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Le Message du Mikado/p1/ch07

La bibliothèque libre.
Éditions Jules Tallandier (p. 121-142).


CHAPITRE VII

Où le secret japonais s’ébruite


Le jour commençait à poindre. Tibérade s’éveilla dans sa chambre de l’hôtel Cavour.

Par suite de quels incidents, le jeune homme, demeuré la veille, au soir, en pleine montagne, avait-il réintégré la pièce confortable ?

Oh ! l’affaire s’était arrangée d’elle-même.

Ambrosini-Midoulet, après de bruyantes manifestations de mécontentement, s’était calmé et avait rendu la captive Sika sans conditions, au père, aux amis qui tremblaient pour elle.

Emmie, elle, avait expliqué la chose sans hésiter.

— Oh ! avait-elle déclaré, c’est tout simple : le pantalon étant parti en voyage, le coup se trouve manqué ! Mlle Sika ne pouvant plus servir les desseins du voleur, il se débarrasse de sa garde à notre profit.

Une fois, de plus, la « petite souris » avait raison.

Les voyageurs avaient donc réintégré l’hôtel Cavour, où les clients, qui veillaient pour les attendre, les avaient félicités de l’heureuse issue de l’aventure. Bien entendu, on leur laissa croire que les bandits avaient relâché Sika contre rançon. Il était inutile, en effet, d’ébruiter l’existence du message mystérieux, qui faisait naître une Camorra inédite.

Donc, Tibérade ouvrit les yeux, jugea au peu d’éclat du jour qu’il serait trop tôt pour se lever, et commençait à refermer ses paupières, quand on frappa à sa porte.

— Qui va là ? gronda-t-il, furieux contre l’importun qui mettait son doux rêve en fuite.

— Général Uko, lui répondit une voix assourdie.

— Vous, général ? reprit le jeune homme retrouvant le sourire, à l’audition de l’organe du père de la jolie Sika.

— Oui. Habillez-vous prestement, je vous prie.

— Je me hâte sans vous demander le pourquoi de ma précipitation.

— Oh ! vous le pourriez sans indiscrétion.

Tout en parlant, Marcel avait sauté du lit, revêtu un pyjama et dans cette tenue sommaire, il ouvrit :

— Entrez, mon général, entrez.

— Non. Je tenais seulement à vous prévenir, afin que nous sortions, le plus tôt possible.

— Pour ?…

— Mais pour câbler à Port-Saïd.

— Câbler ? à quel propos ?

À propos de nos valises, donc ! Il est inutile qu’elles s’en aillent en Chine sans notre compagnie.

— C’est juste ! pardonnez-moi mon étourderie.

— Nous télégraphierons au capitaine du Shanghaï, pour qu’il dépose nos bagages au bureau des Messageries Maritimes, à l’escale de Port-Saïd, où nous les trouverons à notre arrivée.

Sur ce, Uko se retira discrètement, afin de permettre à Tibérade de procéder à sa toilette ; un quart d’heure à peine écoulé, le cousin d’Emmie rejoignit le Japonais, faisant les cent pas sur le trottoir portant la façade de l’hôtel.

Toutefois, avant de descendre, Marcel avait entr’ouvert la porte de communication reliant sa chambre à celle de la petite Emmie, et s’était ainsi assuré que là fillette dormait à poings fermés.

La poste de Brindisi est située dans l’une des ruelles aboutissant au port, tout près de l’Hôtel Internacional, qui fait face au débarcadère.

Marcel et son compagnon y parvinrent bientôt, sur les renseignements d’un facchino (commissionnaire) paresseusement étendu sur le perron d’une maison.

Tibérade prit une formule télégraphique et libelle la dépêche suivante :

« Capitaine Shanghaï — Port-Saïd — Égypte. Déposez valises cabines 14, 16, 20 et 22, tente Messageries Maritimes, Port-Saïd.

« Signé : Tibérade. »

Ayant achevé et passé ladite missive au guichet, il regarda autour de lui. Sur une tablette voisine, le général remplissait également des formules de l’administration des télégraphes.

— Vous n’avez pas fini ? interrogea Marcel.

— Non, j’en ai pour un instant encore.

— Oh ! à votre convenance.

Le jeune homme s’éloigna par discrétion, s’absorbant dans la lecture des affiches, dont les administrations publiques de tous pays se montrent si prodigues.

Pendant ce temps, le Japonais avait confectionné deux dépêches : l’une, adressée au capitaine du Shanghaï pour les bagages ; l’autre, rédigée en langage convenu, provoqua l’ahurissement du préposé au guichet.

L’étonnement s’expliquait, le câble étant ainsi conçu :

« Achetez douze canards cochinchinois, belle venue, pour duchesse. Petit habit bleu viendra sans retard prendre livraison ; sinon, prévenez Fantin. »

Ce qui, il faut bien traduire pour le lecteur, signifiait en langage ordinaire :

« Le pantalon voyage seul par la faute d’un passager du bateau qui a surpris le secret. Expédiez ordres à Port-Saïd. »

Puis, la bizarre missive transmise, le Japonais rejoignit Marcel, et avec une apparence de rondeur :

— Cher monsieur, je vais vous laisser retourner seul à l’hôtel.

— Ah bah !

— Oui. Je veux m’enquérir des moyens de gagner Port-Saïd, sans perdre quinze jours à attendre le prochain courrier des Messageries Maritimes.

— Ne puis-je vous aider au moins ?

— Vous m’aiderez en vous rendant au Cavour, et en vous chargeant de dire à ma fille de ne pas s’inquiéter si je tarde quelque peu.

— À vos ordres, consentit le jeune homme, préférant de beaucoup la recherche de Sika à celle d’un steamer quelconque.

Et tous deux se dirigèrent vers la sortie. Ils allaient franchir le seuil, quand un gentleman les croisa, les frôlant au passage, et se précipita vers une tablette de correspondance. Marcel et le général eurent une sourde exclamation, et ayant dépassé la porte, ils s’arrêtèrent sur le trottoir, une incroyable surprise dans les yeux.

Chacun semblait hésiter à parler. Enfin, le Japonais se décida :

— Vous avez vu ce gentleman, monsieur Marcel Tibérade ?

— Oui ! je puis affirmer que je l’ai vu… et que j’ai cru le reconnaître.

— Moi, également.

— Vrai ! Alors, vous pensez comme moi que c’est… Ils prononcèrent ensemble, en un duo stupéfait :

— Ambrosini ! Le Seigneur de la Montagne. Le bandit qui nous a fait passer, hier soir, un si mauvais moment.

Midoulet, lui, tout en faisant courir sa plume sur une formule télégraphique, grommelait avec un sourire narquois :

— Mes précautions d’abord. Ensuite, je tâcherai de faire un brin de conversation avec ce monsieur, que le général a chargé du pantalon, sous couleur d’un pari. Eh ! eh ! subtil Japonais, un mensonge constitue un défaut sérieux à la cuirasse, même d’un Samouraï. Je crois bien que je vais vous toucher.

Mais secouant la tête, comme pour chasser une idée importune :

— Chaque chose à son tour. Pour l’instant, ne songeons qu’a mon câble.

D’une « anglaise » impeccable, il traça ces mots, dont ses adversaires eussent été désagréablement émus, s’ils avaient pu les lire :

« Chef, police anglo-égyptienne — Port-Saïd — Égypte. Prière mettre sous séquestre, tente des Messageries Maritimes, bagages des cabines 14, 16, 20 et 22, qui seront déposés à terre par capitaine Shanghaï, passagers ayant manqué départ Brindisi.

« Signé : Midoulet. »

Il relut, parut satisfait du libellé, passa la dépêche au guichet.

Cependant le général avait quitté Tibérade, pour se rendre sur le port, et le jeune homme reprenait le chemin de l’hôtel Cavour, tout en se remémorant les aventures de la veille. Les paroles de cet Ambrosini, qu’il veinait de croiser, se représentaient à sa mémoire. Le vêtement mystérieux harcelait sa pensée.

N’avait-il pas été naïf de croire à un pari ?

Car enfin, le bandit l’avait dit. Ce vêtement venait d’un haut personnage : il avait été remis au général Uko par l’entremise de l’ambassade japonaise à Paris. Quelle apparence qu’un ambassadeur se commit dans un pari… absurde, entre deux particuliers ?

La logique de la déduction ainsi conduite l’impressionnait ; mais, à son imagination ne se présentait aucune explication plausible.

Et il répétait inutilement les termes du problème posé devant sa perspicacité :

— Ambassade… Culotte… pari… Vérité… Mensonge.

Il ne parvenait pas à jeter la moindre lumière sur le mystère. Ce qui, d’ailleurs, n’avait rien d’étonnant.

Ainsi, il arriva à l’hôtel, chargea une fille d’étage d’avertir Mlle Sika que le général, retenu en ville, ne rentrerait peut-être qu’un peu tard dans la matinée.

Ce soin pris, il s’enferma dans sa chambre, se renversa dans un fauteuil, et les yeux mi-clos, le front barré des rides de la réflexion, il recommença à agiter les connues et inconnues du théorème pantalonesque soumis a son intellect.

Il se perdait dans un labyrinthe de suppositions, où le vêtement lui apparaissait tout autrement qu’un fil d’Ariane, quand la porte de communication s’ouvrit brusquement, et Emmie parut, toute habillée, déjà :

— Coucou !… Ah ! le voilà !

Elle traduisit de la sorte sa satisfaction de voir Marcel, en tenue de ville également. Elle vint à lui, l’embrassa affectueusement. :

— Bonjour, cousin.

— Bonjour, petite souris.

— Tu t’es levé bien matin. Tu as mal dormi sans doute. Moi-même, je n’ai trouvé le sommeil que vers deux heures.

— Ce n’est pas cela… mais le général m’a emmené au télégraphe.

— Comment ?

— Parfaitement. Pour que nous retrouvions nos valises à Port-Saïd. Autrement, elles auraient continué jusqu’en Chine.

La fillette éclata de rire :

— Ah ! quelle promenade… dangereuse, car le Céleste Empire est en pleine révolution. Les fils de Han veulent aussi connaître les douceurs du système représentatif. Au fait, maintenant que tu as assuré le sort de ces pauvres petites valises abandonnées, tu peux songer à promener un tantinet ta cousine.

— Certes, à moins que tu ne veuilles attendre Mlle Sika. La petite secoua la tête.

— Oh ! elle se lèvera tard. Elle a eu plus peur que nous, et la peur fatigue, tu sais ; elle fatigue horriblement.

— Tu as toujours raison, petite Emmie. Nous partirons quand tu le voudras.

— De suite, en ce cas… Une minute, je mets mon chapeau et je suis à toi.

Derechef, elle embrassa son cousin, lui ébouriffa les cheveux d’un revers de main, et ravie de cette espièglerie, elle se précipitait en courant vers la communication, lorsque deux coups secs résonnèrent à la porte du couloir.

— Encore, maugréa Tibérade, et plus haut : qui frappe ?

— Celui que vous appelez Ambrosini, répondit un organe assourdi par le panneau de bois.

Les cousins s’entre-regardèrent avec saisissement.

Mais Emmie, prenant aussitôt une décision, chuchota :

— Il faut le recevoir… Je file dans ma chambre ; mais je t’en préviens, j’écoute.

Sans attendre de réponse, elle se glissa dehors, sur la pointe des pieds.

Et elle disparut Marcel, obéissant à son impulsion, cria :

— Entrez !

Le panneau tourna lentement, démasquant Midoulet debout sur le seuil.

— Entrez, entrez, Ambrosini, plaisanta Marcel. J’avoue que je ne m’attendais pas à votre visite. Mais vous me la faites ; vous devez avoir vos raisons… et, entre nous, je ne serai pas fâché de les connaître.

L’agent ne se fit pas répéter l’invitation. Il pénétra, dans la chambre, en refermant soigneusement la porte sur lui.

— Excusez-moi, cher monsieur, commença le pseudo-bandit ; mais la Providence m’a placé sur votre chemin…

— Ah ! balbutia Tibérade interloqué par cette entrée en matière, vous croyez vraiment que c’est la Providence… Enfin, je ne veux pas vous contrarier ; mais j’ignorais jusqu’à ce jour l’alliance de la Providence et de la Camorra…

— Il n’y a pas de Camorra, cher monsieur ; c’est un, mythe, au moins, dans l’espèce.

— Comment, pas de Camorra. Ah ça ! monsieur Ambrosini ?…

— Pas d’Ambrosini non plus. Je me présente sous mon véritable nom : Célestin Midoulet, agent du service des Renseignements de la République française, qui vous sait engagé dans une affaire épineuse, et souhaite vous éviter un impair… dont vous seriez inconsolable.

Du coup, la surprise de Marcel tourna à l’ahurissement.

— Une affaire épineuse ? Un impair ? se redit-il d’une voix hésitante.

L’agent inclina, affirmativement la tête :

— Vous allez en juger, si vous consentez à m’accorder l’entretien que je sollicite de votre courtoisie.

— Vous n’en doutez pas, monsieur… ?

— Midoulet, pour vous servir…

— Parfaitement. En ce cas obtempérez à mon invitation très sincère : Monsieur Midoulet, prenez donc la peine de vous asseoir. Peut-être votre conversation me fera-t-elle comprendre le but de mes actions.

— Vous ne comprenez pas ? Je note l’aveu et je me félicite de ma démarche.

L’agent s’installa sur une chaise, et gravement semblant s’appliquer à scander ses paroles, comme pour leur donner plus de poids :

— Si je ne m’abuse, vous ignorez la valeur réelle du vêtement dont vous avez bénévolement consenti à être le tiers porteur.

— Il a une valeur ?…

— Tragique monsieur.

— Tragique ? Vous plaisantez ?

— Hélas ! non. Ce haut-de-chausses moderne et ridicule contient peut-être, en germe, une guerre d’extermination.

— Que me dites-vous là ?

— Je dis et je répète : l’objet est tragique… tragiquement diplomatique.

Du coup, Tibérade se prit le crâne à deux mains, positivement ahuri, et par les vocables, et par l’accent de son interlocuteur :

— Diplomatique, gémit-il enfin. Alors le prétendu pari serait ?…

— Un aimable leurre, monsieur Tibérade.

— Vous ne seriez pas un agent de la partie adverse, comme on me l’a affirmé.

— Pardon, je représente bien une partie adverse.

— Pas dans un pari.

— Il n’y a pas pari, monsieur ; mais serment, juré par moi, Célestin Midoulet, de percer ce haut-de-chausses à jour.

— Que gagnerez-vous à y faire des trous ?

— Je parle au figuré… Ce pantalon contient un secret d’État.

Du coup, le jeune homme crut pouvoir souligner le mot d’un éclat de rire incrédule.

— Un secret d’État… Dans les Jambes, la ceinture ?

Mais la gravité de l’agent figea l’hilarité sur ses lèvres.

— Ne riez pas. Rien n’est plus sérieux, malheureusement.

— Alors, sérieusement, vous ne me faites pas poser ?

— Jamais de la vie !

— Votre discours n’est pas un bateau, une colonne comme nous disions à Paris, une galéjade de Marseille, un humbug de Londres ou de New-York ?

— Hélas ! non, sur l’honneur.

— Vous le regrettez ?

— par la raison que cet ajustement serait alors inoffensif. Tandis qu’à cette heure, s’il parvient à son destinataire, c’est la domination du Pacifique et de l’Océan Indien qui échappe peut-être à l’Europe pour passer au Japon.

— La domination du Pacifique, de l’Océan Indien… Jamais culotte ne contint une aussi grosse question.

Midoulet ne parut pas remarquée l’ironie. Il continua, les sourcils froncés :

— Qui est plus particulièrement menacé ? La France, l’Angleterre, une autre nation ? Je n’en sais rien ; mais je suis certain que toutes celles dont les intérêts rayonnent sur ces mers doivent trembler devant ce signal de drap gris fer.

— Ah çà ! vous parlez de ce couvre-tibias comme s’il devait déchaîner un Homère nouveau, une Iliade, une Odyssée modernes.

— Vous croyez plaisanter. C’est cela même cependant.

— De quelle façon ? En quoi ? Pourquoi ?

— J’ignore le détail. Ce que je puis vous apprendre, le voici.

Et se penchant vers son auditeur médusé, l’agent poursuivit en faisant sonner les syllabes :

— Le général Uko est un ambassadeur extraordinaire du Japon.

— Lui ?

— En personne.

— Et sa fille ?…

— Est au courant.

— Mais j’y songe, le pantalon d’un ambassadeur n’est pas forcément chargé de secrets d’État.

— Celui-ci l’est.

— Vous en avez la preuve.

— Il a été adressé à l’ambassade par le mikado lui-même.

— Singulier moyen de correspondance ?

— Le général doit le remettre à une personne qui lui sera désignée ultérieurement. Il ignore le sens de ce geste ; hein ! la ruse japonaise ! Le moyen d’assurer le secret en ne le confiant pas même à celui qui en est porteur ; mais je sais, moi, qui l’ai entendu, ce qui s’appelle entendu, que le résultat cherché est d’évincer l’Europe des océans extrême-orientaux.

Le ton de Midoulet était trop net pour laisser subsister un doute, en dépit de l’étrangeté de ses affirmations.

Marcel murmura :

— Alors, votre poursuite incessante ?…

— Est le devoir d’un agent des Renseignements, qui travaille pour la France, et qui considérerait comme une trahison de ne pas empêcher, par tous les moyens, la réalisation des projets du souverain astucieux de l’empire du Soleil-Levant !

Tibérade bondit sur ses pieds :

— Mais vous m’y faites penser, en acceptant de convoyer cet objet dangereux…

— En bien ?

— Je deviens moi-même traître à mon pays.

— Jusqu’ici vous ne l’étiez pas, prononça Midoulet d’un ton conciliant, mais à présent que vous êtes renseigné, le crime de haute trahison serait nettement caractérisé.

Dans un geste éloquent de ses bras levés, le jeune homme parut prendre le plafond à témoin de sa malchance !

— Ah ! voilà bien ma déveine accoutumée qui se manifeste.

— Si vous m’écoutez, vous n’aurez rien à redouter.

— Si, la misère qui se cramponne à moi, comme l’huître à son rocher : aussitôt qu’une chose agréable s’avise de poindre à mon horizon… patatras ! la guigne l’éteint. Je suis comme la princesse de la fable : mes roses se transmuent en vipères, mes diamants en cailloux.

— Vous exagérez.

— Vous trouvez, vous ? Écoutez et jugez ; je crois accomplir un beau voyage, avec la fortune au bout de mon rêve ? Vous paraissez… Que reste-t-il ?

— La satisfaction du devoir accompli.

— C’est de la viande de carême, cela ; excellente pour jeûner. Ne pensez pas que j’hésite. Seulement, je trouve l’aventure ruineuse.

— Le service des Renseignements sait récompenser…

— Ne parlez pas de ça. J’ai des scrupules, c’est inepte peut-être, mais c’est ainsi. Sans le sou je resterai, car je n’admettrais pas d’être payé pour n’avoir pas trahi.

Doucement, la porte d’Emmie s’était entre-bâillée. La frimousse mutine de la fillette se montra une seconde, juste assez pour que la mignonne eût le temps d’adresser du bout des doigts un baiser discret à son cousin. Évidemment, elle partageait sa manière de voir.

— Ce qui me semble acquis, fit-il, c’est que vous ne doutez plus de mes paroles ?

— Non, en effet…

— Voilà qui est bien répondu. Dès lors, nous agirons d’accord.

— Que prétendez-vous exprimer ainsi ?

— Procédons avec ordre, reprit l’agent sans répondre directement à la question. Le vêtement incriminé est enfermé dans votre valise…

— Laquelle est elle-même dans mon ex-cabine, à bord du Shanghaï.

— Très bien ! Or, vous avez télégraphié au capitaine de la déposer à Port-Saïd, à la tente des Messageries Maritimes.

— Vous le savez, s’exclama Tibérade avec stupeur.

— Cela tombe sous le sens ! Je vous ai rencontré tout à l’heure au télégraphe. Vous ne pouviez pas y être pour autre chose.

— C’est vrai, au fait.

— Eh bien, quand vous serez rentrée en possession du pantalon, remettez-le-moi !

— Il faut aller à Port-Saïd ?

— Je vous y accompagnerai.

— Et puis…

Marcel hésita une seconde, mais prenant son parti, il continua :

— Il y a autre chose.

— Ce vêtement ne m’appartient pas…

— Service de la République Française, commença l’agent d’un ton emphatique…

— Ta, ta, ta… Il n’y a pas de république qui tienne. Dans mes mains, ce vêtement est un dépôt. Je suis décidé à ne pas le conserver, mais je ne puis le rendre qu’à celui qui me l’a confié.

— Très bien, murmura Emmie, si légèrement que les causeurs ne l’entendirent point.

— Alors, vous refusez ? fit presque violemment Midoulet, surpris de la résistance imprévue de son interlocuteur.

Mais Tibérade ne s’émut pas le moins du monde de sa mauvaise humeur.

— Monsieur, prononça-t-il avec une dignité dont l’agent se sentit impressionné, conserver le pantalon serait une trahison ; mais le donner à un autre que mon commettant deviendrait une malhonnêteté. Ni traître, ni malhonnête, voilà ma devise. Donc, je vais à Port-Saïd. Je retire ma valise de la consigne, le pantalon de la valise et je la restitue au général Uko.

« Ceci fait, vous vous arrangerez tous deux comme vous l’entendrez. Je m’en lave les mains avec une pierre ponce… Pilate ; un point c’est tout.

À ces mots, Midoulet retrouva le sourire.

— Je n’en demande pas davantage, monsieur Marcel Tibérade ; et je serai heureux de signaler à mon service la façon délicate dont vous savez interpréter une obligation d’honneur.

Il salua courtoisement, gagna la porte, accompagné par le jeune homme, et sortit sur cette dernière phrase, politesse d’habitude qu’il prononça machinalement :

— Enchanté d’avoir fait votre connaissance.

À peine le battant était-il retombé, qu’Emmie faisait irruption dans la chambre de son cousin.

Et comme il la regardait, surpris de lui voir un air grave auquel la rieuse créature ne l’avait pas accoutumé, elle prononça :

— Marcel, je suis fière de toi ; tu es un homme.

— Parce que ?

— Parce que tu as trouvé la vraie solution.

Il plaisanta :

— Alors la petite souris approuve ?

— Complètement, fit-elle sans relever l’ironie enclose dans la question.

— Et elle ne regrettera pas le voyage en wagons de luxe, avec séjour dans les meilleurs hôtels ?

Elle secoua sa tête expressive.

— Ce n’est pas là ce que je regretterai ; toi non plus, du reste.

— Qu’est-ce donc ?

— Qui est-ce, devrais-tu dire ? Et je réponds : Sika.

Les deux syllabes sonnèrent dans le silence de la chambre, comme la modulation mélancolique d’une plainte. On eût cru qu’une âme de cristal pleurait.

Du moins, telle fut l’impression de Marcel, car il resta là, une pâleur subite épandue sur ses traits, les yeux troubles, et il répéta inconsciemment :

— Sika !

Le nom de douceur signifiait l’aveu au rêve ébauché.

— Oui, reprit Emmie, ne plus voir Sika, voilà le pire pour toi, mon pauvre Marcel. Enfin, en tout cas, il nous faut aller chercher le maudit pantalon en Égypte, et d’ici là… qui sait !

Tibérade tressaillit au ton dont ces deux monosyllabes du doute et de l’espérance furent prononcés.

Il voulut demander à sa jeune cousine quel sens s’abritait sous cette phrase suspendue.

Il n’en eut pas le loisir. On heurta à la porte et avant même qu’il eût répondu, le vantail s’ouvrit au large, livrant passage au général Uko.

— Vous, général, s’exclama Marcel, vous arrivez à point. J’ai justement à vous parler très sérieusement.

— Vous voudrez bien me laisser commencer, fit le Japonais en riant. Je viens tout exprès pour converser avec vous.

— Je vous écouterai donc.

— Eh bien, mon cher monsieur, j’ai trouvé ce que je cherchais. Nous pourrons quitter Brindisi à destination de Port-Saïd, sous trois jours.

— Trois jours ? tant mieux.

— Attendez donc ; je ne tenais pas à perdre de temps. Or, sur le port de commerce, j’ai découvert devinez quoi ?

— Pas de rébus, général, je vous en prie.

— Soit. Eh bien, je découvre un constructeur d’embarcations, ayant en garage cinq canots automobiles, qui viennent d’effectuer la traversée de la Méditerranée, de Tripoli à Brindisi.

— Des canots de haute mer ?

— Juste. J’ai fait prix aussitôt pour que l’un d’eux, le numéro 4, nous transporte à Port-Saïd.

— Bravo !

— Vérification, mise en état, rappel du mécanicien-chauffeur et du mousse composant l’équipage ; achat et arrimage de huit jours de provisions pour le moteur et pour les passagers, exigent le délai indiqué. Bref, nous embarquerons dans trois fois vingt-quatre heures… Environ pareil laps de traversée. Dans une semaine, nous, rejoindrons, à Port-Saïd, le vêtement, dont l’absence me rend le plus malheureux, le plus nerveux des hommes.

Avec une ironie pleine de reproches, Tibérade répondit doucement :

— Je le conçois.

Les mots n’étaient rien, mais l’accent dont ils avaient été énoncés inquiéta l’interlocuteur du jeune homme.

Il le considéra avec une curiosité ardente, et lentement :

— Qu’avez-vous donc ?

— J’ai… qu’à Port-Saïd, général, je vous restituerai l’objet que vous m’avez confié.

— Vous me res… ti… tuerez, répéta lentement le Japonais.

Ses regards noirs rivés sur Marcel augmentèrent le trouble de ce dernier, qui expliqua d’une voix hésitante :

— Ce qui vient d’arriver a modifié mes résolutions… Vous comprenez… ce pantalon qui s’évade… ; la responsabilité est trop grande… Votre fortune, votre existence en jeu… Je ne veux plus supporter le poids de semblables pensées.

— Mais j’ai confiance en vous, moi, se récria Uko.

— Je vous en suis reconnaissant, général ; mais, moi, je n’ai plus confiance.

Il y eut on silence. Les deux hommes s’examinaient. Le Japonais avait l’intuition que son compagnon ne lui dévoilait pas le fond de sa pensée.

Il se préparait à l’interroger. Une exclamation d’Emmie lui coupa la parole.

— Eurêka ! clamait la fillette.

— Qu’as-tu trouvé ? demanda Tibérade, heureux de la diversion.

Elle eut ce sourire énigmatique qui fleurit sur les lèvres de toute fille d’Eve, sur le point de voiler la vérité, ce sourire fugitif, que le génie fixa sur la toile non moins fugitive de la Joconde, et légèrement :

— Rien, cousin. Je pensais à mes leçons de physique ; à la quatrième, tu sais, l’anecdote d’Archimède. Étant au bain, c’est-à-dire à un moment où nul agent n’eût pu le poursuivre pour port illégal d’uniforme, ce savant découvrit qu’un corps plongé dans l’eau perd un poids égal à celui du volume d’eau déplacé. Et alors, dans sa joie, il oublia son costume, ou plutôt son absence de costume, et se prit à courir dans les rues de Syracuse en criant : « Eurêka ! Eurêka ! » Voilà pourquoi j’ai répété Eurêka après lui.

Le général marqua un geste d’impatience.

— Laissons Mlle Emmie rêver au… décolletage d’Archimède, et poursuivons notre conversation beaucoup plus utile.

Mais ce fut la fillette qui reprit la parole :

— Vous voulez que mon cousin vous dise qu’il est trop courageux pour fuir une responsabilité, si lourde soit-elle ?

— J’avoue que c’est à peu près cela, grommela l’interpellé.

— Et que du même coup, il reconnaisse que ce n’est pas pour ce motif qu’il désire renoncer à être le chaperon du vêtement voyageur.

— Emmie ! supplia Tibérade sentant que la petite allait tout apprendre à l’officier japonais.

Mais l’appel demeura sans résultat.

La fillette répéta, imitant son cousin :

— Emmie ! Eh bien quoi, Emmie ? Emmie a horreur des situations obscures, et elle allume l’électricité. Général, je tourne le commutateur… Vous avez deviné juste. Marcel a un motif grave pour vous restituer un vêtement… compromettant.

— Compromettant, glapit le général.

Elle arrêta net la récrimination :

— Ce que je dis ne saurait atteindre cet objet dans son honneur, ni vous dans le vôtre !

— C’est heureux !

— Tout à fait heureux, car je puis dès lors parler sans réticences. Marcel continuerait à se dévouer, s’il croyait travailler au gain d’un pari.

— Comment, s’il croyait, il me semble que ma parole…

— Est l’esclave du devoir diplomatique, général. J’ai appris cela dans la vie de M. le cardinal de Richelieu : « Un ambassadeur, dit cet homme d’État, doit tout sacrifier à la réussite de sa mission ; un faux serment qui coopère à ce résultat devient de ce fait une action louable. » Je suis certaine que vous pensez de cette façon.

— Qui vous fait supposer ? bredouilla l’officier désarçonné par le coup droit que lui portait la fillette, avec une opportune application des auteurs étudiés sous la direction de son cousin.

Elle répondit du tac au tac :

— Célestin Midoulet, du service des Renseignements de France, un homme qui accomplit son devoir et que nous avons pris pour un bandit.

— Ambrosini ?

— Oui… Vous comprenez, général, que mon cousin renonce ; car il se trouverait pris dans la pince d’un dilemme : Être traître à son pays, ou déloyal à votre égard.

Cette fois, Uko resta muet. Il baissa la tête, parut réfléchir, puis d’une voix sourde :

— Alors, nous nous quitterons à Port-Saïd ?

Une angoisse contracta le visage de Tibérade. Pourtant, il répliqua avec fermeté :

— Oui, ma valise reprise aux Messageries, le vêtement entre vos mains, je retournerai en France.

Sans discuter davantage, le Japonais approuva de la tête.

— Qu’il soit fait selon votre volonté.

D’un pas lent, il se dirigea vers la porte et sortit, laissant les deux cousins seuls, en face l’un de l’autre.

Alors Marcel se jeta sur une chaise et se cachant le visage dans ses mains, il gémit :

— Adieu le rêve !

Mais deux bras entourèrent son cou, la joue fraîche de sa petite cousine s’appuya contre sa joue, et la gamine prononça avec toute l’autorité d’un pédagogue :

— Il ne faut jamais dire adieu au rêve.

— Pourtant, il me semble…

— Il te semble mal, voilà tout.

Son assurance éveilla l’attention de son interlocuteur.

— Ah çà ! petite, qu’espères-tu donc ?

Il y eut sur le visage de la fillette comme une indécision rapide, mais ce fut si fugitif qu’aucun observateur n’eût osé affirmer la réalité de l’impression.

— J’espère, j’espère, fit-elle… Est-ce que je sais ? Rien de précis. Seulement, quand une jeune Sika vient tout exprès du Japon à Paris, pour ligoter de ses cheveux blonds le cœur d’un honnête garçon comme toi… Eh bien… là… Eh bien, il n’est pas possible que cela ne finisse pas par un mariage.

— Tais-toi, tais-toi. C’est de la folie. La riche héritière, la fille d’un ambassadeur, épouser le pauvre hère que je suis ; c’est fou !

— Ce que tu racontes est fou, la fortune, l’ambassadeur, qu’est-ce que cela fait ?

Il secoua tristement la tête :

— Ah ! petite souris, comme on voit que tu as seulement quatorze ans.

— Ah ! ça se voit tant que ça. Eh bien, moi, je vois que tu raisonnes comme un vieux bonze ; vieux, vieux, comme les carpes de Fontainebleau.

La boutade le fit sourire.

— Si vieux que les carpes ?

— Oui, monsieur mon cousin. Car si vous étiez jeune, ainsi que je vous croyais encore tout à l’heure, vous vous diriez ceci : Pour se marier, il faut être deux ; deux qui se plaisent. Or, pour moi, il n’y a pas de doute ; Mlle Sika me plaît infiniment. Reste dons à savoir si elle me rencontre avec plaisir.

— Voilà le hic, soupira Tibérade dont le sourire s’effaça.

Mais vite, la fillette reprit :

— Tu es dans ton rôle d’homme modeste. Tu ne saurais répondre à la question.

— Alors ?

— Alors, je répondrai pour toi.

— Et tu diras ?

— Ah ! ah ! plaisanta la petite, ceci vous intéresse, monsieur mon cousin ; je suis sûre qu’à cette heure j’avance en âge ; j’ai plus de quatorze ans, n’est-ce pas ?

— Tu as surtout la manie des parenthèses. Je te ramène dans la voie. Que diras-tu ?

— Je suis bonne fille, je ne te ferai pas droguer davantage, je dirai donc…

La phrase commencée demeura suspendue.

Des coups timides venaient d’être frappés à la porte de la chambre voisine, réservée à Emmie.

— On frappe chez moi, dit-elle, je vais voir. Ne t’impatiente pas, je viens.

Elle avait disparu par la porte de communication, laissée entr’ouverte lors de son arrivée. Machinalement, Tibérade prêta l’oreille. Il entendit les pas légers de la fillette traversant la chambre, le claquement de la serrure, le glissement du battant tournant sur ses gonds.

Et soudain son cœur cessa de battre, un nuage s’épandit sur ses yeux. La voix assourdie d’Emmie arrivait à son oreille, et cette voix disait :

— Mademoiselle Sika ! Vous ?

Un chuchotement non perceptible suivit et de nouveau l’organe cristallin de la fillette :

— Vous avez pleuré. Si, si. À quoi bon le nier, vos yeux sont rouges…

Nouveau chuchotement auquel la petite répliqua :

— Vous pensez ! J’ai pleuré dans ma vie ; pas souvent ; je crois que les pauvres sont pauvres de larmes comme d’argent ; mais enfin je sais ce que je dis, et vous avez bien tort d’essayer des cachotteries inutiles. Du reste, si vous êtes venue à moi, c’était pour me raconter quelque chose.

Cette voix, la voix de Sika s’éleva un peu, et Tibérade perçut ces mots :

— Mon père m’a dit qu’à Port-Saïd…

— Nous nous séparerions ?

— Oui.

— Eh bien, mademoiselle Sika, cela m’aurait fait pleurer comme vous, si je n’étais persuadée que la séparation n’aura pas lieu.

— Vrai !

Il n’y avait pas à se méprendre sur le sentiment joyeux qui pétillait dans ce monosyllabe.

Mais Tibérade frissonna de tout son être. Sa cousine reprenait :

— Vous avouez donc. C’est pour cela que vous aviez gros cœur.

Un court silence, et Sika répliqua :

— Je vous aime beaucoup, Emmie. Vous êtes si gentille ; et puis hier, votre courage, venir chez des bandits. À ce moment-là, vous ne saviez pas que…

— Mon cousin aussi a accompagné votre père.

— Oui, mais la bravoure est plus naturelle chez un homme…

— Alors, vous ne lui avez aucune gratitude ?

— Mais si, mais si, s’écria la jeune fille qui s’arrêta net et devint écarlate.

Tibérade l’écoutait toujours, sa vie lui semblant suspendue à ces répliques qui s’échangeaient dans la pièce voisine.

Un bruit de baisers, un murmure de rires étouffés, buis le son de la porte refermée. Presque aussitôt, Emmie reparut.

Elle vint à son cousin et avec une gravité comique :

— Quand J’ai été dérangée par une visite… blonde, j’étais sur le point de te dire…

— Oui, oui, petite souris, tu allais prononcer des paroles…

— Inoubliables, acheva-t-elle gaiement. À présent, j’espère que tu m’en dispenseras.

— Pourquoi ?

— Parce que la voix de Sika est plus jolie que la mienne, et que jamais je n’aurais osé être aussi affirmative qu’elle.

— Comment, affirmative ?

— Dame, pleurer à l’idée de ne plus nous voir.

— Petite masque. C’était toi qu’elle regrettait. Elle l’a dit assez clairement.

— Donc, ce n’est pas vrai.

— Pas vrai ?

— Naturellement ; une jeune fille ne peut pas s’écrier : Je pleure le départ de M. Marcel. Alors, c’est moi qu’elle charge de tous ses regrets.

— une supposition.

— Une certitude, cousin.

Et d’un ton doctoral véritablement réjouissant, la fillette ajouta :

— Je n’ai que quatorze ans, comme tu dis ; seulement, je comprends la psychologie féminine mieux que toi.

Elle leva son index fuselé en l’air pour achever :

— Toi-même devrais te souvenir de cette phrase du peu galant philosophe Shopenhauer que tu m’as fait étudier de façon générale.

« La femme, par une fausse croyance, une délicatesse morbide, se complaît seulement à côté de la vérité. »

Ou encore celle-ci du si ennuyeux Nietzsche :

« Avouer du geste, du regard, de l’attitude, et nier en même temps par la parole, constitue l’antinomie caractéristique de l’entité féminine. »

Laissant là son cousin, stupéfié par ce déluge de citations, qui démontraient à tout le moins qu’Emmie avait bien profité de ses leçons, celle-ci se dirigea vers la porte à cloche-pied, l’ouvrit et s’inclinant cérémonieusement :

— Si monsieur mon cousin veut me conduire à la promenade, j’en serai charmée.

Il obéit à l’appel, souriant à la fillette, qui déjà descendait l’escalier. Il eût été ahuri de ce qui se passait dans la jeune cervelle de sa cousine, s’il avait pu l’entendre murmurer, avec la conviction d’une aïeule s’occupant du bonheur de ses petits-enfants :

— Ces pauvres petits, on ne les séparera pas… Si Marcel remet l’odieux pantalon au général, tout est rompu. Il ne faut donc pas qu’il puisse le lui rendre.

Elle secoua la tête avec énergie ayant de conclure :

— Et il ne le lui rendra pas !