Le Père De Smet/Chapitre 26

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H. Dessain (p. 519-545).


CHAPITRE XXVI

DERNIER VOYAGE DU P. DE SMET EN EUROPE.
SA RETRAITE À SAINT-LOUIS.
SES VERTUS RELIGIEUSES. — SA MORT


1872-1873


Le 1er juillet 1871, le P. De Smet s’embarquait à New-York. Il allait, pour la dernière fois, revoir la Belgique, et chercher, pour ses missions, des hommes et de l’argent. Il consacra le reste de l’année à parcourir la Hollande, le Luxembourg, le nord de la France, l’Angleterre et l’Irlande. Jamais il n’avait déployé plus de zèle, ni obtenu plus de succès.

— Quels sont, lui demandait-on, les principaux obstacles à l’évangélisation des sauvages ?

— Il n’y en a qu’un, répondait-il : le manque de prêtres. S’il y avait assez de prêtres pour les instruire, tous les Indiens deviendraient catholiques.

Gagnés par l’espoir d’une riche moisson d’âmes, de nouveaux apôtres se présentèrent. Neuf furent admis à suivre en Amérique l’éminent missionnaire[1]. À Bruxelles, à Anvers, à Gand, à Tournai, à Bruges, de généreuses bienfaitrices offrirent pour les églises quantité d’ornements et de vases sacrés.

Au mois de janvier, le P. De Smet fut contraint d’interrompre ses courses. Il dut même renoncer aux causeries que, d’ordinaire, il faisait si volontiers à la jeunesse des collèges.

« Je me sens si faible, écrivait-il, qu’une conversation tant soit peu suivie me fatigue. Le médecin m’ordonne surtout le calme, et m’interdit toute préoccupation au sujet des missions »[2].

Le 12 février, se trouvant au collège de Bruxelles, il fut pris tout à coup de violentes douleurs néphrétiques, accompagnées de fréquentes hémorragies. Une saignée fut jugée nécessaire. L’opération répugnait fort au malade ; il ne s’y résigna que par soumission à la règle de saint Ignace, qui ordonne d’obéir au médecin. Après quelques jours, il se sentit mieux. Toutefois les forces tardaient à revenir. Le docteur Cranincx, son ancien condisciple de Malines, ne dissimulait pas ses appréhensions.

Depuis deux ou trois ans, craignant de ne pouvoir continuer ses missions, le P. De Smet avait songé à se fixer en Belgique, et à y fonder une sorte d’école apostolique. Nous en avons la preuve dans les lignes suivantes, écrites par son beau-frère, M.  Ch. Van Mossevelde :

« Pendant que le Père se trouvait à Termonde, nous nous rendîmes souvent à ma campagne de Saint-Gilles, et là, dans le jardin, nous choisîmes un endroit où nous ferions bâtir une chapelle, avec un établissement où il se proposait, disait-il, avec la permission de ses supérieurs, d’ouvrir un noviciat pour les missions américaines de la Compagnie. Cet établissement serait élevé à mes frais.

» Quelque malade et exténué qu’il fût déjà lors de son dernier voyage, il ne put se décider à rester. Toujours confiant en Dieu, il espérait pouvoir encore recouvrer assez de forces pour retourner vers ses chères tribus.

— Ah ! disait-il, — et cela lui échappait par excès de dévouement pour ses missions, car il nous aimait trop pour nous ôter l’espoir de le posséder dans ses vieux jours — si je dois bientôt quitter la terre, j’espère que Dieu me laissera mourir au milieu de mes Indiens ».[3]

En novembre 1872, le P. Boeteman ouvrait à Turnhout, à côté de l’ancien collège de M.  De Nef, une école apostolique qui, depuis quarante ans, n’a cessé de prospérer. Loin d’en être jaloux, le P. De Smet encouragea l’œuvre naissante ; il lui suscita des bienfaiteurs,[4] et lui envoya des jeunes gens pleins d’espérances. Depuis neuf mois déjà, le missionnaire était en Europe ; il lui tardait de retourner vers ses néophytes. Ses amis s’efforçaient de l’en dissuader : le mal dont il souffrait ne devait point guérir ; désormais, il ne ferait que languir, si toutefois il résistait aux fatigues de la traversée. Tout, du côté de la nature, lui disait : Restez !… Mais, plus haut que les voix de la nature, celle du zèle et de la charité lui répétait : Partez ! Peut-être pourrez-vous, sur la terre lointaine, rendre encore quelques services. Partez ! Rapprochez-vous de vos Indiens bien-aimés ; portez-leur, une fois de plus, le fruit de vos labeurs, votre dernière parole, au moins votre dernier soupir !

Et le vieillard partit, s’arrachant aux étreintes des siens. Le 7 avril 1872, il s’embarquait à Anvers, avec ses neuf compagnons ; dix-huit jours plus tard, il arrivait à Saint-Louis ; il n’en devait plus sortir.

Le 10 octobre 1871, avait eu lieu à l’université une émouvante solennité. Les PP. Van Assche et Verreydt célébraient le cinquantième anniversaire de leur entrée au noviciat de Whitemarsh. Ils étaient, avec le P. De Smet, les derniers survivants des compagnons de M.  Nerinckx.[5] De tous les points du Missouri, les Jésuites s’étaient réunis pour fêter les pionniers de l’Évangile qui, avec le P. Van Quickenborne, avaient jadis établi, sur la colline de Florissant, le berceau de la province.

Retenu alors en Europe, le P. De Smet n’avait pu s’associer que de loin à cette joyeuse réunion. Il en fut, en partie, dédommagé par les témoignages de sympathie qui lui arrivèrent de toutes parts. Pour traduire leur reconnaissance, les missionnaires promirent de célébrer plusieurs fois pour lui la sainte messe ; les enfants de la mission Saint-Ignace envoyèrent à Saint-Louis une liste de communions, de prières et de chapelets, offerts pour « leur bon Père », à l’occasion de son jubilé. Depuis neuf ans, le P. De Smet n’avait pas revu les Montagnes-Rocheuses. Un jour, les Cœurs-d’Alêne vont trouver le P. Cataldo.

— Nous voudrions, disent-ils, inviter la Grande Robe-Noire à venir encore une fois nous visiter.

— Le P. De Smet est fort avancé en âge, répond le missionnaire ; il lui serait difficile de franchir pareille distance.

— Soit ! au moins sera-t-il heureux d’apprendre que les Cœurs-d’Alène lui gardent un affectueux et reconnaissant souvenir.[6]

De la part des Têtes-Plates et des Kalispels, mêmes protestations d’attachement, mêmes instances pour obtenir une dernière visite.

« Volontiers, répond le Père, j’entreprendrais le voyage si ma santé le permettait. C’est ce que je pourrai décider au printemps. Toutefois, je dois ajouter que le docteur me donne très peu d’espoir, et déclare que je suis un oiseau pour le chat ».

Faisant alors allusion aux injustices que viennent de subir les Têtes-Plates[7] : « Je prends part à leurs souffrances, dit-il au P. Giorda. Chaque jour, je prie pour leur bonheur et leur persévérance dans la foi. Je demande les mêmes grâces pour les Pends-d’Oreilles, les Cœurs-d’Alène, les Kootenais, etc. J’ai la ferme confiance que leurs bons Pères ne les abandonneront pas ».[8]

Désormais condamné à la retraite, le P. De Smet veut du moins, par la plume, continuer à servir les missions. Il envoie aux revues catholiques d’Amérique et d’Angleterre d’intéressantes relations ; il fait publier en Belgique une nouvelle édition de ses Lettres,[9] auxquelles il joint quelques notices sur les principaux missionnaires du Missouri : « Je voudrais, autant que possible, sauver de l’oubli leur mémoire, et donner à leurs familles une consolation ».[10]

Pour l’édification de ses confrères, il entreprend l’histoire des origines de la province. La mort l’arrêtera presque au début de son travail ; mais on ne peut, sans émotion, parcourir les feuillets jaunis auxquels le vieux missionnaire a confié le récit de son premier voyage et les souvenirs de son noviciat.

Pendant son séjour à Saint-Louis, ses confrères purent apprécier le charme de son commerce, et la trempe de sa vertu. Leur témoignage nous permettra de fixer les derniers traits de cette originale et noble figure.

En communauté, le missionnaire était de relations faciles. Les années avaient rendu plus indulgente encore sa naturelle bonté. Loin de prétendre à des égards, il prenait volontiers la dernière place, et permettait aux plus jeunes de le plaisanter.[11]

Sa compagnie était fort recherchée des étrangers. Le prestige de son nom et de ses travaux, la dignité et la simplicité de ses manières, sa bonne humeur, son talent de conversation, lui ouvraient tous les cercles. On l’écoutait pendant des heures, moins encore par déférence pour sa personne que pour le charme de ses récits.[12]

« J’ose affirmer, écrit un Père de Saint-Louis, qu’il n’y avait pas, dans tous les États-Unis, un prêtre, ni même un évêque, qui fût aussi connu et aussi estimé que le P. De Smet. Il faisait la gloire de l’université ; il était, peut-on dire, l’idole des Américains. J’ai connu quelqu’un qui avait fait un long voyage, uniquement pour le plaisir de le voir. Un autre me disait qu’il donnerait tout pour l’entendre prêcher ».[13]

Le P. De Smet ne prêchait guère ; mais toujours il devenait éloquent lorsque, dans la conversation, il flétrissait les injustices commises à l’égard des Indiens.

Quelqu’un lui disait un jour :

— Comment se peut-il que vous vous plaisiez au milieu de ces affreux sauvages ?

— Affreux sauvages ! reprit-il vivement ; mais vous ne savez pas ce que vous dites ; vous ne connaissez pas ces gens simples et bons. J’ai rencontré plus de sauvages dans les grandes villes d’Amérique et d’Europe que dans les plaines et les déserts de l’Ouest…

» Quoi d’étonnant, ajoutait-il, si les Indiens estiment médiocrement les bienfaits de notre civilisation ? Ils en jugent d’après les vices que les Blancs étalent sous leurs yeux. Et quel moyen ont-ils d’apprécier la conduite des agents américains, sinon le souvenir d’avoir été souvent volés par eux[14] ?

Cette franchise de langage ne blessait personne. Protestants et catholiques, officiers et hommes d’État, professaient pour le missionnaire une singulière estime.

Parmi ceux qui lui témoignèrent le plus d’amitié, il faut citer le docteur Linton, presbytérien converti, qui fut trente ans professeur à l’université de Saint-Louis. C’était un homme d’un remarquable talent, à la fois médecin, orateur et poète. Il avait voué à la Compagnie de Jésus un véritable culte.[15] Nous lui devons un des plus précieux souvenirs du P. De Smet, le Linton Album. C’est un volume richement relié, orné de photographies et de dessins, où le missionnaire a écrit, année par année, son itinéraire.[16]

Au retour de chaque voyage, celui-ci trouvait ouvert sur sa table le livre de son ami. Alors il prenait la plume, et, de sa nette et ferme écriture, ajoutait une page au récit de ses expéditions. Peut-être éprouvait-il quelque complaisance à faire la somme des milles parcourus. De 1821 à 1872, la distance s’élève à environ 87 000 lieues, soit près de neuf fois le tour du globe.[17] Bien des voyageurs ont, à moins de frais, acquis la célébrité.

Grâce à ses hautes relations, le P. De Smet eût pu servir des ambitions personnelles. Jamais il n’usa de son crédit qu’en faveur des Indiens ; jamais il ne sacrifia à sa popularité ni l’intérêt des âmes, ni ses devoirs de prêtre. Tel était son renom d’intégrité, que les pires ennemis de l’Église et de la Compagnie se voyaient contraints de répéter : « Que n’est-il des nôtres ! »[18]

Toujours l’esprit de foi avait inspiré sa conduite. De là le courage avec lequel il affrontait les fatigues de ses prodigieux travaux. Lui-même nous, en avertit dans une lettre qu’il écrivait en 1849, au retour de son premier voyage chez les Sioux :

« À ceux qui ont passé leur vie au milieu des joies de la famille, jouissant de toutes les délicatesses de l’abondance, un voyage à travers le désert peut paraître une triste réalité des misères et des souffrances humaines ; mais celui qui élève sa pensée au-dessus des choses terrestres et passagères, pour considérer le vrai, que tout ce qui l’entoure ne fait que refléter, et songer au salut de tant d’âmes, qui aimeront et serviront leur Créateur quand elles l’auront connu, — celui-là ne peut voir dans les privations du désert, dans les difficultés et les périls qui s’y rencontrent, que de légères incommodités, bien préférables aux douceurs de l’indolence et aux dangers des richesses. Il a médité les paroles du Sauveur : « Le royaume des cieux est le prix de généreux efforts, et c’est la violence qui l’emporte ». Il se rappelle les souffrances et les privations d’un Dieu fait homme qui, « bien qu’il fût sans péché, en porta toute la peine ». Ce fut par les tribulations et les dangers, par le froid et la chaleur, par les épines, le sang et la mort, que le Christ entra dans le royaume de son Père ; c’est par la même voie que doivent le suivre ceux qui veulent se ranger et mourir sous son noble étendard ».[19]

L’esprit de foi explique encore, chez le P. De Smet , cette calme assurance dans l’adversité, qu’ont admirée les témoins de sa vie.

« Ayant vécu quelque temps avec lui, écrit le P. Gazzoli, et l’ayant plus d’une fois accompagné dans de pénibles voyages, par de mauvais temps, de mauvais chemins, et bien d’autres difficultés, ce qui m’a toujours frappé, c’est son égalité d’humeur et son inaltérable gaîté »[20].

Ne refusant rien au Maître qu’il servait, le missionnaire attendait tout de sa providence, et s’y abandonnait avec une simplicité qui rappelle la naïve confiance des saints.

Sincèrement attaché à l’état religieux, il déclarait y avoir trouvé le centuple promis : « Au cours de mes longues pérégrinations à travers le monde, c’est dans les communautés que j’ai rencontré la plus grande somme de bonheur à laquelle l’homme puisse aspirer ici-bas ».[21]

Il n’ignorait pas, d’ailleurs, que pour goûter les avantages de cet état, il en faut accepter les obligations.

« Pour lui, la pauvreté n’était pas un vain mot ; il aimait à la voir mise en pratique. Ceux qui ont vécu avec lui savent que rien ne lui déplaisait plus que la recherche dans le vêtement des prêtres ou des religieux, recherche qui amoindrit la confiance des fidèles, et ne les choque pas moins que la négligence. Il avait grand soin de tout ce qui lui était confié, et, bien qu’il ait dû, plusieurs années, administrer les finances de la province, il ne voulut jamais disposer pour son usage de la plus légère somme, sans en avoir d’abord obtenu la permission ».[22]

Plus remarquable encore était son obéissance. Voici comment s’exprime le P. Coosemans, qui fut pendant neuf ans son supérieur :

« Le P. De Smet estimait et pratiquait l’obéissance au point d’étonner les étrangers, qui ne pouvaient assez admirer, chez un vieillard aux cheveux blancs, cette soumission d’enfant. Jamais il n’eût entrepris un voyage, si court fût-il, sans l’entière approbation de son supérieur. S’agissait-il d’une affaire importante, cette approbation ne lui suffisait plus : il lui fallait l’expression d’un désir. Alors il partait avec confiance, sûr de la protection du ciel, et bravait volontiers les dangers et les fatigues inséparables de pareils voyages.

» En communauté, il se montrait fidèle observateur de la discipline. Assez souvent, des étrangers venaient le trouver pendant la récréation qui suit le souper ; toujours il s’arrangeait de façon à assister aux Litanies.[23] Il arriva même plus d’une fois que, ne pouvant expédier l’affaire, il laissa là son visiteur, le priant de l’excuser jusqu’à ce que les Litanies fussent terminées ».[24]

Une telle vertu trouvait son aliment dans une sincère et tendre piété.

Depuis 1827, le P. De Smet offrait chaque jour, avec une foi vive, le saint sacrifice de la messe. Même au cours de ses longs voyages, il n’avait consenti à s’en priver que fort rarement, et contraint par les circonstances.

Maintes fois déjà, nous avons signalé sa dévotion à la Sainte Vierge. C’est elle qu’il invoquait dans ses dangereuses traversées, « Elle qui, dans la gloire du ciel, garde, comme sur la terre, un cœur de Mère… Elle, la Mère toute-puissante de Celui qui soulève les flots ».[25] Le chapelet qu’il portait à la ceinture, et récitait tous les jours, avait été l’instrument de nombreuses conversions.[26]

À l’exemple du P. Marquette qui, deux siècles auparavant, avait consacré à l’Immaculée Conception la vallée du Mississipi, il voulut donner à la première mission des Montagnes le nom de Sainte-Marie. Il aimait à rattacher aux fêtes de la Vierge les meilleurs souvenirs de sa vie de missionnaire : « Après Celui qui est l’auteur de tout bien, disait-il, grâces soient rendues à Celle que l’Église nous permet d’appeler notre vie, notre douceur et notre espoir, puisqu’il a plu à la divine bonté que les grandes consolations nous vinssent les jours où on l’honore spécialement ».[27]

Tous ceux qui ont connu le P. De Smet savent quelle était sa confiance en saint Antoine de Padoue. Plus d’une fois, le grand thaumaturge l’avait aidé à retrouver des objets qui semblaient perdus sans retour. Lui-même se plaisait à en citer des exemples :

« Vous aurez peut-être appris que j’avais, à bord du Humboldt,[28] une caisse pleine de calices et d’ostensoirs en argent. Depuis cinq mois, je les croyais au fond de la mer. Je fais une neuvaine à saint Antoine. — C’est bien tard, me direz-vous. — Eh bien ! non, ce n’était pas trop tard. Un mois après, la caisse m’est revenue, aussi fraîche que si elle fût sortie du magasin ».[29]

Un dernier trait de sa piété est la touchante dévotion qu’il avait aux âmes du Purgatoire. « Chaque fois, écrit le P. Coosemans, qu’il rentrait d’un long voyage, soit sur l’océan, soit à travers les plaines du Far-West, nous étions sûrs qu’il nous demanderait quelques messes pour ses chères âmes. Toujours, en effet, lorsque survenait une grave difficulté, ou qu’il se trouvait en danger, il appelait à son secours les âmes du Purgatoire. En retour, il leur promettait beaucoup de messes, plus même qu’il n’en pouvait dire personnellement, comptant sur la charité de ses frères, qui toujours l’aidaient volontiers à acquitter sa dette »[30].

L’heure de la récompense approchait pour l’héroïque religieux.

À peine était-il de retour à Saint-Louis que le mal de reins, dont il avait souffert à Bruxelles, l’avait repris avec plus de violence. « Pour ce qui est de ma santé, écrivait-il le 21 juin, la machine est tout à fait détraquée. Depuis environ deux mois, le médecin m’ordonne de me tenir tranquille dans ma chambre. Je dois suivre un régime très sévère et nouveau pour moi. Ma cheminée ressemble à une pharmacie, dont la seule vue m’ôte tout appétit. Je me sens excessivement faible. Toutefois, il me reste un peu d’espoir ; je suis plutôt en convalescence. Que la sainte volonté du Seigneur soit faite »[31] !

Dans cet état, il apprécie plus que jamais l’affection de ses proches. Il les remercie avec effusion d’être allés demander sa guérison à Notre-Dame de Lourdes.

« Votre bonne et chère lettre, dit-il, m’a causé une surprise fort agréable. C’est pour moi un jour de fête lorsque m’arrivent des nouvelles de la famille. Je continuerai d’être très reconnaissant à ceux qui m’écriront et se souviendront de moi. Je prie spécialement pour eux chaque fois que j’ai le bonheur de monter à l’autel. Encouragez-les tous à m’écrire souvent, ne fût-ce que quelques lignes ».[32]

Une de ses nièces lui a envoyé une chasuble « dont le beau travail fait l’admiration de toute la communauté ». « Cher Gustave, écrit-il à son mari, veuillez présenter à Marie mes sincères remerciements. Cette chasuble est un souvenir auquel, avec la permission de mes supérieurs, je tiendrai le reste de mes jours. Je vous promets de m’en servir à toutes les fêtes de la Sainte Vierge, pour offrir le saint sacrifice à l’intention de la pieuse donatrice, pour le bonheur de son digne mari, celui de vos chers enfants, de ses respectables père et mère, et de tous ceux dont il lui plaira d’unir l’intention à la sienne ».[33]

En retour, le Père envoie « des curiosités indiennes ». Il y joint des images pour les enfants, « avec un gros baiser pour les chers petits Paul et Étienne ».[34]

L’année 1872 fut marquée, aux États-Unis, par la campagne électorale qui précéda la réélection de Grant. Le P. De Smet y prit peu d’intérêt.[35] Les progrès du catholicisme l’occupaient tout entier : « À notre arrivée, Saint-Louis ne comptait que 4 000 âmes, et ne possédait qu’une seule église ; aujourd’hui, nous comptons 450 000 âmes et, dimanche prochain, l’évêque bénira la trente-sixième église. Lorsque notre Société s’est établie au Missouri, nous n’étions que douze : deux Pères, sept novices, et trois Frères coadjuteurs ; nous sommes aujourd’hui 275 ; nous possédons trois grands collèges, une douzaine de résidences, avec de florissantes missions ».[36]

C’était pour l’ardent apôtre une douloureuse épreuve de ne pouvoir plus partager le travail de ses confrères.

En 1870 avait eu lieu à Saint-Louis une retraite de huit jours, réunissant une foule immense dans l’église de la Compagnie. Le P. De Smet avait obtenu la faveur de donner, chaque soir, la bénédiction du Très Saint Sacrement. Le dernier jour, il avait célébré la messe, et,

assisté de deux prêtres, distribué plus de deux mille communions. Il pleurait de bonheur.

Quelques mois avant sa mort, on le vit s’attacher à la conversion d’un infidèle sexagénaire. Avec une patiente bonté, il lui enseigna les éléments de la religion. Enfin, le jour de l’Immaculée Conception, il eut la joie de lui conférer le baptême.

Ce devait être son dernier acte d’apostolat. Deux jours plus tard, il écrivait : « J’éprouve une très grande fatigue. Mon œil gauche est totalement paralysé et hors d’usage. Et puis, notre hiver est si rude ! Il surpasse tout ce que nous avons vu depuis ma première arrivée à Saint-Louis. Ce sont des brouillards, des neiges, des froids sans pareils. Vieux et couvert d’infirmités, j’attends avec résignation mon heure dernière, expecto donec veniat immuiatio mea ».[37]

Le malade avait été si bas, qu’on l’avait administré. Néanmoins, la crise passée, il reprit espoir.

Depuis deux ans, les Sioux attendaient qu’il allât chez eux fonder une mission. Au mois d’octobre, une députation de quinze chefs était venue lui rappeler sa promesse.

Le 18 février, il écrivait à l’agent catholique de Grand River : « J’espère que le printemps me rendra, en partie du moins, les forces et la santé. Pourrai-je alors me rendre chez les Indiens ? Je n’oserais, dans l’état où je suis, vous en donner l’assurance… Pour peu que ma santé me le permette, j’ai le désir de tenter le voyage ».

Un mois plus tard, il écrivait encore : « Le bateau du capitaine La Barge doit remonter jusqu’à Benton, et quitter Saint-Louis le 12 avril. On m’a réservé une place. Si je le puis, je serai heureux de partir. Je viens d’avoir une crise très aiguë ; de nouveau, je me trouve convalescent, et j’ai bon espoir ».[38]

Ceux qui entouraient le vieillard ne partageaient pas ses illusions. À peine pouvait-il sortir en voiture. Lui-même devait avouer que, « depuis son retour de Belgique, il avait vieilli de plus de dix ans ».[39]

Bientôt il fallut renoncer à l’espoir de quitter Saint-Louis. L’âme brisée de regrets, le P. De Smet voulut du moins envoyer aux Sioux l’assurance de son souvenir et la promesse de ses prières : « Je partage, disait-il à leur agent, la douleur de mes chers Indiens, qui ont été, cet hiver, cruellement éprouvés par l’épidémie, et ont perdu un grand nombre de leurs enfants. Chaque jour, je demande à Dieu d’avoir pitié d’eux, et de les prendre sous sa protection ».

C’était l’adieu du vieux missionnaire à ceux qu’il avait tant aimés.

Le printemps tardait à venir. En plein mois de mai, c’était une succession de tempêtes, d’orages accompagnés de coups de tonnerre, qui faisaient voler en éclats les vitres des bâtiments universitaires. Toujours un ciel sombre, d’où tombait, presque sans relâche, un déluge de pluie, de grêle ou de neige. Le froid était si pénétrant, qu’en maint endroit des voyageurs avaient péri. Pareille saison n’était guère favorable au malade, « Depuis sept mois, écrivait-il aux siens, je me tiens à côté de ma cheminée, et mon petit feu m’est une agréable compagnie. Comme tout passe en ce bas monde, j’ose espérer un temps plus serein. J’ai résolu d’en profiter, et je vous promets, pour une autre fois, des nouvelles plus rassurantes ».[40]

Ces nouvelles seront, hélas ! les dernières qu’il fera tenir à sa famille. Comme s’il en avait le pressentiment, il se montre plus affectueux que jamais :

« Les sentiments fraternels et dévoués que vous ne cessez de m’exprimer dans vos lettres me touchent profondément, et je vous en ai la plus vive reconnaissance. Parlons clair et à cœur ouvert. Dans l’état où je suis, le grand et beau projet, qui a souvent fait l’objet de nos conversations, continue à me sourire[41] ; mais je crains que ce ne soit un château en Espagne. La raison en est que je ne vaux plus le transport. En attendant, demandons à Dieu que sa sainte volonté s’accomplisse, et rien au delà ».

Faisant ensuite allusion à une strophe que lui a adressée sa sœur Rosalie, alors âgée de soixante-seize ans, il essaie, lui aussi, d’ajuster quelques rimes. Cet innocent badinage montre, du moins, avec quelle sérénité il voit approcher sa fin.

Un dernier acte de charité précipita l’événement.

Le capitaine La Barge, intime ami du P. De Smet, devait lancer sur le Missouri un nouveau steamer, auquel il avait donné le nom du missionnaire. Il invita celui-ci à le bénir. Le malade ne voulut pas refuser cette joie à un homme qui l’avait souvent obligé dans ses visites aux Indiens. La cérémonie eut lieu le 13 mai. Le soir, revenant au collège, le Père se sentit plus mal. Le lendemain, après avoir célébré la messe, il dit à celui qui l’avait assisté :

— C’est fini ; désormais je ne monterai plus à l’autel. La crise était d’une violence inusitée. Il fallut recourir à une douloureuse opération. Elle produisit un certain soulagement ; mais la faiblesse du malade augmentait toujours.

Le 20, il demanda lui-même les derniers sacrements. Il les reçut de nouveau avec une touchante piété et une entière résignation. Dès lors, disent les témoins,[42] il sembla avoir oublié la terre pour ne plus penser qu’à l’éternité.

« Pendant sa vie, il n’avait pas été exempt des craintes de la mort ; au dernier moment, ces craintes s’évanouirent ».[43] S’il cessait de prier, c’était pour parler de la bonté et de l’infinie miséricorde de Dieu. Sa consolation était de penser que des centaines de petits enfants, qu’il avait autrefois baptisés, priaient maintenant pour lui dans le ciel.

« Dans la dernière visite que je lui fis, deux jours avant sa mort, dit Mgr  Ryan, coadjuteur de Saint-Louis, je trouvai le P. De Smet plein de courage et d’espérance. Il me disait :

— Voilà longtemps que je sers le bon Dieu. Bientôt je vais paraître devant lui. J’ai grande confiance dans les prières de ceux vers qui, jadis, il m’a envoyé ; surtout, je compte sur les mérites de Jésus-Christ, pauvre pécheur que je suis, et je veux croire qu’à l’heure de mon agonie, le Seigneur aura pitié de moi ».[44]

La nuit du 22 au 23, on comprit que la fin était imminente. On donna au malade une dernière absolution, avec l’indulgence plénière in articulo mortis. Jusqu’au dernier moment, il garda le plein usage de ses facultés ; il était calme, et semblait ne pas souffrir. À deux heures un quart du matin, il rendit son âme à Celui qu’il avait ardemment aimé, et pour la gloire duquel il avait travaillé cinquante ans. L’Église allait célébrer la messe de l’Ascension.

La fatale nouvelle à peine connue, la ville entière sembla prendre le deuil. Les journaux de toute nuance rivalisèrent d’éloges à l’adresse du missionnaire. « Le monde perd en lui, disait le Missouri Republican, un des plus intrépides pionniers de la civilisation chrétienne… S’il n’a pas réalisé tout ce qu’il avait cru possible, il a du moins donné l’exemple de ce que peut une conviction profonde, pour lutter contre des obstacles réputés insurmontables ».[45]

Le 24 mai, dans l’église Saint-François Xavier, on célébra le service funèbre. Au milieu de la nef, tendue de noir, se dressait le catafalque, entouré de fleurs. On avait, selon la coutume du pays, ménagé dans le cercueil une ouverture, munie d’une forte glace, correspondant au visage du défunt. Au-dessus de sa tête était déposée une couronne de roses blanches.

Dès le matin, la foule se pressa autour de la précieuse dépouille, avide de contempler une dernière fois l’apôtre des Indiens, bon et souriant jusque dans la mort.

Frappant contraste ! Cet humble, qui toujours avait redouté les honneurs, eut des funérailles dignes d’un prince de l’Église.

Le vieil archevêque de Saint-Louis, Mgr  Kenrick, assisté de son coadjuteur, présidait la cérémonie. Au clergé des diverses paroisses se mêlaient des prêtres et des religieux, accourus jusque de Chicago et de Cincinnati. L’armée comptait trois généraux, parmi lesquels le général Harney, avec un grand nombre d’officiers supérieurs.

Après la messe solennelle, célébrée par le P. Van Assche, Mgr  Ryan donna l’absoute, puis monta en chaire pour prononcer l’éloge du défunt.

Comparant le P. De Smet au grand-prêtre Onias, il lui appliqua ces paroles du 2e livre des Machabées : « C’était un homme bon et plein de douceur, modeste dans son visage, réglé dans ses mœurs, agréable dans ses discours, exercé dès l’enfance à la pratique des vertus ».[46]

« Tel était, dit l’orateur, l’homme que les Juifs regrettèrent si amèrement, et dont Antiochus lui-même pleura la perte, se rappelant l’aménité de son caractère et l’intégrité de sa vie. Tel fut aussi le prêtre dont les restes mortels sont ici exposés…

» Malgré l’éclat de ses travaux et les mérites de sa vie, il était simple comme un enfant. Il en avait la candeur, la modestie, la douceur. On eût pu dire de lui ce que dit Tertullien des vieillards de la primitive Église : « Ils gardaient sous leurs cheveux blancs la grâce et la naïveté du jeune âge. La pureté de leur vie, l’honnêteté et la droiture de leur âme, entretenaient, au déclin de leurs jours, la fraîcheur du printemps ». Ainsi celui que nous pleurons resta, jusqu’à la fin, ce qu’il avait été au midi et à l’aurore de sa carrière. C’est cette simplicité, cette parfaite loyauté qui inspirent la confiance, et permettent de réaliser de grandes choses ».[47]

Ayant ainsi rappelé la vertu caractéristique du religieux, Mgr  Ryan parlait longuement de son amour pour les Indiens et de son dévouement à leur cause. Bien que préparé à la hâte, son discours, vibrant d’émotion, fit sur l’auditoire une impression profonde. Les sanglots remplissaient la nef, la douleur courbait tous les fronts.

L’office terminé, les restes du P. De Smet furent transportés au cimetière de Florissant.

Dans ce modeste enclos dormaient déjà, à l’ombre de la croix, les PP. Van Quickenborne, de Theux, Elet, Van de Velde, Smets, Verhaegen. Après tant de voyages, l’héroïque vieillard venait chercher le grand repos tout près de son noviciat, à côté de ceux qui avaient été ses maîtres, ses amis, ses compagnons d’apostolat.

Quelques jours plus tard, un bateau à vapeur, récemment équipé, remontait le Missouri. C’était celui qu’avait béni le missionnaire quelques jours avant sa mort.

Lorsque le De Smet arriva en pays indien, les Peaux-Rouges, qui déjà avaient appris la mort de la Robe-Noire, accoururent sur la rive, poussant des cris de douleur, et se couvrant la tête de poussière.

« Non seulement les chrétiens, écrivait le P. Guidi, mais les infidèles ont amèrement pleuré la perte de leur bien-aimé père. Bon nombre de sauvages regardent cette mort comme une calamité pour leur tribu. C’est encore plus vrai qu’ils ne le pensent ».[48]

Si rude que fût le coup, l’œuvre du P. De Smet n’y devait point succomber.

Sans parler des missionnaires franciscains, oblats et séculiers, plus de trente jésuites dirigeaient, aux Montagnes-Rocheuses, sept établissements en pleine prospérité[49].

Vingt ans plus tard, on comptait, dans le seul État de Montana, jusqu’à neuf missions indiennes, réunissant environ 7 000 catholiques. Si, depuis lors, le progrès s’est ralenti, c’est que la race elle-même, de plus en plus confinée dans d’étroites réserves, n’a cessé de décliner.

Les Cœurs-d’Alène, réduits à quelques centaines, sont restés une tribu de saints. Un prêtre, peut, chez eux, entendre, plusieurs années de suite, les confessions, sans avoir à absoudre un seul péché mortel.

Quant aux Sioux, dont le P. De Smet avait, pendant vingt-cinq ans, préparé la conversion, ils possèdent, dans le Sud-Dakota, plusieurs missionnaires, et deviennent d’aussi fermes chrétiens qu’ils furent jadis de terribles guerriers.

Il n’y a pas jusqu’aux Indiens de l’Alaska qui n’aient aujourd’hui reçu l’Évangile ; et parmi ceux qu’attire ce fécond apostolat, plus d’un reconnaît que l’exemple du P. De Smet a décidé de sa vocation.

Ainsi se prolonge l’action du grand missionnaire[50].

S’il n’a pu prévenir, aux États-Unis, l’extinction fatale des tribus de l’Ouest, il leur a du moins ménagé, au sein de l’Église catholique, l’assurance d’une vie meilleure, et d’un royaume que ne leur ravira pas l’injustice des hommes[51].

  1. De ce nombre était le P. Guidi, alors au 3e an de Tronchiennes.
  2. À Ch. Van Mossevelde. — Anvers, 30 janvier 1872.
  3. Au P. Deynoodt. — Termonde, 8 décembre 1873.
    Plus d’une fois, le P. De Smet fait lui-même allusion à ce projet dans ses lettres : « Chère Rosalie, nos entretiens au sujet de réfection d’une petite église au Boomwijck reviennent assez souvent, et toujours agréablement à ma pensée, surtout à l’approche de mes 70 ans, avec les infirmités qui, d’ordinaire, accompagnent cet âge, et dont je ne suis pas exempt. On se nourrit parfois d’illusions ; mais cela est permis quand on abandonne tout à Dieu, avec une entière soumission à sa sainte volonté ». (À Ch. et Rosalie Van Mossevelde. — Saint-Louis, 21 avril 1870).
  4. « Par les dons que vous faites à cette institution, vous rendez un service éminemment catholique ou universel. De Turnhout sortiront avec le temps de jeunes apôtres qui, à l’exemple des douze premiers, répandront dans l’univers entier la douce lumière de l’Évangile, et vous aurez une large part à leurs travaux par votre zèle, vos secours et vos prières ». (À Mlle  Athalie Werbrouck. — Saint-Louis, 8 novembre 1872).
  5. Le dernier disparu était le P. Verhaegen, mort à Saint-Charles en 1868, après avoir rempli les charges de recteur de l’université, de provincial du Missouri et du Maryland. — Le P. Van Assche devait mourir à Florissant en 1877 ; le P. Verreydt à Cincinnati en 1883.
  6. Annales de la Propagation de la Foi, 1874, p. 352.
  7. À partir de 1870, le gouvernement multiplia les instances pour décider les Têtes-Plates à quitter la Racine-Amère, et à se retirer au nord, avec les Kalispels, dans la réserve de Jocko, près de Missoula. Pendant l’été de 1872, fut rédigée une convention par laquelle les Indiens abandonnaient leurs terres aux États-Unis. « Au témoignage de tous ceux qui étaient présents, et comme le général Garfield le reconnaissait lui-même, Charlot, le chef des Têtes-Plates, était opposé à la convention, et avait refusé de la signer. La pièce originale, conservée au département de l’Intérieur, à Washington, en est la preuve évidente. L’acte soumis au Congrès, et approuvé par lui, n’en porte pas moins le nom de Charlot comme premier signataire. À qui attribuer cette violation flagrante du droit des gens ?… » (Palladino, Indian and White in the Northwest, p. 66).
  8. Saint-Louis, 27 octobre 1872.
  9. Cette édition en 6 vol. in-8o  a été publiée à Bruxelles (1873-1878) par les soins du P. Deynoodt.
  10. Lettre au P. Deynoodt. — Saint-Louis, 1872.
  11. Quelques mois avant sa mort, il écrivait à un Père de Belgique :
    « Je vous suis très reconnaissant de l’intérêt que vous voulez bien prendre à la nouvelle édition de mes Lettres, et vous remercie de la bonne opinion qu’il vous plaît d’avoir de moi… Votre Révérence me fait l’honneur de croire que je suis ici un homme très populaire. Qu’elle demeure assurée que je suis loin de l’être. En tout cas, si je le suis devenu, c’est sans l’avoir jamais mérité ». (Au P. Deynoodt. Cité en tête des Lettres choisies, 4e série, p. VIII et IX).
  12. Woodstock Letters, 1874, p. 62.
  13. Lettre du P. Busschots au P. Deynoodt. — Saint-Louis, Vendredi Saint, 1875.
  14. Cf. Éloge funèbre du P. De Smet par Mgr  Ryan, dans le Western Watchman de Saint-Louis, 31 mai 1873. Sur la religion et les mœurs des Indiens, voir Lettres choisies, 4e série, p. 120-143.
  15. « Ad majorem Dei gloriam ! Qui a trouvé cette devise ? J’aimerais à le connaître. Rien de plus sublime que ces quatre mots ; rien de plus profond dans le langage humain. Ils embrassent le ciel et la terre ; ils s’adressent aux hiérarchies les plus augustes qui entourent le trône de Dieu, comme aux plus humbles habitants de ce bas monde ; ils renferment ce qu’il y a de plus élevé dans l’éloquence et dans la poésie ; ils signifient ce qu’il y a de plus saint, de plus digne et de meilleur dans l’éternité aussi bien que dans le temps ». (Extrait d’une lettre d’adieu adressée par le Dr  Linton aux jésuites de Saint-Louis, quinze jours avant sa mort. Cf. W. Hill, Historical Sketch of the Saint-Louis University, p. 112).
  16. Le Linton Album appartient aujourd’hui à l’université de Saint-Louis.
  17. Exactement 260 929 milles. — Il est possible que ce chiffre soit quelque peu exagéré. Le P. De Smet fut souvent réduit, au moins dans ses premiers voyages, à mesurer les distances au juger.
  18. Depuis longtemps, le P. De Smet savait à quoi s’en tenir sur la faveur des hommes. « Sur la terre, disait-il, tout est vanité, rien ne satisfait pleinement le cœur. Tant de fois j’ai pu m’en convaincre, ayant voyagé et conversé avec des hommes de toutes les religions, de toutes les opinions et de tous les rangs de la société. Les croyants, c’est-à-dire les enfants de l’Église, sont les plus heureux ; et c’est parmi eux aussi qu’on trouve le plus de gens qui rendent heureux les autres ». (Lettres choisies, 3e série, p. 262).
  19. À Gustave Van Kerckhove. — Saint-Louis, ler mai 1849.
  20. Au P. Deynoodt. — Mission des Cœurs-d’Alêne, 2 août 1879.
    Dans une autre lettre, le P. Gazzoli rapporte le fait suivant, qu’il tient d’un vieil Iroquois, lequel avait servi de guide au P. De Smet : « Un jour le missionnaire, se trouvant très fatigué, donna à ses compagnons l’ordre de camper. Ceux-ci lui firent observer que la chose était impossible, vu le manque d’eau dans les environs. Toutefois, sur ses instances, ils y consentirent. Le Père, qui n’avait jamais traversé le pays, assura que l’on trouverait de l’eau, et indiqua l’endroit. On y alla, et on trouva assez d’eau pour la caravane. Chacun attribua la chose aux prières du missionnaire, et semble avoir toujours gardé la même opinion ». (Au P. Deynoodt, 6 janvier 1881).
  21. À la supérieure des Servantes de Marie, à Erps-Querbs. — Bruxelles,
    3  décembre  1856.
  22. Woodstock Letters, 1874. — Father De Smet. His services to the Society ad his religions life, p. 63. Article du P. R. Meyer, plus tard provincial du Missouri et assistant d’Angleterre.
  23. Les Jésuites ont coutume de réciter le soir, en commun, les Litanies des Saints.
  24. Lettre au P. Deynoodt. — Chicago, 26 avril 1876.
  25. Itinéraire, 1856.
  26. Ce chapelet, presque usé par les doigts du missionnaire, appartient aujourd’hui à une de ses nièces, Mme  Liénart, de Tournai. « Une de mes cousines, dit-elle, atteinte du typhus, était à toute extrémité. On glissa sous son oreiller le chapelet du P. De Smet. Aussitôt une amélioration se produisit dans l’état de la malade, qui se rétablit complètement. C’est alors que ma mère, me voyant souvent souffrante, suspendit le précieux chapelet près de mon lit, où il se trouve depuis environ trente ans ». (Tournai, 3 novembre 1910).
  27. Lettre aux Carmélites de Termonde. — Racine-Amère, 26 octobre 1841. (Voyages aux Montagnes-Rocheuses, 2e édit., p. 214.)
  28. Sur le naufrage du Humboldt, voir p. 414.
  29. Lettre à M.  J. Key, armateur à Anvers. — Saint-Louis, 12 sept. 1854.
  30. Lettre citée.
  31. Au P. Deynoodt.
  32. À son neveu Émile de Meren. — 6 septembre 1872.
  33. À Gustave Van Kerckhove. — 11 septembre 1872.
  34. Paul et Étienne De Smet, petits-fils de François, frère du missionnaire.
  35. « Pour un spectateur neutre, la lutte est assez amusante. La ville de Saint-Louis est tout entière pavoisée pour Greeley ou pour Grant. Chaque nuit, des bandes de musiciens parcourent les rues avec leurs drapeaux, suivies de milliers de partisans poussant des hourras à réveiller tout le monde, et brûlant d’énormes quantités de poudre. C’est à n’y pas tenir. Et pourtant, à la longue, je m’y suis fait. Il faut bien que le monde marche et s’occupe. Et, après tout, il n’y a pas grand mal à s’occuper, soit de Greeley, soit de Grant ; l’un vaut à peu près l’autre.
    » On se demande, dites-vous, en Europe, lequel des deux va l’emporter… La majorité individuelle est favorable à Greeley ; mais Grant a pour lui tous les moyens de corruption, et il est prêt à en user, lui et ses amis, pour assurer sa réélection. Vous pouvez considérer son triomphe comme assuré. Même plus tard, il sera difficile de le faire sortir de la Maison-Blanche. Grant est un méthodiste sectaire, assez nul en lui-même, le jouet et le très humble serviteur de nos radicaux américains — tout comme Guillaume de Prusse est le valet de Bismarck ». (À Ém. de Meren. — Saint-Louis, 6 septembre 1872).
    Sur l’action sectaire de Grant, voir Claudio Jannet, Les États-Unis contemporains, Paris, 1877, t. ii, p. 66.
  36. À Léon Van Mossevelde.
    La province du Missouri compte aujourd’hui plus de 800 religieux. Elle possède douze collèges, huit résidences, et une mission dans l’Honduras Britannique.
  37. Au P. Deynoodt. — 10 décembre 1872.
  38. Au major O’Connor. — 24 mars 1873.
  39. À Charles et Rosalie Van Mossevelde. — 14 février 1873.
  40. À Charles et Rosalie Van Mossevelde. — 4 mai 1873.
  41. Il s’agit de la fondation projetée par M.  Van Mossevelde à sa campagne de Saint-Gilles. Voir p. 520
  42. Le P. O’Neil et le P. De Blieck.
  43. Lettre du P. Coosemans à M.  Van Mossevelde. — Chicago, 1er juin 1873.
  44. Éloge funèbre du P. De Smet.
  45. Numéro du 24 mai 1873.
  46. Virum bonum et benignum, verecundum visu, modestum moribus, et eloquio décorum, et qui a puero in virtutibus exercitatus sii. (2 Mach., XV, 12).
  47. Nous citons d’après le texte publié dans le Western Watchman de Saint-Louis, 31  mai  1873.
  48. Au P. Ad. Petit, recteur de Tronchiennes. — Colville,. octobre 1873.
  49. Voici les noms de ces établissements :
    La mission Sainte-Marie, chez les Tètes-Plates. — Cette mission, fondée en 1841, devait, en 1891, être rattachée à celle de Saint-Ignace.
    La mission Saint-Ignace, chez les Pends-d’Oreilles ou Kalispels.
    La mission du Sacré-Cœur, chez les Cœurs-d’
    Alêne. La mission Saint-Paul-Colville, sur le Columbia.
    La mission Saint-Pierre, chez les Pieds-Noirs, sur le Haut-Missouri.
    La mission Saint-Joseph, chez les Yakimas, dans l’État d’Orégon.
    La mission des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie, à Helena.
    À ces missions se rattachaient d’autres postes moins importants, établis chez diverses tribus, notamment chez les Spokanes et les Kootenais.
    En 1884, un témoin non suspect devait, en plein Sénat, proclamer le succès croissant de ces missions : « J’ose dire que jamais on n’a obtenu aux États-Unis de résultat plus satisfaisant que celui que nous avons constaté dans les missions des Jésuites.
    Les jeunes filles savent manier l’aiguille et tenir une maison ; elles n’ignorent ni la lecture, ni la musique. Les jeunes gens apprennent à diriger une ferme, à élever le bétail ; on trouve chez eux des forgerons, des charpentiers, des menuisiers… Et qu’on ne m’accuse pas de sympathie personnelle pour les Jésuites.
    J’ai, dés l’enfance, appris à les détester ; j’ai été élevé dans cette bonne vieille église presbytérienne, qui regarde les Jésuites comme les fils du diable. Mais je défie qui que ce soit de trouver sur le continent une tribu indienne dont la civilisation approche de celle des Têtes-Plates, qui sont depuis cinquante ans sous la direction des Jésuites… Les tribus évangélisées par les protestants n’ont pas fait le moindre progrès. Chez les Têtes-Plates, le christianisme est pratiqué, les devoirs entre mari et femme, entre père et enfant, sont scrupuleusement observés ». (Discours de George Vest au Sénat des États-Unis, le 12 mai 1884).
  50. La mission des Montagnes-Rocheuses, avec celle du Dakota et de l’Alaska méridional, fait aujourd’hui partie de la province de Californie, érigée en 1909. Des 400 membres environ que comprend cette province, plus de 100 se dévouent à l’apostolat des Indiens.
  51. Le 23 septembre 1878 eut lieu à Termonde l’inauguration d’une statue érigée par la Belgique à l’apôtre des Montagnes-Rocheuses. Plusieurs notabilités ecclésiastiques et civiles y assistèrent. Le P. Ch. Verbeke, de la Compagnie de Jésus, prononça un éloquent panégyrique. Ensuite fut exécutée une cantate, œuvre de l’illustre compositeur Edgar Tinel. (Voir les Précis Historiques,  1878, p. 699 et suiv.)
    Le monument s’élève au milieu d’un square, à côté de la collégiale Notre-Dame. Le sculpteur Fraikin a représenté le missionnaire portant, d’une main, la croix, de l’autre, le rameau d’olivier. Sur le piédestal on lit cette inscription :
    PETRUS . JOANNES , DE SMET

    E . SOCIETATE . JESU

    PERPETUITATE . LAUDIS . VIVET

    QUOD . XXX . ANNORUM . LABORIBUS

    INDOS . ULTRA . MONTES . SAXOSOS

    A . BARBARIE . AD . RELIGIONEM . CIVILEMQUE . CULTUM

    TRADUXIT