Le Mort/IV
IV
ette nuit-là, il plut jusqu’au
matin. La flaque s’étendit,
monta, et les voisins durent
passer par dessus le talus, à travers
la prairie. Il y eut des plaintes.
Quelqu’un parla même du garde-champêtre.
Balt déclara qu’il voudrait
bien voir qu’on lui cherchât
misère ; Bast, moins hardi, essayait de prouver que les eaux provenaient
des champs en contre-haut.
Mais la nuit venue, ils prirent des bêches, jetèrent sur la flaque une charretée de terre, et par-dessus la terre étendirent un lit de feuilles. Malheureusement il plut tout le jour suivant, puis encore le jour d’après, et il fallut recommencer chaque nuit la besogne.
Des peurs les talonnaient. Par moments, ils jetaient les bêches, craignant qu’on ne les trouvât trop empressés à satisfaire les voisins, puis ils les reprenaient, craignant bien plus que les plaintes n’allassent leur cours.
Un matin, ils se mirent violemment à hausser le chemin ; et à ceux qui venaient, ils répondaient qu’ils ne voulaient pas faire les malins, que si tout le monde se sacrifiait un peu comme eux, le village s’en porterait mieux.
Ils étaient hâves, éreintés, pareils à des loups d’hiver ; et leur taciturnité avait augmenté. Constamment ils redoutaient de dire une parole qui pût se tourner contre eux : mais leurs oreilles étaient ouvertes aux moindres rumeurs traînant dans l’air. Ils veillaient les nuits, n’osaient plus dormir. Balt s’était réveillé une fois en sursaut, croyant que l’autre était sorti de la mare et lui passait les mains autour du cou. Bast, la veille avait rêvé à haute voix, râlé, crié ; quelqu’un n’aurait eu qu’à l’entendre. Et ils se forçaient à demeurer éveillés sur leurs chaises, cédant par moment à leur éreintement et tout à coup réveillés par le fléchissement brusque de leur corps.
Ils avaient mis un double verrou
à la porte, et la nuit, un énorme
couteau triangulaire, fraîchement effilé, était ouvert sur la table. Ils
étaient remplis de terreurs vagues.