Le Mort/XIX
XIX
ette année-là, une maladie
de la pomme de terre, qui
leur enleva la récolte d’un
champ, et des pluies firent manquer
les regains. Un chien enragé
mordit deux de leurs vaches et il
fallut les abattre. Enfin, les porcs
engraissèrent mal et s’entonnèrent.
Ce fut une calamité.
Bast accusait en lui-même le mort. Peut-être était-il vexé qu’ils l’eussent laissé sans messes, et il redoublait de prières et de pratiques pieuses pour l’apaiser.
Un dimanche matin, après messe, il s’enferma dans la grange qu’ils avaient bâtie sur le cadavre, et Balt l’entendit parler à Hein, sur le ton de la supplication, avec force soupirs et oremus.
— Brave Hein ! J’suis pour rien dans l’affaire ; c’est pas moi qui a fait le coup. Si j’t’ai un tantinet mis la main au collet, c’est pas par envie de t’faire du mal. Ah bien non ! J’aurais pas seulement fait tort à un de tes cheveux. J’suis un homme doux et dans le malheur. J’ferais pas de la peine à une mouche. C’est lui qu’a tout fait. Mais v’là, faut bien vivre à deux. On est comme qui dirait mari et femme. Et alors, quand tu te revenges, ça nous tombe dessus, à moi comme à lui. Bien ! vrai, j’te le demande, c’est-il juste ? Faut-il que j’paie pour un autre, quand j’ai pas plus à me reprocher que le petit qui vient de venir à sa mère ? Reprends ton argent : j’aime encore mieux vivre sans qu’avec.
En ce moment, Balt se mit à contrefaire sa voix, et Bast l’entendit répéter avec un ricanement ses dernières paroles.
Il eut peur d’être battu et s’arcbouta
contre la porte, le dos en boule,
écoutant de toutes ses oreilles si
Balt n’entrait pas.