence. Il fallait les disperser à tout prix, car déjà les gens de la farandole s’avançaient sur eux. Le maire tira sa grande bourse de cuir, et jetant à poignées toute sa monnaie au milieu des groupes d’enfans : — Allons, les mousses ! un tire-poil, tiro-peou ! tiro-peou.

Ce jeu brutal est très populaire dans le pays. L’ardeur de ces petits sauvages égaya quelque temps les spectateurs des deux partis. Tous ces enfans s’arrachaient les cheveux à poignée pour se disputer les sous. Les plus maltraités se frottaient la tête, essuyaient leurs oreilles saignantes, en criant : Moi, je ne sens rien, je suis bronzé. Encore des sous ! Je ruinerais le maire. Tiro-peou ! tiro-peou !

Mais l’attention du public se lassa bientôt ; ce n’était qu’un quart d’heure de gagné. Comment occuper cette foule indisciplinée jusqu’au lever du rideau ? Le maire fit annoncer que les luttes allaient être reprises ; il monta sur l’estrade pour signifier au peuple qu’un prix de cinquante francs allait être disputé à la lutte par la jeunesse, et il ajouta de très mauvaise humeur : — Je les prends de ma poche, l’argent est dur à gagner !

Cette lutte fut très animée. Lamanosc fut battu ; le maire allait décerner le prix au jeune vainqueur de Lardeyron, lorsque Cabantoux, qu’on n’attendait pas, entra en lice. En quelques secondes, il eut terrassé le Lardeyronenc. Cascayot vint balayer avec sa veste le sol piétiné par les athlètes, et, regardant le vaincu, il lui dit : — En cas que tu tombes encore, je te fais une belle place. — Du côté de la farandole, des voix irritées criaient : Il n’est pas tombé ; il n’a pas touché de l’échine ; il n’a touché que d’une épaule, — le revenge, le revenge ! Le lutteur de Lardeyron s’était relevé et défiait le fadad ; Cabantoux le renversa de nouveau à plat sur le sable, et si grande que fût la mauvaise foi des gens de la farandole, ils ne purent contester cette victoire. Humiliés, furieux, ils s’apprêtèrent de nouveau à la bataille.

Après les luttes, le maire fit battre un ban. — Aux trois sauts ! dit-il en faisant tinter une bourse. Il se rassit en maugréant. En proclamant ce nouvel exercice, le maire voulait ménager un triomphe à la jeunesse des villages. A Lamanosc, il y a de forts lutteurs, mais les gens de Meyrenc passent pour plus adroits, plus agiles. Depuis quatre ans, Sambin promenait dans toutes les votes la gloire de son village ; douze écharpes d’honneur frangées d’argent, suspendues dans sa cuisine autour de son fusil, attestaient ses victoires.

On laissa d’abord sauter les faibles. Le garde de la commune plantait son sabre en terre pour marquer les coups. Sambin parut, il mesura dédaigneusement l’espace parcouru par ses concurrens, et, sans prendre d’élan, les mains dans les poches, il les dépassa d’une bonne semelle, puis s’assit négligemment en attendant qu’il se présentât des adversaires plus dignes de lui. Espérit et Cayolis se déshabillaient à la hâte pour venger Lamanosc. Le maire les supplia de laisser une couronne aux étrangers ; Cayolis consentit à rester dans les coulisses ; Espérit fit mieux encore : il se dévoua, sauta mollement et se laissa battre par Sambin aux applaudissemens des farandoles. — Sambin a brûlé ! crièrent les amis d’Espérit. La mauvaise foi de Lamanosc était évidente ; mais Sambin, pour leur enlever tout prétexte, reprit son élan en sautant d’une semelle en arrière de la traînée de terre qui marquait le point de départ. Alors le maire s’avança sur l’estrade sa bourse à la main Il allait adjuger le prix à Sambin, lorsque la belle Rosine se mit à crier : — À toi, Ménicon, revenge Lamanosc ! — Cayolis, oubliant ses promesses, s’élança dans l’arène, et tout au début il gagna deux semelles sur Sambin. C’était un saut magnifique ; Sambin, revenant deux fois à la charge dans un élan désespéré, réussit à peine aie dépasser de quelques lignes. Sur ce coup douteux, le maire se hâta de proclamer la victoire de Sambin. — Tirart n’est pas franc, criait avec emportement la belle Rosine : Ménic a gagné. — Mais déjà les tambours battaient. Au coup de sifflet du sergent, la toile se leva, les musiciens attaquèrent vivement leur joyeux air national : Fan courre leï gourrin[2], et le tumulte s’apaisa.

Six heures sonnaient alors au clocher de Lamanosc. — Nous sommes sauvés, dit le maire ; dans cinq minutes, j’aurai mes brigades. Ici, Massapan, charge-moi une belle pipe. Ah ! lieutenant, quelle rude journée ! Pour mille écus, je ne voudrais pas recommencer. Tiens, Massapan, prends ma cravate, et cours me chercher les bouteilles qui sont au frais dans le puits. Tu me ramèneras le brigadier.

Le maire ne songeait plus qu’à se reposer le corps et l’esprit. D’un coup de main, il fit sauter tous les boutons de son costume ; il ouvrit sa chemise, desserra son écharpe, et s’étendit à la renverse sur la banquette, derrière les draperies de l’estrade. La poitrine et le cou nus, le corps tout à l’aise, il se roulait à cœur-joie sur le velours, s’étirait bras et jambes, bâillait gaiement et s’éventait avec son chapeau.

— Ah ! lieutenant, disait-il, quelle journée ! Nous pouvons nous vanter de l’avoir échappé belle. Enfin je respire.

— Et moi, je suis sur les épines, répondit M. Cazalis, vous êtes bien heureux, vous, de voir tout couleur de rose. Savez-vous que ce deuxième acte est plein de dangers ? Mes deux meilleurs sujets, Espérit et Marcel, ne font que passer dans la première scène, et tout le poids de la pièce est porté par des rôles secondaires, Cimber, Cassius et tant d’autres. Il n’y a qu’un grand rôle, celui de Brutus, et c’est Robin, songez-y. Au premier acte, il a pu s’en tirer avec ses seize vers ; mais ici, le monologue ! c’est à faire trembler.

— Bast ! dit le maire, arrive qui plante, ma journée est finie ; qu’il vente ou qu’il tonne, dans cinq minutes j’aurai mes gendarmes ! et que tous vos acteurs se mettent à jouer les jambes en l’air, Tirard est là pour conduire la danse.

— Mais le monologue, mon ami, le monologue ! Avez-vous réfléchi que cet affreux Robin l’a voulu à tout prix ? Je tremble comme un enfant. Ah ! ce monologue est terrible, mon bon ami, et je vous jure que moi-même je n’oserais pas m’en charger.

— Ta, ta, ta, dit le maire, tout s’arrangera ; voyez comme ils applaudissent Espérit ! quelle attention ! on entendrait voler une mouche ! Mais parlons plus bas ; nous sommes d’un mauvais exemple. Les voilà qui nous imposent silence.

En effet, déjà quelques cris partaient de l’orchestre : — Silence au maire ! A la porte les bavards ! Marius à la porte ! — Les voyez-vous, reprit Tirait, comme ils sont sages ! Je n’ai qu’une crainte ; peut-être me suis-je trop pressé ! Si j’ai pris l’alarme pour rien, que va-t-ou penser de moi à la préfecture ? Les commis se moqueront du père Marius dans leurs bureaux… Mais voici les bouteilles ! Trinquons.

— Ah ! ce monologue, ce monologue ! murmurait le lieutenant. Espérit venait de réciter ses huit vers d’entrée, c’était à Robin de paraître en scène. On l’appelait à grands cris, il n’arrivait pas. Le caporal, comprenant toute l’importance de son rôle, était allé à la Mule-d’Or pour réciter une dernière fois son monologue devant la glace. On attendait, on demandait Brutus. Ce fut Cayolis qui se présenta, Cayolis armé d’un drapeau tricolore et suivi de sa bande lyrique. Il entonna son grand air de la Muette : Amour sacré de la patrie. Il avait arrangé ce morceau pour six voix. Au refrain, le sextuor reprenait en chœur. À la rigueur, Brutus aurait pu chanter ce morceau sans trop d’invraisemblance ; mais il était assez extraordinaire qu’on acceptât pour chef des conjurés Dolabella, l’ami fidèle de César. Le public n’en parut pas moins charmé de cet intermède ; on ne s’étonna nullement de voir les partisans du dictateur appeler le peuple à la liberté. Cayolis fut applaudi pour la belle exécution de son sextuor. On voulut faire bisser le chant patriotique ; Dominique Cayolis s’y prêta de bonne grâce, et par trois fois il salua courtoisement le public avec des entrechats incroyables. Il s’avançait de nouveau vers la rampe, la main sur le cœur, lorsque Robin parut en scène. Le caporal voulut imposer silence aux chanteurs ; un parti nombreux se déclara pour Cayolis ; d’un autre côté, les gens de la Mule-d’Or appuyaient leur président ; le public était partagé, et déjà les chercheurs de querelles se menaçaient bruyamment. Alors Tirart fit avancer ses gendarmes sur la scène : — Pas d’injustices ! dit-il ; Ménicon a fini, c’est au tour de Brutus. Qu’il joue seul.

On obéit au maire, mais les spectateurs étaient déjà en grande majorité hostiles à Robin. Robin s’était fait attendre, et l’appui de l’autorité le compromettait encore. Il récita sa tirade ; on l’écouta sans bienveillance. Le caporal ne méritait pas cet accueil ; il arrivait plein de son rôle, très monté, très en verve, et, s’il eût été soutenu, excité par le succès, il aurait fait merveille, car il avait du talent. Il faut bien l’avouer : ce bavard, ce vantard, cet affreux caporal, toujours ivre, était sans contredit le meilleur acteur de la troupe, le seul, à vrai dire. Espérit et Marcel, portés par les sympathies populaires, avaient très bien joué ; mais ce n’était qu’un succès d’occasion. Robin au contraire avait une nature de comédien, un tempérament ; au théâtre était sa vraie place. Dans la vie ordinaire, il était affaissé, inerte, hébété ; mais sous cette brute en somnolence il y avait un artiste véhément, passionné : dès qu’il était en scène, l’homme entier se transformait, l’ignoble troupier disparaissait ; une fois sous la toge, Robin n’était plus Robin ; à peine costumé, il était saisi d’une énergie extraordinaire, inconcevable ; il sortait soudainement de sa torpeur. Ses membres paresseux retrouvaient une agilité, une aisance incroyables ; sa voix éraillée s’échauffait, vibrait et sonnait comme un clairon ; ses pieds brûlaient les planches, une sorte de fureur tragique l’enivrait, et, dans son lyrisme barbare, il avait alors une déclamation, des cris, des gestes d’un effet violent, inattendu : tout cela désordonné, confus, inculte, et non sans style. Il était, comme toujours, grossier, dur, extravagant ; il n’était plus vulgaire. Il aurait brillé dans des rôles fougueux et bizarres ; ses emportemens s’adaptaient mal à la solennité de la muse française, et Voltaire eût été épouvanté de cette façon sauvage d’interpréter un rôle pompeux et noble. Robin avait fait de son Brutus un visionnaire en démence, inspiré, fanatique, marchant à la mort avec des ardeurs fantasques. Une heure plus tôt, on l’aurait applaudi à outrance ; mais il arrivait au mauvais moment, devant un public déjà mal disposé, rieur, amoureux du changement. L’inattention des spectateurs l’irrita, il força ses effets. C’est ainsi que, pour frapper un grand coup, il s’avisa de répéter trois fois cet hémistiche de Voltaire : « Non, tu n’es pas Brutus ! » Cela fut très bien dit : c’était exagéré, mais en situation après tout, et, quand on avait applaudi le sextuor de Cayolis, il n’y avait pas à s’irriter de cette innovation du caporal ; mais tout prenait une tournure singulière dans ce deuxième acte, un destin ironique semblait pousser les choses à contre-sens. On hua Robin, et lorsqu’il répéta pour la quatrième fois : « Non, tu n’es pas Brutus, » on crut que la mémoire lui faisait défaut, et des rires violens éclatèrent de tous côtés. — Assez ! assez ! crièrent quelques voix. Des coups de sifflet retentirent. Robin, par bravade, recommença tout le monologue ; il voulait combattre et vaincre son public ; les injures, les colères de la foule l’exaltaient. Sans ménager ses forces, exaspéré, en délire, il courait comme une bête fauve sur le devant de la scène, le poil hérissé, les yeux hagards, sanglans, l’écume aux lèvres ; ses cris, ses rugissemens dominaient les sifflets, les huées, les ricanemens, les applaudissemens ironiques. Tout à coup il fut pris d’une défaillance subite, il sentit sa mémoire s’obscurcir et sa voix s’étrangler. Épuisé, haletant, il fit un dernier effort, désespéré, inutile, et, sans achever son monologue, il prit la fuite, poursuivi par des risées furieuses.

Au plus fort de ce tumulte survint le sergent Tistet ; d’un pas mesuré, il s’avança jusqu’au milieu du théâtre, et là, s’arrêtant sec, il ouvrit les bras pour prononcer ce vers de son rôle :

Je t’embrasse, Brutus, pour la dernière fois.


Mais il n’y avait pas de Brutus à embrasser, et personne ne se jeta dans les bras du sergent. Tistet restait dans cette attitude, les bras en l’air, attendant Robin pour le presser sur son cœur, et comme il répétait de nouveau : « Je t’embrasse, Brutus, » on se mit à lui crier de tous côtés : — Mais embrasse-le donc, ton Brutus ! embrasse-le. Tistet leur répondit avec le plus grand sang-froid : — Messieurs, il ne vient pas, tant pis pour lui ! — Et, se croisant les bras derrière le dos, il continua sa déclamation, comme si le caporal se fût trouvé à ses côtés pour lui répondre.

Cette tirade fut récitée d’une manière irréprochable, en douze temps, la tête fixe, et le sergent méritait des éloges pour sa belle tenue. Peu s’en fallut pourtant qu’il ne fût sifflé. Le public demandait toujours le caporal. Sans s’inquiéter de ces rumeurs, Tistet dialoguait tranquillement avec son Brutus invisible. Brusquement il se sentit saisi par le bras. C’était Robin qui sortait de la coulisse ; il entraîna le sergent jusqu’au trou du souffleur, et de là, lui montrant la foule, il se mit à hurler en crispant les poings :

Laisse là ce vil peuple et ses indignes cris.


Le vers est de Voltaire, on crut que c’était une invention de Robin, un défi jeté à la foule, une menace, une insulte, et de fait on ne se trompait pas sur les intentions du caporal ; c’était bien au peuple de Lamanosc qu’il adressait ce vers, qui dans la tragédie s’applique aux amis de César. Pour qu’on ne s’y méprît pas, Robin le répéta à diverses reprises avec une rage extrême ; puis, rejetant sa toge sous le bras, il se retira, tête haute, à reculons, avec une lenteur dédaigneuse. Ce fut alors un tumulte inexprimable, mille voix criaient en fureur : — A mort ! à mort ! — Il nous a manqué ! — A bas l’arrogant ! — lia insulté le peuple ! — A mort ! à mort ! — Gendarmes, traînez-le sur la scène, qu’il demande pardon au peuple ! — A genoux, à genoux !

Espérit et Marcel proposèrent de baisser le rideau ; c’eût été le plus sage parti, mais le sergent s’y opposa. Il déclara que ce serait une lâcheté et qu’il fallait faire son devoir jusqu’au bout ; tous les acteurs qui n’avaient encore rien dit furent du même avis. Il fut décidé qu’on rentrerait en scène et qu’on irait tout droit jusqu’à la fin de la tragédie, en supprimant le second entr’acte. Par malheur Robin avait disparu pendant cette bagarre ; comment le remplacer ? Perdigal imagina alors de proposer le rôle de Brutus à Tistet. Il fut donc convenu que le sergent serait Brutus, mais qu’il jouerait son rôle le livre à la main.

La comédie était désormais dans la salle ; les spectateurs s’accommodaient très bien de l’absence de leurs tragédiens. Des rires, des jeux de langues, on en vint bientôt aux jeux de mains. Ce furent d’abord des chapeaux enlevés, puis les coiffes, les fichus ; quelques-uns, ne se trouvant rien sous la main, lançaient leurs propres vestes. Cascayot, qui s’était dépouillé de tout, allongea une forte bourrade au notaire Giniez en criant : « Faites passer aux amis, » et le notable, sans se faire prier, rendit le horion à son voisin qui fit de même, et tous les autres à la file se gourmèrent de la sorte, frappés à gauche, frappant à droite. L’attention de la foule se reporta enfin sur la scène, où le sergent Tistet manœuvrait. Tistet s’avançait avec les conjurés, le livre à la main, l’épée nue pour prendre Pompée à témoin. Aussitôt la statue d’Apollon se dressa devant lui, grandit outre mesure, tournoya poussée par une main invisible, puis se brisa avec fracas. Alors on vit un fantôme traverser le théâtre et monter sur le socle de la statue à la place qu’occupait Pompée, la draperie se souleva, et l’on reconnut le poète Perdigal, peint en nègre, enveloppé d’un linceul. La statue descendit sur la scène et se mit à danser des gigues grotesques ; ces tours de funambule égayèrent quelques instans les spectateurs, puis des pierres et des bouteilles tombèrent de tous côtés sur la scène ; Perdigal s’accrocha aux cordages et disparut dans les décors en lançant derrière lui des fusées et des pétards. Ce fut le signal de la déroute. Depuis longtemps déjà cette malheureuse tragédie tournait à la parade ; l’humeur bouffonne du peuple comtadin s’ajustait très bien à ces changemens de spectacle. Tistet et ses acteurs s’obstinaient à rester sur le théâtre ; leur jeu était exécrable, ils déclamaient tous à la fois, à la hâte, pêle-mêle, à la débandade, et le troisième acte enjambant sur le second. L’impassible sergent, se promenant de long en large, récitait méthodiquement son rôle de Cassius, puis se répondait à lui-même, livre en main, au nom de Brutus. Une gaieté folle s’était emparée des spectateurs. On riait de tout, de la pantomime, des acteurs, du français ; pas un mot, pas un geste qui ne fût parodié vingt fois. On appelait les absens, on huait les présens ; on leur jetait des melons, des pastèques, tous les fruits, toutes les provisions apportées par les prudentes ménagères, et jusqu’à des chats enlevés sur les genoux des bonnes femmes. Des dialogues très vifs s’engageaient entre les tragédiens et les assaillans. La salle entière s’était levée, passionnée, fougueuse, enivrée de bruit, de folies et de rires. Comment donner une idée de ces tumultes à qui n’a pas vu de près ce peuple mobile dans ses fêtes ardentes, où l’on voit éclater soudainement toute la familiarité, le caprice, l’audace et l’insouciance des mœurs du midi ? Et les femmes ne sont pas les moins exaltées dans ces joyeuses et terribles bagarres ; mais qui pourrait traduire le franc-parler, la verve, la jovialité hardie des filles de Provence ?

Le maire Tirart luttait seul contre ce démon des foules ; il le prenait corps à corps et le tenait en échec. Il trouvait des forces surhumaines pour combattre le monstre aux mille têtes, et sa voix brisée se faisait entendre jusqu’au fond de l’amphithéâtre, au milieu des cris, des huées, des clameurs. Il voyait, il entendait avec des sens de sauvage ; l’œil au guet, l’oreille dressée, il saisissait à la volée les provocations, les quolibets, les lazzis partis des points les plus opposés ; des premiers aux derniers gradins, pas un cri qui restât sans réponse. Il interpellait les mutins par leurs noms, et les gouaillant ou les menaçant, d’un mot, d’un geste, il leur imposait silence ; jusqu’au dernier moment, on le vit ainsi tenir tête à l’orage, infatigable, vif à l’attaque, alerte à la riposte, impérieux et familier, tour à tour sérieux et cynique, enjoué, colère, brutal et gai ; il était impossible de dépenser plus de verve et de courage. Tirart ne reculait pas ; enveloppé par l’émeute, il l’attaquait hardiment, de front, de côté, en avant, en arrière, et, sans se lasser, il la poursuivait partout sous ses mille formes imprévues et capricieuses. Malheureusement c’était l’heure où tout tourne à mal. Avec tout son esprit, son sang-froid, son audace, le maire ne fut bientôt plus qu’un jouet pour cette foule passionnée, mobile, impitoyable dans ses plaisirs, avide d’émotions et de bouffonneries. On s’amusait de lui ; il n’était plus qu’un acteur en scène, le seul qui sût encore bien tenir son rôle dans cette grande débâcle de la tragédie. On l’excitait, on le provoquait, on l’exaspérait à plaisir ; il réussissait encore à mettre les rieurs de son côté, mais c’était tout.

Qu’était devenu ce parti de la paix qui s’était montré si fort, si uni à l’arrivée de la farandole ? Sur tous les points, on le voyait mollir et faiblir, lâcher pied. Déjà ces modérés ne songent plus qu’à donner des gages à l’émeute, ils lui livrent ses victimes ; ils ont sifflé les acteurs après avoir essayé vainement de les défendre, ils vont abandonner leur maire ; débordés, entraînés, ils ont hâte de s’effacer, de se mêler aux mutins ; ils ouvrent leurs rangs, la sédition passe et les emporte, le vertige les gagne. Toute cette foule ondule et moutonne ; ses vagues houleuses se soulèvent et refluent de tous côtés ; l’émeute est dans l’air. Voilà les sages qui s’affolent et les prudens qui deviennent téméraires ; tous les esprits s’enfièvrent, et les têtes les plus calmes dansent la danse de Saint-Guy ; c’est une ardeur de licence que rien n’égale, contagieuse et soudaine, — un appétit d’indiscipline violent, fantasque, capricieux et vague, qui se prend à tout, que le succès enflamme, que la résistance exaspère. Chacun frappe devant soi au hasard, pour frapper ; on crie pour crier, on détruit pour détruire ; les buveurs brisent leurs bouteilles et renversent leurs tables, les spectateurs cassent leurs bancs, arrachent les arbres, les palissades, les gazons. De l’amphithéâtre au chemin, en quelques secondes tout sera bientôt mis à sac avec une rage joyeuse, et les acteurs eux-mêmes se mettront de la partie.

Un cavalier arrivait ventre à terre. — Voici mes gendarmes, dit le maire, nous sommes sauvés. — C’était bien l’estafette, mais de brigades point. Toute la gendarmerie disponible avait été expédiée en grande hâte à Ronquerolles, qui faisait aussi sa révolution. Le maire se leva brusquement, et dans ce mouvement, son écharpe desserrée se dénoua et vint s’enrouler dans ses jambes. Une voix cria au premier rang en provençal : — Eh ! l’ancien, tu perds ta sous-ventrière. — C’était Sambin qui prenait sa revanche, et pour cette facétie il fut bruyamment applaudi, non-seulement par les siens, mais encore par les gens de Lamanosc, par les plus pacifiques. Ces modérés acclamèrent Sambin, comme ils avaient hué les acteurs, d’abord par faiblesse, tous bientôt par entraînement. A son tour, le maire était sacrifié ; le théâtre était criblé de pierres, de melons, de pastèques. Presque tous les tragédiens s’étaient enfuis ; de tous côtés, on se ruait à l’escalade. Le maire fit un dernier effort pour arrêter les assaillans ; il voulut haranguer Le peuple et donna l’ordre aux valets de ville de préluder par des roulemens de caisse. Massapan lui rit au nez et se mit à jongler avec ses baguettes, en faisant des grimaces comiques. Quant au tambour de la farandole, sa caisse était déjà crevée, et Cascayot s’en coiffait comme d’un colback. Le brigadier courut sur Sambin ; en un instant, il fut saisi, désarmé, jeté sur le chemin. Les trois gendarmes se mirent en défense ; mais à peine eurent-ils dégainé, qu’ils furent enveloppés, terrassés, et leurs armes, tordues, brisées, servirent à les frapper. Quant au cavalier qui arrivait en estafette, il n’eut pas même le temps de mettre pied à terre : au saut de l’étrier, il fut pris par les jambes, enlevé et lancé par-dessus la haie en compagnie de ses camarades.

Le maire s’était précipité au secours de son brigadier ; tête baissée, il fit une trouée devant lui, renversant tout, forçant le passage, au milieu de cette foule en démence. Par derrière, un manœuvre vint lui pousser un banc dans les jambes, et Tirart, renversé, piétiné par la foule, fut jeté dans le fossé où gisaient les cinq gendarmes couverts de sang et de boue, morts ou blessés.

Espérit restait seul sur le théâtre ; les pierres et les décors tombaient autour de lui de tous côtés, sans qu’il songeât à se retirer. Il s’imputait tous les malheurs de cette journée ; le sentiment de cette responsabilité l’accablait. Déjà les saccageurs démolissaient le théâtre ; il les regardait avec une sorte de stupeur, immobile, attéré ; les poutres s’ébranlaient, les planchers fendus craquaient sous ses pieds ; il n’entendait rien, il ne voyait rien, et les charpentes allaient s’écrouler sur lui, lorsque Cabantoux parvint à l’enlever.


IV.

Quand tout fut dévasté, une danse formidable commença sur les décombres, et la foule, libre, victorieuse, se répandit sur le chemin, puis tout à coup deux farandoles ennemies se formèrent. — A la Garrigue, à la Garrigue ! crièrent les jeunes gens. Et tous, d’un commun accord, coururent vers ce champ de bataille, vaste lande découverte qui s’étendait au bas de la colline. Les femmes s’enfuyaient en emportant leurs enfans. Des vergers à la Garrigue roulait et piétinait une foule furieuse. Les garçons de Lamanosc et des villages se provoquaient avec des cris sauvages ; ils arrachaient leurs chemises pour combattre à nu. Bientôt ils s’entrechoquèrent dans une mêlée terrible ; les vaincus tombaient et se relevaient sans plainte, et revenaient à la bataille déchirés, sanglans, enthousiastes, enivrés de la joie du combat, sourds aux supplications des mères et des sœurs. Celles qui s’étaient jetées entre les combattans avaient été repoussées et frappées sans pitié. Personne n’osait plus s’approcher de la Garrigue, et la foule des spectateurs se tenait immobile au pied de la colline.

Le petit bataillon des tragédiens était au cœur de la mêlée, et les plus beaux coups se portaient de ce côté. Les licteurs, formant escouade, tenaient la droite ; à l’aile gauche, les sénateurs ; plus en avant, Espérit, Marcel, Cabantoux ; puis Triadou et les siens, les chefs de parti avec leurs fidèles, tous combattant ainsi par quadrilles, sans se quitter, comme les bons compagnons des batailles féodales. Le beau Cayolis et Sambin s’étaient isolés pour être plus en vue. A chaque passe, Cayolis faisait un saut de côté qui le rapprochait de la galerie sous les yeux de sa promise. Pas un coup de poing qui ne fût un madrigal à l’adresse de la belle Rosine ; il parait et recevait les coups avec grâce. Avant de frapper, sa main, chargée de bagues, décrivait des festons, des arabesques ; il retombait à la parade dans l’attitude du Romulus de David. Ces coups si ornés n’en étaient pas moins terribles, et, vainqueur, il promenait autour de lui des regards sourians, en se lissant les cheveux.

Au premier rang, Marcel faisait merveille. C’était plaisir de le voir si leste et si vaillant au milieu de ces hercules un peu lourds, qui frappaient tout bonnement devant eux, à la vieille mode provençale. Cabantoux seul avait conservé tout son sang-froid ; lorsqu’il était attaqué, d’un coup de tête il mettait son homme hors de combat, et puis tranquillement il revenait s’asseoir au bord du fossé, en attendant un nouvel adversaire.

Le poète Perdigal et le sergent Tistet n’étaient pas présens à la bataille. Le poète s’était esquivé après avoir échangé quelques gourmades. Il avait gagné le village, et avait profité de l’absence des habitans pour y faire des tours de son métier, pénétrant dans les étables et les écuries, où il changeait les mors et les brides, versait du vin dans le son des chevaux et des drogues dans les crèches. Quant à Tistet, en sortant du vestiaire, il s’était retiré du théâtre un quart d’heure avant qu’on ne donnât l’assaut, et déjà il avait mis bas ses accoutremens romains pour se revêtir d’un costume plus décent. Ciré, brossé, lavé, rasé de frais, en tenue irréprochable, la capote d’ordonnance boutonnée jusqu’au menton, le bonnet de police sur l’oreille, une rose à la main, il se promenait dans un chemin creux, attendant des ordres qui ne venaient pas. — C’est incroyable ! disait-il. Je ne vois ni maire, ni gardes, ni gendarmes. Et Le lieutenant, le lieutenant ? C’est incroyable, c’est incroyable ! — Il jetait les yeux à droite, à gauche, cherchant partout son gouvernement disparu. Le lieutenant avait quitté le théâtre avant l’assaut, pour se retirer dans la maisonnette d’un garde avec sa fille et sa sœur. Le maire et les gendarmes étaient étendus sans connaissance au bord de la haie, couverts de sang et de boue.

Cependant la bataille continuait avec acharnement, sans qu’on pût prévoir de quel côté se déciderait la victoire. Lamanosc avait en ligne à peu près cent quatre-vingt-dix ou deux cents combattans, car il n’y avait que la jeunesse du pays engagée dans la lutte. A la première alerte, quelques pères de famille s’étaient bien mis de la partie : mais les femmes, sautant sur eux, se pendaient à leurs habits, les tiraient par la barbe ou leur jetaient des enfans dans les bras, et leurs adversaires se retiraient loin d’eux avec mépris. Les gens des villages l’emportaient donc en nombre, mais ceux de Lamanosc combattaient en vue du clocher. Jusque-là tout s’était passé loyalement. Ces rencontres ont leurs règles d’honneur qui sont rarement violées. Les coups ne peuvent être portés que de la tête à la ceinture ; frapper plus bas, frapper du pied ou se servir d’une arme serait une félonie. Jamais il n’arrive qu’on se réunisse deux contre un. On se combat homme à homme ; les forts cherchent les forts ; loin d’attaquer les faibles, ils les évitent, et ce sont ceux-ci qui brûlent de se mesurer avec les adversaires les plus redoutables. Un morne silence avait succédé aux grands cris fanfarons ; on n’entendait que le bruit des lourdes mains fermées tombant et retombant sur ces fortes poitrines, sur ces crânes de fer, et retentissant comme des marteaux sur l’enclume. Sur la gauche, les gens de Lamanosc commencèrent tout à coup à faiblir. Cabantoux, séparé des siens, fut assailli de tous côtés. Alors l’aspect de la bataille changea ; Cabantoux, fou de colère, se rua tête baissée au milieu des groupes, faisant le vide autour de lui. On se rallia derrière le fadad, les ennemis de Lamanosc furent repoussés vivement jusqu’aux limites de la plaine. Leur déroute paraissait complète quand une pierre, partie on ne sait d’où, vint frapper Marcel au front. Le sang rejaillit sur Cabantoux ; le géant rugit, et, saisi d’une fureur inexprimable, il s’arma d’une échelle et frappa au hasard. Alors ce fut une mêlée horrible. Déjà les couteaux brillaient dans les mains ; avant même que Marcel eût pu se mettre en défense, il tomba frappé de trois coups. — Trahison ! trahison ! crièrent les femmes. Sabine, quittant la maisonnette où sa tante voulait la retenir, s’élança au milieu des assaillans. — Attends-moi, criait M. Cazalis en courant de son mieux derrière sa fille. Elle releva le corps de Marcel sous une grêle de pierres. Le lieutenant, sabre au poing, vint se placer à ses côtés. De toutes parts, les femmes et les filles, exaltées, furieuses, armées de faux, de tridens, de barres de fer, descendirent sur la Garrigue. Les gens de Lardeyron et de Meyrenc, enveloppés, pressés, reculèrent et rompirent en désordre. L’élan fut irrésistible ; au dernier choc, ils s’enfuirent en abandonnant leurs blessés sur le champ de bataille. Les fuyards se rallièrent dans les vignes et se replièrent sur Lardeyron à la tombée de la nuit.

Le combat avait cessé, mais dans les villages l’exaspération était grande. Des deux côtés, on s’accusait de traîtrise. À Meyrenc comme à Lardeyron, on racontait déjà que les prisonniers laissés à Lamanosc avaient été assassinés et mutilés horriblement par les femmes. Personne n’en doutait. Les nouvelles les plus absurdes circulaient et trouvaient crédit, comme il arrive dans ces momens de grande crédulité publique. Les plus ardens sonnèrent le tocsin ; ils prirent leurs fusils, parlant de retourner à la bataille à l’instant même. On les retint à grand’peine. Des messagers furent envoyés dans les villages voisins pour raviver les vieilles haines ; on alluma des feux sur les collines, on campa en armes sur la place. Il fut décidé qu’à l’aube on marcherait sur Lamanosc, à l’arrivée des renforts.

En même temps, l’alarme était donnée à Lamanosc par des bergers qui revenaient de la foire. Robin s’était pendu à la cloche, Triadou prit la caisse et battit la générale, les paysans arrivèrent de tous côtés sur la place, et le caporal se mit à les haranguer devant le Café d’Apollon. De son côté, le sergent Tistet ramassait des volontaires et les postait à la mairie, sous les fenêtres de la salle de bal, où les conseillers délibéraient à grands cris.

Robin avait mis en réquisition toutes les futailles du Café d’Apollon. Les caves furent occupées militairement, les brocs se vidèrent, on chanta la gloire, et les orateurs montèrent sur les tables. Le caporal fit voter l’état de siège. A chaque instant, il arrivait des nouvelles ; on disait que dix villages descendaient sur Lamanosc. Robin croyait tout ; Robin proposait de hisser le drapeau noir, de couper le pont, d’incendier le faubourg et les granges, et d’attendre l’ennemi derrière le vieux rempart, puis de se replier dans l’église et de s’y faire sauter, si le village était emporté. Triadou avait déjà attaché un pétard sous le pont. Au milieu de tout ce tumulte survint le lieutenant Cazalis. Les paysans l’entourèrent et lui offrirent le commandement : il accepta de grand cœur ; mais comment se délivrer de Robin et de ses motions extravagantes ? Le caporal venait d’organiser une promenade civique. Tous les gens de la Mule-d’Or défilaient sur la place en agitant des torches et en tirant des coups de fusil. Le caporal leur avait composé des costumes de fantaisie avec des chemises flottantes, des écharpes rouges, des draps noués en burnous ; quelques-uns étaient à demi nus et tout empanachés de branches de chêne ; d’autres étaient couverts d’oripeaux de théâtre. Robin s’était habillé en Buridan ; il portait une hallebarde à la main et des pistolets d’arçon à la ceinture.

— Général Robin, lui dit le lieutenant, vous avez là une belle compagnie ; bonne tenue, troupes d’élite. Il serait temps de les mener au feu pour les amuser.

Et par toute sorte de flatteries il arriva à lui persuader qu’il était urgent de tenter une reconnaissance dans les bois de Vielles, à deux lieues de Lamanosc.

— Comme qui dirait une razzia, répondit Robin. En avant le cabaret de la Mort !

Robin partit avec ses fidèles ; le lieutenant l’accompagna jusqu’à la sortie du village. — Si tu étais forcé de te replier sur Lamanosc, lui dit-il, souviens-toi de revenir par cette route ; toutes les autres issues seront fermées.

Le caporal haussa les épaules. — Me replier ? Et pourquoi ? Robin, toujours en avant !

— Enfin les voilà partis, dit M. Cazalis. Maintenant, sergent Tistet, place dix soldats au rempart, sous les ordres d’un homme sûr, Cayolis, Espérit ou Cabantoux, et si jamais ces pèlerins veulent rentrer, qu’on les reçoive à coups de fusil. Enfin nous voilà libres ! Sergent Tistet, ces vingt-cinq hommes de moins dans Lamanosc, c’est comme s’il m’arrivait un renfort de deux cents vieux marins.

— Et les conseillers municipaux, dit Tistet, qu’en faisons-nous ? Faut-il en arrêter une demi-douzaine ? Dites un mot, et ce ne sera pas long. Entendez ces cris ! Ils vont tout casser !

— Tant mieux, dit le lieutenant, qu’ils discutent à l’aise, et qu’ils ne viennent pas se jeter dans nos jambes.

— Ah ! disait le sergent, ce serait si simple d’éteindre les lampes et de fermer les-portes de cette mairie !

En arrière du pont qui défendait Lamanosc du côté des villages ennemis, le lieutenant fit construire une barricade très solide, crénelée, et dominée par une maison fortifiée. On éleva des retranchemens à la brèche du nord, ainsi qu’à l’angle du cimetière, et deux compagnies de réserve furent laissées sur la place de l’église avec ordre de se porter à la première alerte sur les points menacés. Comme la route des villages de la plaine vient aboutir à la rivière, toutes les forces de la défense furent concentrées à la barricade du pont ; on y travailla toute la nuit, et deux chemins couverts furent creusés en avant pour protéger les sorties. M. Cazalis avait mis sur pied tout Lamanosc ; les vieillards et les enfans charriaient des pierres et du sable à la barricade ; on employait les femmes à fondre des balles et à mouler des cartouches. Le lieutenant activait tous ces préparatifs de guerre avec une ardeur extrême. Il était rajeuni de vingt ans.

Il y avait à Lamanosc un homme encore plus heureux que M. Cazalis, c’était Le sergent Tistet. Tistet avait une consigne, des ordres, un chef, et lui-même commandait en second. Il se sentait utile, nécessaire, à sa place, dans son élément. Actif, vigilant, ponctuel, toutes ses qualités sortaient et brillaient d’un vif éclat. Le sergent Tistet s’était procuré un bonnet de police à gland d’or, un ceinturon d’officier et des épaulettes d’argent. Le sabre dégainé, le registre sous le bras, il allait et venait de l’état-major aux corps de garde sans se lasser jamais, très occupé, très affairé, en homme qui a le goût, la passion de son métier, et dont toutes les facultés sont en exercice. Un mot d’ordre à renouveler d’heure en heure, des sentinelles à relever, des vedettes, des grand’gardes, les rondes, les patrouilles, l’inspection des armes, les vivres, les munitions, des feuilles de service à signer, le contrôle, des états en partie double, hommes et choses, tout était classé, immatriculé, contrôlé, et volontiers le sergent Tistet aurait encore doublé la besogne.

— Ah ! mon commandant, disait-il, quelle chance si nous avions seulement huit jours de siège pour faire manœuvrer nos recrues ! J’ai là des conscrits de quinze ans, et jusqu’à des enfans de troupe qui mordent la cartouche comme de vieux soldats. Voyez ce Cascayot, quels yeux résolus ! quelle belle tenue ! Il s’est coupé lui-même les cheveux à l’ordonnance. Comme il maintient les distances ! Qu’on ne s’avise pas de le troubler dans son service ; il fusillerait son propre père ! Ah ! mon commandant, je n’ai qu’une peur, c’est que ces paysans de Lardeyron et de Meyrenc ne reviennent plus à l’assaut, quand une fois nous les aurons repoussés. Peut-être serait-il sage, pour les allécher, de ne pas leur tuer trop de monde à la première affaire.


V.

Vers six heures, un grand bruit se fit entendre dans la rue ; c’était le curé qui forçait la consigne.

— A-t-il le mot d’ordre ? dit le sergent Tistet. Qu’on l’arrête.

Le curé était déjà devant les feux du bivouac, au milieu des groupes qui se formaient, car tous les hommes étaient réveillés et venaient s’aligner dans la rue des Piquenières pour l’inspection des armes.

— Sac à papier ! dit le sergent, que vient-il faire ici, le brave cher homme ? qui l’a demandé ? S’il veut travailler, qu’on le mette à la cloche, et qu’il nous envoie le sonneur ; ce sera toujours un homme de plus.

— Le meunier au moulin et le prêtre à l’église ! disait M. Lagardelle.

— Et la femme à la soupe ! répondait Perdigal.

— Il ne manquerait plus que de voir arriver ma sœur ! cria le lieutenant. Eh ! l’abbé ! votre serviteur : bon appétit. Voulez-vous un bon conseil ? Prenez votre sac et vos quilles, et courez à la mairie nous organiser une ambulance, Bon voyage et vivement.

Mais le curé fit la sourde oreille ; il avait son idée en tête. Cabantoux le hissa sur un gros tonneau qui se trouvait là, devant la maison Triadou. La place était bien choisie, car de ce point l’on domine toute la rue des Piquenières, la place des Juifs et le faubourg. Le tambour de ville battit la caisse, et quand tous les paysans se furent groupés à portée de la voix, le curé se découvrit et prit la parole en ces termes :

— Gens de Lamanosc, voilà bien six ou sept heures que j’entends sonner le tocsin, tous les hameaux sont arrivés en armes, les Clops, les Vbcilles, Sainte-Colombe, les Baux, voire les gens des Granges ; notre village est comme une place de guerre. Voilà de bons préparatifs de défense ; c’est sans doute pour arrêter l’ennemi qui marche sur la commune ! Vous vous croyez bien forts ; eh bien ! je vous annonce que l’ennemi est dans Lamanosc…

— Jamais, jamais ! dit Cayolis.

— Ah ! qu’ils y viennent donc ! criaient les jeunes paysans en agitant leurs armes ; quand ils seraient dix mille avec des canons et des soldats, nous les attendons.

— Ce discours me paraît bizarre, disait le sergent Tistet ; où le brave homme a-t-il donc sa tête ? Quelles sornettes ! Mes guetteurs ne m’ont encore rien signalé. Ces gens du peuple sont bien simples de l’écouter.

— Monsieur l’abbé, lui dit le lieutenant, si l’ennemi était dans Lamanosc, le lieutenant Cazalis serait en ce moment couché en travers de la rue, le corps troué de balles !

— Écoutez-moi, reprit le curé d’une voix forte, écoutez-moi, ou il arrivera malheur ! Et je vous avertis que je ne viens pas vous flatter. Vous en trouverez par douzaines et par centaines pour vous enjôler et vous mentir ; mais aujourd’hui vous entendrez la vérité, et dussiez-vous me lapider, vous l’entendrez tout entière. Je vous ai annoncé que l’ennemi était dans Lamanosc, je l’ai dit et je le maintiens. Que veulent ceux qui viennent faire le siège de la commune ? Se venger de vous. Quelles passions les entraînent contre vous ? La haine et la colère. Voilà pourquoi vous les appelez ennemis ; c’est donc à la haine, à la colère que se reconnaît l’ennemi. Eh bien ! répondez : parmi vous, quel est celui qui n’a pas un ressentiment, une inimitié dans l’âme ? Et contre qui ? Contre un étranger, un vagabond, un malfaiteur ? Non pas et nullement, mais contre un homme de Lamanosc, un enfant de la commune, fils de la même terre, élevé avec lui dans la même école, la même église et la même famille ! Et quand je vois ces abominations, vous voulez que je me taise ? La haine et la vengeance, voilà les ennemis qui sont dans Lamanosc. et vous voulez que je garde le silence, quand il n’y a pas une maison, pas une, où ces ennemis ne soient entrés en maîtres ? Ah ! c’est contre eux qu’il faut sonner le tocsin et prendre les armes, et si vous ne les chassez, il ne vous servira de rien d’élever des barricades et de charger des fusils. Le beau travail de repousser les gens des villages pour vous déchirer ensuite entre vous plus à l’aise ! La bonne et l’utile victoire, si vous devez vous retrouver le lendemain en face de vous-mêmes, c’est-à-dire de vos vices, de vos mensonges et de vos calomnies ! Ah ! qu’ils viennent, ces ennemis du dehors, qu’ils viennent avec le fer et le feu dans cette commune déjà saccagée, ruinée par les discordes, toute souillée de violences et d’envies ; ils n’y feront jamais pire besogne que vous, et quand bien même ils tueraient vos corps, ils seront moins bandits que vous, qui tous les jours tuez vos âmes. Mauvaise commune, mauvais citoyens ! Malheureux, vous voilà d’accord pour la guerre, et vous n’avez pas su l’être pour l’amitié ! Ah ! si longtemps qu’il me restera sang aux veines et souffle dans l’âme, je vous le redirai, vous ne serez rien, vous ne pourrez rien tant que le frère n’aura pas pardonné au frère, et pour lui-même demandé son pardon. Voilà ce qu’il faut faire, et dès aujourd’hui, sur l’heure ! Il m’est commandé de vous le dire. Gens de Lamanosc, s’il y a ici dans la commune personne de la paroisse, homme ou femme, vieillard ou enfant, âme qui vive, à qui, de ma volonté ou à mon insu, j’aie fait tort et misère, qu’il vienne ici donner son témoignage, et, devant Notre-Seigneur et devant toute la commune, à genoux, comme pécheur, je lui demanderai son pardon.

Un homme de haute stature sortit de la foule et vint se présenter devant le prêtre, le fusil à la main.

— Je suis Jean Malaterre, dit-il, Jean-Siméon Malaterre, fils d’Hilarion-Siméon Malaterre.

Ce Jean Malaterre était arrivé pendant la nuit avec le contingent des hameaux qui dépendent de Lamanosc. C’était un homme violent et hardi, d’humeur sombre, déjà sur l’âge, dur et retenu dans ses paroles, vivant seul avec ses chiens et ses éperviers, toujours en chasse dans la montagne. Les gendarmes le redoutaient et ne s’avisaient pas de lui demander son port d’armes. Quand ils battaient le pays, ils ne se hasardaient jamais dans la pinière où Malaterre avait construit sa hutte, au terroir des Baux. Un jour d’émeute, vers 1831, Malaterre avait insulté et frappé le curé à la porte de l’église. Après un mois de détention préventive, il avait été condamné à vingt jours de prison. Le curé obtint remise de la peine, mais c’était lui qui avait porté plainte, et Malaterre ne l’oublia pas. Il fut ramené dans le village par les gendarmes, la corde aux mains. Cet outrage avait laissé une fureur vague dans cette âme exaltée par un sentiment sauvage de justice et de dignité. — Suis-je un voleur ? disait-il. La prison n’est faite que pour les voleurs.

Quand le curé vit Jean Malaterre devant lui, il se baissa et se mit à genoux, non sans peine, car le tonneau vacillait. Les rues sont en pente raide à Lamanosc, et le curé était un gros homme, court, replet et pataud ; mais en ce moment personne ne songeait aux moqueries, tous les cœurs étaient à l’amitié. On ne riait ni de la tournure ni de l’accent. Quoique le curé parlât bon provençal, il se glissait toujours dans ses discours des intonations, des désinences des Alpes, plus dures et gutturales, qui trahissaient son origine montagnarde.

Après s’être mis à genoux, le prêtre leva sa droite, l’étendit du côté de la croix, et dit d’une voix qui s’entendait jusqu’au faubourg :

— Jean-Siméon Malaterre, fils d’Hilarion-Siméon Malaterre, devant Notre-Seigneur et devant toute la commune, à genoux, comme pécheur, je te demande ton pardon.

Malaterre le saisit et l’embrassa rudement ; puis d’une voix éclatante, avec un geste d’autorité, impérieux, la tête haute, il dit au peuple :

— Peuple de Lamanosc, vous savez si l’on m’a fait du mal ; on m’a mis à la cour d’assises avec les gendarmes, comme un voleur…

Au souvenir de cette injure, la colère montait en lui, et sa voix tremblait.

—… Oui, comme un voleur, et vous savez si les Malaterre ont de l’honneur ! Les gendarmes m’ont fait marcher devant leurs chevaux, ils ont attaché des cordes à ces mains. Si je n’écoutais que mon injure, je ferais aujourd’hui la justice ; mais il a bien parlé, c’est fini entre nous, et devant tous je lui jure son pardon. Et maintenant, ajoutait-il, en faisant sonner la crosse de son fusil sur le roc, maintenant que Jean Malaterre a pardonné, qui donc oserait rester dans la vengeance ?

Il souleva un tronc de hêtre, le brisa contre la muraille, et dit : — Ainsi soient brisées toutes les haines et les inimitiés !

Il prit ensuite un quartier de roche sablonneuse, le broya dans ses mains, et jeta les débris derrière lui en disant : — Ainsi soient écrasées les haines et les inimitiés, et que les vents en emportent la poussière ! Quand les villages marchent sur la commune, celui qui garde un cœur ennemi trahit la commune.

Alors ce fut de toutes parts un entraînement sans exemple ; l’amitié gagnait toutes les âmes, les plus dures étaient émues, attendries.

— Toi, Malaterre, dit Triadou, tu es le fils de celui qui a tué mon oncle en 1815, voici ma main.

— Triadou, dit un vieux paysan, ton grand-père a marché contre notre commune avec les Allobroges de 93, donne-moi ta main.

Et tous venaient ainsi immoler leurs haines avec une joie enthousiaste ; l’ennemi cherchait l’ennemi pour lui pardonner et l’aimer ; tous s’embrassaient, fils de sans-culottes et fils de jéhuistes, vieux fédérés et royal-cibots de 1815[3], carlistes, paysans et moussus ; haines de familles, ressentimens des procès et des rixes, querelles d’intérêts, souvenirs des guerres civiles, anciennes et nouvelles discordes, tout était oublié, pardonné, rien ne pouvait arrêter l’élan des cœurs. Les jeunes gens échangeaient leurs cravates et leurs ceintures, les rouges contre les vertes, et les couteaux, les poudrières, les boîtes de capsules, les sifflets de chasse ; bientôt toutes les mains se rapprochèrent à la fois, et la danse commença. Jamais farandole si joyeuse ne courut dans les rues de Lamanosc, — cœurs unis, mains fraternelles. Espérit levait les bras au ciel et ne cessait de s’écrier : — Ah ! la belle amitié ! la belle amitié ! En voilà une république !

Dès l’aube cependant, la petite armée des villages se mit en marche pour venir attaquer Lamanosc. Ces trois cents hommes s’avançaient en bon ordre, par six de front, le fusil en bandoulière, le carnier à l’épaule, tambours battans. Au premier rang caracolait Sambin, entouré de quelques cavaliers montés, comme lui, sur des mulets. Sambin portait le drapeau ; comme insignes de général, il s’était attaché en sautoir une écharpe rose, frangée d’argent, conquise à la vote de Pernes ; l’écharpe bleue qui retenait son sabre était un trophée des courses d’Aubignan.

En débouchant sur la route de Vielles, la colonne se trouva en face de trois brigades de gendarmerie, rangées en bataille et barrant le passage ; en tête, le maire Tirard à cheval sur sa jument la Leydette, droit sur ses étriers, le front serré de bandeaux, le bras gauche en écharpe, rênes aux dents, un tromblon à la main. Les soldats de Sambin ne s’attendaient pas à cette rencontre, et le désordre se mit dans leurs rangs. Ces garçons étaient braves et décidés ; ils se seraient très bien battus contre leurs ennemis de Lamanosc, mais ils redoutaient d’en venir aux mains avec les cavaliers. Ceux des premières lignes s’arrêtèrent, l’arme au pied, n’osant forcer le passage el regardant comme une honte de se retirer. La queue de la colonne se jeta dans le bois qui longe la route. Par ce chemin de traverse, en suivant les ravins et les vignes, où la cavalerie ne pouvait s’engager, ils espéraient arriver à Lamanosc avant les gendarmes. Le maire s’aperçut de ce mouvement : il éperonna sa jument, et la fit sauter dans le bois, le long du sentier où défilait l’arrière-garde de Sambin. Il les poursuivait comme des fuyards, et, imitant le cri de rappel des bergers, il leur faisait des signes de moquerie pour les inviter à venir prendre du sel dans sa main, comme des moutons. Alors ces jeunes gens, irrités par ces provocations, revinrent sur le chemin. Sambin les remit en ligne, et, après les avoir harangués, il s’avança seul en avant de la troupe, le fusil en bandoulière, un mouchoir blanc à la main. Lorsqu’il fut à deux pas du maréchal-des-logis, il le salua militairement et lui dit en son plus beau français :

— Monsieur le capitaine, méfiez-vous de Marius ; il vous aura menti contre nous ; c’est un bavard : il est de Lamanosc. Nous allons nous venger de la trahison de sa commune ; mais nous ne sommes pas contre le gouvernement. Laissez-nous donc passer. Vive le roi ! mort à Tirart !

— As-tu fini, grand avocat ? dit le maréchal-des-logis.

— Oui, dit Sambin. Vive le roi ! En avant les amis !

— En avant la prison ! cria le gendarme, et, saisissant Sambin par son écharpe rose, il l’enleva d’une main et le fixa à plat-ventre en travers de sa selle. — Cavaliers, sabre au poing !

Alors l’escouade s’ébranla ; en deux temps de galop, la colonne fut rompue et dispersée ; les soldats de Sambin s’enfuirent de tous côtés, emportés par cette terreur panique connue dans le pays sous le nom de pétachine d’Avignon. Le maire Tirart partit ventre à terre et porta la nouvelle de cette victoire à Lamanosc ; il fut très mal accueilli. Les jeunes gens, qui avaient envie de guerroyer, voulaient se porter en colonnes volantes sur les villages ennemis et les occuper militairement, et M. Cazalis, quoiqu’il lut au fond très humain, ne put s’empêcher de dire : — C’est tout de même honteux que tout ceci finisse sans brûler une cartouche. Je ne suis pas content du maire. De quel droit est-il allé chercher ses gendarmes ? Il n’a donc pas vu ma barricade ?

Et Tistet, renchérissant comme toujours sur le dire de son officier, ajoutait gravement : — Quel malheur ! sans sortir de la place, nous en aurions bien couché deux ou trois cents sur le carreau ; c’eût été un plaisir. On vous les aurait hachés comme chair à pâtée.

Espérit, ravi de ce dénoûment pacifique, avait déjà bâté l’ânesse. — Partez, partez, dit-il à M. Cazalis ; on doit être inquiet à la Pioline. Cabantoux va vous conduire.

En arrivant à la Pioline, le lieutenant trouva la terrasse encombrée de bagages ; sous le portail, Cascayot attelait les mules et le Garri à la carriole. Les dames, en habits de voyage, surveillaient le chargement. — Ah ! vous veniez me chercher, dit M. Cazalis ; c’est très bien ; j’aurais dû vous attendre. Peut-être aviez-vous envie de voir la barricade ; dans ce cas, partons vite ; elle n’est pas encore démolie. Nous arriverons à temps. Oh ! c’est un beau coup d’œil !

— Et vous aussi, vous êtes beau à voir, dit la tante ; vous voilà dans un joli état ! Quelle mine de déterré ! pâle comme la mort ! Découcher à votre âge, quelle honte ! J’en ai appris de belles sur vous. Toute une nuit passée au clair de lune avec les ivrognes de Lamanosc. Quelle vie ! Gare les lumbagos ! Et quand ces douleurs vous reprendront, qui vous soignera ? qui vous veillera ? Tante Blandine sans doute, toujours tante Claudine. Fiez-vous-y ! Nous partons. Tirez-vous d’affaire comme vous pourrez. Nous partons. Ce pays n’est plus tenable. Croyez-vous que je puisse encore l’habiter avec votre fille ?

— Sabine ! dit le lieutenant, un fier courage, savez-vous ! C’est la fille d’un soldat.

— Il ne lui manquait plus que vos complimens, répondit la tante avec aigreur. Je m’y attendais ; s’il y a quelque sottise à dire, on n’a qu’à faire venir mon illustre frère. Après le scandale qu’elle a donné hier dans cette bataille, croyez-vous que nous puissions encore rester ici ?… Pour qu’on nous montre du doigt dimanche à l’église, n’est-ce pas ? Oh ! non, oh ! non. De longtemps je n’y remettrai les pieds dans ce Lamanosc, de ma vie peut-être ! Je vous conseille de l’exciter encore à braver toutes les convenances. Il était temps qu’on vous l’enlevât ! Allons, place, place ; ôtez-vous de mon chemin.

La tante était très affairée par ses préparatifs de voyage ; elle ne répondait plus à M. Cazalis, et, montée sur l’échelle, elle empilait les paquets que lui présentait la Zounet, les coussins, les ronds de cuir, les oreillers, les provisions. La carriole était chargée comme une diligence : au-dessus des malles s’étageaient des pyramides de corbeilles, de cabas, des cartons de toute grandeur ; on accrochait encore des paniers sous la voiture, au timon, et la Zounet arrivait avec des douzaines de petits sacs qu’elle entassait dans l’intérieur, et des chaufferettes pour la nuit, des manteaux, des châles, des boîtes, des fioles, des conserves. — C’est donc un voyage de long cours ? disait le lieutenant ; mais d’où sortent tous ces paquets ? Jamais nous ne pourrons tenir quatre dans la voiture. Ah ça ! où allons-nous ? je n’y comprends rien à ce voyage, je m’embarque les yeux fermés. Qu’on m’apporte un tabouret !

Il s’apprêtait à monter, la tante le retint. — C’est-à-dire que je pars, moi et ma nièce, dit-elle, et que vous restez ici, vous et la Zounet ; est-ce clair ?

— Ah ! vous partez ? Et pour quel pays, belles dames ?

— Pour Valence, vieux fou.

— Valence ? Ah ! très bien. Cette ville me plaît fort ; vins exquis, belle cathédrale, bonne société, des gens aimables et sûrs ; vous connaissez le proverbe :

Dauphinois
Fin et courtois.


Et vous reviendrez ?

— Quand il nous plaira, si nous revenons jamais.

— Encore mieux ! A merveille, mais du diable si je comprends rien à ce voyage. Ma tante de Valence serait-elle malade ?

— Il n’y a de malade que vous, s’écria la tante, et moi je suis bien bonne de vous répondre. Allez vous coucher. Eh ! quoi ! vous n’êtes pas encore au lit, malheureux ? Vous êtes ivre de sommeil. La Zounet, prends ton maître par le bras, il est moitié mort. Doublez-lui les couvertures, et qu’on lui bassine le lit avec du sucre. Adieu, adieu.

Cascayot était déjà sur son siège, le fouet à la main. — Allons, Sabine, embrasse ton père, et vivement. Nous n’avons pas une minute à perdre. Bien, bien ! assez, finissez-en avec toutes vos tendresses. Adieu, adieu, et fouette cocher.

La voiture partit au grand trot. — Tout ça s’arrangera, murmurait le lieutenant.

Il avait surpris des larmes dans les yeux de sa fille, mais, ne pouvant s’expliquer ce qui se passait, il se laissa mettre au lit tout ensommeillé, brisé de fatigue, moulu, courbaturé, perclus.


VI.

Quand on part de la Pioline, on peut choisir entre deux routes pour gagner le chemin de Valence, la route connue sous le nom du Grand-Félat et celle du Chemin des Sables. Comme la carriole était très chargée, Cascayot s’était avisé de prendre le Chemin des Sables, qui passe pour le meilleur. Cette belle route est coupée tous les dix pas par des rochers et des fondrières ; la voiture avançait lentement, et, dans son impatience, la tante Blandine cherchait noise à Cascayot, sous le prétexte que la route du Félat était la seule bonne, la seule praticable, qu’elle était excellente, unie comme la main, et qu’on y pouvait courir en carrosse. Si on avait pris la route du Félat, elle aurait retourné son raisonnement contre le Chemin des Sables.

Cascayot haussait les épaules, haranguait ses bêtes, et sifflait l’air d’une nouvelle chanson du poète Perdigal.

— Et toi, me répondras-tu ? dit la tante en se tournant vers sa nièce. Crois-tn donc que je veuille passer ma vie avec des sourds et des muets ? Pour toi, je laisse ma maison, mes affaires ; j’abandonne mon pauvre frère ; à mon âge, j’entreprends un voyage des plus difficiles et sans savoir quand je reviendrai, et c’est pour toi, pour toi seule ! Après les folies de Mlle  Sabine, il fallait partir, la raison l’ordonnait : ai-je hésité ? Je me suis dévouée comme toujours, et, pour me remercier, on se tient à l’écart. Pas un mot, pas un seul depuis que nous sommes parties ! comme si j’étais votre ennemie, votre tyran ! Sacrifiez-vous maintenant, pour qu’en récompense on vous fasse des mines comme des portes de prison ! Est-ce pour mon plaisir que je m’expose aux fatigues, aux ennuis, aux dangers de ce voyage ? Les routes ne sont jamais sûres. Il y a quinze ans, n’a-t-on pas arrêté la diligence en plein jour entre Mornas et Montdragon ? Et si nous versions ? et quand nous serons au bord du Rhône, si les chevaux venaient à s’emporter, qui nous sauverait ?

Sabine s’était retirée au fond de la voiture. A chaque détour de cette route sinueuse, on apercevait dans le lointain le petit clocher de Seyanne au milieu des feuillages. Les yeux fixés de ce côté, oppressée par la douleur, mais se maîtrisant encore, Sabine pensait à Marcel avec une anxiété extrême ; elle ignorait ce qu’il était devenu. La veille, au moment où les gens de la farandole prenaient la fuite, Mlle  Blandine avait entraîné sa nièce à la Pioline ; en traversant le village, elles avaient vu passer Marcel, pâle, ensanglanté, sans connaissance, porté à bras par Cabantoux et Bélésis, et depuis elles étaient restées sans nouvelles du Sendric. Tant qu’on fut sur ce chemin, Sabine s’attendit à rencontrer Espérit ; mais lorsque la carriole tourna brusquement vers Lamanosc, laissant Seyanne à droite, Sabine perdit tout son courage, et, ne pouvant plus retenir ses larmes, d’une voix tremblante elle dit à Mlle  Blandine : — Ma tante, vous voyez que je vous obéis ; mais croyez-vous qu’il soit bien de quitter ainsi le pays sans savoir si nos amis sont morts ou vivans ? Nous ne sommes qu’à un quart d’heure des Sendric, et si vous le vouliez, nous pourrions tout savoir.

— C’est impossible, repartit brusquement la tante. Nous à Seyanne ! jamais, jamais ! Mais rassure-toi, à notre arrivée à Valence nous trouvrions une lettre de ton père qui nous informera de tout. Cascayot, fouette donc plus vivement tes mules, cette route est magnifique.

Au fond, la tante était aussi inquiète que Sabine ; elle avait les larmes aux yeux, et pour cacher son trouble, elle s’excitait à quereller sa nièce. — Comme vous pleurez ! n’avez-vous pas honte ? Vous l’aimez donc bien ! Et moi, grande sotte, qui suis restée des siècles sans me douter de rien ! Ah ! quelle douleur que la vôtre ! Je serais aux portes du tombeau que vous ne seriez pas si triste. Vingt fois vous m’avez vue à l’article de la mort, et vous ne m’avez pas tant pleurée.

La tante continuant à parler ainsi toute seule, on arriva dans le faubourg de Lamanosc, le long des remparts. Au bas du pont, Cascayot s’arrêta pour faire reprendre haleine à ses bêtes. Sabine ne cessait de pleurer. En entendant ses sanglots étouffés, la tante perdait la tête. — Ah ! ma pauvre fille, du courage, rassure-toi. Je suis sûre que nous aurons de bonnes nouvelles ; mes pressentimens ne me trompent jamais. Eh bien ! s’il le faut, de Valence j’écrirai moi-même à la Sendrique.

Elle aperçut Espérit sur la porte du château des Sauras. — Tiens, Sabine, dit-elle, voilà notre marquis. S’il y avait un malheur, crois-tu qu’il resterait ainsi, tranquille comme un bourgeois, sous son cyprès ? Cascayot, appelle donc Spiriton, qu’il vienne nous parler.

Le terrailler avait déjà reconnu la carriole ; il arriva en courant, se jeta au-devant des bêtes, les tira à lui et les entraîna au galop dans sa cour. — Mais arrête donc, arrête ! criait la tante.

— Ne craignez rien, dit Espérit, notre malade n’entendra pas le bruit des roues ; vous voyez bien que ma cour est remplie de paille. Cascayot, tu sais les êtres, cours leur chercher l’avoine.

La tante eut beau protester, il se mit à dételer. — Mais nous allons à Orange, criait-elle, et de là à Valence, pour toujours peut-être ! — Elle jurait qu’elle allait repartir, elle racontait ses projets de voyage. Espérit n’en voulait rien croire.

— Ah ! mademoiselle Blandine, disait-il en bouchonnant les mules, dont les flancs ruisselaient de sueur, c’est bien à vous d’être venues. Je m’étais dit : Spiriton, quand elles sauront que Marcel a été transporté à la tuilerie, pour sûr elles viendront des premières, nos bonnes dames ; j’en aurais mis ma main au feu ! Ah ! ça, c’est bien de vous, mademoiselle Blandine. Pour le bon cœur, il n’y a que les Cazalis. Comme il sera heureux de vous voir, notre Marcel ! Il a perdu beaucoup de sang, mais le mieux se soutient. Il nous a bien inquiétés, savez-vous ? Sa mère l’a veillé toute la nuit, pendant que nous étions à la barricade. Voilà deux heures qu’elle est partie, et moi j’ai mis un peu le nez à la rue pour prendre l’air.

Cascayot revint avec des boisseaux. — Maintenant entrons, dit Espérit en levant le doigt. Venez par ici, doucement, doucement !

La tante était fort embarrassée. — Eh bien ! merci de tes bonnes nouvelles, disait-elle ; maintenant que nous sommes rassurées, nous allons repartir bien contentes. Il le faut ; adieu. Nous vous quittons, nous sommes si pressées !

— Vous avez bien loisir, répondit Espérit ; vos bêtes sont à l’avoine. Je vais leur verser du vin dans le son, et je vous garantis qu’elles vous regagneront le temps perdu. Allons, entrez, c’est le bon moment ; par ici, doucement.

Il la poussait toujours vers la porte à coups d’épaule ; la tante résistait. — C’est impossible, mon bon Espérit. Vrai ! c’est impossible. Adieu, adieu ! soigne-le bien. Nous ne pouvons pas entrer ; nos minutes sont comptées !

— Or ça, dit Espérit en la regardant en face avec surprise et colère, auriez-vous le cœur de vous en aller sans l’avoir vu ? Oui ou non, dites-le. Moi, je marche devant pour vous montrer le chemin. Vienne qui voudra.

— Allons, suivons-le, dit la tante ; il le faut bien ; ces paysans sont si susceptibles !

Dans le corridor, elle prit à part Sabine et lui dit vivement :

— Nous ne faisons qu’entrer et sortir, entendez-vous ? Vous m’avez engagée dans une visite ridicule. Tirons-nous de ce mauvais pas le plus tôt possible. Et vous, pas un mot, je vous le défends ! Surtout restez derrière moi.

Espérit entr’ouvrit la porte, et, prenant Mlle  Blandine par la main, il l’introduisit dans la chambre du malade. Sur un signe de sa tante, Sabine s’arrêta à l’entrée. — Oh ! vous pouvez vous approcher, lui dit Espérit ; vous ne lui faites pas peur.

Un jour faible éclairait cette pièce ; aux deux fenêtres, on avait attaché des couvertures, et devant la porte flottait une vieille tapisserie tournée au sud pour amortir l’éclat du soleil. Marcel dormait paisiblement ; Damianet était assis auprès de son frère, à la tête du lit, sur un escabeau, une fiole à la main. — Qu’on ne le réveille pas, dit tante Blandine ; silence, Damianet !

Elle s’approcha très près de Marcel pour écouter sa respiration. — Tout va bien, dit-elle après lui avoir tâté le pouls. La peau est excellente. Je réponds de lui, si l’on est très prudent. Il est sauvé. Et maintenant adieu, mes amis ; soignez-le bien, et surtout pas de bruit. Adieu, adieu ; partons vite, nous sommes trop de monde ici.

Elle allait se retirer, lorsqu’elle se sentit tirer par la robe : c’était Damianet qui lui offrait en grande cérémonie une place sur l’escabeau. La tante refusa ; elle était décidée à ne pas s’asseoir. Damianet insistait par politesse, et, dans ce débat, la fiole qu’il tenait à la main lui échappa et se brisa sur la table. Marcel se réveilla en sursaut. — Il n’y a pas grand mal, dit Damianet ; voici une autre fiole sur la table avec la même drogue.

— Quel est ce remède ? dit la tante en saisissant la bouteille et la portant à ses lèvres. Cela ne vaut rien ; jetez ça par la fenêtre. Vous n’entendez rien aux malades. Il fallait me faire appeler. Vite, mon sac. Sabine, arrive, arrive ! Que fais-tu là-bas ? Mon sac de crin, te dis-je ! Fouille au fond. Les petites poudres de la boîte verte, sous les petits paquets rouges ! Et cet oreiller, qui l’a placé ainsi ? Peut-on laisser un blessé la tête si bas ! Et ce jour ! Tirez donc le rideau !

En ce moment, entraînée par son zèle de médecin et n’écoutant plus que son bon cœur, elle avait tout à fait oublié ses grandes résolutions ; elle était tout à son malade ; elle s’était emparée de la chambre de Marcel ; elle allait et venait, rinçait les verres, donnait des ordres ; elle se fit raconter tout ce qui s’était fait depuis que Marcel était au lit ; il fallut qu’on lui expliquât de point en point quel avait été le traitement suivi.

Le blessé s’était retourné sur l’oreiller du côté du mur ; dans ce mouvement, le bandeau qui lui entourait le front se desserra, et le sang se répandit sur ses tempes. La tante courut au chevet du lit avec une grande compresse. — Mais dépêchez-vous donc, criait-elle ; tous ici ! Voyez comme il pâlit ! ce pauvre ami va se trouver mal ! Quel pansement ! On ne peut jamais se fier à ces docteurs ! Aidez-moi donc, vous tous ; je lui tiens le front, mais je ne puis pas tout faire. Laisse-moi, Damian, ce n’est pas ce flacon qu’il faut ; Sabine, Sabine, l’élixir, la fiole bleue ! Mais soulève-lui donc la tête, Sabine, laisse-moi verser, et toi, fais-le boire, doucement, doucement, du bout des lèvres.

En lui donnant l’élixir, Sabine lui soutenait le front, et quelques gouttes de sang tachèrent son mouchoir. Marcel rouvrit un instant les yeux ; il reconnut Sabine, et toutes les visions du ciel passèrent devant lui.

— Ah ! belle demoiselle, dit Espérit, vous lui rendez l’âme !

Sur ce mot, la tante prit une mine sévère et maussade ; elle se disposait à partir lorsqu’on annonça l’arrivée du docteur. La tante entra en longue conférence avec lui, il approuva tout ce qu’elle avait fait ; ils s’assirent dans un coin pour causer. Toute au plaisir de faire briller ses belles connaissances médicales, tante Blandine ne songeait plus au départ. Espérit, qui voulait la retenir le plus longtemps possible, crut bien faire en venant lui dire : — Maintenant que vous êtes ici, je vous garde jusqu’au retour de notre Sendrique ; ce ne sera pas long ; de ma fenêtre je viens de la voir là-bas, là-bas sur la route. Oh ! c’est bien elle, avec son fichu blanc et sa grande coiffe ; du bout de la plaine, je reconnaîtrais sa mule entre mille.

La tante se leva précipitamment. En toute hâte, elle prit congé de Marcel et du docteur, et sortit pour ne pas se rencontrer avec la Damiane ; mais l’attelage de la carriole était encore à l’étable. Dans son empressement, tante Blandine se mit à aider Cascayot pour harnacher et brider les bêtes. Elle conduisit elle-même le Garri à l’abreuvoir, et tout en activant le départ, elle reprenait sa mauvaise humeur et ne cessait de répéter à Sabine. — On m’a fait faire un pas de clerc ! C’est votre faute, après tout. Maintenant notre retour devient de plus en plus impossible. Aussi pourquoi Cascayot n’a-t-il pas pris l’autre route ? Et cet Espérit, cet Espérit !… Ah ! ce voyage est d’une urgence !… Et j’espère bien que nous voilà parties pour toujours !

Si agile que fût Cascayot, tous ces préparatifs de départ prirent du temps. Au moment de grimper sur le marchepied de la carriole, Mlle  Blandine aperçut la Damiane qui entrait dans la cour ; elle prit sa nièce par le bras, et bien à contre-cœur elle s’approcha de la Sendrique pour la saluer. La Damiane descendit de sa mule, et Sabine lui tendit la main au saut de l’étrier. En quelques mots, la Sendrique les remercia toutes deux de leur visite, et d’une façon si simple, si affectueuse, que la tante elle-même se sentit touchée, attendrie.

Mlle  Blandine remonta en voiture très émue et très mécontente d’elle-même. Comme elle se repentait toujours de ses bons mouvemens, elle s’accusa bientôt de faiblesse, et tout en querellant sa nièce, elle se querellait elle-même, en grande subtilité, pour effacer cette douce impression qu’elle avait reçue de la Damiane.

Au tournant de la route des Rétables, la carriole fut croisée par une calèche découverte attelée de deux chevaux fringans lancés au galop. Maître Mazamet était assis sur le siège et conduisait à grandes guides. En rendant son salut à l’avocat, Mlle  Blandine se pencha lestement de côté pour jeter ses regards curieux au fond de la voiture ; elle entrevit la belle Félise étendue avec nonchalance sur ses carreaux de velours rose, parée comme une princesse, dans toutes ses élégances, toute galante et pimpante, au milieu des fleurs et des dentelles. Elle jouait de l’éventail et souriait à Lucien, qui caracolait à la portière.

  1. « On t’a tondu, grosse tête ; la cigale t’a mordu. » Refrain d’écoliers très populaire dans le Comtat.
  2. « On fait courir les coquins à coups de tessons d’assiettes. » Début d’un air populaire du Comtat.
  3. Jéhuistes, compagnies de Jéhu. C’est le nom qu’avaient pris, en souvenir d’un personnage biblique, les bandes de la réaction thermidorienne en Provence. Royal-cibots, royalistes de 1815, qui portaient des pommes de pin à leur chapeau.