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Le Mystère de Valradour/Chapitre XXIII

La bibliothèque libre.
Maison de la Bonne presse (p. 65-66).

XXIII

DANS LE SOUTERRAIN


René plaça la lumière sur une saillie de la roche, les plaques disséminées un peu partout brillaient ; à la voûte, de courtes stalactites étincelaient. Maria-Pia dit en souriant :

— Je n’avais jamais vu ma prison si belle !

Le sable était sec et doux ; au fond, la source chantait en tombant dans le bassin.

— Vois, dis Maria-Pia, je m'étais creusé une baignoire, regarde mes outils.

Avec la même matière première — mes vieilles boîtes de conserves — j’ai construit une pelle, une pioche ; je ne me serais jamais cru de telles capacités !

Povera Mamma !

— Le travail était ma joie unique. Je n aurais jamais pu supporter douze ans de solitude sans lui. Je n’avais ni fil ni aiguilles, mais avec mes cheveux et une petite lamelle de fer, j’ai brodé toute une inscription sur la petite chemise que tu avais à ton départ, mon chéri.

— Mais je n’ai jamais vu cela !

— Celle qui t’élevait ne voulait pas sans doute t’impressionner en tristesse ; le croyant son vrai fils, tu n’avais aucune arrière-pensée vis-à-vis d’elle. Savoir eût créé en toi des réticences pénibles, qui sait... moins de tendresse confiante, peut-être.

— Mais quand tu as entendu mon plongeon, tu m’as cru noyé ?...

— J’ai tremblé longtemps, j’ai sangloté ; puis il est venu en moi comme des flèches de confiance, j’ai écoulé la voix intérieure. Si tu savais comme la voix intérieure parle aux solitaires. Je m’étais fait un règlement de vie. Je m’imposais chaque jour deux heures de marche ; tiens, j’ai poli ce chemin avec mes pas. Ce souterrain est très long, il finit en s’abaissant, la voûte s’achève en touchant le sol et de grosses racines d’arbres ont percé les parois. J’en avais coupé beaucoup, longtemps j’ai essayé de produire des étincelles avec le fer et le caillou, pour obtenir du feu ; je n’ai jamais pu y arriver.

— Mais tu avais très froid les hivers ?

— Pas tellement, je me faisais des costumes en papier... Mes éternelles boites de conserves étaient toutes enveloppées, je joignais ces feuilles avec des attaches de plomb ; mais le mieux, ce sont mes dessins.

— Tu dessinais ?

— Oui, mes yeux avaient acquis, je pense, une peu des qualités de ceux du chat, je traçais toujours le même modèle : ton portrait, mon fils. Avec Je plomb des soudures des boîtes, je fabriquais des crayons, jo me servais du procédé des pointillistes. Ah ! il y a bien des centaines de dessin. Examine-les : Pio à deux ans... Pio à deux ans et demi... Pio à trois ans...- ainsi de suite. Et le dernier : Pio à quatorze ans ! N’est-il pas tel que tu es ! Ah ! un cœur de mère est un miroir où se réfléchit l’image de son enfant !

Le garçon, malgré les larmes d’émotion qui obstruaient ses yeux, constatait, avec un véritable effarement, que son portrait était absolument frappant de ressemblance. Sur le papier gris soigneusement lissé, grâce au pauvre crayon de fortune, sa mère avait réalisé ce miracle d’anour de reproduire sonfils tel qu’il était en regardant dans sa pensée.

— Oh ! maman, quel trésor que ces feuilles ; comme je vais les conserver pieusement ! Et moi, moi, ingrat, qui ne songeais jamais à toi !

— Le pouvais-tu ? ton ignorance était bien involontaire.

— J’aurais dû rêver... Mais ce qui est merveilleux, c’est mon arrivée ici, mon départ, mon élan, et qu’au lieu d’hésiter devant l’extraordinaire épopée, j’aie marché sans même savoir... pourquoi ce but fantastique m’intéressait si passionnément !

— Ma pensée t’attirait. Sans cesse dirigée sur toi, elle constituait un ! véritable aimant. Et mes prières constantes — je puis dire que je n’étais pas une heure sans élever mon âme vers Dieu — ne pouvaient demeurer vaines.

René regardait la fente du rocher par où il avait pu passer au dehors, il y entrait son bras, un peu son genou... Il jeta une pierre et ils entendirent « floc » dans l’eau.

La mère et le fils s’étreignirent, cœur contre cœur ; une grande oraison d’amour reconnaissant montait de leur âme.

L’Italienne se ressaisit :

— Assez d’attendrissement, il ne faut pas ainsi s’amollir. Viens voir maintenant le trésor des proscrits. Un trésor ! chose dérisoire pour la recluse que j’étais. A présent, peut-être nous sera-t-il utile. Je ne me doute pas le moins du monde de l’état de ma fortune, et nous aurons à vivre.

— Oui, j’aimerais à rendre à mon oncle les cent cinquante francs dont il s’est privé pour moi, je les ai intacts, puisque j’ai été véhiculé , logé et nourri par les ennemis. D’où vient ce trésor ?

— Je pense qu’il doit venir du temps de la Révolution, à l’époque où des émigrés s’étaient cachés là. Les pièces les plus récentes sont à l’effigie de Louis XVI, elles étaient dans des sacs qui ont pourri, elles sont maintenant à meme la terre, je crois qu’il y a beaucoup de louis et d'écus.

— Ne serait-ce pas plutôt mon arrière-grand-père qui aurait enfoui là sa fortune ?

— C’est possible. Je l’aimerais mieux.

D’en haut, un bruit de voix effarées, haletantes, venaient jusqu’en les profondeurs de la cave.

— Nos serviteurs nous cherchent, maman, remontons. Ils trouvent sans doute étrange que nous nous plaisions ici... encore.

— Madame ! Madame ! gémissait Albert, du haut de l’cscalicr, v’là les Boches !