Le Messianisme chez les Juifs/Quatrième partie/Chapitre 1

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QUATRIÈME PARTIE

LE MESSIANISME EN ACTION


CHAPITRE PREMIER

ATTITUDE DU JUDAÏSME ENVERS LES GENTILS.


Les auteurs d’apocalypses sont demeurés cachés ; au contraire les scribes sont devenus les véritables chefs des Juifs. Il serait très intéressant de savoir comment leurs convictions messianiques se sont traduites dans la pratique, et dans quelle mesure elles ont influé sur la direction qu’ils ont donnée à leur peuple ; leur attitude bien connue serait le meilleur commentaire de leurs opinions. Mais, si docile qu’il fût, le peuple avait ses tendances et obéissait à des impulsions dont les ressorts n’étaient pas tous entre les mains de ses chefs spirituels. Nous retrouvons ici ce grand acteur que Josèphe a assez mal compris, et nous regretterons de n’avoir plus avec nous même un guide aussi médiocre.

Appuyé sur la Loi, et imbu d’espérances illimitées, le judaïsme a espéré gagner le monde à ses doctrines et en devenir le maître. La propagande est surtout un prosélytisme en faveur de la Loi et l’œuvre des docteurs, mais elle est soutenue par les prophéties messianiques ; les soulèvements pour reconquérir l’indépendance en attendant mieux sont surtout le fait du peuple. Entre temps, un autre messianisme avait pris sa place au soleil, au sujet duquel il fallait se prononcer.

Le premier de ces points, sur lesquels nous devrons nous contenter d’indications rapides, c’est-à-dire le prosélytisme et la propagande, est l’objet du présent chapitre.

I. — LA CONVERSION DES GENTILS.


En parlant du messianisme des rabbins, nous avons négligé un point capital : la place que leur théologie faisait aux Gentils dans le nouvel ordre de choses. C’est qu’il est plus aisé de comprendre leur pensée en l’éclairant par les faits.

Le judaïsme alexandrin a conçu de hardis desseins. Philosophie, histoire, littérature, tout fut employé pour prouver aux Gentils la supériorité de la loi de Moïse sur leurs spéculations, son antiquité, son influence sur les plus belles productions de la pensée grecque. On espérait donc conquérir l’estime de l’hellénisme, sinon gagner les âmes à la foi juive. Cette tentative hardie sort complètement de notre cadre ; nous avons dit, à propos de Philon, le peu qu’elle contient de messianisme.

Le rabbinisme n’eut certainement pas un plan aussi arrêté. Avait-il du moins hérité de l’esprit des prophètes, spécialement de ce grand cœur d’Isaïe, qui invitait tous les peuples à servir le Dieu d’Israël ? Quelle attitude a-t-il prise vis-à-vis des Gentils ? A-t-il sérieusement cherché à les convertir ? Ces points ont été et sont encore l’objet de controverses ardues, et, s’il n’est pas impossible de les traiter avec impartialité, cette impartialité sera malaisément reconnue de ceux qui ont pris parti pour ou contre avec une certaine animosité.

Les paroles des prophètes qui invitaient tous les hommes au salut étaient formelles. On en trouve l’écho dans l’admirable parole de Hillel : « Sois des disciples d’Aaron, aimant la paix, poursuivant la paix, aimant les créatures, et les amenant à la Thora »[1]. Il est injuste d’en conclure qu’Hillel n’aimait les hommes qu’à la condition qu’ils fussent juifs ; c’est parce qu’il les aimait déjà qu’il les voulait fidèles à la Thora ; et comment méconnaître dans ces mots un prosélytisme très réfléchi ? Hillel n’avait pas seulement le zèle de l’apostolat ; il en avait le don, et savait attirer par sa douceur ceux que les exigences de Chammaï avaient rebutés. Ces historiettes ont leur place ici, quoiqu’elles aient été souvent citées ; elles jettent d’ailleurs un certain jour sur d’autres manières de voir du judaïsme[2].


Baraïta : Un païen se présenta devant Sclianiniaï et lui dit : « Combien avez-vous de lois ? — Deux : la loi écrite et la loi orale. — La loi écrite, j’y croirai ; mais non à la loi orale. Convertis-moi et apprends-moi la loi écrite (seulement). » A ces mots, Schammaï s’emporta et le mit à la porte avec des injures. Le païen, alors, se rendit chez Hillel, qui le reçut comme prosélyte (malgré la condition susdite). Le premier jour [il lui apprit l’alphabet], disant : Voici l’alef, le bet, le guimel, le dalet… Le lendemain, il lui enseigna le contraire. — « Mais hier, s’écria le prosélyte, tu ne m’as pas parlé ainsi ! — Ainsi, répliqua Hillel, à moi tu t’en rapportes, et tu ne t’en rapportes pas à la tradition ! »

Autre histoire analogue. Un païen se présenta devant Schammaï et lui dit : « Convertis-moi, à la condition de m’enseigner toute la loi pendant que je me tiendrai sur un pied ». Schammaï le repoussa avec la coudée de bâtisse qu’il tenait à la main. Le païen se rendit alors chez Hillel, qui le reçut comme prosélyte, en lui disant : « Ce qui te déplaît, ne le fais pas à ton prochain » ; c’est là toute la loi, le reste n’en est que le commentaire : va et étudie.

Dans un troisième cas, le prosélyte veut se convertir pour être grand prêtre, un peu comme ce Romain du temps de Damase, tout disposé à se faire chrétien s’il doit être nommé évêque de Rome. Hillel l’amène doucement à reconnaître de lui-même combien cette prétention est incongrue. Et le Talmud conclut :

Un jour ces trois prosélytes se rencontrèrent et ils se dirent : « L’irascibilité de Schammaï a été sur le point de nous repousser du monde ; la douceur d’Hillel nous a rapprochés des ailes de la Schechina ».

Il est bien évident que les rapporteurs de ces histoires sont sympathiques à Hillel et applaudissent à l’art ingénieux qui lui gagnait le cœur des prosélytes. Chammai les rebutait par sa dureté, mais ce n’est point une preuve qu’il réprouvât le prosélytisme.

Il est bien étrange que les savants juifs modernes n’aient pu se mettre d’accord sur cette grave question. M. Perles n’accorde aucune autorité au passage si formel de saint Matthieu : « Malheur à vous, Scribes et Pharisiens hypocrites, parce que vous courez les mers et la terre pour faire un prosélyte, et, quand il l’est devenu, vous faites de lui un fils de la géhenne, deux fois plus que vous[3] ! »

Ce savant prétend même que cela s’applique tout au plus au judaïsme de la diaspora, mais M. Israël Lévi n’a pas eu de peine à trouver dans le Talmud de nombreux textes favorables au prosélytisme[4]. Et il ne pouvait en être autrement, à moins que les scribes n’eussent fermé complètement les yeux à l’évidence de l’Écriture. Abraham devait être une source de bénédiction pour tous les peuples, et les prophètes l’avaient entendu de la conversion de ces nations. Les exemples concrets de gentils associés à Israël ne manquaient pas dans l’Écriture : Jéthro, Rahab, Ruth, étaient connus de tous. La solution théorique n’était donc pas douteuse, et il paraît certain que les Juifs firent de grands efforts pour la réaliser en fait. On ne peut expliquer sans une active propagande le grand nombre des prosélytes au premier et au second siècle. M. Lévi va plus loin, il admet, contre l’opinion générale, que l’attitude du judaïsme fut toujours la même, et il apporte, comme preuves, de nombreux textes du troisième et du quatrième siècles. Ces textes prouvent bien que la doctrine générale est demeurée la même ; elle était trop clairement établie dans la Bible pour qu’on pût y renoncer. D’autre part, il est certain que le mouvement des conversions se ralentit au troisième siècle, et il est difficile de ne pas reconnaître parmi les causes qui arrêtèrent la propagande une défiance plus accentuée des prosélytes. Cette défiance était très probablement justifiée. Pendant la guerre d’Hadrien, les Juifs éprouvèrent sans doute qu’ils ne pouvaient vraiment compter que sur la solidarité de la race, pour conserver leur caractère distinctif. On ne renonçait pas au prosélytisme, mais on voulait que les prosélytes fussent à toute épreuve. Une baraïtha du traité Iebamoth es¬quisse le dialogue qui s’engage entre le maître et le récipiendaire : « Comment es-tu venu à l’idée d’être prosélyte ? Ne sais-tu pas qu’aujourd’hui Israël est poursuivi, opprimé, torturé, rejeté çà et là et exposé à toutes les souffrances ? S’il répond : je le sais, et je ne suis pas digne [de partager le triste sort d’Israël], on le reçoit aussitôt[5] ».

D’autres étaient plus intransigeants. Éliézer ben Hyrcanos doit être cité, bien qu’il ne représente pas le grand courant du rabbinisme : opposé aux efforts de Gamaliel II pour ramener l’unité, il se fit chasser par ses confrères et mourut dans la solitude. Il estimait peu les prosélytes. Si l’on devait les épargner, c’est qu’étant mauvais par nature, il fallait les empêcher de retomber dans leurs erreurs[6].

R. Khelbo, rabbin d’origine babylonienne, habitant la Palestine an iiie siècle, a trouvé une formule plus originale[7] : « Les prosélytes sont aussi pénibles pour Israël que la lèpre pour l’épiderme ; c’est ce que dit l’Écriture en ces termes : Les prosélytes s’attacheront à Israël et seront une lèpre pour la maison de Jacob ». Qu’on note en passant que R. Khelbo n’a pu trouver ce sens à l’Écriture que par un jeu de mots puéril qui aboutit à un contresens formel[8]. Et il est bien vrai que jamais une parole de réprobation aussi dure n’est devenue la loi du rabbinisme ; elle n’en est pas moins reproduite quatre fois dans le Talmud de Babylone[9].

Dans un de ces passages, elle est rapprochée d’une baraïtha qui n’est guère moins énergique : « Les prosélytes, de même que ceux qui jouent avec les enfants, retardent l’avènement du Messie[10] ». Les prosélytes ne valent donc pas mieux que ceux qui pèchent contre la nature, car c’est un vice de cette sorte qui est ici marqué[11].

On cite beaucoup d’autres passages qui montrent les appréhensions des rabbins. Un prosélyte était toujours prêt à fuir ou à se rendre quand un danger sérieux menaçait Israël, il ne parvenait jamais à observer parfaitement la Loi, il était toujours disposé à retourner en arrière[12].

M. Lévi ne rejette pas ces textes, mais il les juge moins propres à exprimer la véritable attitude des rabbins que ceux des agadistes qui sont plus favorables. « Chez ceux-ci, la note est presque toujours la même ; dans la prédication, les deux tendances ne se heurtent plus comme dans la législation ; une seule domine dans ces nombreux midraschim palestiniens, débris informes des homélies populaires de plusieurs siècles, c’est celle qui se réclame de l’exemple d’Abraham, père des prosélytes. Or, où se révèle l’idéal d’une société religieuse : dans son corpus juris ou dans ses sermonnaires ; dans son droit canon ou dans ses œuvres d’édification ? Est-ce dans les Évangiles ou dans la loi des Wisigoths que réside l’esprit du christianisme[13] ? » Sur ces comparaisons il y aurait beaucoup à dire. Les sermonnaires, comme les Évangiles, contiennent bien l’esprit et l’idéal du christianisme. Mais peut-on juger d’après l’Évangile de la conduite pratique des chrétiens ? La question serait mieux posée si l’on disait simplement que les agadistes sont demeurés fidèles à l’ancien idéal de l’Écriture. La législation et les réflexions qui l’accompagnent nous disent mieux ce que les docteurs pensaient, non plus du prosélytisme et de ses espérances, mais des prosélytes en chair et en os. Ils n’en attendaient pas grand’chose de bon. Le moment vint donc où le judaïsme se replia sur lui-même et se décida à n’attendre son salut que de la race[14] et de la Thora. En quoi il était guidé par un instinct très sûr : la Thora avait été donnée pour la race, ou plutôt elle était, avec quelques principes religieux venus d’en haut, la fidèle expression de ses mœurs et de son histoire.

M. Lévi dit encore : « Entre les aspirations nouvelles et les exigences de la législation ancienne, les docteurs, sous la pression des événements, ont opté pour celles-ci. Paul a choisi l’autre alternative ; ce fut son coup de génie[15] ». Le coup de génie de saint Paul ne pouvait se produire qu’à la suite d’un fait nouveau : la mission du Messie. Aucun génie, quel qu’il fût, no pouvait imposer au judaïsme de rompre avec la Thora révélée par Dieu, dans le but de donner satisfaction à des aspirations humaines, si auparavant l’intervention de Dieu n’avait été constatée. La tactique des rabbins était logique, dans la voie qui les conduisait à l’isolement. Ils y étaient conduits aussi par la loi romaine[16] qui ne permettait la circoncision qu’à eux et qui imposait ainsi à leur propagande une limite qu’elle n’était plus tentée de franchir.

M. Théodore Reinach nous dit aussi que le judaïsme aurait rencontré plus de sympathies « s’il avait su lui-même se dégager plus complètement de l’esprit étroitement ethnique, sacrifier au principal (l’enseignement religieux et moral) l’accessoire (les pratiques multiples et gênantes), achever en temps utile cette transformation d’une nation en une religion qui est à la fois le programme de son histoire et le problème de ses destinées[17] ».

Mais si le judaïsme cesse d’être une nation, s’il rejette de son autorité privée des pratiques que ses pères ont cru imposées par Dieu, lui restera-t-il encore la foi à la Révélation dont il répudierait les ordonnances ? Et s’il ne garde que la croyance en Dieu, comment se distinguera-t-il d’un vague spiritualisme ?

Il n’y avait qu’une transformation possible : adopter la foi chrétienne. Les rabbins ne l’ont pas voulu. Dès lors, quand il fut devenu évident qu’ils ne convertiraient pas le monde au judaïsme, le plus sage était de se concentrer, de ne rien abandonner des pratiques, œuvres de la foi, mais aussi appui de la foi, et de faire appel au sentiment national, entretenu par les promesses messianiques.


II. — DESTINÉES DE LA PROPAGANDE.


Au premier siècle de notre ère, ces promesses ont paru près de se réaliser par le merveilleux élan de la propagande juive. Taine a dit[18] quelle force d’expansion extraordinaire se révélait chez de petits peuples qui avaient eu l’énergie de repousser, par une lutte héroïque, l’assaut d’une grande puissance. Tels les Athéniens après Salamine, les Hollandais sous Louis XIV. Le petit royaume juif, menacé dans sa foi par Antiochus Épiphane, avait su d’abord recouvrer son indépendance, puis faire quelque figure dans le monde par l’alliance des Romains.

Si l’on en croit Josèphe, la construction du Temple avait été l’ouvrage du monde entier[19]. Il est assez probable que cette époque marqua l’apogée de l’attrait ou de l’engouement des gentils pour les usages juifs. Le prosélytisme s’étendit dans tout l’Empire, et même au delà. Josèphe répondait aux attaques d’Apion : « Le goût pour notre culte est répandu partout depuis longtemps, et il n’y a pas de ville grecque ni barbare où n’ait pénétré l’usage du sabbat que nous chômons, et les jeûnes, et l’allumage des lampes, et on y observe beaucoup de points au sujet des aliments qui nous sont interdits »[20].

Ce tableau ne paraît pas exagéré.

Les faits particuliers ont été colligés avec soin par MM. Schürer[21] et Bertholet[22]. Nous ne pouvons songer ni à reproduire, ni à augmenter ces matériaux. Ce qui importe ici davantage, c’est de fixer l’attitude du judaïsme à l’égard de ceux qui avaient des velléités plus ou moins sérieuses de se joindre à Israël ; en d’autres termes, d’avoir des idées nettes sur les différentes sortes de prosélytes. Au moment où M. Schürer semblait avoir fait une complète lumière, M. Bertholet a élevé une grave contradiction. Assez souvent la confusion n’est que dans les termes ; raison de plus pour essayer d’en préciser le sens.

La base de la propagande juive, c’étaient naturellement les nombreux groupements juifs répandus dans tout le monde gréco-romain. C’était là un point d’appui d’autant plus solide que les Juifs de ces petites communautés étaient étroitement liés entre eux, d’une solidarité beaucoup plus étroite que celle qui rassemblait les sectateurs d’Isis ou de Mithra, puisqu’ils s’estimaient unis par le lien du sang. Ce trait a été noté par Tacite[23]. Lorsqu’il s’agissait de se soutenir entre eux, leur soumission habituelle faisait place à la turbulence ; on le savait si bien, même à Rome, que Cicéron n’a pas de honte à baisser le ton à cause d’eux : tant leur troupe était puissante, tant ils se tenaient entre eux, tant ils étaient puissants dans les assemblées[24]. Cependant ce qui faisait la force des Juifs était aussi une cause de faiblesse : on n’embrassait la religion juive qu’en devenant juif, c’est-à-dire en acceptant la circoncision, qui était précisément le signe qui permettait de distinguer la race. Mais alors on cessait d’appartenir à la patrie romaine, d’abord parce qu’on adorait un Dieu qui ne souffrait pas de partage, — et il en fut de même des chrétiens, — mais aussi parce qu’on était affilié par une marque personnelle et normalement indélébile à un peuple demeuré distinct, malgré sa dispersion. Or ce peuple ne consentait pas à fusionner avec les païens dans un très grand nombre de circonstances où les chrétiens eux-mêmes ne s’en faisaient pas scrupule, par exemple pour des cas nombreux de pureté ou d’impureté, de nourriture permise ou défendue[25].

Les païens étaient disposés à faire beaucoup d’avances et auraient accepté des transactions. Les premiers siècles de notre ère sont des temps de fusionnement, dans les idées et dans les mœurs. Les Romains décidés à se cantonner dans la pure tradition des ancêtres étaient peu nombreux ; on était à l’affût des idées nouvelles ; des mœurs étrangères étaient un attrait, plutôt qu’un obstacle. Mais on ne se donnait pas non plus tout entier, et pour la même raison. Rien n’empêchait un païen, séduit par les sévères aspects[26] du judaïsme, de s’arrêter au culte d’un seul Dieu[27] ; ou, s’il n’éprouvait qu’une crainte superstitieuse, de ne pas même aller jusque-là. Pour les hommes, la circoncision était un pas qu’on ne franchissait qu’après mûre réflexion, et c’est peut-être pour cela, selon la fine remarque de M. Berthelet, que les femmes étaient beaucoup plus nombreuses parmi les prosélytes. Mais les degrés, pour elles aussi, ne devaient guère être moins nombreux.

La confession d’un Dieu unique ne faisait donc pas grande difficulté. Les stoïciens panthéistes eux-mêmes n’y répugnaient pas, du moins en apparence. C’était là une vérité qu’on regardait comme acquise à la philosophie, quoique sans portée pour le culte. On notait certains aspects particuliers du Dieu des Juifs, plutôt que son universalité comme Créateur et maître du monde. Dans le premier cas connu du prosélytisme à Rome, on s’imagina que les Juifs, probablement les envoyés de Simon, frère de Judas Macchabée[28], recrutaient des adhérents à Jupiter Sabazios[29]. Les fables les plus ridicules circulaient sur ce Dieu.

Au contraire les témoignages sont nombreux et unanimes quand il s’agit du sabbat, qu’on prenait d’ailleurs souvent pour un jour de jeûne, ce qui n’était pas une erreur si grossière, puisque les Juifs ne faisaient point de cuisine chaude ce jour-là. Le chômage des Juifs qui avaient probablement, alors comme aujourd’hui, l’usage de flâner dans les rues en grande toilette, ne pouvait manquer d’attirer l’attention — ni même de contrarier bien des personnes. L’usage de chômer le sabbat s’étendit rapidement dans l’Empire, et il n’est guère douteux que la division du temps par semaines ne vienne des Juifs.

C’est à propos du sabbat que Sénèque, cité par saint Augustin[30], se plaint que « les pratiques de cette nation scélérate ont si bien prévalu qu’elles sont reçues dans tout l’univers : les vaincus ont donné des lois aux vainqueurs ».

Le succès du sabbat tient vraisemblablement à deux causes. Les Juifs étaient partout, et ils avaient alors sans doute comme aujourd’hui le monopole de certains commerces, sans parler du maniement de l’argent. Quand ils se livraient à leur grève hebdomadaire, beaucoup d’industries étaient paralysées. Le plus simple était de chômer avec eux. On constate aujourd’hui en Orient un phénomène analogue. De grandes villes musulmanes, comme le Caire, ont pris l’habitude de célébrer le dimanche. A Jérusalem, le samedi est pratiquement un jour de repos pour une foule de petits métiers. Dans l’antiquité on n’était guère plus actif au travail que dans le monde de l’Islam. Le principe des jours néfastes était reconnu de tout le monde. Les Pontifes avaient diminué la rigueur de ces chômages forcés ; on trouva assez naturel, et même plus logique, de les répartir également le long de l’année, de semaine en semaine. C’est surtout l’oisiveté du sabbat qui frappe Ovide ; c’est un jour où l’on fait peu d’affaires[31] ; ce n’est pas le moment de voyager[32] ; les femmes y sont désœuvrées[33].

Donc pour le païen l’idée du chômage était naturellement liée à celle d’un jour néfaste. Violer le repos était s’exposer à quelque disgrâce. Plus d’un païen a dû penser que les Juifs n’étaient si scrupuleux observateurs du sabbat qu’à la suite de funestes expériences. Ce leur fut une raison de joindre la pratique du sabbat à leurs superstitions sur les mauvais présages. C’est ainsi que l’entendait Tibulle :

J’alléguais tantôt le vol des oiseaux, tantôt de funestes présages ; tantôt je prétendais célébrer le jour du Sabbat[34].

C’est aussi le cas de l’interlocuteur d’Horace :

Pendant que mon fâcheux me tient ces discours, survient Fuscus Aristius, mon ami… « À propos, lui dis-je, tu avais je ne sais quel secret à me dire ? — Je m’en souviens bien, mais je prendrai mieux mon temps ; c’est aujourd’hui le trentième sabbat : voudrais-tu faire la nique aux Juifs circoncis ? — Oh ! dis-je, je n’ai pas de superstition. — J’en ai, moi ; j’ai l’esprit un peu faible, comme bien d’autres. Excuse-moi ; ce sera pour une autre fois »[35].

Ce dialogue, pris sur le vif, a toutes les apparences d’un trait de la vie romaine, trait fréquent, nous assure le satirique. Ce n’est point là une de ces calomnies atroces que le populaire ou les gens d’esprit répandaient contre les chrétiens. Il est impossible de douter que le judaïsme s’imposât à plus d’un Romain comme une autre superstition orientale, que du moins il ne fallait pas braver.

C’était aller plus loin que d’inaugurer le sabbat d’une façon positive, en allumant des lampes le vendredi soir et de se contenter d’une maigre cuisine. C’est ce que décrit Perse[36] :

Mais au retour des jours d’Hérode, lorsque sur les fenêtres dégouttant d’huile les lampes en rangée et ornées de violettes ont vomi une fumée grasse, quand une queue de thon nage au fond d’un plat de terre rouge et que la cruche blanche est remplie de vin, tu remues les lèvres en silence, et tu te pâmes aux sabbats des circoncis[37].

Tertullien est témoin des mêmes faits, s’il est permis de compléter ce qu’il dit des usages empruntés par les païens aux Juifs par la description des usages des Juifs[38].

Il juge, encore plus nettement qu’Horace, l’observation du sabbat compatible avec la profession de la religion païenne : c’est un emprunt fait à une religion étrangère, dans en temps ou l’on ne croyait pouvoir prendre trop de précautions pour s’assurer la protection des dieux étrangers en participant à leurs rites. La femme superstitieuse de Juvénal prête l’oreille aux prêtres et aux charlatans de toutes les religions[39] :

Voici qu’arrive quittant son panier et son foin, une Juive qui toute tremblante lui mendie mystérieusement à l’oreille : c’est l’interprète des lois de Solyme, la grande prêtresse de l’arbre, la fidèle messagère des décrets du ciel. Elle aussi, on lui remplit la main, mais moins généreusement ; les Juifs vendent au rabais autant de songes[40] que vous voulez.

Le dernier trait est assez dur. Le poète nomme des songes ou des chansons ce qui n’est peut-être que le pur enseignement de la Loi. Il est assez remarquable qu’il n’accuse pas sa juive de sortilèges ridicules.

Dans quelle mesure les Juifs se prêtaient-ils à ce mélange ? Une certaine tolérance était suggérée par l’intérêt même de la propagande. Qui avait seulement commencé avait chance d’aller jusqu’au bout. Et comme toujours en pareil cas, on comptait surtout sur les effets de l’éducation. L’enfant nourri dans le respect du sabbat n’éprouverait plus aucune répugnance pour la circoncision. C’est un peu l’histoire de tous les apostolats que Juvénal a décrite dans les vers célèbres[41] :

Celui-ci a eu, par hasard, un père observateur du sabbat ; il n’adorera que les nuages et la divinité du ciel ; il ne fera aucune différence entre la chair humaine et celle du porc, dont s’est abstenu son père ; bientôt même il se fait circoncire. Élevé dans le mépris des lois romaines, il n’apprend, n’observe, ne révère que la loi judaïque, tout ce que Moïse a transmis à ses adeptes dans un volume mystérieux : ne pas montrer la route au voyageur qui ne pratique point les mêmes cérémonies ; n’indiquer une fontaine qu’au seul circoncis. Et tout cela parce que son père passa dans l’inaction chaque septième jour, sans prendre aucune part aux devoirs de la vie.

Le nouveau circoncis fait du zèle ; il est plus juif que les Juifs, et c’est sans doute ainsi qu’il faut expliquer la parole de Jésus : « quand vous avez trouvé un prosélyte, vous en faites un fils de la géhenne, deux fois plus que vous »[42].

Le circoncis est bien un prosélyte complet. On se défie encore de lui, nous l’avons vu ; mais il n’en est pas moins incorporé à la race. Son père évidemment ne l’était pas.

Ce n’est point par hasard que Juvénal a employé deux fois en quelques vers le terme de crainte. Dans son texte il n’a pas de sens technique, mais l’emploi en était suggéré par l’expression devenue courante : un craignant, metuens, était celui qui révérait et craignait le Dieu des Juifs. L’expression se retrouve fréquemment daus le Nouveau Testament[43] où l’on voit apparaître, comme une classe distincte, les « craignants Dieu ». Jusqu’à ces derniers temps on les appelait « prosélytes de la porte », par opposition aux « prosélytes de la justice », mais M. Schürer a rejeté avec raison ce terme, qui n’apparaît dans le rabbinisme qu’au xiiie siècle, et qui ne s’applique même pas à eux. Cette qualification abolie, M. Bertholet a fait un pas de plus et proposé de les assimiler complètement aux prosélytes. Mais c’est là une exagération manifeste. Les textes indiquent assez clairement que ces « craignants » n’étaient pas circoncis. Or, qui n’était pas circoncis n’était pas vraiment prosélyte, c’est-à-dire rattaché à Israël. Et il ne pouvait vraiment pas en être autrement. C’était beaucoup qu’un païen abandonnât le culte des idoles et l’adoration de plusieurs dieux pour se convertir au dieu d’Israël, qu’il confessait être le seul vrai Dieu. Peut-être tous les craignants Dieu ni surtout tous ceux qui envoyaient des offrandes au Temple de Jérusalem n’en étaient-ils pas là[44]. Mais cela même ne suffisait pas.

Reconnaître le Dieu d’Israël, ce n’était pas encore lui rendre un culte ; or le culte seul constituait l’association religieuse ; et comment lui rendre un culte si ce n’est sous la forme qu’il avait lui-même prescrite ? Nous l’avons dit : le dogme judaïque, comme dogme religieux, n’était pas seulement la conviction théorique de l’unité de Dieu, c’était l’affirmation qu’il avait donné une loi à son peuple. On ne pouvait honorer Dieu que par l’observation de cette loi, et le premier point de cette loi, celui qui avait pour but d’affilier à Israël, c’était la circoncision. Ce qui crée ici la confusion, c’est que nous entendons volontiers prosélyte dans le sens de catéchumène, tandis que le prosélyte est simplement un juif d’origine étrangère. Cela, M. Bertholet l’a montré mieux que personne en analysant l’opinion de Philon. Ce type du Juif helléniste, ce demi-platonicien ne pense pas autrement que les Juifs de Palestine : on n’appartient pas à la société juive sans être circoncis. M. Lévi qui a bien établi, contre M. Bertholet, que les « craignants Dieu » n’étaient point des prosélytes, a donc tort à son tour lorsqu’il prétend que, malgré les différences, « tous sont Israélites »[45], ou que du moins les « craignants » sont des demi-juifs. Peut-être prétendaient-ils l’être, mais quelle société religieuse, consciente de ses droits, pourrait consentir à une pareille compromission ?

La circoncision ne pouvait être abrogée qu’avec la Loi elle-même, comme, en se faisant circoncire, on s’obligeait à garder toute la Loi[46]. Les Juifs, qui n’autorisaient aucun des leurs à se dispenser[47], ne pouvaient, et à plus forte raison, dispenser les autres de leur donner un gage de fidélité qui remplaçât le lien du sang, et, pour tout dire, c’était la Loi!

Qu’il y ait eu des esprits plus larges, c’est ce que prouve l’histoire d’Izate, si souvent contée d’après Josèphe[48] ; rien de plus caractéristique sur le zèle et Les différentes tendances des missionnaires juifs, sur le cas de conscience qui se posait pour les nouveaux convertis. Le juif qui avait persuadé à Izate de craindre Dieu se nommait Ananie. La mère du jeune prince et d’autres dames de la cour avaient été converties par un autre missionnaire. Pour elles aucune difficulté. Mais quand Izate manifesta l’intention d’aller jusqu’au bout, ce fut sa mère elle-même, la fervente Hélène, le type accompli de la prosélyte, qui s’opposa à son dessein, avec l’aide d’Ananie craignant un mouvement populaire et effrayé de la responsabilité qu’il encourrait : le principal, dit-il alors, était d’honorer Dieu ; cela était beaucoup plus important que la circoncision. Ce ne fut point l’avis d’un troisième apôtre, Éléazar de Galilée, beaucoup plus pointilleux sur les coutumes nationales. Il ne suffisait pas de lire la Loi, il fallait l’observer. Et Izate s’exécuta.

Être circoncis, du moins avant de mourir, c’était ce que les rabbins appelaient payer la taxe avant le départ du bateau, comme si cette condition était indispensable au bonheur dans l’autre vie[49].

On voit combien était précaire la situation de ces « craignants ». La profession de judaïsme qu’ils croyaient faire et qui leur imposait sans doute de sérieux sacrifices, ne leur était pas comptée par les serviteurs du Dieu qu’ils avaient adopté. Leur conscience ne pouvait être satisfaite, car les docteurs comme Ananie, déjà plus rares que les Éléazar au ier siècle, le furent de plus en plus. C’était une position moyenne, qui n’entrainait l’estime de personne, ou plutôt une position fausse. Elle choquait un noble esprit comme Épictète[50].

Pourquoi te prétends-tu stoïcien ? pourquoi trompes-tu le monde ? pourquoi joues-tu le Juif, puisque tu es Grec ? Ne vois-tu pas ce qui fait qu’on dit : « Un tel est Juif, Syrien, Égyptien » ? Quand nous voyons un homme être moitié ceci, moitié cela, nous disons : « Il n’est pas Juif, mais il joue le Juif ». C’est seulement lorsqu’il prend les sentiments du « baptisé » et de l’ « élu », qu’il est réellement Juif et qu’on l’appelle ainsi[51]. Il en est de même de nous, croyants mal teints, Juifs de nom mais pas de fait.

Les indécis, si sévèrement jugés par un stoïcien sincère, n’en étaient pas moins très nombreux. C’est à eux que s’applique, vers la même époque, le témoignage de Dion Cassius. Il en est à se demander d’où vient le nom de Juifs, tant il a pris l’aspect d’une confession religieuse[52].

Quelle est l’origine de cette dénomination ? je l’ignore ; toujours est-il qu’on l’étend à tous les hommes, même de race différente, qui suivent les lois des Juifs. Cette espèce se rencontre même parmi les Romains ; bien des fois réprimés, ils ont toujours repris des forces et ont fini par conquérir le droit de pratiquer librement leurs usages.

De leur côté, les Juifs semblent avoir traité avec égard ces timides, encore indécis. Ils étaient sur la bonne voie. Naturellement les docteurs ennemis des prosélytes devaient étendre leur défiance jusqu’à eux. Mais c’était le petit nombre. Les textes rabbiniques les connaissent sous leur nom précis de « craignants Dieu », qui devient dans leur langue « craignants le ciel ». On ne leur dit pas ces choses désobligeantes qui s’adressent parfois aux prosélytes. On va jusqu’à promettre qu’ils recevront le nom d’Israël[53], pour expliquer un passage d’Isaïe[54]. M. Lévi a cité plusieurs autres textes fort curieux. Khanin, rabbin palestinien de la fin du iii}e et du commencement du iv}e siècle, disait :

Il est écrit au sujet des villes maritimes ce que même la génération du déluge n’a pas éprouvé, qu’elles seraient dignes d’une extermination complète (d’après Sophonie, ii, 5). A quel mérite donc doivent-elles de subsister ? A celui que leur procure un seul prosélyte, un seul « craignant le Ciel » qu’elles produisent chaque année[55].

On leur fit même une grâce suprême en supposant qu’ils avaient été allaités — en la personne de leurs ancêtres ? — du lait de Sara. Mais cela n’assurait pas leur bonheur dans l’autre monde. Même alors on les distinguait des vrais convertis, et on leur accordait le bonheur de ce monde comme un dédommagement. Cela résulte d’un midrach conservé dans la Pesiqta Rabbathi :

Les païens amenaient leurs enfants à Sara[56] pour qu’elles les allaitât. Les uns le faisaient de bonne foi, les autres pour l’éprouver ; mais ni les uns ni les autres n’y ont perdu. En effet, R. Lévi dit : « Ceux qui l’ont fait de bonne foi se sont convertis ; voilà pourquoi il est écrit : Sara a allaité des enfants : ils sont devenus des enfants d’Israël. Ceux qui avaient voulu seulement éprouver Sara sont devenus, d’après nos sages, grands en ce monde. Tous ceux qui se convertissent dans le monde et tous les « craignants le Ciel » qui existent dans le monde sont de ceux qui ont été allaités du lait de Sara[57].

Le texte de R. Khanin prouve qu’au iiie siècle il y avait encore des prosélytes et des « craignants le ciel ».

Une preuve non moins décisive du prosélytisme des Juifs à cette époque nous est fournie par le Talmud de Jérusalem :

Or, Isaac b. Naḥman au nom de Josué b. Lévi[58] raconte qu’un homme avait acquis toute une localité habitée par des esclaves païens, pour en convertir les gens au judaïsme et les circoncire, mais ils s’y refusèrent[59].

Il semble que dans ce cas le propriétaire n’osa passer outre. Mais on n’hésitait pas à circoncire les esclaves malgré eux, pourvu que cela n’entraînât pas des conséquences légales fâcheuses.

En cas d’achat d’esclaves incirconcis à un païen, tout dépend des conditions formulées ; si on les a achetés pour les circoncire, on les traite comme esclaves hommes, et on les circoncira malgré eux ; si l’on n’a pas convenu de vouloir les circoncire, on les traitera comme gens libres qu’il n’est pas permis de contraindre à la conversion[60].

Ces conversions forcées ne furent sans doute pas très fréquentes. Les conversions volontaires se firent de plus en plus rares. Ceux qui aspiraient surtout au culte du Dieu unique trouvaient satisfaction dans le christianisme. Ils cessèrent de former autour du judaïsme une clientèle utile et dévouée. Rutilius Namatianus regarde sans doute le judaïsme surtout comme l’ancêtre du christianisme lorsqu’il se plaint, en 416, de ses progrès que rien ne peut entraver[61].


III. — LES PROSÉLYTES AUX TEMPS MESSIANIQUES.


L’élan d’Israël pour le prosélytisme est un des beaux mouvements de son histoire. Il a conscience de sa supériorité religieuse et morale ; il sait qu’il la doit à la Révélation ; son désir serait de faire participer tous les hommes à cette lumière. Qu’il se soit mêlé à ces tentatives de propagande plus d’un motif d’intérêt privé ou national, on l’entend assez, mais il suffit pour l’honneur des Juifs que l’élite de leurs docteurs ait eu l’intelligence de cette haute mission et l’intention de la réaliser.

Le but était d’autant plus noble que la fidélité à la Loi n’assurait pas seulement en ce monde une vie plus digne et plus heureuse. Elle ouvrait les portes du monde à venir, dont les prosélytes ne pouvaient être exclus.

Il y a plus. Controversant avec R. Éliézer ben Hyrkanos sur le sort des païens qui ne devenaient pas prosélytes durant leur vie, Josué ben Khanania n’hésitait pas à reconnaître qu’il y avait parmi les Gentils des justes qui auraient part au monde à venir[62].

Quelle serait cette part ? Un indice déjà signalé[63] suggère que, même dans le monde à venir de l’au-delà, les Israélites auront la prééminence. Il ne pouvait guère en être autrement. C’est déjà beaucoup qu’on ait admis les prosélytes, et même, d’après certains rabbins, les Gentils justes, aux récompenses d’outre-tombe.

L’aspect des choses change un peu lorsqu’il s’agit des temps messianiques. Tandis que la rétribution de la vie future émanait d’un Dieu juste, qui ne tenait compte que des œuvres, les temps messianiques étaient une promesse faite au seul Israël, et on les entendait de plus en plus comme un dédommagement de ses épreuves.

Quelle part les Gentils pouvaient-ils prétendre à ce privilège ?

La réponse est assez nette, quoique les solutions diffèrent selon la manière précise dont la question est posée.

Il faut de nouveau admirer que certains rabbins aient hérité de la largeur de cœur des anciens prophètes, ou que l’Écriture, parfaitement claire, ait triomphé de leurs préjugés ou de leurs répugnances.

Les temps messianiques étaient souvent annoncés dans la Bible comme des temps de salut. Tous les peuples devaient reconnaître que Iahvé est Dieu et plier le genou devant lui. A prendre le messianisme sous cet aspect purement religieux, il n’y avait aucune raison d’exclure qui que ce fût.

Cette tradition s’est perpétuée dans la prière ‘Alênou[64], sous une forme très universelle. Elle se retrouve dans le Talmud, comme une espérance ferme, en dépit de certaines hésitations[65] :

Tradition : celui qui voit un Mercure[66] doit dire :

Béni soit celui qui a été longainme pour les serviteurs de son bon plaisir ; en cet endroit dont on a extirpé le culte des astres, on doit dire : Béni celui qui a extirpé le culte des étoiles de notre pays ; et, comme il a été extirpé de cet endroit, ainsi soit-il extirpé de tous les endroits d’Israël, et ramène le cœur de ceux qui les adorent à ton service ! En dehors du pays, il n’est pas nécessaire de dire : et ramène le cœur de ceux qui les adorent à ton service, à cause du grand nombre des Gentils[67]. Rabbi Siméon ben Éléazar dit : Il faut le dire même en dehors du pays, car il est dit (Sophonie, iii, 9) : Je changerai aux peuples des lèvres pures [afin qu’ils invoquent tous le nom de Iahvé et le servent d’un seul effort][68].

On voit ici clairement comment la pensée s’élève sur les ailes du prophétisme. Le rabbin ne songe d’abord à purifier de l’idolâtrie que le pays d’Israël ; quelle apparence que le reste du monde se convertisse ? il est tout à fait inutile de le demander à Dieu. Mais le texte de Sophonie est là qui oblige à espérer davantage.

Ce même texte s’imposait encore à l’attention de R. Joseph[69].

Mais on ne peut regarder ces vues très élevées comme dominant toute la matière.

D’abord il va sans dire que tous les rabbins hostiles au prosélytisme de leur temps devaient se montrer encore plus hostiles aux prosélytes des temps messianiques.

Les autres, ceux qui parcouraient la terre et la mer pour faire un prosélyte, avaient très justement à cœur de n’accueillir que les Gentils convaincus. Les conversions intéressées étaient à bon droit suspectes.

Or on posa en principe, et ce principe ne paraît pas avoir été contesté, que toutes les conversions des temps messianiques seraient dictées par l’intérêt. Israël malheureux accueille ceux qui se présentent généreusement pour partager sa mauvaise fortune ; quand il triomphe, comme au temps de David et de Salomon, ou au temps du Messie, il se défie des avances qu’on lui fait et ne reçoit personne.

Le Talmud de Babylone décrit — non sans humour — l’empressement maladroit des prosélytes, leur couardise et leur déconvenue. Dieu lui-même se rit de leur mésaventure[70] :

R. José dit : Dans le temps à venir, les idolâtres se feront prosélytes, et qui recevrons-nous ? On répond selon la tradition : On ne recevra pas les prosélytes au temps du Messie, comme non plus on ne les a pas reçus au temps de David ni de Salomon, car ils se font prosélytes étant entraînés[71] ; ils mettent des phylactères à leur tête, des phylactères à leurs bras, des franges à leurs vêtements, des rouleaux de parchemin à leurs portes ; puis quand ils voient les guerres de Gog et de Magog, chaque prosélyte leur dit : Contre qui marchez-vous ? Ils lui disent : Contre Dieu et son Messie, car il est dit (Ps. ii, 1) : Pourquoi des nations se sont-elles remuées, et des peuples mâchonnent-ils du rien ? et chacun se débarrassera de ses obligations et s’en ira, car il est dit (Ps. ii, 3) : rompons leurs entraves, et le Saint, béni soit-il, sera là et se rira d’eux, car il est dit (Ps. ii, 4) : celui qui habite dans les cieux se rira d’eux.

Les prosélytes ne sont donc pas reçus, et on trouve le moyen de prouver que c’est leur faute.

Le même canon figure dans un autre endroit[72] : « On ne recevra pas les prosélytes au temps du Messie, comme on ne les a pas reçus non plus au temps de David et de Salomon ». La baraïtha est stéréotypée, et cette fois elle est établie par un amora, Éléazar, sur un texte d’Isaïe, complètement détourné de son sens[73], pour signifier que le droit des prosélytes à participer aux faveurs d’Israël ne peut être établi, s’ils ne se convertissent avant que Dieu ait manifesté sa présence.

Le principe est donc certain : au temps du Messie les Gentils désireux de se convertir ne seront pas incorporés à Israël. D’ailleurs cela n’empêche pas leur retour à Dieu, annoncé par les prophètes. Ils adoreront le même Dieu, mais ne jouiront pas des mêmes privilèges que son peuple. Leur conversion elle-même, tardive et forcée, ne sera pas accueillie sans distinction. Dieu se montrera plus ou moins bienveillant pour leurs hommages, selon qu’ils auront été plus ou moins tolérants envers Israël. Nous avons déjà rencontré ce tableau. L’Éthiopie est bien reçue avec l’Égypte, mais les Romains sont exclus[74].

Rappelons encore que les temps messianiques, réduits pour ainsi dire à leur minimum, et presque rationalisés par R. Samuel, étaient encore la servitude des royaumes[75]. Cela, Israël ne pouvait consentir à le retrancher. C’était, dans cette manière de voir étroitement nationale, l’essence du messianisme.

Sûr d’imposer ses volontés au monde, le peuple élu n’avait plus besoin des prosélytes et ne consentait plus à partager avec eux.

Et cela jette une ombre fâcheuse sur toute cette affaire du prosélytisme. Il n’est point question ici d’apprécier exactement le niveau moyen du judaïsme à cet égard, mais de constater que les nobles inspirations venaient de l’esprit des anciens prophètes, les restrictions de l’égoïsme national.

  1. Aboth, i, 12.
  2. b. Chabbath, 31a, traduction de M. Israël Lévi, Revue des études juives, t. LI, p. 7 s.
  3. Mt. xxiii, 15.
  4. Le prosélytisme juif ; Revue des études juives, t. L, 1 ss. ; LI, 1 ss.
  5. b. Iebamoth, 47a.
  6. Mekilta sur Ex. xxii, 20 (95a) ; d’autres traits dans Bacher, Die Agada der Tannaiten, I2, p. 106 s.
  7. Cette sentence est qualifiée de baraïtha dans Kallah rabbati, c. iv (Klausner, Die messianischen Vorstellungen…, p. 82).
  8. ונספהו dans Is. xiv, 1, ne peut signifier que « ils s’uniront » ; mais R. Khelbo a feint de l’entendre dans le sens de ספחת, « pustule » ; la traduction de M. I. Lévi exprime comme il le fallait le sens de R. Khelbo, non celui d’Isaïe.
  9. Iebamoth, 47b et 109b ; Qiddouchin, 70b ; Niddah, 13b. M. Lévi essaie assez ingénieusement de prouver que le Talmud en reproduisant la formule ne la fait pas sienne. Il ne la rejette pas non plus !
  10. Niddah, 13b.
  11. והמשחקים בתינוקות expliqué : ceux qui épousent des jeunes filles trop jeunes pour avoir des enfants ; cf. plus haut, p. 194.
  12. C’est surtout la pensée de R. Khiya, de la fin du iie s. : « il ne faut pas avoir confiance dans le prosélyte jusqu’à la vingt-quatrième génération, car il reste attaché à son levain ». Cependant il ajoutait : « Mais, lorsque le prosélyte se soumet au joug de Dieu avec amour et respect et se convertit en vue du ciel, Dieu ne le repousse pas, car il est écrit : « Il aime le prosélyte ». Dans le Ialkouṭ sur Ruth, § 601, trad. Lévi, Revue des études juives, LI, p. 6. On voit bien dans ce seul passage le conflit entre le jugement personnel que le rabbin croit dicté par l’expérience, et l’autorité de la tradition exégétique.
  13. Revue des études juives, LXI, p. 28.
  14. D’ailleurs le prosélyte, même admis, n’eut jamais le droit de dire : « le Dieu de nos pères » (Bikkourim, i, 4) ; la distinction subsista donc toujours entre un Israélite de race et un prosélyte.
  15. L. l., p. 7, n. 1.
  16. Interdiction de circoncire les non-juifs, l. 11 pr. Dig. xlviii, 8 ; l. 3, § 5 et l. 4, § 2, ibid. Paul, Sent. V, 22, 4. Septime Sévère, Vita, c. xvii ; Origène, Contre Celse, ii, 13.
  17. Article Judaei, dans le Dictionnaire des antiquités.
  18. A son cours de l’École des Beaux-arts.
  19. Ant. XIV, vii, 2.
  20. Contre Apion, ii, 39.
  21. Geschichte…, 3e éd., III, 102-135.
  22. Die Stellung der Israeliten und der Juden zu den Fremden, p. 295-303.
  23. Hist., V, 6 : et quia apud eos fides obstinata, misericordia in promptu.
  24. Pro Flacco, c. xxviii, § 66 : Sequitur auri illa invidia Iudaici. Hoc nimirum est illud quod non longe a gradibus Aureliis haec causa dicitur ; ob hoc crimen hic locus abs te, Laeli, atque illa turba quaesita est : scis quanta sit manus, quanta concordia, quantum valeat in concionibus. Summissa voce agam, tantum ut iudices audiant…
  25. Les chrétiens ne mangeaient pas les viandes immolées, mais ne distinguaient pas entre les différentes espèces d’animaux, etc.
  26. Tristes deos, Hor., Sat. I, v, 102-103.
  27. Un des points les plus intéressants serait de déterminer la portée et le sens exact du mouvement religieux caractérisé par le culte du Dieu Très-Haut. D’après M. Th. Reinach (art. Judaei, col. 624) : « aucun texte officiel ne nous montre jamais, en pays grec, les communautés juives proprement dites officiellement qualifiées de thiases, tout au plus peut-on revendiquer cette dénomination pour les confréries vouées au culte du Θεὸς ὕψιστος, dans le Bosphore cimmérien (notamment à Tanaïs) et ailleurs, associations qui paraissent être, les unes des synagogues déguisées, les autres des sodalicia païens plus ou moins imprégnés d’éléments juifs ».

    Il faudrait citer aussi les communautés autonomes de θεοσεϐεῖς (Cyr. Alex., P. G., LXVIII, 282). Les caelicolae sont de la même famille au ive siècle. M. Reinach ajoute enfin : « Il n’est pas sûr qu’il ne faille pas voir dans certaines de ces associations (ainsi à Gorgippia) de véritables synagogues juives sous un masque païen adopté par prudence » (art. cité, p. 629, n° 8).

  28. I Macch. xiv et xv.
  29. Cn. Cornelius Hispalus praetor peregrinus, M. Popilio Laenato, L. Calpurnio consulibus… Idem Iudaeos, qui Sabazi Jovis cultu romanos inficere mores conati erant, repetere domos suas coegit (Valère Maxime, d’après le résumé de Julius Paris ; Th. Reinach, Textes…, p. 258 s.).
  30. De civitate Dei, vi, 10.
  31. Ov., Ars amatoria, I, 415 s. : Quaque die redeunt, rebus minus apta gerendis, Cultu Palestino septima festa Syro.
  32. Remedium amoris, v. 217 s. : Nec pluvias opta, nec te peregrina morentur Sabbata, nec damnis Allia nota suis. Le rapprochement est intéressant. Le jour de la bataille de l’Allia était le plus strictement chômé de tous les jours néfastes.
  33. Ars amatoria, I, 75 s. : Nec te praetereat Veneri ploratus Adonis Cultaque Iudaeo septima sacra Syro.
  34. Élégies, I, iii, 17-18 : Aut ego sum causatus aves, aut omina dura, Saturnive sacram me tenuisse diem. Les textes sont empruntés au recueil de M. Théodore Reinach, Textes d’auteurs grecs et romains relatifs au judaïsme.
  35. Sat. I, ix, 60 ss. : Haec dum agit, ecce Fuscus Aristius occurrit… « Certe nescio quid secreto velle loqui te Aiebas mecum ? — Memine bene, sed meliore Tempore dicam : hodie tricesima sabbata ; vin’ tu Curtis judaeis oppedere ? — Nulla mihi, inquam, Relligio ’st. — At mihi : sum paullo infirmior, unus Multorum. Ignosces ; alias loquar ».
  36. Satire V, 176 ss. : At cum Herodis venere dies unctaque fenestra Dispositae pinguem nebulam vomuere lucernae Portantes violas, rubrumque amplexa catinum, Cauda natat thynni, tumet alba fidelia vino : Labra moves tacitus recutitaque sabbat palles.
  37. Nous sommes obligé d’abandonner la traduction de M. Reinach : « pâle encore du sabbat », car on allume les lampes avant, non après le sabbat. Aujourd’hui encore les Juifs mangent de préférence du poisson le samedi.
  38. Tertull., Ad nationes, i, 13 : Vos certe estis, qui etiam in laterculum septem dierum solem recepistis, et ex diebus ipso priorem praelegistis, quo die lavacrum subtrahatis aut in vesperam differatis, aut otium et prandium curetis. Quod quidem facitis exorbitantes et ipsi a vestris ad alienas religiones. Iudaei enim festi sabbata et coena pura et Iudaici ritus lucernarum cum azymis et orationes litorales, quae utique aliena sunt a diis vestris.
  39. Satire VI, 542 s s. : Copltino foenoqtte relielo, Arcanam ludaea tremens mendient in aurem, Interpres legum Solymarum et magna sacerdos Arborts ac summi ftda internuntia coeli. Implel et ilia manum, sed parcîus ; acre minute Qualiaeumqtie voles ludaei somnia vendunt.
  40. Dans la traduction Reinach « visions », ce qui aggraverait te cas des juifs, accusés de vendre des révélations privées fausses-
  41. Satire XIV, 96 ss. : Quidam sortiti metuenlem sabbata patreni Nil praeter nubes et coeli numen adorant, Nec distare putant httmana carne suillam Qua pater abstinuit ; mox et praepulia ponunt. Ilomanas aulem soliti contemnere leges, ludaicum ediscunt et servant ac metuunt ius Tradidit arcano quodeumque •voltimine floses ? Non monstrare vias eadem nisi. sacra colentl ; Quaesitum ad foncent solos dedueere verpos. Sed pater in causa, cui septima quaeque fuit lux Ignava cl partent vltae non attigit
  42. Mt. xxiii, 15.
  43. ϕοϐούμενοι τὸν Θεόν, Actes, x, 2. 22 ; xiii, 16. 26 ; σεϐόμενοι τὸν Θεόν, Actes, xiii, 45. 50 ; xvi, 14 ; xvii, 4 ; xvii, 17 ; xviii, 7, ou même σεϐόμενοι tout court, Actes, xiii, 50 ; xvii, 4 ; xvii, 17. Une seule fois σεϐόμενοι προσήλυτοι, Actes, xiii, 43. Σέϐομαι signifie dans le grec classique la piété ; mais les Septante l’ont souvent employé pour traduire la crainte religieuse ; de là cette synonymie.
  44. Josèphe distingue ces trois catégories : les Juifs, les craignants Dieu et ceux qui ont fait des offrandes probablement par une vague sympathie ou par politique : Θαυμάσῃ δὲ μηδείς, εἰ τοσοῦτος ἦν πλοῦτος ἐν τῷ ἡμετέρῳ ἱερῷ πάντων τῶν κατὰ τὴν οἰκουμένην Ἰουδαίων καὶ σεϐομένων τὸν θεὸν ἔτι δὲ καὶ τῶν ἀπὸ τῆς Ἀσίας καὶ τῆς Εὐρώπης εἰς αὐτὸ συμϕερόντων ἐκ πολλῶν πάνυ χρόνων (Ant. XIV, vii, 2).
  45. Revue des études juives, t. L, p. 5. Ce savant distingué nous paraît avoir atténué un peu cette opinion, en soutenant, cette fois contre M. Schürer, que guer tochab (גר תושב) signifie quelquefois, quoique rarement, demi-prosélyte, ou σεβόμενος. Ainsi b. Guittin, 57b : « baraïta : Naaman était un guer toschab, Nebuzaradan un guer cédek » (prosélyte de justice). Il conclut aujourd’hui : « l’expression toschab a suivi une évolution parallèle à celle de guer : de même que celle-ci perdait son sens primitif de métèque pour prendre celui de prosélyte du second degré, le toschab, distingué dans l’Écriture du guer, devenait un demi-prosélyte, synonyme de craignant le ciel ». Rev. des ét. juives, LIII (1907), p. 56. Mais tochab n’aurait cependant ce sens que comme qualifiant guer !
  46. Gal. v, 3.
  47. C’est à quoi fait allusion Pétrone dans des vers où, selon nous, il n’y a pas de changements à introduire ; Frag. 37, dans Poetae minores, iv, 98 :

    Iudaeus licet et porcinum numen adoret
    Et caeli summas advocet auriculas,
    Ni tamen et ferro succiderit inguinis oram.
    Et nisi nodatum solverit arte caput,
    Exemples populo Graia migrabit ab urbe
    Et non ieiuna sabbata lege premet.

    M. Reinach lit : Graius migrabit ad urbes, comme si la loi ne s’appliquait qu’en Judée où on suppose que se place Pétrone ; mais le texte du manuscrit, plus difficile, est cependant bon : la communauté juive forcera le récalcitrant à quitter une ville grecque… C’est un comble !

  48. Ant. XX, ii, 1-4.
  49. Dans l’historiette du sénateur craignant le ciel. Debarim rabba, ii.
  50. Arrien, Entretiens d’Épictète, II, ix, 19-21.
  51. Ὅταν δʹ ἀναλάϐῃ τὸ πάθος τοῦ βεϐαμμένου καὶ ᾑρημένου, τότε καὶ ἔστι τῷ ὄντι, καὶ καλεῖται Ἰουδαῖος. Il est assez difficile d’expliquer pourquoi Arrien ne mentionne pas la circoncision. Mais en réalité l’initiation juive comprenait un baptême en outre de la circoncision. On a fait beaucoup de bruit depuis peu de l’opinion de Josué b. Khanania qui soutenait, contre R. Éliézer, que le baptisé non encore circoncis était déjà prosélyte (b. Iebamoth, 46a) ; mais cette décision, appuyée par Iehouda b. Ilaï, était contraire au sentiment général, constaté par le Talmud de Babylone au même endroit, et par le Talmud de Jérusalem (Qiddouchin, trad. Schwab, t. IX, p. 285), qui ne cite même pas l’opinion contraire. D’ailleurs ce n’était qu’une question de mots et on ne pouvait officiellement mettre en doute la nécessité de la circoncision. Si elle n’est pas nommée par le traité Guérim, c’est peut-être par omission du scribe (Rev. des ét. juives, t. LIII, p. 99 ss.) ou parce qu’elle allait de soi. Par ailleurs il semble résulter de j. Qiddouchin cité, que le baptême n’est pas un simple bain de purification ; il a en vue la reconnaissance des préceptes sacrés imposés à Israël.
  52. Hist., XXXVII, c. xvii, § 8.
  53. Mekilta sur xxii, 20 : « Quatre classes de personnes disent à Dieu : « Je suis à Dieu », car il est écrit : « Celui-ci dira : Je suis à Dieu ; celui-là se réclamera du nom de Jacob ; tel écrira sur sa main : à l’Éternel, et tel recevra le nom d’Israël » (Isaïe, xliv, 5). — « Je suis à Dieu » et le péché ne se mêle pas à moi ; « celui-ci se réclamera du nom de Jacob » : ce sont les prosélytes de la justice ; « tel écrira de sa main : « à l’Éternel » : ce sont les pécheurs repentants ; et « tel recevra le nom d’Israël » : ce sont ceux qui craignent le Ciel ». Trad. de M. Lévi, Revue des études juives, t. L, p. 4. C’est de là que ce savant infère que « tous sont Israélites » ; mais il est évident qu’il ne faut pas faire trop de fond sur une dénomination purement exégétique. Tous les autres textes protestent contre cette assimilation.
  54. Is. xliv, 5.
  55. Revue des ét. j., t. L, p. 8. Traduction de M. I. Lévi, dans Berechith rabba, xxviii.
  56. Devenue à la naissance d’Isaac une vraie fontaine miraculeuse.
  57. Traduction de M. I. Lévi, Revue des ét. j., t. LI, p. 30.
  58. Josué b. Lévi est un des principaux amoras du début du iiie siècle ; cf. Bacher, Die Agada der Palästin. Am. I, p. 124 ss.
  59. Iebamoth, trad. Schwab, t. VII, p. 111.
  60. Eod. loc., p. 113.
  61. De reditu suo, i, 395 ss.

    Atque utinam nunquam Iudaea subacta fuisset
    Pompeii bellis imperioque Titi !
    Latius excisae pestis contagia serpunt,
    Victoresque suos natio victa premit.

  62. Bacher, Tann. I2, p. 134, citant Tosefta Sanh. xiii, 2 : הא יש צדיקים באומות שיש להם חלק לעולם הבא.
  63. Voir plus haut, p. 196.
  64. Traduite plus haut, p. 153 s. ; le texte hébreu aux appendices, texte V.
  65. b. Berakoth, 57b.
  66. Ordinairement un Hermès ; ici, semble-t-il, un amas de ruines païennes.
  67. Littéralement « de Samaritains », pris pour type des païens en général.
  68. Littér. « d’une seule épaule ».
  69. b. ‘Aboda zara, 24a.
  70. b. ‘Aboda zara, 3b.
  71. שנעשו גרים גרורים. Il y a un jeu mot sur גר « prosélyte » et גרור « tiré ». L’expression ne peut être prise que dans le même sens — défavorable — dans b. ‘Aboda zara, 24a, et cependant c’est le texte allégué par M. Perles (Bousset’s Religion des Iudentums, p. 39) pour prouver que les Rabbins se préoccupaient de la conversion des Gentils à la fin du temps !
  72. b. Iebamoth, 24b.
  73. Cf. Klausner, Die Messianischen Vorstellungen…, p. 80, qui corrige Éliézer du texte en Éléazar, et explique le passage d’Is. liv, 15 dans le sens du talmudiste.
  74. Voir plus haut, p. 203.
  75. Voir plus haut, p. 204.