Le Miroir des jours/Aspiration

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Aspiration (1912)
Le Miroir des joursMontréal (p. 248-250).


ASPIRATION


 
Ah ! ce besoin d’aimer, cette ardeur infinie,
Ce grand rêve fervent de bonheur immortel,
C’est lui qui dans nos cœurs suscite une harmonie
Et nous donne l’espoir consolateur du ciel !

C’est lui qui chante en nous d’une voix souveraine,
Qui soutient notre vie au long des jours mauvais ;
C’est ce mystérieux désir qui nous entraîne
Et répète : Viens-t-en, pauvre âme, où je m’en vais…


Je l’ai trouvé caché tout au fond de moi-même ;
Sans doute, il m’attendait dans mon petit berceau,
Et mon faible soupir fut, après le baptême,
Une aspiration divine vers là-haut.

Dès que notre regard ouvert à la lumière
Reçoit l’impression de la réalité,
Dieu dirige un rayon de la splendeur première
Vers l’homme, qui toujours en demeure hanté.

Son âme vainement agite ses deux ailes ;
Il sent peser sur lui la peine de l’exil,
Et sa soif et sa faim d’amour sont éternelles !
Ce bonheur convoité si fort, l’atteindra-t-il ?

Sa faiblesse l’attriste et son effort le blesse,
Mais vers le but son vol anxieux est constant ;
Il sent que ce qui fait sa sublime noblesse,
C’est de monter, malgré sa misère, en chantant !


Ah ! s’évader enfin des ombres de la terre,
Libre comme un oiseau dans l’azur enchanté !
Pour l’âme, quelle ivresse exquise et salutaire
De sentir le frisson sacré de la Beauté !

Si Dieu n’avait pas mis en nous l’élan suprême,
L’initial essor du cœur tendant au ciel ;
Si nous devions croupir, peuple morne au front blême,
Dans la matière épaisse et le hideux réel,

Ô désolation de vivre, nuit affreuse !
Fauves rugissements des brutaux appétits !
Et, dans le sang versé dont la mare se creuse,
Râles, sous les talons vainqueurs, des tout petits !…

Précieuse croyance en la bonne justice,
Bel hymne intérieur d’espérance et d’amour,
Relève mon courage au bord du précipice
Et ne me quitte pas jusqu’à mon dernier jour !