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Le Pèlerin passionné (trad. Hugo)/« Quand tu as choisi des yeux ta belle »

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Le Pèlerin passionné (trad. Hugo)

XVI

Quand tu as choisi des yeux ta belle et ajusté la chère proie que tu veux frapper, que la raison gouverne ta conduite pécheresse selon la convenance de ta partiale passion ; prends conseil de quelque tête plus sage, qui ne soit pas trop jeune et qui connaisse l’amour.

Et quand tu feras à ta belle ta déclaration, ne polis pas ton langage par une parole trop raffinée, de peur qu’elle ne flaire quelque malice subtile : quand on est paralysé, on a bien vite fait un faux pas ! Mais dis-lui franchement que tu l’aimes, et offre-lui ta personne.

Ouvre-toi tous les accès à son amour ; débourse largement, et surtout, si quelque service peut mériter sa louange, fais-le bien résonner à l’oreille de ta belle. La citadelle, la tour, la ville la plus forte sont abattues par le boulet d’or.

Sers-la toujours avec une immuable assurance, et sois dans ta requête humblement franc ; à moins que ta dame ne soit ingrate, ne te presse pas d’en prendre une autre ; quand l’occasion sera favorable, va vite de l’avant, lors même qu’elle te repousserait.

Qu’importe qu’elle te montre un front irrité ! Son visage nébuleux s’éclaircira avant la nuit, et alors elle se repentira trop tard d’avoir ainsi dissimulé sa joie ; et elle désirera deux fois, avant qu’il soit jour, ce qu’elle aura refusé avec tant de dédain.

Qu’importe qu’elle résiste de tout son pouvoir, qu’elle maugrée et se récrie et te dise : Non ! Ses faibles forces l’abandonneront enfin, au moment où ton art l’aura réduite à dire : « Si les femmes étaient aussi fortes que les hommes, ma foi, vous n’auriez pas réussi. »

Les ruses et les artifices auxquels ont recours les femmes, en se dissimulant sous des dehors trompeurs, ces malices et ces enfantillages qui sont chez elles autant de piéges, le galant qui marche dessus ne les connaîtra pas. N’as-tu pas maintes fois ouï dire que le nenni d’une femme équivaut à néant ?

Songe que les femmes aiment avoir affaire aux hommes, et non à vivre ainsi comme des saintes ; il n’y a de ciel pour elles et elles ne se convertissent que quand l’âge les y condamne. Si de froids baisers étaient toutes les jouissances du lit, une femme se contenterait d’en épouser une autre.

Mais doucement ; c’est assez, c’est même trop, j’en ai peur. Car si ma belle entend ma chanson, elle n’hésitera pas à me tirer l’oreille, pour m’apprendre à avoir la langue si longue. Pourtant elle rougira, avouons-le, mais c’est d’entendre ainsi révéler ses secrets.