Le Mystère
LE MYSTÈRE
Ô nuit, ô belle nuit, pâle comme sa chair :
— Je rêve au passé mort, je rêve au passé clair…
Je revois ta chair pâle, et rêve aux heures mortes,
Où notre joie, où notre extase étaient si fortes !
Le rossignol des nuits d’alors ne chante plus :
Je songe à tes grands yeux qui m’étaient apparus ;
Et je songe à ta voix angéliquement tendre,
Que jamais, oh ! jamais je ne dois plus entendre,
Aux baisers de ta voix si mortellement doux,
Aux délices des soirs, mon front sur tes genoux !…
Et je pense à la mort, et je pense à la tombe
Qui fut scellée un jour sur la blanche colombe ;
Et je cherche où s’en vont ceux qui s’en sont allés,
Les regards, les soupirs, les parfums envolés.
Je réclame ton âme invisible à l’espace :
Ton âme est-elle errante en ce souffle qui passe ?
Et je porte à ma bouche et je baise une fleur,
Où je sens ton haleine et revois ta pâleur.
Ton âme revit-elle en ce frisson d’étoile ?…
Morts, pourquoi le mystère horrible qui vous voile
Ô nos morts bien-aimés, où disparaissez-vous ?
Serions-nous vos tombeaux ? N’êtes-vous plus qu’en nous ?
Serais-tu tout entière, hélas ! ensevelie
Dans ce cœur d’un amant qui, vieillissant, t’oublie ?
— Nuit chaude, ô nuit aimante, et pleine de soupirs,
Je songe à ce néant de tous nos grands désirs !