Le Père Duchesne (n°331)

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Je suis le véritable Père Duchesne, foutre !


LA GRANDE COLÈRE
DU
PERE DUCHESNE,
Contre certains brigands qui veulent crêver les yeux des Sans-Culottes pour empêcher de voir leurs brigandages, et leur couper bras et jambes pour mieux manigancer la contre-révolution, en donnant la clef des champs aux aristocrates qui sifflent la linotte, en proposant une amnistie pour tous les traîtres. Son grand serment de braver la vengeance et les poignards de ses scélérats et de continuer de démasquer les ennemis de la liberté.

Il n’y a rien de si foutant que de parler de soi ; car les bons républicains ne doivent s'entretenir que de la patrie ; ils lui doivent toute leur existence, et le tems qu'ils perdent en s'occupant de foutaises, qui n'intéressent que Pierre ou paul est volé à la chose publique. J'ai déjà dit, foutre, que la république est une grande ruche où chaque abaile dot apporter le plus de butin qu'il lui est possible ; celles qui s'amusent à bourdonner, au lieu d'amasser la cire et le miel, trompent ou trahissent le reste de la famille qui travaille de bon cœur et qui vit de bon accord. Mais quand, dans cette ruche il se glisse quelques frelons, pour jetter le désordre, alors toutes les abeilles doivent se réunir pour exterminer l'insecte malfaisant. La meilleure besogne, le premier devoir est de se délivrer de l'eunemi commun.

Braves Sans-Culottes, c'est vous qui êtes les abailes dont je parle. Personne plus que moi, foutre, ne respecte votre industrie. Vous ne m'avez jamais regardé comme un boute-feu et un emporte-pièce ; bien loin de là, foutre, je n'ai cessé de vous recommander l'union et la fraternité. Dans tous les tems je fus votre sentinelle vigilanre ; et j'ai toujours crié qui vive dans les postes les plus avancés. J'ai essuyé toutes les bordées des aristocrates, des royalistes, des brissotins, mais jamais ils n'ont pu me faire quitter mon poste, et je suis toujours dans la même guérite où vous m'avez vu depuis le premier jour de la rêvolution. Quand les conspirateurs et les traîtres ont remporté quelques victoires sur la Sans-Culotterie, Marat et le marchant de fourneaux ont été les premiers mis en joue, et si vous ne vous étiez pas rebiffé pour les sauver, s'ils avoient eu cent têtes, ils les auroient perdues l'une après l'autre.

Je croyois avoir du relâche et me reposer sur mes lauriers, foutre, lorsque j'ai vu la convention délivrée des serpens et des crapauds du marais. J'étois d'une joie de bougre en songeant que la constitution républicaine alloit rallier tous les bons français. Je croyois m'en donner des pilles éternelles, et déjà j'avois quitté mon encrier pour retourner à mes fourneaux. Maintenant, disai-je à mes compères et commères, que nos braves montagnards ont tous leur tête dans un bonnet, et qu'ils vivent d'un si bon accord, la machine va marcher sans le moindre choc. A l'aide de sainte-guillotine qui va nous raccourcir tous les scélérats, personne ne sera assez audacieux pour trahir la république. Ainsi donc je rengaine toute mes colères, et je ne reprendrai la plume que pour exprimer ma joie sur toutes les victoires que nous allons remporter ; mais, foutre, les fripons et les traîtres vont et viennent comme les ombres chinoises, et comme on dit, un cloud chasse l'autre. Mon rêve n'a duré qu'un instant, et je n'ai pas tardé à réflêchir que tant qu'il y aura des trésors á gaspiller, il existera des voleurs, que tant qu'il y aura des sots, il se trouvera des hypocrites pour les foutre dedans et les mener par le nez, que tant qu'il y aura des places et des dignités, il se trouvera des intrigans et des ambitieux qui affronteront la guillotine pour s'en emparer. Ne voit-on pas les renards à la barbe du chien de la ferme faire main-basse sur la basse-cour, et le loup croquer les moutons à la face du berger le plus vigilant.

Bon gré, mal gré, il a donc fallu que je continuasse de broyer du noir. J'ai juré comme un chartier embourbé toutes les fois que j'ai trouvé sur mon passage des bougres qui n'étoient pas au pas ; mais quand j'ai rencontré des ci-devant patriotes qui avoient l'air de seigner du nez et de vouloir tourner casaque, je les ai daubé comme les aristocrates. Quand j'ai vu Chabot, que j'aimois autrefois comme mes petits boyeaux lorsqu'il étoit un des plus fermes soutiens de la Sans-Culotterie ; quand je l'ai vu, bras dessus, bras dessous, avec le s plus fieffés garnemens de l'ancien régime, et cajolé par tontes les muscadines, d'abord je me suis mis tout bas en colère contre lui. Est-ce que tu voudrois aussi nous faire faux-bon, lui ai-je dit ; prends y garde, foutre ; car, comme dit le proverbe, dis-moi que tu hantes, je te dirai qui tu es. Il s'est foutu de mes avertissemens et du quand dira-t-on, et pour s'achever de peindre, il s'est marié à qui, à je ne sais quelle bohémienne qui est tombée amoureuse de lui, dit-il, sans l'avoir vu. Et quelle est cette bohémienne encore ? c'est la fille d'un avanturier, faisant une poussière de prince à la cour de Vienne, et dont l'impératrice, mère de la louve que nous avons raccourcie, a tenu tous les enfans sur les fonds de baptême. En voyant un mariage aussi biscornu, n'y avoit-il pas de quoi se débaptiser soi-même ? N'est-ce pas un crime à un sans-culotte français d'épouser une autrichienne ? Que deviendroient donc nos jeunes filles qui sont si délaissés depuis la guerre, si le peu de républicains qui peuvent les contenter, im toient un pareil exemple ? Un législateur épouser une esclave, et l'esclave d'un des tyrans qui nous font la guerre, quand il y a tant de filles libres qui sèchent sur pied à force d'attendre ! Lorsqu'ensuite ce même Chabot coup-sur-coup, après le conte bleu de son mariage de deux cent mille livres, a le front de faire une complainte au beau milieu de la convention sur ce qu'il n'existe plus de plaine ni de marais, et de faire signe de loin à tous les crapauds, en leur disant qui m'aime, me suite, pour les engager à y venir barbotter avec lui, ai-je eu tort de lui chanter sa gamme ? Après tout ce tripotage, j'apprends que mon frocard est à l'ombre pour avoir reçu quelques centaines de mille livres des brigands couronnés. Je jure, je tempête. Ses amis me répondent que c'est lui-même qui a déposé cette somme au comité de sûreté générale, en le découvrant au grand complot qu'il connoissoit depuis plus de six mois. Je réponds pourquoi il n'a pas plutôt dénoncé ce complot, pourquoi il ne l'a fait que le lendemain qu'il avoit été dénoncé lui-même aux Jacobins ? On me répondra que tout cela s'éclaircira avec le tems.

Je le désire, foutre ; mais il n'est pas un bon républicain qui voye clair dans cette bouteille à l'encre, et qui n'ait dit et pensé tout ce que j'ai écrit sur ce chapitre. Eh bien, tonnère de dieu, on m'en a fait un crime. N'est-il donc plus permis de refléchir ? Faut-il se crever les yeux pour ne pas voir les manigances de certains personnages ? On dit que je suis un chef de parti parce que je pense et je parle comme les véritables Sans-Culottes. Où est-il donc ce parti ? qu'a-t-il fait ? C'est ce qu'on ne sauroit dire, foutre. Si c'est être chef de parti que d'être sans cesse à l'affut et de donner la ch sse à tous les conspirateurs, si c'est être chef de parti que de braver les poignards, si c'est être chef de parti que de vivre pendant quatre ans entre les bayonnettes et les cachots, que d'être persécuté tantôt par le comité autrichien, tantôt arrêté par le comité des douze, j'en conviens, j'en suis un, et je m'en fais gloire puisqu'on me force à parler de moi Oui, j'ai toujours conspiré contre les ennemis de la liberté, et je ne lâcherai pas prise, foutre.

Je me fous de vos propos et de vos menaces, Chabotins et Philipotins ; je vous défie de trouver à mordre sur moi. Vous pouvez répéter toutes les kirielles de calomnies et d'injures dont Carra et Gorsas ont régalé tant de fois les aristocrates. Faites-moi paroître comme Marat devant les tribunaux, j'en sor irai comme lui, foutre. Tout ce que vous dites de moi, vous l'avez dit de lui ; tout ce que vous manigancez contre moi, vous l'avez employé contre lui. Vous ne me reprochez pas ce que les feuillans et les brissotins m'ont reproché avant vous. Je n'ai pas changé, mais vous jouez leur rôle aujourd'hui. Malgré tous vos coups de chien, que l'on connoît maintenant, vous ne d viserez pas les patriotes ; ils resteront unis à la montagne. On ne donnera pas le clef des champs aux aristocrates qui sont en cage, comme vous le voulez ; il n'y aura point d'amnistie, et, à votre tour, vous jouerez à la main chaude, foutre.




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