Le Moine et le Philosophe/Tome 4/II/XXVIII

La bibliothèque libre.



CHAPITRE XXVIII.

L’Ange. — Résurrection de Gabrielle.


Florestan n’avait pas cessé de vivre. Il était depuis quelques heures couché sans mouvement sur le cercueil de Gabrielle, quand il sentit renaître en lui le sentiment presque éteint. Une voix douce et tendre l’appelait. Long-temps il l’entendit sans démêler ni ses discours, ni concevoir pourquoi cette voix retentissait à son oreille ; mais, à mesure que son sang circulait avec moins de lenteur, la pensée renaissait dans sa tête étonnée, la mémoire dans son cœur, et la douleur dans tout son être ; enfin ces mots, ces mots consolateurs, Florestan… Florestan… Gabrielle n’est pas morte, l’éveillèrent tout-à-fait. Il se soulève, et ses regards étonnés virent à la fois Gabrielle dans un cercueil, et l’ange de la fontaine des Rêves penché sur le cercueil, et pleurant sur Gabrielle et sur lui.

Si son réveil lui eût offert seulement le spectacle de son amante dans la tombe, il eût achevé le dessein retardé par son prompt évanouissement, il eût répandu son sang sur le corps de sa bien-aimée ; ou, baissant la pierre des tombeaux, il se fût fermé toute issue, et eût attendu la mort sur le cadavre de son amante. Mais la présence de cet être arrivant toujours au moment du désespoir pour lui rendre la vie, pour le secourir ou le consoler ; ces paroles, dont la toute-puissance avait ranimé son âme, Gabrielle n’est pas morte, lui montrèrent le ciel ouvert à ses pleurs, et forcèrent la parque de renouer les fils trop tôt déchirés d’une si belle vie. Sans oser regarder l’ange de la fontaine des Rêves, car il ne doutait plus de sa divinité, il s’agenouilla, et lui dit :

« Ministre de la clémence divine, tu ne m’aurais point rendu le jour si Gabrielle ne devait le voir encore ; ta pitié serait trop barbare. Ranime cette merveille du monde, ou laisse-moi mourir !… »

L’ange interrogeait d’une main le cœur de Gabrielle, de l’autre répandait sur elle des eaux salutaires ; Florestan, agenouillé, frappait de son front la terre des tombeaux ; et le chien fidèle, ayant saisi les vêtemens de sa maîtresse, s’efforçait de la tirer du cercueil.

Le silence de l’ange épouvantait Florestan ; enfin il s’écrie : elle est sauvée ! Florestan se lève, et la voit palpiter ; il lui faut maintenant, reprit l’ange, l’air pur du ciel ; reste auprès d’elle, je vais t’envoyer du secours.

Il sortit ; Florestan, resté seul, la voyait s’animer peu à peu ; mais craignant la tardive influence de cet air du ciel, où sa vie était attachée, il voulut la sortir lui-même des tombeaux. Hélas ! il n’avait qu’un bras ! Effrayé de sa faiblesse, il se livrait au désespoir, une sueur froide baignait tous ses membres, il n’osait quitter son amie pour hâter les secours promis ; il tremblait de la trouver expirée à son retour, il tremblait de la voir expirer si elle restait plus long-temps sous ces voûtes horribles, il courait à l’entrée des souterrains, et jetait des cris de détresse ; il revenait près d’elle, et tout en cherchant à faire passer dans son cœur la chaleur de sa main, il poussait de nouveau de lamentables cris. Hélas ! ses cris s’arrêtaient autour du cercueil. Il n’y a point d’écho dans les tombes ; la mort ne redit rien.

Cependant l’ange des rêves exécutait sa promesse. Quand Florestan avait perdu tout espoir, sa peine allait finir. Des habitans du bourg arrivèrent. Ils la portèrent dans la maison la plus voisine. Tout s’éveilla, on alluma des feux dans les rues, dans les champs, sur les monts, l’expression de la joie fut sans bornes, comme la joie elle-même. Florestan, après tant de malheurs, se crut le plus heureux des mortels ; il l’était. Sa présence rendait la vie à sa bien-aimée ; elle sortait des tombeaux à sa voix, et tout un peuple, en apprenant son retour, apprenait les merveilles de sa présence, l’héroïsme de sa tendresse, et voyait, en le regardant, celui qui restituait une mère aux orphelins, une protectrice au malheur.

Une heureuse crise s’était opérée ; l’imagination de Gabrielle avait été plus malade que son corps ; quelques heures devaient lui rendre la santé, si cette profonde léthargie avait apaisé sa pensée ; le médecin l’espérait ; il ordonna des alimens succulens, défendit de lui parler de Florestan avant le retour de ses forces, et de le laisser approcher avant de l’avoir prévenue de son retour.

Il avait bien conjecturé : Gabrielle s’éveilla comme d’un long sommeil ; son sang et son imagination étaient calmes ; ses forces revinrent ; et comme elle était habillée, rien autour d’elle ne pouvait lui rappeler son séjour dans la tombe ; un subit évanouissement, lui dit-on, a obligé votre vassal à vous prodiguer ses secours, à vous recevoir chez lui ; j’ai fait, répondit-elle, j’ai fait un rêve pénible ; si j’ai parlé, j’ai dû dire bien des extravagances ; j’ai été au sabbat, j’ai vu le Démon ; il m’a parlé ; il me semble même que j’en suis morte ; heureusement il n’en est rien, et je pourrai peut-être voir Florestan, car j’ai quelqu’idée d’avoir entendu sa voix : c’est dans mon rêve sans doute ; mais les songes s’expliquent quelquefois, et je veux croire à celui-là, parce qu’il me console.

En revenant à la vie, elle retrouva donc sa raison, sans avoir rien perdu de son amour ; et le soleil, à son retour, retrouva presque brillante déjà de santé celle que ses derniers rayons avaient accompagnée jusqu’à la porte des tombeaux. Ses compagnes étaient accourues auprès d’elle ; elle était debout au milieu de leur troupe ravie, et parlait déjà de s’en retourner à pied dans son château.

Cependant Florestan avait passé la nuit en prières sur l’escalier du vassal. Il demandait ardemment à cet ange de miséricorde, son protecteur et son appui, la guérison de sa bien-aimée ; il offrait à son Dieu les restes de sa vie, pour un seul jour à passer auprès de Gabrielle sauvée ; son œil solitaire, plein de larmes, sa bouche défigurée, son bras malade, tout le spectacle de sa misère qu’il étalait avec une espèce d’ostentation devant son Dieu, semblaient lui reprocher la rigueur de sa destinée, indigne récompense d’une vie toute employée à le servir, et lui dire tout ce qu’il devait faire pour celui qui avait tout fait pour lui. Que Gabrielle vive, que je meure pour elle, et mon Dieu m’aura comblé de ses faveurs !…

Quelle fut sa joie quand il entendit son nom sortir de la bouche de son amie ! Son oreille ne perdait pas un seul mot consolateur, son cœur battait de joie, sa pensée n’était plus qu’amour et délices d’amour ; il se voyait encore dans les bosquets de Lansac avec Gabrielle toujours amante. Gabrielle était toujours Gabrielle, et Florestan était le Florestan d’autrefois.