Le Mauvais Génie (Comtesse de Ségur)/27

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Hachette (p. 321-326).


XXVII


bataille et victoire


Le colonel avait prévu juste. Trois jours après le jugement, un signal d’alarme réveilla le régiment au milieu de la nuit. Un avant-poste annonça qu’un flot d’Arabes approchait ; en peu d’instants les deux escadrons furent sur pied et en rang ; les Arabes débusquaient sans bruit d’un défilé dans lequel le colonel ne voulut pas s’engager, sachant que l’ennemi couronnait les crêtes. Ils croyaient surprendre la place ; mais ce furent eux qui se trouvèrent surpris et enveloppés avant d’avoir pu se reconnaître. On en fit un massacre épouvantable ; on y fit des prodiges de valeur. Le colonel s’étant trouvé un instant entouré seul par un groupe d’Arabes, Frédéric accourut et sabra si bien de droite et de gauche qu’il réussit à le dégager, à blesser grièvement et à faire prisonnier le chef de ce groupe. Dans un autre moment, il vit son maréchal des logis acculé contre un rocher par six Arabes contre lesquels il se défendait avec bravoure. Frédéric tomba sur eux à coups de sabre, en étendit trois sur le carreau, blessa et mit en fuite le reste, et emporta le maréchal des logis, qui était blessé à la jambe et ne pouvait marcher. Le lendemain, il fut encore mis à l’ordre du jour et il reçut les galons de brigadier.

M. Georgey triomphait des succès de son protégé et dit au colonel après la bataille :

« J’avais toujours regardé dans une lunette d’approche. J’avais vu tout dé sur mon toit.

le colonel.

Comment ? Où étiez-vous donc ?

m. georgey.

J’avais monté bien haut sur lé toiture. Jé voyais très bien. C’était très joli en vérité. Fridric venait, allait, courait, tapait par tous les côtés. C’était un joli battement. Moi avais jamais vu batailler. C’était beau les soldats français. C’était comme un régiment dé lions. J’aimais cette chose. Jé disais bravo les lions ! »

L’exécution d’Alcide eut lieu huit jours après ce combat. Il mourut en mauvais sujet et en mauvais soldat, comme il avait vécu. Il refusa d’écouter l’aumônier. Ses dernières paroles furent des injures contre ses chefs et contre Frédéric. Personne ne le regretta au régiment.

M. Georgey resta deux mois avec le colonel, puis



« J’avais toujours regardé dans une lunette d’approche. »


il alla près d’Alger pour établir des fabriques. Il y réussit très bien ; deux ans après il alla passer quelque temps à Alger.