Aller au contenu

Le Messianisme chez les Juifs/Première partie/Chapitre 1

La bibliothèque libre.
LE MESSIANISME
CHEZ LES JUIFS
(150 av. J.-C. à 200 ap. J.-C.)

PREMIÈRE PARTIE

LE MESSIANISME D’APRÈS LES ÉCRIVAINS JUIFS HELLÉNISTIQUES

CHAPITRE PREMIER

LE MESSIANISME EN ACTION D’APRÈS JOSÈPHE[1]


Les apocalypses apocryphes, les ouvrages rabbiniques nous feront connaître les espérances théoriques rattachées au Messie attendu. Il serait beaucoup plus intéressant de savoir si ces idées sont demeurées le rêve de quelques visionnaires, un thème à discussion entre rabbins, ou si elles ont été un des facteurs de la vie nationale, si elles ont eu assez d’action sur le peuple juif pour déterminer le cours ou du moins quelques-uns des mouvements de son histoire. S’il en était ainsi, le peuple serait un témoin plus grave que les voyants et les docteurs de l’intensité du messianisme. Même s’il était impossible de préciser l’étendue de cette foi, et l’énergie de ce levain pour soulever les âmes, il serait à propos de connaître les différents courants de l’histoire nationale pour apprécier la position prise par les prêtres, par les Pharisiens et par le peuple quand la prédication et les œuvres de Jésus posèrent nettement devant leur conscience le problème messianique.

I. — LE GENRE LITTÉRAIRE DE JOSÈPHE.

Malheureusement nous ne connaissons l’histoire juive, de Jean Hyrcan à la ruine de Jérusalem, que par Josèphe[2]. Ce n’est pas que l’historien soit sans valeur. Né d’une famille sacerdotale et même apparenté par une de ses grand’mères aux Asmonéens[3], et d’autre part Pharisien par conviction et par choix, il semble avoir bien compris le devoir d’un historien, et avoir pratiqué une assez loyale impartialité. Il a été témoin oculaire et même acteur dans la dernière crise : sur le règne d’Hérode et les temps précédents il avait deux sources de premier ordre : Nicolas de Damas et Strabon[4]. Il sait admirablement faire revivre les grands acteurs, et décrit le drame d’une façon souvent pittoresque et même poignante. L’histoire politique paraît bien s’être passée telle qu’il la raconte.

Mais il est beaucoup moins sûr comme témoin des idées religieuses de son peuple et de ses aspirations. Ce n’est pas seulement parce que, étant Pharisien, il donne le nom de Loi à des coutumes traditionnelles. Ce défaut d’acribie est très secondaire et facile à corriger. Son erreur fondamentale, — c’était déjà sans doute, et plus encore, celle de Nicolas de Damas, — c’est une préoccupation excessive d’être compris et admiré de ses lecteurs Grecs et Romains. Or, il s’attend à n’être compris que s’il présente la foi et les institutions de son peuple sous un aspect philosophique qui permette aux gentils de se faire une idée des mœurs juives en les comparant aux leurs. Il les revêt donc d’une couleur particulière, et il va même jusqu’à les déformer. On sait qu’il a comparé les Sadducéens, les Pharisiens et les Esséniens à des sectes philosophiques à la grecque. Le plus fort c’est que les sicaires eux-mêmes constituent d’après lui un quatrième genre de philosophie[5].

On pourrait lire en entier ses ouvrages, assez considérables, sans soupçonner par exemple l’importance qu’avait pour les Juifs la foi en la résurrection. Saint Paul a éprouvé combien les Grecs étaient réfractaires à ce dogme[6]. Josèphe n’a pas essayé de le leur prêcher ; il n’a même pas confessé sur ce point la foi de ses compatriotes telle qu’elle était. Quand il parle, à propos des Pharisiens, du retour de l’âme vers le corps, on croirait bien plutôt qu’il fait allusion à la métempsychose. Il en est de même dans le discours qu’il est censé tenir à ses compagnons de détresse pour les empêcher de se tuer les uns les autres, discours qui fut naturellement écrit en vue de ses vainqueurs : Ceux qui meurent selon la loi de la nature ont une louange éternelle, leur maison et leur race sont stables, leurs âmes ont un lieu très saint dans le ciel, d’où, après le retour des âges, elles viendront occuper de nouveau des corps purs[7].

Cette préoccupation de la gloire, si purement grecque et ensuite romaine, est le seul mobile allégué dans les Antiquités par les deux docteurs de la Loi, Judas et Matthias, pour exciter leurs disciples à braver la mort[8]. Il est vrai que dans la Guerre Josèphe ajoute l’immortalité, mais l’immortalité de l’âme[9]. Éléazar exhorte à mourir les derniers défenseurs de Masada, parce que la mort est la délivrance de l’âme, dans un style tout platonicien, en invoquant par surcroît l’autorité des Hindous[10].

On conviendra qu’à ne suivre que Josèphe on se ferait une idée très fausse du dogme de la résurrection, si vivant et si agissant à cette époque, ou plutôt qu’on ne le soupçonnerait même pas comme distinct de la métempsychose.

Il arrive même à Josèphe de parler des morts d’une façon tout à fait païenne. C’est du moins le langage qu’il prête à Aristobule Ier, bourrelé de remords pour avoir fait périr son frère et sa mère : « Jusques à quand, ô corps sans vergogne, retiendras-tu une âme due aux mânes de mon frère et de ma mère ? pourquoi ne pas la rendre toute à la fois, alors que je répands peu à peu mon sang en libation à mes victimes »[11] ?

Il est vrai que dans d’autres cas, et lorsqu’il s’agit de Dieu[12], son orthodoxie est beaucoup plus correcte.

Encore est-il que lorsqu’il met en scène la Providence, il aime à laisser le choix entre l’intervention divine et la Fortune, ou le Destin, ou le cours des causes naturelles[13].

Le souci de ne présenter aux lecteurs étrangers à la religion juive aucun concept qu’ils ne pussent en quelque façon s’assimiler, devait le gêner beaucoup lorsqu’il s’agissait du messianisme, qui avait ses difficultés spéciales.

C’était à la fois l’accomplissement des prophéties et un rêve national.

Comme terme et accomplissement d’anciens oracles, le messianisme n’avait rien de choquant pour un païen. La prédiction de l’avenir, surtout la prévision d’événements déterminés, tient beaucoup plus de place dans l’histoire des cités grecques que dans celle d’Israël. On n’a rien entrepris d’important en Grèce sans l’avis du sanctuaire de Delphes. Aussi Josèphe aime à parler de ces personnes qui, d’après des songes, ou sous l’inspiration divine, révélaient les secrets de l’avenir. Il lui arrive même de donner à la prophétie le cachet propre à la divination païenne[14].

Judas l’Essénien a prédit que le premier Antigone, frère d’Aristobule Ier, mourrait un jour donné, à la tour de Straton. Ce jour arrive, et Judas voit passer Antigone à Jérusalem, à six cents stades de la tour de Straton. Il est confus d’avoir si mal prophétisé lorsqu’il apprend que le prince vient d’être tué dans un couloir souterrain qui portait le même nom. Cette coïncidence justifie la prédiction, à la manière de la mantique païenne, avec ses jeux de mots et ses solutions imprévues. Et cela encore donnerait une idée très fausse du rôle des prophètes d’Israël !

D’ordinaire cependant, le ton est plus juste, quoiqu’il soit toujours question de la détermination particulière d’un événement futur, non d’une prédication religieuse comprenant l’annonce des grandes œuvres de Dieu. Le don de prophétie est tantôt attribué aux Pharisiens[15], et spécialement à l’un d’eux, Saméas, tantôt et plus souvent aux Esséniens, quelquefois sans désignation de secte.

Saméas avait prédit, lorsque Hérode fut traduit devant le sanhédrin, qu’un jour il ferait périr ses juges. « Et cela arriva avec le temps, Dieu ayant réalisé ses paroles » [16].

L’Essénien Manahem[17] avait prédit au même Hérode encore enfant qu’il serait roi, mais que ses fautes lui mériteraient à la fin le châtiment de Dieu. Il lui avait fait espérer plus de trente ans de règne, sans préciser davantage.

Lors de la dernière maladie de ce roi « les personnes inspirées et ceux auxquels il est donné de prédire ces choses par la sagesse disaient que c’était un châtiment infligé par Dieu à ce roi impie »[18]. Le terme de « sagesse » indique à peine un degré de plus que la prévision naturelle.

On pourrait citer encore les songes qui donnèrent le pressentiment à Archélaüs de sa ruine, à Glaphyra de sa fin prochaine[19]. Josèphe y voit une preuve de l’immortalité de l’âme et de la Providence de la divinité.

Mais le cas le plus intéressant est celui de Josèphe lui-même, qui s’attribua le don de prophétie, et précisément en matière messianique. Cet épisode est tout à fait propre à montrer combien il était peu disposé à présenter le messianisme sous son vrai jour.

Les faits sont d’abord décrits dans un certain mystère[20]. Comme prêtre et descendant de prêtres, il ne pouvait ignorer les prophéties, et il faut lui concéder cela. Mais de plus il s’attribue le don d’expliquer les songes, naturellement ambigus, qui servaient de canal à la révélation divine, et il se flatte d’avoir été choisi pour prédire et annoncer la ruine de sa nation et la fortune réservée aux Romains. C’est parce qu’il est l’instrument élu de Dieu dans ce but qu’il ne refuse pas de vivre après la chute de Jotapata. Cette allusion assez obscure s’éclaircit un peu dans la suite, lorsqu’on voit Josèphe annoncer l’empire à Vespasien et à Titus.

Il le fait comme envoyé de Dieu, et dans des termes qui marquent un empire tout à fait universel. Vespasien est salué César comme si la prophétie était déjà réalisée — il suffit en effet qu’elle le soit dans les desseins de Dieu, — maître de la terre et de la mer et de toute la race des humains[21]. Et cette prophétie, suspecte de flatterie dans la bouche d’un captif, est confirmée par une prédiction antérieure des plus précises. Josèphe avait annoncé que Jotapata tomberait après le quarante-septième jour, et que lui-même serait pris vivant.

On pourrait douter du caractère messianique de la promesse faite à Vespasien, parce qu’il n’est pas dit ici en termes exprès que ce sera l’accomplissement des oracles prophétiques de la nation. Or, ce serait à tort, puisque l’historien a pris soin de s’en expliquer lui-même ailleurs. Il accuse nettement ses contemporains de n’avoir pas compris que leurs prophéties nationales sur le dominateur futur visaient Vespasien. Nous aurons à revenir sur ce texte[22]. En ce moment nous constatons seulement combien peu Josèphe était enclin à représenter le messianisme sous ses couleurs vraies. S’il a essayé d’en détourner le sens en le transportant à l’empire, c’est bien la preuve qu’il ne pouvait complètement en passer sous silence l’action peut-être décisive dans les grands événements de son temps. Il ne pouvait nier l’existence de l’attente messianique, ni la regarder comme vaine ; il lui a assigné un terme de son choix, accusant les sages parmi ses compatriotes de s’être trompés.

Et cela faisait aussi partie de son système apologétique.

Le messianisme, tel qu’il l’avait vu à l’œuvre, était éminemment national et anti-romain. De ce chef, Josèphe le rendait responsable du désastre. Peut-on s’attendre après cela à ce qu’il le mette en scène comme découlant des Livres saints, comme le ressort le plus sacré de toutes les énergies ? N’est-il pas plutôt vraisemblable qu’il représentera comme des charlatans ceux qui ont remué le peuple avec cette espérance pour le lancer dans une entreprise sans autre issue possible que la ruine de Jérusalem et du Temple ? On peut se demander si Josèphe a toujours été aussi sceptique sur les résultats d’une guerre à laquelle il a d’abord pris part dans le parti national. Mais du moins, quand il écrivit ses livres, les choses lui apparurent ainsi, à la lumière des faits accomplis. Il devait donc regarder comme une folie l’application des promesses d’un empire universel à un homme de sa race, et ceux qui s’étaient servis de ce mobile pour arriver à la royauté juive comme des imposteurs, sauf à trouver lui-même une solution, en interprétant à sa façon l’oracle qu’il déclare équivoque, comme eût pu l’être une sentence de la Pythie.

Assurément cela ne nous autorise pas à lire toujours le messianisme entre les lignes de Josèphe. Mais il sera du moins légitime de donner toute leur valeur aux textes qui y font allusion. Pour employer une expression assez barbare, on peut être certain que l’historien l’a minimisé, et on pourra, sans crainte de se tromper, soupçonner davantage. C’est, croyons-nous, dans cet esprit qu’il faut lire Josèphe. Aussi bien ne prétendons-nous pas assigner ce caractère à tous les mouvements que nous allons rappeler dans une vue rapide ; le messianisme a sa place parmi les tendances du temps ; il ne serait pas compris si on l’isolait complètement de l’enchaînement de l’histoire.

II — LES FAITS.

Pas plus dans Josèphe que dans les deux livres des Macchabées, qui d’ailleurs lui ont servi de source, on ne voit le messianisme jouer un rôle actif dans la guerre religieuse entreprise par les Juifs fidèles contre Antiochus Epiphane. Il ne représente même pas le gouvernement de Simon (142 à 135 av. J.-C.) sous les couleurs caractérisées, qu’on peut dire messianiques, mises en œuvre par le premier livre des Macchabées[23]. Il note seulement à bon droit que c’est de Simon que date l’indépendance, quand on cessa de payer le tribut aux Macédoniens, 170 ans après Séleucus Nicator[24].

A partir de ce moment, il y eut encore des guerres contre les Syriens, mais elles n’avaient plus le caractère de guerres religieuses d’où dépendît l’existence même du culte juif. Antiochus Soter[25], assiégeant Jérusalem, envoie des taureaux aux cornes dorées et des coupes d’or et d’argent remplies d’aromates, « par piété envers le Divin »[26]. Combien différent de cet Antiochus Épiphane qui avait immolé un porc sur l’autel et souillé le Temple, obligeant ainsi les Juifs à une résistance acharnée s’ils ne voulaient renoncer à leur foi !

Jean Hyrcan (135 à 104 av. J.-C.) sut profiter des sentiments religieux d’Antiochus ; il devint son allié et l’amena à respecter la loi juive qui interdisait les marches militaires les jours de fête et de sabbat[27].

Grand prêtre et chef du peuple, Hyrcan agrandit notablement le territoire des Juifs. Ses guerres, à lui, étaient bien des guerres de prosélytisme. Il conquit Sichem et détruisit le temple schismatique du Garizim ; puis il annexa l’Idumée et força les gens du pays à se faire circoncire.

Sous un prince qui était en même temps grand prêtre, et qui combattait si énergiquement les guerres du Seigneur, on ne devait pas se préoccuper beaucoup du Roi-Messie, à moins d’admettre que Hyrcan lui-même n’en remplît dans une certaine mesure les fonctions. Aussi Josèphe lui attribue-t-il avec quelque emphase trois prérogatives qu’on peut qualifier de messianiques : le pouvoir, le sacerdoce et la prophétie, supposant un commerce habituel avec Dieu[28].

Si on caressa cette pensée dans certains cercles[29], ce ne fut assurément pas parmi ceux qui connaissaient le mieux la tradition nationale, puisque le Messie devait descendre de la race de David. Et en effet c’est de ce temps que date l’hostilité des Pharisiens contre les Asmonéens. Pourtant ce qui leur déplaît dans cette famille, ce qu’ils ne peuvent supporter, ce n’est pas qu’elle détienne le principat : on y consentirait volontiers ; mais, au gré du Pharisien Eléazar, Hyrcan aurait dû renoncer au pontificat[30], parce que sa mère aurait été captive au temps d’Antiochus Épiphane.

Ce grief sera soulevé de nouveau, et avec plus de violence, contre Alexandre Jannée [31]. Ce n’est donc point une question de prétentions messianiques qui sépare les Pharisiens et les Asmonéens, mais une pure formalité cultuelle. La difficulté soulevée par Éléazar n’était pas fondée en droit écrit[32] : Hyrcan, d’abord disciple des Pharisiens, en conçut une vive haine contre leurs traditions surérogatoires. Le conflit était né entre deux tendances qui s’accuseront de plus en plus par le jeu de l’opposition entre deux principes et deux partis politiques.

Aristobule (104 à 103 av. J.-C.), fils de Jean Hyrcan, se déclara roi en prenant le diadème. Son frère et successeur, Alexandre Jannée (103 à 76 av. J.-C.), aimait à se donner comme Philhellène. Il n’en était pas moins un roi juif, poursuivant lui aussi la conquête des villes et des tribus voisines pour les contraindre à la circoncision. Les Pharisiens refusèrent de nouveau de le reconnaître comme grand prêtre, parce qu’il descendait d’une captive, mais ne lui contestèrent pas le titre de roi, même au temps des sévices atroces qu’il exerça contre eux. D’après Josèphe, il en crucifia huit cents, faisant tuer sous leurs yeux leurs femmes et leurs enfants, tandis que lui-même festoyait avec des courtisanes[33]. Et cependant Pella était détruite de fond en comble parce que les habitants ne voulaient pas accepter les coutumes juives[34]. Cette cité ne fut apparemment pas la seule aussi maltraitée, et Josèphe a sans doute atténué la dureté de la conquête juive : c’est seulement par une sorte de parenthèse que nous apprenons que les cités prises étaient demeurées désertes jusqu’à Pompée[35].

En dépit des discordes intestines et de quelques sanglantes défaites, le Judaïsme était en progrès. Les Sadducéens pouvaient estimer que l’idéal messianique était en voie de se réaliser. Il eût été très naturel que les Pharisiens l’opposassent au règne profane du belliqueux Jannée. Josèphe ne nous dit pas qu’ils en aient eu la pensée ; mais ce n’est pas en un jour que se produisit la réaction en faveur du messianisme davidique, si fortement nuancée de haine contre les Asmonéens, telle que nous la trouverons dans les Psaumes de Salomon.

Le règne d’Alexandra (76 à 67 av. J.-C.) marqua sans doute un temps d’arrêt dans ce développement inévitable. Elle régna, les Pharisiens gouvernèrent[36], soit qu’ils aient abusé de la simplicité d’une femme dévote, — et c’est la version de la Guerre[37], — soit que cette femme peu scrupuleuse ait vu dans cette tactique le seul moyen de satisfaire son ambition, — et c’est la version des Antiquités[38].

Les dissensions entre Hyrcan et Aristobule, les deux fils de Jannée, l’un mou et débonnaire, l’autre actif et énergique, permirent à Pompée d’intervenir dans les affaires de la Judée. Pour la première fois la nation élève la voix, Hyrcan avait pour lui les personnes en charge, dressées par Antipater qui inaugurait alors son vizirat tout-puissant ; Aristobule était soutenu par l’aristocratie, surtout par une jeunesse élégante et amie des armes. Les députés du peuple se prononcent contre tous deux. Aucune trace de prétentions chimériques, ni même d’aspirations légitimes vers un gouvernement nouveau. Ils se plaignent qu’on ne soit pas resté fidèle à l’ancienne constitution ; ils se souviennent avec regret du temps où le peuple était gouverné par de simples grands prêtres[39] ; le titre de roi a été un prétexte à les asservir. Peut-être comprennent-ils déjà que ce titre fait ombrage aux Romains, et se contentent-ils d’avance d’une honnête autonomie sous la direction des grands prêtres, comme à l’époque persane. Et c’est bien en effet le régime qu’établit Pompée après avoir pris Jérusalem et le Temple (automne de 63 av. J.-C.). C’était la rétrocession des conquêtes, la perte de l’indépendance, la fin de la royauté nationale héréditaire, une organisation que Josèphe nomme d’un terme bien pompéien « le régime aristocratique », installé par Gabinius. L’historien affirme qu’il fut reçu avec satisfaction[40].

C’est cependant vers cette même époque que furent composés les Psaumes de Salomon, œuvre de haine contre les Asmonéens, de vengeance contre Pompée, mort sans honneur, d’espérance en le roi descendu de David, qui doit relever la monarchie et faire régner Dieu par les Juifs.

Josèphe a donc ignoré cette manifestation ou il l’a tenue pour négligeable.

Autant qu’on peut comprendre la situation, elle se présente ainsi. Les Sadducéens, c’est-à-dire les grandes familles sacerdotales et l’aristocratie, demeuraient fidèles aux Asmonéens, soient qu’ils prissent le parti du plus habile, c’est-à-dire d’Antipater, agissant au nom d’Hyrcan, soit qu’ils s’attachassent à la fortune d’Aristobule. Nous connaissons déjà les sentiments des Pharisiens. Le peuple ne pouvait que recevoir l’impulsion d’un des deux partis. Dans l’ordre politique, il penchait vers les Asmonéens qui paraissaient alors le dernier refuge des espérances nationales. Il était habitué, dans les choses religieuses, à suivre les Pharisiens, mais jusqu’alors la religion n’était pas en cause. Or, les aspirations messianiques, même dans les Psaumes de Salomon, avaient encore conservé leur caractère religieux. On ne pouvait songer sérieusement à s’en servir dans la mêlée des ambitions et des intérêts, tant que le peuple n’y verrait rien de plus que des luttes pour s’emparer du pouvoir. Une seule cause était digne que Dieu intervînt par le miracle attendu, c’était la cause religieuse, ou même la cause nationale, à la condition qu’elle se confondît avec la cause religieuse.

Il est donc vraisemblable que les Pharisiens s’abstinrent alors de remuer le peuple en faveur de leurs convictions messianiques, ou que ce fut sans succès. Eux-mêmes se refroidirent et jugèrent que le règne d’Hérode, à ses débuts, indiquait des desseins bien différents de la part de Dieu.

Tout fut extraordinaire dans l’avènement de cet homme, d’une naissance obscure, demi-juif, demi-étranger, et les conjonctures telles que les chefs religieux du peuple, ceux qui faisaient l’opinion, y virent le doigt de Dieu. Josèphe insiste à plus d’une reprise sur la chance inespérée d’Hérode, sorti vainqueur des circonstances les mieux combinées pour amener sa perte[41].

Quelquefois son salut est fortuit au point de paraître miraculeux. A Jéricho le toit de la maison qui l’abritait s’écroule aussitôt après qu’il est sorti[42] ; des hommes armés qui auraient pu facilement le tuer ne songent qu’à prendre la fuite[43].

Ces réflexions n’émanent pas seulement du populaire. Les Pharisiens durent donner le ton, nous le savons expressément de Pollion et de Saméas, leurs principaux maîtres[44]. A la vérité, ils ne pouvaient regarder Hérode comme le Messie de Dieu, même au sens où Cyrus l’avait été. Il était plutôt l’instrument de sa colère, mais un instrument quand même, que la soumission à la volonté divine obligeait à tolérer ; c’est pour cela que Saméas, trahissant la cause des Asmonéens, avait conseillé d’ouvrir à Hérode les portes de Jérusalem[45].

Il est certain, cependant, que cette attitude contrariait les aspirations nationales. Le dernier des Asmonéens, Antigone, était doublement cher aux partisans de l’indépendance, comme descendant des rois de cette lignée, et comme ennemi-né des Romains, ayant été mis sur le trône par les Parthes. Hérode, avec son véritable génie politique et militaire, ne put en triompher que par l’appui qu’Antoine, après les longues tergiversations de Sosius, se décida à lui accorder très effectivement. Même à travers le récit de Josèphe, qui reflète sur plus d’un point celui de Nicolas de Damas, courtisan d’Hérode et l’avocat de sa famille, on sent percer l’attachement du peuple pour la dynastie des grands prêtres. Antoine fit frapper de la hache Antigone, malgré la répugnance des Romains à sévir contre ceux qui avaient porté la couronne, parce que c’était le seul moyen de décourager les Juifs[46]. Ils ne se découragèrent pas encore tout à fait, et leurs sympathies se reportèrent sur le jeune Aristobule, qu’Hérode, cédant à l’obsession de sa belle-mère Alexandra, mère de ce jeune prince et de Mariamne, avait nommé grand prêtre. Le tyran s’en offensa ; sous prétexte de jouer et de faire l’enfant avec son beau-frère, il le fit noyer dans la piscine de Jéricho[47].

Entre les Pharisiens qui regardaient peut-être le règne d’Hérode comme un stage préliminaire à la période messianique, comme un temps de préparation, d’expiation et de purification, mais qui renonçaient du moins à une action immédiate, et l’aristocratie engagée avec les Asmonéens, ou le peuple touché de leurs malheurs et sensible aux anciennes gloires, il n’y avait pas encore de place pour un parti messianique agissant. Si la cause religieuse paraissait liée à l’un des partis en lutte, c’était plutôt à celui des rois nationaux. C’est dans ce sens que nous relevons à ce moment un léger indice de confiance dans une intervention surnaturelle de Dieu. Au moment où Hérode et Sosius assiégeaient Jérusalem, les Juifs de l’intérieur de la ville « prophétisaient au sujet du temple et faisaient des vœux pour le peuple, convaincus que Dieu les délivrerait du danger »[48]. Mais cette espérance vague, la même que du temps de Jérémie, ne se colore de rien de précis. Le salut de la ville c’eût été alors celui d’Antigone. Pollion et Saméas, les chefs des Pharisiens, faisaient des vœux pour Hérode. Personne ne songeait à demander le salut à un inconnu, l’élu de Dieu pour la délivrance d’Israël.

Le règne d’Hérode (37 à 4 av. J.-C.) sembla d’abord donner satisfaction aux exigences légitimes de ceux qui faisaient passer avant tout la religion. Les coups du nouveau maître frappaient l’aristocratie attachée à l’ancien régime. Quoique les comparaisons de ce genre soient rarement utiles, on peut rappeler ici les premières années du règne de Napoléon III, boudé par les légitimistes, accueilli avec une ardente sympathie par les catholiques indifférents aux luttes des partis. Hérode s’exprimait alors comme un Judas Macchabée. Dans une grave circonstance, après un tremblement de terre affreux, battu par les Arabes, il relève le courage des Juifs. Les Arabes sont des barbares qui n’ont pas le sens du divin. Ils ont tué des ambassadeurs, en grec des anges, nom sacré pour les Grecs, et qui est aussi celui des organes de la révélation, chargés par Dieu de nous enseigner les plus beaux de nos dogmes[49]. Si le tremblement de terre a été vraiment voulu de Dieu dans un dessein particulier, il prouve que Dieu veut la guerre, puisque l’armée, campée en plein champ, est demeurée indemne. Or tout est possible avec le secours de Dieu. Et ce secours, Hérode l’implorait par de fréquents sacrifices.

Et de même que la politique du second Empire changea d’orientation religieuse après les bombes d’Orsini, Josèphe a noté le moment où Hérode négligea de ménager la foi de ses sujets. Ce fut après s’être débarrassé des dernières personnes apparentées aux Asmonéens, la douzième année de son règne (25 av. J.-C.)[50].

La question religieuse se posa de nouveau, et, comme les Asmonéens avaient disparu, elle se posa seule. Ceux qui désormais feront des tentatives pour secouer le joug d’Hérode ou pour s’emparer du pouvoir se donneront une mission divine spéciale pour titre, et se rattacheront ainsi plus ou moins aux espérances messianiques.

Ce n’est pas qu’Hérode ait jamais rompu ouvertement avec la religion juive. Il se dédoubla. A l’extérieur, et par là il faut entendre même les villes fondées par lui à la grecque, Sébaste et Césarée, il bâtit des temples et érigea des statues. Mais s’il se vante à Auguste de fouler aux pieds les coutumes héréditaires des Juifs pour lui plaire, il a soin d’expliquer au peuple qu’il n’en fait rien que par contrainte[51]. En Judée il est beaucoup moins libre, sans éviter tout à fait de froisser le sentiment religieux, car il bâtit à Jérusalem ou près de la ville un théâtre et un amphithéâtre, il institue des combats de bêtes ou de gladiateurs, et il orne ces édifices de trophées qu’on prend pour des statues. C’est en vain qu’il explique aux plus intelligents que ce ne sont que des mannequins ; dix personnes se conjurent pour tuer le roi au théâtre, ou du moins sacrifient leur vie dans l’espérance de l’intimider et de l’arrêter dans cette voie[52]. En même temps sa fortune semble l’abandonner ; une sécheresse persistante amène la disette et la famine ; les tragédies intimes qui avaient déjà désolé sa maison augmentent d’atrocité et d’horreur. On commence à le déclarer abandonné de Dieu, puni pour ses crimes et responsable des maux du peuple.

Dès lors les conjurations se multiplient, mais Hérode était un tyran trop ferme et trop habile, trop magnifique aussi, pour que la populace s’ameutât contre lui. On la voit jusqu’aux derniers jours faire elle-même justice des conspirateurs qu’il lui livre[53]. Et cependant ce ne sont plus des grands, ce sont les Pharisiens, d’ordinaire si écoutés de la foule, qui organisent la résistance.

Hérode sut demeurer le maître. Tantôt il procédait par mesures de police, et par des exécutions sommaires ; tantôt il remettait au peuple une bonne partie de l’impôt. On l’accusait toujours de ruiner la piété et de corrompre les mœurs ancestrales. Après s’être débarrassé des plus récalcitrants, il imagina d’exiger des autres un serment de fidélité à sa personne[54], montrant ainsi qu’il regardait ses adversaires comme gens de conscience. Mais précisément les Pharisiens le refusèrent, et il les exempta à cause de son respect pour Pollion, leur chef. Les Esséniens, eux aussi, furent dispensés. Ceci se passait, semble-t-il, la dix-huitième année de son règne.

Il fut moins tolérant plus tard, à propos d’un autre serment, et cette fois l’agitation des Pharisiens suppose incontestablement une tentative messianique.

Il ne s’agissait plus seulement de prêter serment à Hérode ; César, c’est-à-dire Auguste, en était aussi l’objet, et en premier lieu. C’est donc sans doute de Rome qu’est venue l’initiative. Les termes dont se sert Josèphe sont en eux-mêmes assez vagues, mais ils correspondent parfaitement à ceux qui étaient employés, comme termes techniques, pour exprimer la complète allégeance à la domination romaine. Par une sorte d’euphémisme, on la nommait promesse de bienveillance[55]. Une découverte récente a fait connaître le texte du serment prêté par les Paphlagoniens, trois ans après que le pays eut été réduit en province romaine[56], quelques années à peine après celui qui fut exigé des Juifs.

Ce serment des Paphlagoniens est d’une extrême rigueur[57]. On jure d’être bienveillant envers César Auguste — c’est le même terme que dans Josèphe, — en s’engageant à n’épargner pour son service ni son corps, ni son âme, ni sa vie, ni ses enfants, à poursuivre ses ennemis sur terre et sur mer, en appelant toutes les malédictions sur la personne et la race de ceux qui seraient infidèles. On jure par les dieux et par Auguste lui-même. Il est évident qu’en Judée on remplaçait les dieux par le Dieu d’Israël ou le Dieu très-haut, et qu’on ne jurait pas par Auguste lui-même. Mais cette déférence pour les scrupules religieux des Juifs ne changeait rien à la dépendance qu’on leur proposait de confesser solennellement, en s’engageant par des malédictions terribles à n’y rien changer.

Le nom d’Hérode, accolé à celui d’Auguste, n’était qu’une garantie très précaire d’indépendance, et tout au plus viagère. En demandant aux Juifs de s’engager aussi à fond, Auguste mettait déjà la main sur un héritage qui ne pouvait lui échapper[58].

Les Pharisiens refusèrent, au nombre d’environ six mille. La description qu’en fait ici Josèphe est d’autant plus précieuse qu’elle n’est pas dans sa tonalité louangeuse ordinaire. Elle est due probablement à Nicolas de Damas : « Il y avait un parti de Juifs qui se targuaient d’une connaissance exacte de la loi ancestrale, se donnant comme amis de Dieu, ayant de l’influence sur le sexe ; on les nomme Pharisiens : très capables de résister aux rois, avisés, audacieusement prompts à faire la guerre et à nuire » [59].

D’abord ils cherchèrent plutôt à se soustraire à une intimation fâcheuse qu’à entrer en lutte. Le serment était sans doute obligatoire sous des peines très graves. C’est probablement encore par faveur qu’Hérode se contenta de les condamner à une amende, que la femme de Phéroras paya pour eux. Pour témoigner leur gratitude à cette femme, ils lui prédirent, en vertu de leur don prophétique, que la royauté, par un décret de Dieu, serait enlevée à Hérode et à ses enfants pour revenir à elle, à Phéroras et aux enfants qu’ils auraient. La femme de Phéroras sera donc comme dépositaire du pouvoir réservé à un enfant attendu. Cela tournait au complot, et Hérode n’hésita plus à sévir. « Le roi fait exécuter les Pharisiens les plus coupables, et l’eunuque Bagoas, et Caros, son favori, d’une beauté remarquable. Il tue aussi tous ceux de sa maison qui avaient prêté l’oreille à ce qu’avait dit le Pharisien. Or Bagoas avait été excité par eux comme devant être le père et le bienfaiteur du roi qui devait être établi d’après la prophétie ; car [ce roi] devait avoir tout en sa puissance, il devait lui donner le pouvoir de se marier et d’avoir des enfants à lui » [60].

Il est bien fâcheux qu’on ne sache pas qui était ce Bagoas dont le nom, d’origine perse, signifie simplement qu’il était eunuque. Mais le changement qu’on lui promet dans sa personne est une allusion évidente au texte d’Isaïe[61], visant lui-même la grande transformation de l’avenir. D’après les Pharisiens, c’est le roi qu’ils annoncent, probablement par l’organe d’un d’entre eux, d’un prophète, qui fera ce miracle. Nous sommes donc ici en présence de la première tentative caractérisée en faveur d’un Messie personnel, encore à venir, mais désigné dans ses origines, et il est assez remarquable que cette origine est surtout marquée par la mère[62].

Cela se passait environ deux ans avant la naissance de Jésus (7 ou 6 avant J.-C.)[63].

Tant qu’Hérode vécut, toute agitation était condamnée d’avance. C’est parce qu’on le crut mort que des jeunes gens, excités par Judas et Matthias, docteurs de la loi en grand renom, se hasardèrent à décrocher l’aigle d’or placée au-dessus de la grande porte du temple. Cette audace leur coûta cher ; ils furent brûlés vifs. D’ailleurs, ils n’avaient d’autre but que de protester contre ce qu’ils jugeaient une violation flagrante de la loi.

Ce fut le point de départ des troubles qui éclatèrent au début du principat d’Archélaüs.

De la mort d’Hérode à la destruction complète de Jérusalem, sous Hadrien, le judaïsme a connu trois crises où le messianisme joua un rôle, difficile à déterminer, peu considérable d’abord, et, à ce qu’il semble, ascendant.

La première crise se place après la mort d’Hérode. Les Romains y sont engagés, parce qu’ils soutiennent sa dynastie, et ils interviennent. Mais ceux qui, comme le procurateur Sabinus, voudraient dès lors faire main basse sur le trésor royal et s’emparer des forteresses, sont désavoués par le gouvernement impérial. Auguste, après avoir hésité longtemps, se détermine à partager les états d’Hérode entre ses fils, selon les termes de son testament ; il donne en particulier la Judée et la Samarie à Archélaüs avec le titre d’ethnarque.

Les Juifs devront donc subir encore la domination des Hérodes. Ils ont pu constater plus d’une fois que les conseils de modération venaient de Rome : le joug hérodien leur est plus odieux que l’administration du gouverneur de la Syrie, résidant à Antioche, c’est-à-dire très loin. Ils sont obligés de reconnaître, en dépit de leurs exigences toujours croissantes, qu’ils jouissent dans tout l’empire, depuis César, d’un traitement de faveur. Si les populations, surtout en Orient et dans les cités grecques, ont essayé d’empiéter sur leurs privilèges, l’autorité romaine la plus haute, récemment encore Agrippa[64], leur a toujours donné gain de cause.

L’idéal pratique de tous les grands, et très probablement de toute l’élite de la nation, aristocratie, sacerdoce, docteurs de la loi, était donc une raisonnable indépendance sous la direction du gouverneur de Syrie. C’est ce qu’ils exposent par deux fois[65] à Auguste, luttant, à Rome même, contre les prétentions d’Archélaüs et d’Antipas[66]. Le règne d’Hérode, disent-ils, a dépassé en horreur toutes les calamités de leur histoire par sa cruauté, sa tyrannie financière, ses spoliations, ses impudicités. Archélaüs a montré qu’il ne serait pas meilleur que son père : « Le résumé de leur requête était d’être délivrés de la monarchie et des pouvoirs semblables, d’être rattachés à la Syrie et régis par ses gouverneurs » [67].

Tenir ce langage, ce n’était pas renoncer aux espérances messianiques. Cela, c’était l’œuvre de Dieu, qu’il saurait bien réaliser en temps voulu. La première chose à faire était d’écarter la dynastie hérodienne. Ceux qui se soulevèrent par petites bandes furent amenés à combattre les Romains, mais il est si vrai que leur autorité n’était point directement en cause, au moins d’une façon générale, qu’après la répression de Varus, Auguste n’envoya au supplice que les parents d’Hérode, pour n’avoir pas rougi de faire la guerre à leur propre maison[68]. Néanmoins, c’est à cette époque que Josèphe fait remonter l’origine du parti de l’indépendance absolue, ce parti qu’on nomma ensuite les Sicaires, et qu’il qualifie assez étrangement de « quatrième philosophie » des Juifs. Le fondateur de la secte est Judas le Galiléen, qui souleva les Juifs à l’occasion du recensement de Quirinius. « Les partisans de cette philosophie suivaient pour tout le reste les principes des Pharisiens, mais avec un amour obstiné de la liberté, ne voulant admettre que Dieu comme chef et comme maître » [69].

Le mot d’ordre excluait aussi bien les Romains que les descendants d’Hérode, aussi Josèphe reconnaît-il là le germe de tous les malheurs de la nation sous Gessius Florus, lors de la révolte générale.

Dans quelle mesure cette sorte de démocratie religieuse excluait-elle un roi vraiment national, un roi Messie ? il n’est pas aisé de le dire. Il est même probable qu’en refusant l’obéissance à toute personne humaine on n’avait guère en vue que des étrangers, puisque ces indépendants indomptables ont toujours eu des chefs, et que plusieurs ont essayé de prendre le titre de rois.

Judas, fils d’Ézéchias, fut un de ces chefs[70] ; il s’empara du palais de Séphoris, et aspira à la royauté. Puis ce fut Simon, esclave d’Hérode, qui prit le diadème et fut salué roi. Puis Athrongès, une sorte de bandit à la Mandrin, osa lui aussi aspirer à la royauté et prit le diadème. On faisait des rois un peu partout, ce qui n’inspirait pas grande inquiétude aux Romains ; mais le trouble était général, et les troupes royales hérodiennes sur les dents. Enfin Varus intervient en personne ; les habitants de Jérusalem rejettent la faute sur les étrangers : Varus en crucifie deux mille[71].

Agitation, instabilité, désordre qui laissent le champ libre aux ambitions les plus extravagantes, telle est la situation dépeinte par Josèphe. Il n’y fait aucune part aux interventions surnaturelles. C’est le temps des agitateurs, point encore des imposteurs ; ils promettent du butin, mais n’annoncent pas de miracles.

Du moins, dans tous ces événements, Josèphe ne fait aucune allusion au messianisme. C’est peut-être à la suite du parti pris que nous avons signalé. Il n’en est que plus improbable qu’il ait consacré un passage à Jésus[72], qu’il aurait reconnu comme Messie. Aussi croyons-nous, avec la plupart des critiques, que tout cet endroit est interpolé par une main chrétienne[73].

La première crise, celle qui suivit la mort d’Hérode, n’eut donc pas un caractère religieux, et cette pullulation de rois permet seulement de supposer, non d’affirmer tout à fait, une influence messianique.

Lorsque Archélaüs fut déposé par Auguste, la Judée et la Samarie mises directement sous l’autorité d’un procurateur, ce fut, pour la masse de la nation, presque une délivrance. Si c’est bien à ce moment qu’il faut placer le soulèvement excité par Judas le Galiléen[74], il fut d’abord sans importance. Son parti, celui des Zélotes, ne pouvait qu’être impuissant tant qu’il n’aurait pas persuadé aux Juifs que la cause de l’indépendance était la cause même de Dieu, et qu’on ne pouvait accepter le joug des Romains sans rompre avec la religion traditionnelle.

Ce ne fut pas l’affaire d’un jour, mais les Zélotes s’y appliquèrent avec constance, et ils y furent aidés par les procurateurs. On a reconnu depuis longtemps que ces magistrats, appartenant à l’ordre des chevaliers, c’est-à-dire à la finance plutôt qu’à la grande aristocratie, n’ayant pas exercé les plus hautes magistratures, ont montré moins de tact et d’expérience des affaires que les gouverneurs de Syrie, dont l’intervention exceptionnelle s’est produite le plus souvent à l’avantage des Juifs. Dans l’ensemble cependant, leur domination, guidée par les principes du droit, si elle fut assez souvent dure et tracassière, eût été beaucoup plus tolérable que celle des Hérodes[75], si elle n’avait trop souvent méconnu les justes susceptibilités religieuses des Juifs. Il était d’autant plus difficile aux Romains de dissimuler leur mépris pour la religion juive mal comprise, qu’ils ne pouvaient ignorer l’immense dédain de leurs sujets pour les dieux de Rome.

De leur côté les Juifs, comptant sur les chartes formelles qui garantissaient leur liberté religieuse, présentaient volontiers toutes les vexations ou les insultes comme une atteinte de principe contre leur religion[76]. C’est sous Ponce Pilate que les querelles prennent nettement ce caractère. Il veut faire hiverner des troupes à Jérusalem avec des enseignes où était figurée la tête de César ; c’est une offense, puisque la loi interdit les images. Il amène de l’eau à Jérusalem, mais c’est aux frais du trésor sacré, et par conséquent un sacrilège. Aussi est-ce sous Pilate que les charlatans entrent en scène. Un imposteur[77] promet de montrer au sommet du Garizim les vases sacrés déposés par Moïse. Pour cela il faut être en nombre, et monter en masse. Pilate n’a pas tort de soupçonner que l’agitateur veut se créer une bande, et, selon sa manière, il massacre et exécute.

Ce fut bien pire lorsque Caligula eut l’idée insensée de placer sa statue dans le temple de Jérusalem pour y être adoré. Cette fois les Juifs furent sauvés par le bon sens de Pétrone, gouverneur de Syrie, et par la mort du tyran.

Le règne d’Agrippa Ier fut un temps d’accalmie pour les Juifs[78]. C’était la reconstitution de la monarchie hérodienne en faveur d’un prince descendant par Mariamne de la maison des Asmonéens, et si fervent pour la Loi qu’il ne passait pas un jour sans sacrifier. Le bienfaiteur d’Agrippa, Claude, était encore plus favorable que César et Auguste aux Juifs de la diaspora ; ce fut vraiment leur âge d’or. Cependant, à la mort d’Agrippa, on empêcha l’empereur de donner ses états à son fils trop jeune. Ils furent réunis à l’empire, et la tragédie commença qui devait se dénouer par la ruine de Jérusalem. Il ne peut être question d’en esquisser ici même les grands traits, mais seulement de relever les épisodes où l’intervention surnaturelle de Dieu promise et espérée suggère la mise en action du messianisme, au moins dans un sens large.

Sous le procurateur Fadus, un certain Theudas, un imposteur, persuade à une foule nombreuse de le suivre, avec tout ce qu’elle a, dans la direction du Jourdain. Il prétendait être prophète et annonçait que le fleuve se fendrait sur son ordre pour leur fournir un passage facile. Il est clair qu’il n’a pas convoqué le peuple seulement pour assister à un miracle. Il veut, nouveau Josué, reproduire la scène du passage du Jourdain, et conduire sa bande à Jérusalem, où il a sans doute l’intention de se faire proclamer roi. Fadus le fait attaquer, et on porte sa tête à Jérusalem.

L’empire ne pouvait pactiser avec ces révolutionnaires ; mais quand les Juifs réclamaient par les voies légales, ils obtenaient le plus souvent satisfaction ; le soldat qui avait mis en pièces la thora fut exécuté, ainsi que Celer, tribun qui avait pris parti pour des Samaritains pillards ; le procurateur Cumanus fut envoyé en exil[79].

Claude était demeuré très attaché aux princes hérodiens, et par eux à la nation dont ils plaidaient la cause. Néron se montra généreux pour Agrippa II, mais laissa les mains libres à ses procurateurs. Dès lors le désordre redoubla. « Le pays, dit Josèphe dans les Antiquités, était plein de brigands et d’imposteurs, qui trompaient la foule » [80]. Dans la Guerre il avait accentué l’enthousiasme religieux des séditieux. Si leurs chefs ont les mains plus pures que les Sicaires, leur esprit est encore plus perverti et ils sont plus dangereux pour le peuple qu’ils séduisent : « Car des hâbleurs et des charlatans, sous prétexte d’inspiration divine, profitant des révolutions et des changements, persuadaient à la foule de s’abandonner à un transport sacré, et les conduisaient dans le désert, comme si Dieu devait leur y donner des signes de liberté » [81].

Un des plus célèbres de ces imposteurs était venu d’Egypte, probablement par le pays d’Édom et l’au-delà du Jourdain. « Il se donna comme prophète et rassembla 30.000 hommes égarés par lui ; il les amena du désert au Mont nommé des Oliviers, se proposant de passer de force à Jérusalem, de vaincre la garnison romaine et d’exercer la tyrannie sur le peuple avec l’aide de ses satellites » [82]. D’après les Antiquités[83], il promettait que les murs de la ville tomberaient à son commandement ; c’était donc encore un nouveau Josué, avec le souvenir des trompettes de Jéricho.

Félix les surprend, en tue quatre cents ; l’Égyptien disparaît. Les brigands qui tenaient la campagne n’étaient point des voleurs ordinaires ; ils appelaient le peuple à l’indépendance.

Nouvelles tentatives sous Porcius Festus, successeur de Félix : un charlatan promettait le salut et la fin de tous les maux si on voulait le suivre dans le désert[84]. On le tue. Toutes ces folles entreprises étaient donc facilement réprimées. Il est clair que les meneurs n’auraient jamais réussi à soulever la nation simplement en promettant des prodiges. Dans l’affaire de l’Égyptien, on vit même le peuple de Jérusalem prêter main forte aux armées romaines. Et, d’autre part, il est vraisemblable que la révolte n’aurait jamais éclaté, générale, formidable, résolue à tout braver et à tout souffrir, si le sentiment religieux n’avait été en jeu. C’est Josèphe lui-même, si soucieux de dissimuler le rôle du messianisme dans toute cette affaire, qui lâche le mot et qui dit tout net : « ce qui les excita le plus à la guerre, ce fut un oracle équivoque semblablement trouvé dans les saintes Lettres, que vers ce temps-là quelqu’un venu de leur pays gouvernerait toute la terre » [85]. Josèphe, nous l’avons vu, ne se risque ici à confesser cet oracle que parce qu’il le déclare ambigu et qu’il l’applique à Vespasien. Son aveu n’en est pas moins à retenir.

Les espérances messianiques furent donc une des causes principales, Josèphe dit même la cause principale, de la guerre. Dans quel sens ?

La guerre de l’indépendance ne fut point une entreprise réfléchie, menée par les chefs naturels de la nation, les familles des grands prêtres, l’aristocratie et les docteurs de la Loi. Elle débuta par une explosion populaire trop justifiée par les exactions de Gessius Florus. Pareil fait s’était vu déjà, et la paix pouvait être facilement rétablie. Josèphe accuse Gessius Florus d’avoir tout fait pour amener une conflagration générale ; le procurateur risquait donc d’être sacrifié par l’autorité romaine, si les choses avaient suivi un cours régulier. Le régime romain, les premières duretés de la conquête passées, n’était pas généralement regardé comme un joug intolérable. Plus d’une fois les Juifs sensés l’avaient appelé de leurs vœux. Comme Agrippa II le leur dit avec beaucoup de bon sens, ils y étaient déjà accoutumés. Si l’on avait voulu lutter contre Rome, c’était au début, au temps de Pompée, qu’il eût fallu grouper toutes les forces de la nation contre une domination mal assise. On risquait d’ailleurs de compromettre la situation des Juifs répandus dans le monde romain, dont les riches aumônes alimentaient largement le culte du temple. Ce culte était si peu menacé que l’empereur n’avait jamais cessé de faire offrir des sacrifices. Lorsque Caligula, dans un moment de folie, avait prétendu substituer sa personne au Dieu d’Israël, les Juifs s’étaient noblement offerts à mourir plutôt que de souffrir ce sacrilège, avec une telle modération dans les termes d’une opposition inflexible, qu’ils avaient mis de leur côté le gouverneur de Syrie. Dans le monde romain tout entier, jamais ils n’avaient été sacrifiés à la haine des Grecs qu’ils bravaient et même qu’ils provoquaient souvent, toutes les fois qu’ils avaient su mettre en avant la liberté religieuse. Tout pouvait donc s’arranger, même après que les armes romaines eurent essuyé l’affront sanglant de la retraite de Cestius.

Et cependant le parti de la guerre avait déjà posé le principe qui devait la rendre inévitable et inexpiable. C’est du Temple qu’elle partit, lorsque, sous l’impulsion d’Éléazar, capitaine de la garde sacrée, on refusa d’accepter les victimes pour les Romains et pour César[86].

Les grands, les principaux prêtres, les docteurs Pharisiens les plus en renom, donc le sanhédrin, c’est-à-dire l’autorité régulière de la nation, protestèrent, alléguant la coutume et la raison. Tout fut inutile. La guerre religieuse était commencée, et bientôt le vertige s’empara de ceux mêmes qui avaient le mieux compris l’impossibilité de la lutte.

Ce fait serait inexplicable si les mémoires n’avaient pas été hantées du souvenir des Macchabées. Au temps d’Antiochus Épiphane, les Juifs n’avaient eu le choix qu’entre l’apostasie et la mort. Dieu n’avait pas trompé la confiance héroïque de son peuple et l’avait secouru. Ensuite, grâce aux divisions intestines des Séleucides, à l’appui des Romains, à l’esprit politique et militaire de la jeune dynastie Asmonéenne, le royaume juif s’était formé, aussi prospère que dans les temps anciens. L’erreur des Juifs fut de prendre pour de la faiblesse les atermoiements de la politique impériale, hésitant entre l’impérialisme, comme nous dirions, qui suggérait l’annexion, et la modération qui conseillait de laisser à des princes nationaux l’administration d’une nation aussi difficile à gouverner à cause de sa religion spéciale. Surtout lorsque l’empire se divisa à la mort de Néron, on put croire au retour des anciens succès. Ce fut un rêve de quelques mois, pendant lesquels on se partagea le soin d’organiser la résistance dans une sorte de consortium aristocratique, où on laissait cependant au parti des Zélotes démocrates la part qu’on ne pouvait leur enlever.

Mais plus d’un de ces chefs avisés ne tarda pas à comprendre que les choses tourneraient mal, et à se résoudre comme Josèphe à se tenir « le plus loin possible du danger » [87].

Dès lors leur préoccupation dominante fut de diriger le mouvement national pour l’endiguer et traiter avec les Romains.

L’audace des Zélotes fit échouer ce projet, audace qui paraît bien avoir été inspirée par une confiance aveugle dans le secours de Dieu. Josèphe, il est vrai, leur impute de fouler aux pieds le droit humain, de tourner en dérision les choses divines, de se moquer des oracles des prophètes comme de discours charlatanesques[88]. Certes, on ne peut justifier les atroces excès de ces sicaires, mais Josèphe, jugeant leur cause d’après l’issue, n’a peut-être pas compris la grandeur tragique de leur espoir. Lui-même met dans la bouche de Jean de Giscala, son ennemi particulier, que la ville ne serait jamais prise, parce que c’était la cité de Dieu [89].

On ne peut douter que la confiance du peuple ait été souvent ranimée par la promesse d’une intervention surnaturelle, comme lorsque ce faux prophète donna l’ordre de la part de Dieu de monter au hiéron pour y recevoir les prodiges marquant la délivrance[90]. D’ailleurs Josèphe le dit expressément : « Plusieurs prophètes étaient alors supposés par les tyrans pour dire au peuple d’attendre le secours de Dieu » [91].

Les « tyrans » étaient peut-être d’assez mauvaise foi, mais le peuple croyait aux prophéties et refusait de se rendre.

Il croyait aussi aux prodiges dont le bruit se répandait dans la ville, et qui ne manquaient pas de témoins oculaires[92]. Les docteurs de la Loi, d’après Josèphe, les interprétaient dès lors comme des présages de malheur, ce qui marque bien l’aversion des Pharisiens pour une résistance sans espoir ; mais le peuple les tenait pour des gages de salut. On avait vu au-dessus de la ville un astre semblable à un glaive[93]. Une comète avait brillé pendant un an. On racontait que, avant les débuts de la sédition, pendant que le peuple était réuni à la fête des Azymes, à la neuvième heure de la nuit, une clarté s’était répandue autour de l’autel et du temple, comme si l’on était en plein jour, pendant l’espace d’une demi-heure. A la même solennité, une vache, amenée pour le sacrifice, avait mis bas un agneau. La lourde porte orientale du hiéron intérieur, que vingt hommes remuaient à peine, s’était ouverte d’elle-même pendant la nuit. Le populaire en concluait que Dieu leur ouvrait la porte de tous les biens. Peu de jours après la fête, avant le coucher du soleil, on vit des chars et des phalanges armées portés dans les nuages et entourant la ville. Peut-être le peuple se rappela-t-il le cavalier céleste qui était venu au secours de Judas Macchabée[94]. Les batailles dans le ciel qu’on avait vues au temps d’Antiochus Épiphane[95] n’avaient pas présagé des malheurs sans remède ; à la fin, la délivrance était venue.

Certains prodiges ne pouvaient guère être pris en bonne part, comme ces voix entendues dans le temple par les prêtres, et qui criaient : sortons d’ici ! Ou comme le cri lugubre d’Ananie, qui ne cessa pendant sept ans de répéter : malheur à Jérusalem ! Mais on savait sans doute répondre à ces prophètes de malheur.

Prophéties et interprétations en sens contraire sont bien l’indice d’une extrême exaltation religieuse, et, comme Josèphe nous l’a appris, ce qui excitait le plus les esprits, c’est qu’un roi sorti de la Judée devait délivrer la ville et gouverner le monde. C’est dans ce sens que le messianisme était vraiment le foyer de la résistance.

Car il ne semble pas qu’aucun chef se soit donné comme Messie, ou du moins qu’il ait réussi à passer pour tel. Ni Éléazar qui déchaîna la révolte et fut longtemps maître du temple, ni Jean de Giscala, ni Simon que les Romains regardèrent comme leur principal ennemi et qui fut exécuté comme tel après le triomphe, ne semblent avoir joué ce rôle. On le dirait volontiers de Manahem, fils de Judas le Galiléen, qui revêtit l’habit royal dès le début. Mais les partisans d’Éléazar dirent que, combattant pour la liberté, ils n’avaient que faire d’un roi et le tuèrent[96].

L’esprit démocratique des Zélotes était irréductible. Ce fut un avertissement pour les chefs. On ne voulait de maître que Dieu. Mais il ne faudrait pas voir là une opposition systématique au messianisme. Le caractère religieux de cette attente était sans doute encore trop marqué pour qu’on donnât le titre de Messie à un chef de bandes, trop connu et mal famé. Cela n’empêchait pas d’espérer l’apparition éclatante d’un Messie envoyé de Dieu au moment où il donnerait le signal du triomphe.

Ce trait n’en est pas moins à retenir pour fixer dans quelle mesure le messianisme eut une part dans la guerre. On se battit, et, dans les moments libres, on égorgea, on pilla, on exécuta, avec une persuasion plus ou moins intense, plus ou moins sincère, de soutenir la cause sacrée de Dieu et de l’indépendance nationale, dans la confiance du secours de Dieu que les prophéties et l’opinion générale résumaient dans l’avènement du Messie, sans qu’aucun Messie fût désigné pour prendre la tête du mouvement. Cette manifestation était réservée à Simon bar-Kokébas, sous Hadrien, dans la dernière révolte. Néanmoins, et si l’on tient compte du parti pris de Josèphe, on peut conjecturer qu’il eut de nombreux précurseurs et reconnaître des Messies manqués dans plusieurs de ces imposteurs ou faux prophètes qui se proclamaient rois, ou convoquaient la multitude dans l’espérance que des prodiges venus du ciel leur donneraient la consécration de l’appel de Dieu.

L’importance du messianisme dans la dernière guerre a été relevée par Tacite et par Suétone. Il nous paraît certain que Tacite a décrit le siège de Jérusalem d’après Josèphe, au moins indirectement, car s’il l’avait eu sous les yeux, peut-être n’eût-il pas été aussi injuste envers la religion juive. Si, dans un résumé fort court, il a insisté sur les anciens oracles, c’est peut-être que ses renseignements personnels confirmaient sur ce point ou même dépassaient ce que laissait entrevoir l’historien juif. Après avoir rappelé quelques-uns des prodiges signalés par Josèphe, Tacite écrit : « Tout cela n’effrayait que le petit nombre ; le plus grand nombre se persuadait que les anciens livres sacerdotaux annonçaient que dans ce temps-là même l’Orient serait plus fort et que des personnes venues de la Judée s’empareraient du pouvoir. Ces oracles ambigus prédisaient Vespasien et Titus. Mais le vulgaire, à la façon des hommes qui croient ce qu’ils désirent, estimant que ce destin splendide leur était réservé, ne se rendaient pas à la réalité malgré leurs malheurs » [97].

Suétone suit Josèphe de moins près, et il étend, on ne sait sur quelle autorité, à tout l’Orient, l’attente messianique. Peut-être avait-il, en outre, une vague connaissance des livres sibyllins : « Une tradition ancienne et continue s’était répandue dans tout l’Orient, qu’il était dans les lois du Destin, que des personnes venues de la Judée s’empareraient du pouvoir. Cette prédiction qui s’appliquait à l’empereur romain, comme il parut du moins par l’événement, les Juifs, se l’étant appropriée, se révoltèrent » [98]. Ce n’est plus seulement l’obstination dans la lutte, c’est son origine même qui est ici rattachée au messianisme. Dans Suétone, comme dans Tacite, ce messianisme est collectif, probablement parce que, dans leur pensée, il s’appliquait à la dynastie des Flaviens, ou du moins à Vespasien et à Titus.

De tout cela, nous pouvons bien conclure que si l’histoire ne peut affirmer d’aucun des perturbateurs qu’il a pris le titre de Messie, elle est en droit de supposer que plus d’un l’a pris. C’en est assez pour justifier la parole de Jésus sur les faux Christs dont il avertit ses disciples de se défier[99].

  1. Schürer, Geschichte…, II4, p. 604, n. 27, cite sur ce sujet des ouvrages que je n’ai pu consulter : Gerlach, Die Weissagungen des Alten Testaments in den Schriften des Flavius Josephus (1863), p. 41-89 ; Langen dans Tüb. Theol. Quartatschrift 1865, p. 39-51 ; Holwerda, Verstagen en Mededeetingen der koninkt. Akademie van Wetenschoppen, Afd. Letterkunde, tweede reeks, deel II, 1872, p. 127-139.
  2. Surtout les Antiquités judaïques (Ant.) et la Guerre juive (Bell.). On a eu constamment sous les yeux l’édition de Didot et celle de Niese. Niese passe pour avoir reproduit très correctement dans son apparatus les leçons des manuscrits ; son édition est donc un auxiliaire indispensable ; mais il nous semble qu’assez souvent il a été mal inspiré dans le choix des variantes. Dans le cas où cela sera utile nous indiquerons le texte choisi.
  3. Vita, 1.
  4. On peut lire parmi les études récentes : A. Buchler, Les sources de Flavius Josèphe dans ses Antiquités, Revue des études juives, t. XXXII, p. 179 ss., et t. XXXIV, p. 69 ss.
  5. Ant. XVIII, i, 2-6.
  6. Act. xvii, 32.
  7. Bell., III, viii, 5.
  8. Ant., XVII, vi
  9. Bell. I, xxxiii, 2: τοῖς γὰρ οὕτω τελευτῶσιν ἀθάνατόν τε τὴν ψυχὴν καὶ τὴν ἐν ἀγαθοῖς αἴσθησιν αἰώνιον παραμένειν. Cf § 3.
  10. Bell., VII, viii, 7
  11. Ant. XIII, xi, 2. Probablement transcrit textuellement de Nicolas de Damas.
  12. Pourtant son expression assez usuelle τὸ θεῖον « le divin » est encore choisie pour rendre l'entente plus facile, car les polythéistes eux-mêmes aimaient à parler du divin.
  13. Par exemple Ant., XV, ix, 1.
  14. Ant. XIII, xi, 2. Sans cependant admettre la divination inductive par les augures, les haruspices, etc., si sévèrement proscrite par la Loi. Philon accepte de même la divination par les songes et par l’enthousiasme divin (Les idées philosophiques et religieuses de Philon d’Alexandrie par E. Bréhier, p. 180-196).
  15. Ant. XVII, ii, 4 : πρόγνωσιν δὲ ἐπεπίστευντο ἐπιφοιτήσει τοῦ θεοῦ.
  16. Ant. XV, i, 1.
  17. Ant. XV, x, 5.
  18. Ant. XVII, vi, 5: ἐλέγετο οὖν ὑπὸ τῶν θειαζόντων καὶ οἷς ταῦτα προαποφθέγγεσθαι σοφίᾳ πρόκειται, ποινὴν τοῦ πολλοῦ δυσσεβοῦς ταύτην ὁ θεὸς εἰσπράσσεσθαι παρὰ τοῦ βασιλέως (Niese).
  19. Ant. XVII, xiii, 3-5. Sans parler de ceux de Jean Hyrcan (Ant., XIII, xii, 1) et d'Hérode (Ant. XIV, xv, 11).
  20. Bell., III, viii, 3: Ἦν δὲ καὶ περὶ κρίσεις ὀνείρων ἱκανὸς συμβαλεῖν τὰ ἀμφιβόλως ὑπὸ τοῦ θείου λεγόμενα, τῶν γε μὴν ἱερῶν βίβλων οὐκ ἠγνόει τὰς προφητείας ὡς αὐτός τε ὢν ἱερεὺς καὶ ἱερέων ἔγγονος... (Niese).
  21. Bell. III, viii, 9: δεσπότης μὲν γὰρ οὐ μόνον ἐμοῦ σὺ καῖσαρ, ἀλλὰ καὶ γῆς καὶ θαλάττης καὶ παντὸς ἀνθρώπων γένους.
  22. Bell. VI, v, 4 : « Mais ce qui les excita le plus à la guerre, ce fut un oracle équivoque semblablement trouvé dans les saintes Lettres, que vers ce temps-là quelqu’un venu de leur pays gouvernerait toute la terre. Ils le prirent pour eux, et beaucoup des sages se trompèrent sur la solution, car l’oracle visait l’empire de Vespasien, proclamé empereur en Judée ».
  23. I Macch. XIV, 4-15.
  24. Ant. XIII, vi, 6.
  25. Ant. XIII, viii}, 2
  26. τῇ πρὸς τὸ θεῖον εὐσεβείᾳ.
  27. Ant. XIII, viii, 4.
  28. Bell. I, ii, 8: τρία γοῦν τὰ κρατιστεύοντα μόνος εἶχε, τήν τε ἀρχὴν τοῦ ἔθνους καὶ τὴν ἀρχιερωσύνην καὶ προφητείαν· ὡμίλει γὰρ αὐτῷ τὸ δαιμόνιον, ὡς μηδὲν τῶν μελλόντων ἀγνοεῖν. Cf. Ant. XIII, x, 7.
  29. Voir plus loin, p. 68 ss., ce qui sera dit des Testaments des douze patriarches.
  30. Ant. XIII, x, 5.
  31. Ant. XIII, xiii, 5.
  32. Lev., xxi, 14 exigeait seulement que la femme du grand prêtre fût une vierge Israélite; cf. Ez. xliv, 21. Josèphe ajoute d'ailleurs que le fait lui-même était faux.
  33. Ant. XIII, xiv, 2.
  34. Ant. XIII, xv, 4.
  35. Ant. XIV, v, 3. Gabinius restaure Samarie, Azot, Scythopolis, Anthédon, Dora, Marissa et Gaza πολὺν χρόνον ἐρήμους γινομένας. Évidemment depuis la conquête juive.
  36. Ant. XIII, xvi, 1 : Τὸ μὲν οὖν ὄνομα τῆς βασιλείας εἶχεν αὐτή, τὴν δὲ δύναμιν οἱ φαρισαῖοι.
  37. Bell. I, v, 2.
  38. XIII, xvi, 6. Alexandra préfère les biens présents à ceux de l’avenir, sans doute la vie future.
  39. Ant. XIV, iii, 2: Πάτριον γὰρ εἶναι τοῖς ἱερεῦσι τοῦ τιμωμένου παρʹ αὐτοῖς Θεοῦ πειθαρχεῖν, ὄντας δὲ τούτους ἀπογόνους τῶν ἱερέων εἰς ἄλλην μετάγειν ἀρχὴν τὸ ἔθνος ζητῆσαι, ὅπως καὶ δοῦλοι γένοιντο.
  40. Bell. I, viii, 5: Ἀσμένως δὲ τῆς ἐξ ἑνὸς ἐπικρατείας ἐλευθερωθέντες τὸ λοιπὸν ἀριστοκρατίᾳ διῳκοῦντο. Cf. Ant. XIV, v, 4.
  41. Ant., XV, vi, 7.
  42. Ant. XIV, xv, 11: ὥστε πάντας πιστεῦσαι τὸν Ἡρώδην εἶναι θεοφιλῆ, μέγαν οὕτω καὶ παράδοξον διαφυγόντα κίνδυνον.
  43. Ant. XIV, xv, 13: ἔνθα καὶ κίνδυνος αὐτῷ μέγιστος συνέπεσεν, ὃν κατὰ Θεοῦ πρόνοιαν διέφυγε.
  44. Ant. XV, i, 1.
  45. Ant. XIV, ix, 4: παρῄνεσε τῷ δήμῳ δέξασθαι τὸν Ἡρώδην, εἰπὼν διὰ τὰς ἁμαρτίας οὐ δύνασθαι διαφυγεῖν αὐτόν.
  46. Ant. XV, i, 2.
  47. Ant. XV, iii, 3.
  48. Ant. XIV, xvi, 2: πολλοί τε ἐπεφήμιζον περὶ τὸ ἱερὸν καὶ πολλὰ ἐπʹ εὐθυμίᾳ τοῦ δήμου ὡς ῥυσομένου τῶν κινδύνων αὐτοὺς τοῦ θεοῦ (Niese).
  49. Ant. XV, v, 3 : ἡμῶν δὲ τὰ κάλλιστα τῶν δογμάτων καὶ τὰ ὁσιώτατα τῶν ἐν τοῖς νόμοις διʹ ἀγγέλων παρὰ τοῦ θεοῦ μαθόντων.
  50. Ant. XV, vii, 10.
  51. Ant., XV, ix, 5.
  52. Ant. XV, viii, 1-4.
  53. Ant. XVI, x, 5 ; XVI, xi, 7.
  54. Ant. XV, x, 4 : τὸ δʹ ἄλλο πλῆθος ὅρκοις ἠξίου πρὸς τὴν πίστιν ὑπάγεσθαι καὶ συνηνάγκαζεν ἐνώμοτον αὐτῷ τὴν εὔνοιαν ἦ μὴν διαφυλάξειν ἐπὶ τῆς ἀρχῆς ὁμολογεῖν.
  55. Ant. XVII, ii, 4 : παντὸς γοῦν τοῦ Ἰουδαϊκοῦ βεβαιώσαντος διʹ ὅρκων ἦ μὴν εὐνοήσειν Καίσαρι καὶ τοῖς βασιλέως πράγμασιν.
  56. Le texte dans Dittenberger, Orientis graeci inscr. selectae, n° 532. D’après Schürer la pièce est datée de la troisième année de la province ; d’après Dittenberger, de la troisième année après le douzième consulat d’Auguste, mais cela revient au même pour la date qui est bien de l’an III de la province, constituée à l’automne de 6 av. J.-C. La date du serment des Juifs n’est pas précisée par Josèphe : elle ne peut être beaucoup antérieure à l’agitation pharisienne qui la suivit, peu avant la fin d’Hérode, vers l’an 7 ou 6 av. J.-C.
  57. Publié en 1900 par M. Cumont, d’après une copie d’Anthérios, évêque d’Amasia. Voici le début de cette formule restituée avec certitude : Ὀμνύω Δία, Γῆν, Ἥλιον, θεοὺς πάντας καὶ πάσας καὶ αὐτὸν τὸν Σεβαστόν, εὐνοήσειν Καίσαρι Σεβαστῶι καὶ τοῖς τέκνοις ἐγγόνοις τε αὐτοῦ πάντα τὸν τοῦ βίου χρόνον καὶ λόγωι καὶ ἔργωι καὶ γνώμηι, φίλους ἡγούμενος οὓς ἂν ἐκεῖνοι ἡγῶνται ἐχθρούς τε νομίζων οὓς ἂν αὐτοὶ κρίνωσιν, ὑπέρ τε τῶν τούτων διαφερόντων μήτε σώματος φείσεσθαι μήτε ψυχῆς μήτε βίου τέκνων, ἀλλὰ παντὶ τρόπωι ὑπὲρ τῶν ἐκείνοις ἀνηκόντων πάντα κίνδυνον ὑπομενεῖν.
  58. Ce serment a très bien pu être accompagné d’un recensement, celui dont parle Luc, ii, 2. La question ne nous paraît pas tranchée dans le sens de la négative aussi résolument qu’à M. Schürer ; elle entre plutôt dans une nouvelle phase si l’on tient plus de compte de l’événement dont nous parlons en ce moment.
  59. On a essayé de traduire ce passage difficile à rendre d’après le texte de l’édition Didot. Celui de Niese est pour moi inintelligible. Celui de Schürer est bon, mais suppose une correction qui ne paraît pas indispensable. L’apparatus de Niese permet de se contenter du texte Didot.
  60. Ant. XVII, ii, 4.
  61. Is. lvi, 3-5, où il est seulement promis aux eunuques un nom qui vaudra mieux que des fils et des filles.
  62. Cette femme était d’une origine obscure, et Phéroras, frère d’Hérode, avait bravé sa colère en la préférant à une de ses filles. Peut-être essayait-on de la rattacher à la maison de David. On a un peu exagéré l’importance exclusive de la descendance par les mâles. On voit dans toute l’histoire d’Hérode quel avantage tiraient Alexandre et Aristobule, fils d’Hérode et de Mariamne, de descendre des Asmonéens par leur mère.
  63. Ce qui n’empêche pas que Jésus soit né durant le règne d’Hérode. On sait que la chronologie de l’ère chrétienne est en retard d’au moins quatre ans.
  64. Ant. XVI, vi, 1-5, série de décrets qui se continueront. Quelques-unes des pièces alléguées par Josèphe sont mal datées, et d'autres sont assez suspectes; mais cela ne change rien à la situation générale. Voir par exemple Revue des études juives, t. XXXVIII, p. 161-171, Antiochus Cyzicène et les Juifs, par M. Th. Reinach; t. XXXIX, p. 16-27, Le décret athénien en l'honneur d'Hyrcan, par M. Th. Reinach; t. LIII, p. 1-13, Une ambassade juive à Pergame, par M. J. Hatzfeld.
  65. Avant et après la guerre de Varus.
  66. Ant. XVII, ix, 4: πάντων τῶν συγγενῶν ἀπόστασις ἦν πρὸς αὐτόν... μάλιστα μὲν ἐπιθυμοῦντες ἐλευθερίας καὶ ὑπὸ Ῥωμαίων στρατηγῷ τετάχθαι.
  67. Ant. XVII, xi, 2.
  68. Ant. XVII, x, 10.
  69. Ant. XVIII, i, 6 : ἧς οἱ τρόφιμοι τὰ μὲν λοιπὰ πάντα γνώμῃ τῶν Θαρισαίων ὁμολογοῦσι, δυσκίνητος δὲ τοὐ ἐλευθέρου ἔρως ἐστὶν αὐτοῖς, μόνον ἡγεμόνα καὶ δεσπότην τὸν Θεὸν ὑπειληφόσι.
  70. Josèphe, très mal informé sur le temps d’Archélaüs auquel il ne consacre que quelques lignes pour un règne de neuf ans, semble avoir confondu l’agitation antérieure et postérieure à son règne. Judas, fils d’Ézéchias, qui s’empare du palais de Séphoris (Ant. XVII, x, 5), doit être le même que Judas le Galiléen, qui poussa à la révolte au temps du recensement de Quirinius (Ant., XVIII, i, 1). Tout s’arrangerait assez bien dans l’hypothèse d’un premier recensement. D’autant que le grand prêtre Joazar est aussi déposé deux fois : une fois au début du règne d’Archélaüs (Ant. XVII, xiii, 1), une fois par Quirinius (Ant. XVIII, ii, 1).
  71. Ant. XVII, x, 4-10.
  72. Ant. XVIII, iii, 3.
  73. Bon résumé de la discussion dans Schürer, Geschichte, I, p. 544-549.
  74. Aussi Bell. II, viii, 1, à l’arrivée de Coponius.
  75. Sauf peut-être Philippe, prince assez débonnaire et, au demeurant, à moitié païen.
  76. C’était bien une grave offense dans l’ordre religieux que l’action du soldat romain qui brûla et outragea les livres saints, mais aussi fut-il frappé de la hache (Ant., XX, v, 4) ; une insulte grossière d’un soldat qui montra son derrière au peuple fut considérée comme un outrage à Dieu même, parce que le peuple était dans le Temple, et occasionna la mort de plusieurs milliers de Juifs (Ant. XX, v, 3 et, avec des variantes, Bell. II, xii, 1).
  77. Ant. XVIII, iv, 1. Josèphe ne le nomme pas. On a cru que c’était Dosithée ; cf. S. Krauss, Dosithée et les Dosithéens, dans la Rev. des ét. juives, t. XLII, p. 27-42. Il est certain qu’Origène, très sobre sur les faux Messies, dit cinq fois que Dosithée s’est donné comme Messie ou même comme fils de Dieu ; cf. Contra Cels. i, 57 et vi, 11 ; comm. ser. c. 33 ; hom. 25 in Luc. ; in Jo. xiii, 27. Dosithée est donc du moins le type du faux Messie, et à ce titre il méritait d’être nommé ici.
  78. Éloge enthousiaste de Josèphe (Ant. XIX, vii, 3) qui trouve très innocent dans Agrippa ce qu’il a fortement blâmé chez Hérode, le penchant pour les jeux de l’amphithéâtre.
  79. Ant. XX, v, 4 ; XX, vi, 2 et 3.
  80. Ant. XX, viii, 5.
  81. Bell. II, xiii, 4 ; cf. Ant. XX, viii, 6.
  82. Bell. II, xiii, 5.
  83. Ant. XX, viii, 6.
  84. Ant. XX, viii, 10.
  85. Bell. VI, v, 4 : Τὸ δʹ ἐπᾶραν αὐτοὺς μάλιστα πρὸς τὸν πόλεμον ἦν χρησμὸς ἀμφίβολος ὁμοίως ἐν τοῖς ἱεροῖς γράμμασιν, ὡς κατὰ τὸν καιρὸν ἐκεῖνον ἀπὸ τῆς χώρας αὐτῶν τις ἄρξει τῆς οἰκουμένης. C’est le texte de Niese. Le plus grand nombre des manuscrits et Eusèbe, Hist. eccl. III, 8, 10, éd. Schwartz, ont τις αὐτῶν, mais αὐτῶν τις est plus satisfaisant comme sens et plus équivoque.
  86. Bell. II, xvii, 2.
  87. Bell. III, vi, 3.
  88. Bell. IV, vi, 3 : κατεπατεῖτο μὲν οὖν πᾶς αὐτοῖς δεσμὸς ἀνθρώπων, ἐγελᾶτο δὲ τὰ θεῖα, καὶ τοὺς τῶν προφητῶν χρησμοὺς ὥσπερ ἀγυρτικὰς λογοποιΐας ἐχλεύαζον.
  89. Bell. VI, ii, 1.
  90. Bell. VI, v, 2 : ὡς ὁ Θεὸς ἐπὶ τὸ ἱερὸν ἀναβῆναι κελεύει, δεξομένους τὰ σημεῖα τῆς σωτηρίας.
  91. Eod. loc.
  92. Bell. VI, v, 3.
  93. Parmi les signes de la fin de la terre dans la Sibylle (III, 796-808), on trouve les épées qui apparaissent dans le ciel étoilé vers le soir et vers l’aurore, et des combats de cavaliers et de fantassins dans les nuées.
  94. II Mac. xi, 8.
  95. II Mac. v, 1 ss.
  96. Bell. II, xvii, 9.
  97. Tacite, Hist. V, 13 : Quae pauci in metum trahebant : pluribus persuasio inerat, antiquis sacerdotum litteris contineri, eo ipso tempore fore, ut valesceret Oriens, profectique Judaea rerum potirentur : quae ambages Vespasianum ac Titum praedixerant. Sed vulgus, more humanae cupidinis, sibi tantam fatorum magnitudinem interpretati, ne adversis quidem ad vera mutabantur.
  98. Suet., Vesp. c. 4 : Percrebuerat oriente toto vetus et constans opinio, esse in fatis, ut eo tempore Iudaea profecti rerum potirentur. Id de imperatore romano, quantum postea eventu paruit, praedictum Judaei ad se trahentes rebellarunt.
  99. M. Loisy (Les évangiles synoptiques, II, p. 409) dit donc d’une façon trop absolue : « Theudas, Simon le Magicien ne sont pas de faux christs. On n’en signale aucun dans l’insurrection qui amena la ruine de la nation juive, et l’histoire n’en connaît pas avant Barkochba, au temps d’Hadrien. » L’histoire n’en connaît aucun par son nom parce que les historiens – c’est-à-dire Josèphe – ne nous les ont pas désignés, mais ils nous permettent de conclure qu’il y en eut beaucoup. M. Loisy admet qu’ils purent se prévaloir d’une mission divine : à cette époque, et quand on aspirait à une royauté fondée sur des prodiges, n’est-ce pas se donner comme Messie ?