Le Pèlerin passionné (trad. Hugo)/« Bonne nuit et bon repos ! Ah ! souhait stérile ! »
Œuvres complètes de Shakespeare, Texte établi par François-Victor Hugo, Pagnerre, , XV : Sonnets – Poëmes – Testament (p. 308-309).
Divine comme tu l’es, oh ! tu es sans pitié pour l’insolent qui chante les louanges du ciel dans une langue si terrestre !
X
La beauté n’est qu’un bien futile et douteux ; c’est un lustre brillant qui se ternit soudain ; une fleur qui meurt, dès qu’elle commence à éclore ; un verre éclatant qui sur-le-champ se brise :
Bien perdu, lustre terni, verre brisé, fleur morte en une heure !
Et, comme un bien perdu est rarement retrouvé, pour ne pas dire jamais, comme aucun frottement ne peut rafraîchir le lustre terni, comme la fleur morte tombe fanée à terre, comme aucun ciment ne peut réparer le verre brisé,
La beauté, une fois flétrie, est à jamais perdue, en dépit des remèdes, du fard, des peines et des dépenses.
XI
« Bonne nuit et bon repos ! » Ah ! souhait stérile ! elle m’a dit : bonne nuit, celle qui trouble mon repos, et elle m’a rejeté dans une chambrette tendue de souci, pour y réfléchir sur les causes de mon accablement.
« Porte-toi bien, a-t-elle ajouté, et reviens demain. » Me bien porter ! je ne le puis, car je soupe en compagnie de la tristesse.
Pourtant elle a souri doucement en me quittant ; était-ce un sourire de dédain ou de sympathie ? je ne saurais le dire. Il se peut qu’elle se réjouît ironiquement de mon exil ; il se peut aussi qu’elle se réjouît de me faire bientôt revenir auprès d’elle.
Revenir ! Un mot bien fait pour un fantôme comme moi qui prend la peine sans savoir en tirer le salaire.
XII
Seigneur ! quels regards mes yeux jettent vers l’orient ! Mon cœur me tient en éveil ; le lever du jour arrache au repos toutes mes facultés sensibles. N’osant me fier au rapport de mes yeux,
Tant que Philomèle veille et chante, je veille et j’écoute, en souhaitant qu’elle chante les mêmes airs que l’alouette.
Car l’alouette salue l’aube de son roucoulement et chasse la sombre nuit et ses rêves terribles. La nuit une fois dissipée, je vole près de ma belle ; mon cœur obtient son désir ; mon regard, la vue souhaitée.
Le chagrin se change en joie, joie mélangée de chagrin ; car ma belle a soupiré en me disant de revenir demain.
Si j’étais avec elle, la nuit s’écoulerait trop vite, mais maintenant les minutes ont la longueur des heures ; maintenant, pour me dépiter, chaque minute semble une lune ; ah ! que le soleil luise sinon pour moi, du moins pour vivifier les fleurs !
Envole-toi, nuit, brille, jour ! Bon jour, empiète sur la nuit ; et toi, nuit, abrège-toi cette nuit pour t’allonger demain.