Le Moine et le Philosophe/Tome 2/I/XXV

La bibliothèque libre.


Le Roi (2p. 106-112).


CHAPITRE XXV.

Le Saint-Sépulcre et la Piscine.


Enfin, Jérusalem ayant vu périr tous les enfans de Moïse et du prophète, le nouveau peuple de Dieu, chargé, comme l’ancien, de crimes et de misères, se réunit à la voix de ses pontifes ; et tous, le cierge expiatoire à la main, couverts des cendres de la pénitence, chantant des cantiques interrompus par les larmes du repentir, se rendirent au Saint-Sépulcre, et se prosternèrent dans les mêmes lieux où Dieu s’était fait homme, afin de mourir pour l’homme. Mystère incompréhensible au-dessus de l’esprit humain ; mais jusques auquel l’âme peut s’élever ; et que, du moins, les cœurs généreux conçoivent.

Les larmes de tout un peuple, formé de tant de nations diverses ; de ce peuple féroce, impitoyable, et devenu tout-à-coup humble et miséricordieux ; les gémissemens succédant aux cris de la rage homicide ; les accens mélancoliques de la prière aux transports des passions violentes, auraient ému l’être le plus insensible, et prouvé la puissance de la religion aux plus incrédules.

C’est pour gémir et prier que l’Europe a vu ses enfans déserter ses villes opulentes, ses campagnes fertiles. D’un million d’hommes sortis de son sein, à peine quelques mille sont arrivés au but du voyage. Leur misère est sans égale, mais elle sera de peu d’instans, comme la vie ; et la splendeur sans fin de la gloire des cieux entourera bientôt les héros chrétiens. Leur abaissement d’un jour sera suivi de l’éternité du triomphe. Ils ont tout quitté pour suivre le Christ : patrie, enfans, amis ; ils souffrent, ils gémissent ; mais leurs larmes expriment les tourmens du Rédempteur. La vue de ce théâtre, d’une douleur inouie, anéantit toutes les douleurs humaines. Espérances, regrets, plaisirs terrestres, tout l’homme s’est évanoui. Il n’y a que des chrétiens sur le Calvaire ; ils sont morts au monde, et ne vivent plus que dans le Dieu du ciel.

Les moins malades s’étaient traînés jusqu’aux lieux saints ; les mourans s’étaient fait porter sur les pierres du sépulcre. Florestan y demandait, comme eux, la récompense de ses travaux ; il demandait au sauveur du paralytique de rendre à son bras le mouvement et la force ; de rallumer le jour dans son œil éteint. Hélas ! son bras resta pendant et déboîté ; son œil ne réfléchit pas la lumière.

Le recueillement général fut troublé par les démoniaques, dont la foule, conduite par le renégat, proférait d’odieux blasphêmes. Les exorcismes commencèrent ; la lutte entre l’Église et le démon devint une lutte de corps à corps ; le diable faisait marcher les possédés les jambes en l’air, leur faisait faire des sauts épouvantables et d’affreuses grimaces ; et c’est alors, dit notre Chroniqueur, que furent inventés par imitation, et depuis importés en France, la voltige, le saut du tremplin, et l’air de la Bourbonnaise.

Le renégat avait peu sauté, mais ses contorsions avaient fait l’admiration des fidèles ; ses cris lamentables attirèrent le légat. Monseigneur, lui dit-il, vous qui, comme prêtre, représentez les disciples des apôtres ; comme évêque, les apôtres ; comme légat, le Pape, c’est-à-dire saint Pierre, lequel représentait Jésus-Christ ; Vous qui, par conséquent, êtes maître et disciple ; la pierre sur laquelle l’Église est bâtie, et l’Église qui est bâtie sur cette pierre ; ô vous ! qui liez et déliez sur la terre comme au ciel, liez le diable, qui circule dans la moëlle de mes os ; déliez les articulations de mes membres, et liez, au contraire, sœur Véronique, sœur Perpétue, et la mère abbesse d’Antioche, dont s’est servi l’esprit immonde pour me lier, comme vous voyez. J’ai péché, Monseigneur, et je m’en repens ; mais j’ai fait aussi de bonnes actions : j’ai perfectionné l’art d’élever l’âme à Dieu ; celui de promettre et ne pas tenir ; je médite l’établissement des sapeurs du Christ, moyennant lesquels nous mettrons les peuples sous le joug de la foi et les tyrans[1] dans les monastères. Nous empêcherons de lire, d’écrire, et même de penser, et convertirons par les moyens que vous savez les hérétiques et les philosophes, c’est-à-dire nous établirons le règne de l’Agneau. En récompense de ces grands desseins, Dieu m’a visité par le moyen de la maladie des prophètes, comme il visita jadis le bonhomme Job et le saint roi David. Purifiez-nous, Monseigneur ; ce néophyte par le baptême ; moi, par l’exorcisme, et que la volonté de Dieu soit faite, car il faut en passer par-là.

Chrétiens, répondit le légat, plongez ces possédés dans la piscine. C’était celle où le peuple hébreu se lavait de ses péchés ; une large mare contenant en égale quantité la même eau que du temps de Salomon[2].

Quatre Croisés trempèrent les deux amis ; plus ils criaient, plus on les baignait ; enfin ils se turent. On jugea le diable vaincu. L’Iman fut baptisé, le renégat fut réconcilié, et tous les deux, bénis et perclus, furent jetés sur une charrette, et conduits chez des moines. Les prières des pères et quelques libations de vin de Chypre les remirent sur pied. La nuit arrivée, ils se couchèrent, et voici ce qu’il advint.




  1. C’est-à-dire, les rois qui n’obéissent pas à l’Église.
  2. Le miracle de la Piscine est un des plus communs. Témoin, la Sainte-Ampoule ; témoin, saint Maur ; ce saint fut visité dans une de ses fermes par un archi-diacre d’Angers. L’archi-diacre avait soif, le fermier n’avait point de vin, mais le saint en portait toujours dans un petit vaisseau attaché à la selle de son cheval. In uno parvissimo vasculo quod ad sellam pendere consuevit. Il restait peu de liqueur dans ce petit vase ; mais l’homme de Dieu fit multiplier tellement ce reste, qu’il y en eut assez pour désaltérer soixante-dix-huit personnes. — Historique. (Voyez la vie du saint.)