Le P. Jean de Cronstadt/Ma vie en Jésus-Christ/Chapitre III

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Le P. Jean de Cronstadt, archiprêtre de l’Église russe
Traduction par Dom Antoine Staerk, o. s .b..
P. Lethielleux (I. Son ascétisme, sa morale. — « Ma vie en Jésus-Christ »p. 48-62).


CHAPITRE III

DE LA SAINTE MESSE




§ I. — Du Saint Sacrifice de la Messe et de la Communion


La Messe est la cène, la table de l’amour de Dieu pour le genre humain. Autour de l’Agneau de Dieu tous sont réunis sur la patène, les vivants et les morts, les saints et les pécheurs, l’Église triomphante et l’Église militante.[1]

— Qu’arriverait-il de nous, ô Seigneur Jésus, si vous faisiez jaillir la lumière de votre divinité contenue dans votre très pur sacrement, lorsqu’il repose sur l’autel pendant la sainte Messe, ou lorsque votre prêtre porte la sainte custode sur la poitrine en se rendant chez un malade ou en en revenant ? Cette lumière ferait tomber par terre d’épouvante tous ceux qui se trouveraient sur son passage ou qui l’auraient seulement aperçue de leurs fenêtres, car les anges eux-mêmes se voilent de leurs ailes en approchant de votre gloire redoutable. Et pourtant quelle froideur voyons-nous quelquefois devant ce mystère céleste ! Avec quelle indifférence certains prêtres procèdent à la redoutable consécration du Saint Sacrifice ![2]

— Vous avez écrit un livre, supposons, sur la Sainte Trinité, vous le faites tirer à tant de milliers d’exemplaires. Tous ces exemplaires contiennent le même style, le même esprit, les mêmes paroles que le manuscrit. Il en est de même dans l’oblation du pain et du vin au saint Sacrifice de la messe. Ce sacrifice se fait partout sur la terre, dans un nombre infini d’églises chrétiennes. La même Trinité agit sur tous nos autels, le même Jésus et son Esprit (tout comme le contenu du livre dont il est question) est dans toutes les hosties ; partout la forme du sacrifice est la même. Il en résulte que le Saint Sacrement est comme un seul et même grand et saint livre sur l’amour du Seigneur pour le genre humain, publié à un nombre infini d’exemplaires dans le monde entier, sous une forme entièrement identique, et contenant le même esprit d’amour de Celui qui a pris sur lui les péchés du monde, c’est-à-dire l’Esprit de Jésus-Christ. Faisons encore une autre comparaison : il y a une quantité innombrable d’êtres humains sur la terre ; tous ont la même forme de corps, une âme en tout pareille, douée des mêmes facultés, quoique d’une intensité diverse, et tous ces êtres portent le même nom d’homme. Tous les hommes sont comme s’ils étaient un seul, ; ils ont tous la même origine : d’abord Dieu le Père, son Fils et son Esprit-Saint, puis un seul premier couple. C’est pourquoi Dieu ordonne d’aimer notre prochain comme nous-même, c’est-à-dire comme un être dont la nature est identique avec la nôtre. Il est donc vrai que ces millions d’hommes ne sont qu’un par la similitude de leur âme et de leur corps. Il en est de même du Seigneur dans son Saint Sacrement. Partout où il est offert, il renferme éternellement ce Créateur un et indivisible, qui a fait d’un seul toute la race humaine. (Act. XVII, 26). Par son Esprit unique qui transubstantie dans le St Sacrement le pain et le vin offerts dans toutes les églises de la terre, il veut nous unir à lui, malgré notre chute par le péché et notre assujétissement au démon ; et, pour le faire, il coupe et purifie en nous tout ce qui nous sépare de lui et nous divise entre nous, afin que tous ils soient un, comme Vous, mon Père, êtes en Moi et Moi en Vous. Voilà en quoi consiste le but de la communion.[3].

Vous les connaîtrez par leurs fruits. (Mat. VII, 16). En goûtant le fruit de la messe, fruit savoureux, délicieux, vivifiant, le très pur St Sacrement, le Corps et le Sang du Seigneur, tu comprendras, tu avoueras qu’elle est d’origine divine, qu’elle est l’inspiration de l’Esprit de Dieu, et que ce très saint Esprit anime la vie, respire dans toutes les prières et dans tout le rite du St Sacrifice. Quel arbre sublime et plein de sève que la messe ! Quel feuillage ! Quels fruits ! Les feuilles même ont la force de donner la vie aux populations. Car, quel est celui qui n’a pas éprouvé dans son âme les grands et bienfaisants effets d’une paix et d’une béatitude intime, rien que pour avoir assisté à la Sainte Messe avec un pieux recueillement ! Or, tout ce qui produit un bon fruit doit être bon lui-même, telle est la loi de la création.[4].

— Admire comme il le mérite, le plus grand des miracles de Jésus-Christ, je veux dire celui qui s’accomplit quand tu reçois avec foi la communion de son saint Sacrement. Les premiers résultats sensibles de ce miracle sont le soulagement évident et la résurrection de ton cœur que le péché avait tué, la disparition du trouble et de la torpeur mortelle de l’âme que nous ressentons si souvent même avant la communion. Oh ! prends garde que par l’effet de l’habitude, le Sacrement ne devienne pour toi une chose ordinaire et insignifiante ! car la tiédeur et l’indifférence auraient pour toi des conséquences funestes. Elles t’exposeraient à la colère de Dieu et tu ne goûterais plus après la Communion la paix et la vie. Tu dois au contraire te pénétrer du sentiment de la plus vive gratitude pour le don d’une vie nouvelle que tu reçois du Seigneur, et ta foi doit s’accroître de plus en plus en raison même de ce don. Le trouble et l’anxiété ne peuvent venir que du manque de foi. Si tu les ressens pendant la Communion, ils ne se produisent que pour te prouver que le manque de foi t’éloigne de la vie qui est enfermée dans le calice. N’y fais aucune attention, mais demande au Seigneur la foi qui les met en fuite. Ô foi chrétienne, foi divine, c’est toi qui nous guéris et nous sauves : Ta foi t’a guérie ! (Marc. V, 34). Quel calme, quelle paix règne dans notre cœur quand nous venons de converser avec le Seigneur dans un sentiment de foi naïve et sincère ! Mais hélas ! si la foi manque, c’est le contraire qui arrive souvent, après une communion sacrilège.

— Satan s’empare de notre cœur ; il fait tout ses efforts pour glisser en nous le mensonge, c’est-à-dire l’incrédulité, ce synonyme du mensonge. Homicide depuis des siècles, il s’efforce de tuer les âmes par son astuce et par toute sorte de mauvaises pensées. En se glissant dans le cœur sous le masque de l’incrédulité ou de toute autre passion, il se manifeste ensuite plus violemment surtout par l’impatience et la malice. Souvent tu vois qu’il est dans ton cœur, mais tu ne peux pas l’en chasser sur le champ, car une fois entré il a soin d’en fermer toutes les issues avec la clef de l’incrédulité, de l’insensibilité et de tous les autres vilains vices qui forment son cortège. Mais c’est en vain que tu travailles en moi, chef déchu de la milice céleste ; je suis le serviteur de Jésus-Christ mon Sauveur. Être orgueilleux et arrogant, tu t’abaisses par ta lutte acharnée contre moi qui suis un être faible !

— C’est ainsi que tu dois parler au méchant esprit qui assiège ton cœur et le pousse au mal. Ton apostrophe aura sur cet esprit hautain l’effet d’une verge de feu et, confondu par la fermeté et par la sagesse de ton langage, il ne tardera pas à s’enfuir. Tu te sentiras délivré à l’instant même et tu seras frappé du changement merveilleux qui se produira en toi. Le fardeau mortel qui pesait sur toi aura disparu de ton cœur ; ton âme se trouvera soulagée et tu resteras convaincu d’une manière pour ainsi dire palpable de l’existence des mauvais esprits qui travaillent continuellement à notre perdition, en nous inspirant des pensées obscures et méchantes, propres à empoisonner notre cœur et à détruire en lui l’amour de nos semblables.[5].

— Lorsque tu prends les saintes espèces du corps et du sang de Notre Seigneur Jésus-Christ, élève ton cœur reconnaissant vers lui et dis : je vous rends grâces, ô Seigneur, qui êtes le pain de la vie et la source de l’immortalité, de nous avoir donné votre corps et votre sang pour aliment et pour boisson, afin que nous puissions être d’avance purifiés et sanctifiés sur la terre et admis dans votre royaume éternel, pour y jouir éternellement de votre contemplation et de la félicité que vous nous avez promise. Faites, Seigneur, que nos désirs ne soient pas bornés au pain et à la boisson matériels, que je ne m’attache pas à des aliments périssables, mais que je ne désire que Vous seul et non la nourriture qu’exige mon corps. Lorsque tu manges des choses qui te font plaisir, remercie le Seigneur en disant : Je vous rends grâces, ô délice éternel, incomparable, délice qui surpasse infiniment les plaisirs terrestres, charnels, grossiers, ô délice impérissable, source de vie, de sainteté, de repos suave, de paix profonde, de joie intarissable ! je vous rends grâces de m’avoir donné ce plaisir matériel, ainsi que la possibilité d’en jouir, afin que je puisse, quoiqu’imparfaitement, comprendre l’immensité de votre bonté pour nous et concevoir que vous seul devez être l’objet de nos désirs et notre délice suprême. Lorsque tu allumes le feu, cette lumière matérielle, dis : Gloire à vous, ô lumière éternelle, douce et agréable, de vouloir bien nous éclairer de cette lumière matérielle et pourtant si belle, image de votre lumière divine et inaccessible, afin que cette lumière matérielle porte constamment notre pensée vers vous et que nous puissions obtenir de Vous contempler dans votre bienheureuse félicité. Lorsque tu respires à plein poumons l’air, cet élément où nous puisons la vigueur et la fraîcheur, si indispensables à notre vie matérielle, porte de nouveau ta pensée vers le Seigneur, source de la vie, vers le St-Esprit, uni au Père et au Fils, qui nous donne la vie, le mouvement et l’existence. Exprime ta gratitude de pouvoir respirer sans cesse et rappelle-toi que si le corps ne peut pas exister sans l’air, de même l’âme sans le Saint-Esprit ne peut vivre un seul instant dans la vérité, dans la liberté du bien et dans la pureté. Cherche continuellement à te trouver en communication avec Dieu, car sans Dieu l’âme expire et meurt. De cette manière, élevant sans cesse ta pensée vers le Créateur, à chaque occasion, rends-lui grâces pour toutes choses ; repousse tout attachement à la matière et ne sois pas son esclave au préjudice de Dieu, car s’attacher exclusivement à la matière et l’aimer au dessus de tout, cela équivaut à être et à rester païen.[6].

Pour moi, mon bien est d’approcher du Seigneur, dit David (Ps. LXXII, 28), qui a éprouvé la douceur de la prière et de la louange de Dieu. D’autres affirment la même chose, et moi, tout pécheur que je suis, je fais de même. Remarquez-le : ici sur la terre, approcher du Seigneur est déjà un bien, un bonheur, malgré notre chair coupable, qui éprouve ses propres sensations agréables et désagréables. Quel bien éprouverons-nous donc lorsque nous aurons approché le Seigneur là-haut, au ciel ! La félicité qu’on ressent en s’approchant de Dieu ici, sur la terre, est le précurseur et la garantie de la félicité qui nous attend après la mort dans l’éternité. Tu vois combien le Créateur est bon, miséricordieux et juste : Pour te donner une preuve de la félicité future qui provient de l’union avec lui, il te permet d’éprouver le commencement de cette félicité ici sur la terre, lorsque tu t’approches de lui sincèrement. Oui, mon âme invisible se repose en effet ici-bas en Dieu, qui, lui aussi, est invisible ; par là je suis d’autant plus certain qu’elle se reposera en lui après qu’elle aura quitté le corps.[7].

Si je sens le repos ici-bas en Jésus et avec Jésus, comment ne croirai-je pas qu’après ma mort je trouverai un éternel repos en lui, après la lutte que me font subir mes ennemis spirituels ! Si je souffre et me tourmente ici-bas même sans Jésus, comment ne croirais-je pas qu’il me sera encore plus pénible de me trouver sans lui là-haut, s’il me repousse et me prive entièrement de sa présence ! L’état de nos âmes sur la terre nous fait entrevoir notre avenir. Cet avenir sera la continuation de notre état intérieur actuel dont le degré seul sera changé, c’est-à-dire, pour les justes, il sera la plénitude de la gloire éternelle, et pour les coupables, la plénitude de tourments éternels.[8].


§ 2. — De la parole de Dieu.


Vous lisez un journal ou une feuille mondaine ; vous les lisez avec plaisir, sans éprouver de fatigue et vous croyez parfaitement à tout ce que vous y trouvez. Mais dès que vous prenez une feuille religieuse ou un livre de piété, surtout un livre d’église ou de prières, vous ressentez la fatigue et le doute ; vous devenez incrédule et vous vous sentez envahi par une sorte d’obscurité et de dégoût. Bien des personnes l’avouent. Quelle en est la cause ? Certes, ce n’est pas au livre qu’il faut l’attribuer, mais au lecteur lui-même, à la nature de son cœur et en premier lieu au démon, l’ennemi de l’homme et de tout ce qui est saint. Lorsque nous lisons des œuvres mondaines nous ne le dérangeons pas, et lui, de son côté, nous laisse tranquilles. Mais il nous suffit d’ouvrir un livre saint, de nous rappeler la nécessité de notre conversion et de notre salut et le voilà qui s’en prend à nous et qui se met à nous tourmenter. Qu’y a-t-il donc à faire en ce cas ? Devons-nous nous interdire toute bonne occupation, toute saine et sainte lecture, même la prière ? Non, il faut s’armer de patience et chercher en elle le salut. Vous possèderez vos âmes dans votre patience. (Luc, XXI, 19), dit le Seigneur. Tout cela se rapporte également au théâtre et à l’église, à la scène et à l’office divin. Au théâtre, chacun trouve du plaisir, mais à l’église bien des personnes ressentent la fatigue et l’ennui. Et pourquoi ? Parce que, au théâtre, tout est adapté en perfection pour charmer nos sens, et, loin de déranger le démon, nous lui faisons plaisir ; il est donc évident que lui de son côté en fait autant pour nous. Amusez-vous, mes amis, leur dit-il, riez tant que vous voulez, pourvu que vous ne songiez pas à Dieu. À l’église, au contraire, tout tend à fortifier la foi et la crainte de Dieu, à éveiller en nous la piété, le sentiment de notre culpabilité et de notre corruption ; et le démon s’efforce de nous souffler au cœur le doute, le découragement, la fatigue et toute sorte de mauvaises pensées, au point que nous ne savons plus que faire de nous. Nous arrivons à éprouver presque une impossibilité de nous tenir sur pied, comme s’il était si difficile de rester debout pendant une heure. Il est facile de comprendre qu’un homme pareil s’empresse de s’en aller. Le théâtre et l’église sont deux contrastes : l’un est le temple du monde, l’autre le temple de Dieu ; l’un est la pagode du démon, l’autre le temple du Seigneur.[9].

— Lorsque tu lis ou écoutes les Livres Saints, respecte intérieurement, dans les hommes qui les ont écrits, les images de Dieu le Verbe ou Dieu le Verbe en personne. C’est lui qui parle par leur intermédiaire. Rappelle-toi toujours, lorsque tu lis un livre religieux ou profane, que l’homme est l’image de Dieu et que cette image de Dieu est renfermé dans la pensée, dans la parole et dans l’esprit du livre. Prends l’habitude de toujours regarder tout l’homme avec respect, comme une image de Dieu, mais surtout lorsqu’il parle de Dieu et particulièrement lorsque c’est à toi qu’il s’adresse. Oh ! c’est qu’alors l’homme est divin ! L’idée peu avantageuse que nous avons des hommes en général, de leur genre de vie, de leurs qualités et de leurs défauts, ainsi que notre habitude, de ce don de la parole que nous possédons nous-mêmes à l’égal des autres, cette idée fait que nous attachons très peu de prix à la parole et que nous la méprisons même dans les autres, ce dont le démon profite pour blasphémer contre l’image de Dieu, grâce à notre amour-propre et à notre manque d’égards envers cette image sacrée. Il faut que tu t’efforces de te rendre humble de cœur et que tu domptes la fierté de ta raison, afin de ne pas ressembler aux contemporains des prophètes, qui les regardaient comme des rêveurs, chantant de doux cantiques, désobéissaient à leurs commandements, les méprisaient même, les persécutaient, les frappaient et les tuaient : pour ne pas ressembler à ceux qui affirment que nul prophète n’est bien reçu en son pays. (Luc, IV, 24.). Si mesquin et si insuffisant que puisse te paraître un tel homme, respecte en lui l’image de Dieu, surtout s’il parle avec amour, et encore plus si, en même temps, il agit avec amour.[10].

— Pendant la prière ou pendant la lecture de l’Écriture Sainte, il faut pieusement t’unir à chaque pensée, à chaque parole de la prière ou de l’Écriture comme si c’était l’Esprit-Saint lui-même, l’Esprit de vérité qui te parlait. Le doute et le mépris pour la parole Divine doivent être énergiquement repoussés et détruits comme un poison qui vient de l’esprit du mensonge. Or, comme le doute et le mépris sont le fruit de la présomption et de l’orgueil, il faut déraciner cet orgueil du cœur. Il faut, pour ainsi dire, pouvoir ressembler à un enfant qui balbutie en toute simplicité devant Dieu, à cet enfant qui ne sait ni ne prononce que les paroles que ses parents lui ont apprises, qui n’en connaît pas d’autres et qui ne fait nulle attention à ce que les autres lui disent. Car c’est l’Esprit Saint qui a appris aux Saints Pères, à ces enfants doux et simples, les termes dans lesquels nous devons prier, remercier et glorifier Dieu, dans les prières que l’Église nous recommande de réciter. Souviens-toi que nous sommes tous les enfants de notre Père céleste, et considère tous les hommes dans la simplicité de ton âme, comme les enfants de notre Père souverainement saint, clément, partout présent, sachant tout, pouvant tout, supérieurement sage, juste, immuable, n’abandonnant personne, nous protégeant tous sous les ailes de sa bonté sans borne. Prodigue l’amour à tes semblables et triomphe de tout mal dans l’homme par l’effet du bien.[11]

— Il nous arrive souvent d’avoir sur les lèvres des paroles qui ne sont pas l’expression de notre pensée. Ce désaccord entre la bouche et le cœur s’appelle duplicité. Hélas ! dans la prière, l’homme aussi fait souvent preuve de duplicité, et cela devant qui ? devant Dieu qui connaît les derniers replis de nos âmes et les plus profonds secrets de notre cœur. Cette duplicité peut avoir deux caractères également graves : ou bien les paroles sont le contraire de notre pensée, ou bien les premières sont l’expression de la seconde, mais notre cœur n’y a aucune part et ce sont des paroles en l’air. Dans les deux cas, celui qui prie devient sa propre dupe, en croyant qu’une telle comédie puisse être agréable à Dieu. Ô étrange et criminelle duplicité du cœur humain ! C’est le fruit amer et le témoignage le plus irréductible de notre chute originelle. On dirait que le mensonge est devenu pour nous une habitude invétérée : Tout homme est menteur (Ps. CXV, 2), dit le Psalmiste. Nous mentons à Dieu comme nous mentons aux hommes. Chrétiens, extirpons tout mensonge de notre cœur et à sa place mettons la vérité, la sincérité. Pour cela il faut prier, car de toutes choses, c’est la prière qui demande avant tout une vérité sincère, selon les paroles du Seigneur : Il faut adorer Dieu en esprit et en vérité. (Joan. IV, 24). Dis toujours la vérité dans ton cœur. L’habitude de la vérité dans notre prière nous donnera vite l’habitude de la vérité dans nos rapports avec nos semblables. Mais comment faire pour apprendre à dire la vérité dans notre cœur pendant la prière ? Il faut faire entrer dans le cœur chaque parole de la prière, la graver dans notre cœur, en ressentir jusqu’au fond la vérité, concevoir toute la nécessité de ce que nous demandons à Dieu ou celle d’une sincère reconnaissance pour ses immenses et innombrables bienfaits. Nous devons, en outre, éprouver la nécessité de lui rendre sincèrement gloire pour ses grandes et sages œuvres dans la création.[12].

Ils s’environnent de maîtres selon leurs propres désirs et selon la démangeaison de leurs oreilles. (2 Tim. IV, 3). N’est-ce pas ce que font de nos jours les hommes du monde et souvent même les prêtres du Seigneur ? Ne savent-il pas trouver des docteurs qui flattent leurs oreilles ? Ils puisent leurs connaissances non chez le seul maître qui est Jésus-Christ, non dans son Évangile et dans son Église, mais chez les hommes de lettres, chez les journalistes, chez les romanciers, chez les poètes, chez les comédiens, et s’écrient : Oh ! que c’est intéressant ! oh ! que c’est édifiant ! et, sinon de vive voix, du moins par leurs actions, ils semblent dire : nous n’avons nul besoin ni d’Évangile, ni d’Église, ni d’office divin, ni de sacrements, ni de sermons qui nous prêchent la parole de Dieu. Nous avons de si bons maîtres pour nous enseigner la morale ! Seigneur Jésus ! à quelle décadence sommes-nous arrivés ? Nous renions vos paroles ![13]

— Si une vérité quelconque se trouve énoncée dans l’Écriture sainte, si elle a été commentée et expliquée par les saints Pères, dont Dieu a éclairé l’intelligence et proclamé la gloire, et si notre cœur l’a conçue dans toute sa clarté vivifiante, il est évident que, dans ces conditions, le doute ou la méfiance à son égard constituent un des plus graves péchés, car ils prouvent une présomption diabolique de l’intelligence et du cœur.[14].

— Qu’y a-t-il de plus ferme, de plus stable, de plus puissant que le Verbe ou la Parole ? C’est le Verbe qui a créé l’univers et qui le soutient : Soutenant tout par sa parole toute puissante. (Heb. I. 3). Et pourtant, nous autres pécheurs, nous traitons la parole si légèrement, avec tant de négligence. Existe-t-il au monde une chose pour laquelle nous ayons moins d’estime que pour la parole ? Existe-t-il pour nous quelque chose de plus variable que la parole ? Que jetons-nous à tout instant comme de la boue, sinon la parole ? Oh ! misérables que nous sommes ! Quel don précieux nous possédons et avec quelle inadvertance nous le traitons ! Nous oublions que la parole qui sort d’un cœur plein de foi et d’amour peut opérer le miracle de rendre la vie à notre âme, ainsi qu’à celle des autres, par exemple pendant la prière, pendant l’office divin, pendant le sermon, pendant les sacrements ! Ô chrétiens ! appréciez chaque parole que vous prononcez, soyez attentifs à chacune d’elles ; soyez fermes dans votre parole ; soyez confiants envers la parole de Dieu, ainsi que envers celles des hommes saints, car c’est la vie qu’elles renferment. Rappelez-vous que la parole est l’origine de la vie.[15].

— Les hommes sont devenus incrédules, parce qu’ils ont complètement perdu l’esprit de la prière. Il se peut qu’ils ne l’aient jamais eu. Quoi qu’il en soit, ils ne prient pas le Seigneur. Oh ! ces hommes-là offrent au prince de ce siècle une belle occasion et lui ouvrent un vaste champ pour agir dans leurs cœurs ; aussi, c’est lui qui en est le maître ! Ils n’ont jamais demandé et ne demandent jamais au Seigneur la douce rosée de sa grâce divine, car les dons du Seigneur ne sont accordés qu’à ceux qui les demandent ou qui en possèdent déjà. C’est pourquoi ces cœurs corrompus, privés de la rosée vivifiante de l’esprit divin, se sont desséchés et ont pris feu au contact de la flamme du doute, du scepticisme et des autres passions. Le démon ne cesse d’attiser les passions qui alimentent ce feu terrible, et il tressaille d’une joie infernale à la vue de la perdition des âmes infortunées qui ont été rachetées par le sang de celui qui a écrasé sa puissance.[16]

— Pareil à une mère qui apprend à son enfant à marcher, le Seigneur nous apprend à avoir une ardente foi en lui. Voyez ce que fait la mère : elle place son enfant debout, le quitte, s’éloigne, puis lui dit de venir à elle. L’enfant reste seul, pleure, veut s’avancer vers sa mère, mais craint de faire un pas. C’est tout à fait ainsi que le Seigneur apprend au chrétien la foi (la foi est le chemin des choses spirituelles). Notre foi est tout aussi faible, tout aussi débile que l’enfant qui apprend à marcher. Souvent le Seigneur retire son secours et abandonne l’homme au démon ou à toute sorte de malheurs et d’afflictions pour nous convaincre de notre impuissance. Tant que nous ne sentons pas le besoin du salut, nous ne songeons pas à venir à lui. Mais quand nous avons absolument besoin de secours, alors il nous ordonne, pour ainsi dire, de regarder et d’implorer son secours. Alors le chrétien s’efforce de le faire, ouvre les jeux de son cœur (comme l’enfant qui essaie de faire un pas), il tâche de voir le Seigneur, mais le cœur, n’ayant pas appris à contempler Dieu, a peur de tant de hardiesse, trébuche et tombe ; l’ennemi et la perversion qui nous est innée lui ferment les yeux du cœur, au moment même où ils venaient de s’ouvrir ; ils l’éloignent du Seigneur, et il ne peut plus l’approcher. — Le Seigneur pourtant est là, non loin, prêt à l’enlever, pour ainsi dire, dans ses bras, il n’y a qu’à l’approcher par la foi, et dès qu’on fait un effort pour l’apercevoir entièrement des yeux de la foi et du cœur, il vous tend lui-même sa main pour vous secourir, vous place, pour ainsi dire, dans ses bras, chasse l’ennemi, et le chrétien sent qu’il se trouve dans les bras du Sauveur lui-même. Gloire à votre clémence et à votre sagesse, Seigneur ! Ô mes frères, quand vous serez en proie aux violences du démon et à toutes les afflictions, il faut que votre cœur dirige son plus vif regard sur le cœur miséricordieux du Seigneur si plein d’amour pour le genre humain, car il se trouve, pour ainsi dire, devant vos yeux. Il faut regarder sans crainte ce cœur sacré comme un trésor inépuisable de bonté et de secours spirituel ; vous obtiendrez alors immédiatement ce que vous demandez. L’essentiel, c’est la foi ou la contemplation du Seigneur par le cœur et avec l’espoir d’obtenir de sa clémence sans borne absolument tout. Ce que je dis là est la pure vérité et je l’affirme comme l’ayant moi-même éprouvé dans ma vie. Le Seigneur nous apprend aussi par là à ne pas oublier combien nous sommes moralement faibles… et faire en sorte que notre esprit soit toujours disposé à prier le Seigneur.[17].

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