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Le Musicien de province/10

La bibliothèque libre.
Librairie de France (p. 94-95).

X


Le fiacre s’arrêta à la porte du théâtre. M. Grillé monta avec peine l’escalier puant.

Lorsqu’il revit les mansardes où le jour pénétrait mal, lorsqu’il reprit contact avec la misère, son désespoir s’accrut. Il essaya de sourire aux siens, il fit un effort pour se persuader que la musique lui viendrait en aide pour oublier son malheur. Mais, ce fut en vain.

Il arrivait d’une contrée fortunée ; son réveil était trop brusque dans le taudis dont il avait, sans s’en apercevoir, perdu l’habitude. Toute la dérision de ses souvenirs éparpillés lui sauta aux yeux dans sa réalité triste.

L’orchestre de grenouilles lui fit l’effet d’une chose hideuse et repoussante.

Quand il regarda Beethoven, il se dit que ce grand poète avait beaucoup souffert, mais qu’il avait eu la consolation de savoir qu’il était Beethoven… « Tandis que moi, pensait le pauvre homme, je ne suis rien,… je n’ai pas assez appris… et je n’ai pu créer comme lui… Ah ! il faudrait pouvoir recommencer sa vie !… »

M. Grillé remercia ses amis de ce qu’ils l’avaient accompagné jusque chez lui et s’excusa de sa sortie de Rûlami.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il mourut peu de jours après.

À ses obsèques, il y eut en tout six personnes : Bergeat, Celine, la famille et l’abbé Renard qui, très âgé, vint pourtant opposer à la pauvreté du décor funèbre l’éclat de ses rubans dorés.

Cela fut goûté d’Octave Celine, comme une magnifique antithèse, car Celine était romantique et lorsqu’il me raconta la chose un an plus tard, il ajouta : « C’était très beau ! »