Le Moine et le Philosophe/Tome 2/I/XXIV

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Le Roi (2p. 102-105).


CHAPITRE XXIV.

La maladie des prophètes.


Tous nos héros, moins Gabrielle, le baron et le comte, sont dans la ville sainte.

En attendant l’heureux jour du baptême et de la réconciliation, le moine et l’iman mangeaient à la table des princes, et couchaient dans les couvens des nonnes hospitalières. À l’aspect du prêtre sarrazin, les dévotes sanglotaient de joie ; les aumônes pleuvaient sur le transfuge ; mais hélas ! les épreuves arrivèrent : des douleurs aiguës se firent sentir aux deux amis ; leurs membres s’enflèrent, se roidirent, se retirèrent ; la moëlle de leurs os fut comme rongée par les chiens, surtout quand le soleil quittait l’horizon : le moine ouvrit son bréviaire et dit au néophyte : Vous allez achever de connaître la prééminence de nos livres. L’Alcoran ne vous dirait pas ce qui nous tourmente, et la Bible vous le dira : il lut, et, transporté de joie, il s’écria :

Je le savais bien : ceci nous vient du peuple de Dieu (a) : c’est une des figures que Jehovah mit en la maison d’Israël. Nous sommes souillés, tout ce que nous touchons est souillé ; nous sommes les héritiers de ce prophète déplorable, fameux par ses misères. Les méchans attaquaient sa chasteté ; mais le bonhomme Job répondait : Je n’ai fréquenté que ma femme ; et nous, nous répondrons : Nous n’avons fréquenté que les épouses du Seigneur. Cependant, mon frère, réjouissons-nous.

C’est une maladie sacrée ; donc l’Éternel nous visite ; concevez-vous notre bonheur ? — Pas tout-à-fait, dit le Sarrazin ; le Dieu de Mahomet visite ses fidèles par les plaisirs, et j’aime autant cette manière. — Oui, mais ces plaisirs vous conduiraient en enfer, et ces douleurs nous mèneront au ciel. — Je ne sais où nous irons, mais je me crois en enfer. — Vous m’y faites penser ; nous n’y sommes pas, mais il est tout en nous. Ô nonnes de Jérusalem ! accourez ; jetez-nous des flots d’eau bénite ! Frère, dites un Ave ; récitez le chapelet ; donnez-moi la discipline… Ah ! Satan, je ne t’ai pas reconnu sous la guimpe des vierges d’Antioche ; oui, mon frère, la sainte abbesse, sœur Agathe, sœur Perpétue, nous ont livrés au malin. Ayons pourtant bon courage ; Dieu nous éprouve ou nous châtie ; moi, pour avoir cessé d’être chrétien ; vous, pour ne l’avoir pas toujours été ; mais l’heure de la guérison approche ; puisque nous sommes tourmentés par le diable pour quelque reste du péché originel ; nous en serons débarrassés, vous, par les eaux du baptême, et moi, par les exorcismes.




  1. (a) La maladie du moine n’est certainement pas venue de l’Amérique. La preuve en est dans la Bible. Cette maladie y est exactement décrite. Il paraît qu’elle était une des variétés de la lèpre, ou du moins se compliquait souvent avec elle. Job répond effectivement à ses détracteurs qu’il n’a eu de relations qu’avec sa femme ; et Mézerai rapporte que certaines personnes se châtraient pour ne pas prendre la lèpre apportée par les Croisés.