Le Pacifisme/Chapitre 2

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Société française d’imprimerie et de librairie (p. 59-107).
CHAPITRE II
LES THÉORIES PACIFISTES.


Le Pacifisme raisonne ainsi. Toute guerre est une impiété et un crime, puisque nous sommes tous ou enfants de Dieu, ou individus d’une espèce animale qui est évidemment faite pour peupler la terre sans la disputer tant que celle-ci sera assez large pour que les hommes y puissent être à l’aise. Toute guerre est donc une sorte de pillage et de vol à main armée qui ne peut avoir ni aucune justification ni aucune excuse. L’humanité pouvant et devant sans doute se considérer comme un seul être éternel ayant pour mission de persévérer dans l’être, de s’accroître et de se développer, toute guerre est une tentative de suicide très funeste quoique n’aboutissant pas à la mort totale ; et par conséquent est un acte de pure folie.

Il y a des guerres de différentes sortes, soit ; mais examinons ces différentes espèces et nous verrons que toutes les guerres sont condamnables.

Il y a, pour ainsi parler, la guerre impulsive. L’homme a besoin de se battre, la combativité est un instinct primitif. L’homme se bat pour se battre. Cela se voit à considérer les enfants, qui ne sont pas tous batailleurs, mais qui le sont assez fréquemment et chez qui le batailleur est naturellement chef, reconnu comme tel, chef de bande contre un autre chef de bande et suivi assez facilement, assez docilement, par ses petits amis, même relativement pacifiques. Cela se voit aux animosités de village à village, qui n’ont le plus souvent aucune raison, aucun motif et qui ne sont que la manifestation d’un instinct sourd et aussi d’un instinct aveugle. Cela se voit à ceci que dix hommes ne peuvent pas être réunis sans qu’il y ait presque dès le premier instant deux camps et deux chefs, le plus souvent avant qu’il y ait matière de différend et sans qu’il y ait matière de différend.

Nous reconnaissons cela ; mais nous disons que de ce qu’un instinct est primitif, il ne s’ensuit pas, il ne faut pas conclure qu’il soit naturel. L’homme est encore combatif parce qu’il a bien fallu qu’il le fût, à l’origine, pour se défendre contre ses ennemis naturels, lions, tigres, ours et autres voisins redoutables. Ces guerres primitives ayant probablement duré plus longtemps que n’a duré la période historique de l’humanité, il n’est pas très étonnant que l’homme historique ait obéi et obéisse encore à une impulsion qui n’a été d’abord qu’une nécessité et qui est devenue un instinct par hérédité et par habitude. Que nous soyons très loin de l’époque où l’homme rencontrait à chaque pas une bête féroce et par conséquent était sans cesse tendu et bandé vers la lutte, ce n’est qu’une apparence. Supposez, ce qui n’a rien d’invraisemblable, une humanité primitive qui ait duré soixante mille ans et une humanité en sécurité du côté des bêtes féroces depuis six mille ans, l’humanité sera un homme qui pendant quarante ans aura été forcé de se battre tous les jours et qui pendant quatre ans, quoique pouvant ne plus se battre, continuera de se battre par habitude prise devenue tempérament et complexion.

Or, est-ce une raison pour qu’il continue dix ans encore, vingt ans encore et jusqu’à sa mort ? Point du tout. Si la civilisation est, elle consiste à dépouiller l’ancien caractère humain qui n’était qu’une suite des nécessités de la première période, à détruire les restes héréditaires, désormais inutiles, d’une complexion qui était le résultat de circonstances particulières, prolongées du reste, mais qui n’était pas pour cela naturelle et fondamentale. Nos ancêtres se sont mis très longtemps des plumes sur la tête, des colliers de dents d’animaux autour du cou et des anneaux dans le nez ; et c’était pour plaire aux femmes. Les restes de ces habitudes primitives sont les brillants ajustements dont nos pères faisaient usage il y a encore deux siècles. Ces ajustements sont aujourd’hui surannés ; et le vêtement reste ; mais la parure disparaît. Cela veut dire que le besoin de parure n’est pas un instinct naturel, comme on le croit trop, mais une habitude qu’un état social primitif ou de demi-civilisation avait imposée et qu’une civilisation rationnelle ou moins puérile écarte, élimine ou laisse tomber de soi-même.

Le fétichisme a existé, et il en est resté, comme il est bien naturel, des débris, des détritus ou des souvenirs à travers toutes les religions de plus en plus épurées et spiritualisées. Qu’en reste-t-il ? Presque rien. Il en reste la dévotion à certains sanctuaires précis, préférés à d’autres ; il en reste, chose qui durera plus longtemps, la dévotion à un Dieu providentiel et providentiel à l’égard de celui qui le prie et à qui l’on demande des faveurs particulières et personnelles ; et ce Dieu au moment où on le prie de cette façon est bien pour celui qui le sollicite un fétiche, très nettement, un Dieu universel ramené pour un instant aux proportions d’un fétiche ; mais ceci disparaît peu à peu et disparaîtra presque avec le temps.

Nous disons presque, parce qu’il est probable que tous les instincts primitifs de l’humanité sont destinés à s’approcher de plus en plus de la complète disparition sans disparaître jamais tout à fait. Tout au moins on ne peut pas aujourd’hui se les représenter comme ayant radicalement disparu ; mais ils s’acheminent vers le néant et avec une vitesse de plus en plus grande.

Que restera-t-il un jour ? Précisément ce qui est naturel et non primitif. Ce qui est entré dans le cœur de l’homme par suite des conditions premières où il a été placé sur la terre, c’est ce qui disparaîtra, tout au moins c’est ce dont il ne restera que de légères traces. Ce qui restera c’est ce qui est naturel.

— Mais qu’appelez-vous donc naturel ?

— Ce que nous appelons naturel c’est ce qui est pour l’homme d’une éternelle nécessité. Par exemple il travaillera toujours. Est-ce que le travail est primitif ? Au sens qu’a le mot aujourd’hui, point du tout. L’homme primitif ne travaillait pas. Il cueillait des fruits, il chassait, il péchait. Mais ce qui lui était déjà une nécessité c’était l’activité, l’activité qui consistait précisément à chercher des fruits, à chasser et à pêcher. Cette activité a pris une nouvelle forme ; elle est devenue l’exploitation méthodique de la terre, c’est-à-dire le travail. L’activité sous le nom de travail ou sous un autre est naturelle à l’homme parce qu’elle est pour lui de nécessité éternelle, et l’homme travaillera toujours. Mais fétichisme, parure, beaux-arts peut-être même, sont circonstanciels dans l’histoire humaine, quoique ayant duré longtemps et devant durer longtemps encore ; ils ne sont pas proprement naturels, comme l’amour, la paternité, la famille et le travail.

La guerre ne l’est pas non plus ; elle est primitive et non naturelle ; elle est un pli pris, un très mauvais pli. Ces habitudes, circonstancielles d’abord et ensuite factices, sont destinées à s’effacer.

Remarquez que, pour nous conformer à cette loi d’approximation que nous indiquions tout à l’heure et d’après laquelle les trois anciennes habitudes de l’humanité doivent s’approcher de plus en plus de la disparition sans peut-être disparaître jamais, nous pouvons dire ceci, qui est très vraisemblable : la guerre impulsive, comme bien d’autres prétendus instincts de l’humanité, se transformera d’abord pour tendre à la disparition ensuite ; la guerre deviendra lutte, lutte économique, lutte industrielle, lutte commerciale. C’est eu ces conflits et batailles demipacifiques que se dépensera la combativité de l’espèce humaine pendant de longues années. La lutte économique n’est certes pas plus raisonnable que la guerre impulsive et elle résulte de la même impulsivité ; on peut dire encore qu’elle est tout aussi meurtrière ; cependant elle est moins sanglante, moins apparemment et sensiblement féroce, et elle peut être considérée comme une espèce de progrès, comme une espèce d’adoucissement des mœurs belliqueuses. Il faut observer aussi qu’à la considérer comme une guerre, elle est guerre civile en même temps que guerre internationale. Le commerçant français lutte contre le commerçant français autant que contre le commerçant anglais ou allemand. — Voilà, dira-t-on, qui rend cette forme de guerre plus odieuse que l’autre ! — Mais, non ! Les exagéreurs et les paradoxistes de notre camp ont coutume de dire qu’en fait de guerre ils n’admettent que les guerres civiles. Littéralement ils ont tort et nous condamnons les guerres civiles aussi énergiquement que les guerres entre nations ; mais s’ils parlaient de luttes en général, de luttes non sanglantes quoique très funestes encore, et en particulier de luttes économiques, ils n’auraient pas si tort ; car la lutte entre concitoyens a des chances d’être moins âpre et elle donne une matière à la combativité humaine sans la déchaîner en toute violence, et c’est ici de la combativité tempérée. Et s’ils voulaient dire que les luttes, non sanglantes, à moitié civiles, à moitié internationales, sont les moins mauvaises des luttes, ils auraient plus raison encore, parce que les luttes de ce genre, à force de passer et repasser sur les frontières, peuvent finir par les effacer. Or les luttes économiques ont précisément ce caractère d’être mixtes, d’être à moitié civiles, à moitié internationales.

Quoi qu’il en soit, l’instinct belliqueux ou plutôt l’habitude belliqueuse du genre humain est destinée probablement à trouver une matière suffisante dans la lutte économique et à s’y satisfaire et à abandonner les champs de bataille et les champs de meurtre proprement dits. Et ce sera, tout compte fait, un progrès. Ceci jusqu’à ce que l’instinct belliqueux s’étant usé à s’exercer dans ce nouveau domaine et étant devenu moins fort, on s’apercevra, comme nos amis socialistes le disent déjà, que la lutte économique elle-même est absurde et elle-même est meurtrière, et l’on abandonnera tout genre de lutte, en organisant un partage égal des biens de ce monde et en ne laissant à l’instinct combatif que de menues satisfactions d’amour-pcopre et de vanité, ce qui le réduira à une manière de simple émulation enfantine, chose acceptable.

Voilà à peu près ce que nous avons à dire de la guerre impulsive, de la guerre qui résulte du simple besoin, factice selon nous, que l’homme a de porter des coups et de s’exposer à en recevoir.


Il y a d’autres genres de guerre, comme par exemple la guerre de pillage. La guerre de pillage est beaucoup plus raisonnable, si une guerre peut l’être, que la guerre impulsive: c’est, tout compte fait, une industrie. Deux peuples sont en présence, l’un industrieux, laborieux, inventif; il est industriel et agriculteur. Il est riche. L’autre n’aime ni cultiver la terre ni se livrer à l’industrie, il est pauvre. De temps en temps, pressé par la faim, il va faire une razzia sur le territoire du peuple agriculteur et industriel. Qu’est-ce à dire, sinon que l’un de ces peuples a une industrie et que l’autre en a une autre ? L’un des deux a pour industrie le labourage et la machine, l’autre a pour industrie la guerre. On ne peut même pas flétrir ce dernier des qualificatifs de sauvage et de paresseux ; car il faut un très haut degré de civilisation pour avoir un outillage de guerre décisif et il faut être très actif pour s’entraîner sans cesse et se maintenir à l’état de peuple de soldats. La guerre était l’industrie de Sparte comme le labourage et le pâturage étaient l’industrie des Arcadiens. La guerre, du reste, était aussi l’industrie des Athéniens, et conquérir des villes riches pour en faire des tributaires était l’idéal des Athéniens tout aussi bien que celui des Spartiates ; seulement les Spartiates, ne se divertissant jamais de leur industrie du côté des beaux-arts, furent des spécialistes supérieurs. Les Romains n’ont été pendant longtemps que de purs et simples hommes de proie.

La guerre de pillage est donc rationnelle, et au fond toute guerre qui peut s’excuser est une guerre de pillage, et toute guerre qui voudra se justifier ne se justifiera qu’en démontrant qu’elle est une guerre de pillage —, le nom seul sera changé : elle s’intitulera guerre économique.

Nous condamnons cependant, avec une grande énergie, la guerre de pillage sous quelque nom qu’elle se présente. Nous la condamnons parce que, quelque énergie et quelque courage qu’elle suppose, l’industrie guerrière a pour moyen la suppression d’un certain nombre de vies humaines, ce qui ne laisse pas d’être immoral, et peut-être n’y a-t-il pas à insister.

Qu’on ne nous dise pas que s’il y a des blessés et des morts, c’est la faute du peuple faible qui ne sait pas reconnaître tout de suite et spontanément sa faiblesse et donner au peuple fort tout ce qu’il demande, auquel cas le peuple fort ne verserait pas une goutte de sang. L’objection vaut peu. Sans doute, dans nos idées, tout peuple par qui la guerre existe, par qui la guerre a lieu, est coupable et le peuple faible qui résiste au peuple fort et qui oblige celui-ci à être cruel est presque aussi coupable que le peuple agresseur. Il l’est un peu moins cependant ; parce que l’autre a choisi un genre d’industrie qui, supposant le meurtre, comportant le meurtre en comptant sur une extrême pusillanimité du peuple voisin, a dans tous les cas un caractère d’immoralité assez marqué. Se dire : « Nous tuerons pour voler et ce sera notre industrie », est signe d’un certain manque de délicatesse ; mais se dire : « Nous ne serons peut-être pas forcés de tuer, tant nos voisins sont lâches », est indélicat aussi, en ce qu’il marque un mépris brutal pour des êtres qui sont en quelque manière vos semblables.

Nous condamnons donc les guerres de pillage comme immorales.

Nous les condamnons aussi comme antiéconomiques ; car elles détruisent plus qu’elles ne créent et elles sont par conséquent une perte pour l’humanité. La guerre de pillage, d’une part, empêche la nation pillarde de produire, parce que celle-ci compte sur le pillage pour vivre et ne s’applique pas à la production ; et la guerre de pillage empêche la nation pillée de produire pendant tout le temps qu’elle est pillée et surtout si elle a la mauvaise inspiration, excusable après tout, de se défendre. Il y a perte de tous les côtés, perte qui n’est pas compensée, quoi qu’on en puisse dire, par le magnifique élan, par la magnifique excitation au travail et à un redoublement de travail, que le pillage laisse derrière lui. N’en croyez pas le peuple vainqueur qui, en s’en allant chargé de butin, dit : « Maintenant ils vont travailler et produire deux fois plus que les années précédentes ; ils ont besoin de temps en temps de ce coup d’aiguillon et c’est un service que nous leur rendons. » Il y a du vrai dans ces hautes paroles ; mais à tout prendre, ce qui vaudrait mieux c’est que tout le monde travaillât et que tout le monde produisît, sans qu’il y eût temps perdu, d’un côté à aiguillonner et de l’autre à résister à l’aiguillon.

Nous condamnons les guerres de pillage quand même elles prendraient le titre de guerres économiques. Elles ne rapportent jamais à personne ce qu’elles coûtent.


Faut-il parler des guerres de magnificence? Oui, parce qu’elles sont très caractéristiques d’un vice humain qui est mêlé à toutes les guerres, quelles qu’elles soient, en proportions variées. Les monarchies ont fait des guerres de magnificence ; les républiques aussi. Une guerre de magnificence est une guerre de gloire ; c’est une guerre destinée à relever le prestige d’un peuple ou à l’accroître. Ce n’est pas le besoin de se battre ou le besoin de ne pas se livrer au travail agricole ou industriel qui l’inspire ; c’est le désir de laisser des inscriptions magnifiques sur un monument, sur un trophée. Les guerres de magnificence sont des jeux olympiques à coups de flèche et à coups de canon. Les monarques les aiment ; mais aussi les consuls et les présidents de république : les monarques pour laisser un nom dans l’histoire, et voilà pourquoi nous tenons si fort à ce que les livres des historiens ne contiennent pas de noms de bataille ; comme il n’y aurait pas de duels si les noms des duellistes ne paraissaient pas dans les journaux, de même il n’y aurait peut-être pas de guerres de magnificence si les historiens n’en tenaient pas compte. Les consuls, les présidents de république, tiennent à ces mêmes guerres pour marquer leur passage et pour que le temps où ils sont restés au pouvoir ne paraisse point pâle et terne au regard de leurs contemporains. Pyrrhus et Picrochole sont restés les types légendaires des héros des guerres de magnificence. La guerre est une chose si abominable que, selon ses différents aspects, elle est représentative de tous les vices de l’humanité et que par conséquent il fallait qu’elle fût aussi l’expression de la vanité humaine, et ce sont les guerres de magnificence qui représentent la vanité sur les champs de bataille. On fait la guerre par vanité. On tue par vanité. C’est burlesque et c’est hideux. Les poètes, qui trop souvent exaltent merveilleusement les pires des vices, ont trouvé de beaux mots pour colorer celui-là. Virgile dit :

Vincet amor patriæ laudumque immensa cupido,[1]

montrant bien que l’amour de la patrie ne suffirait pas à armer le bras des héros et qu’il y faut encore le désir effréné de la gloire, des éloges. On verse le sang, des fleuves de sang, pour une cantate. Il faut répondre à un vers par un autre vers :

O miseras hominum mentes, o pectora cæca ![2]

Les guerres de magnificence justifieraient presque par comparaison les guerres de conquête ; car enfin l’anthropophage avait raison qui disait aux civilisés : « Vous ne mangez pas vos prisonniers ? Alors pourquoi vous battez-vous ? » Les guerres de conquête font honte aux guerres de magnificence en ce que, elles au moins, ont un but matériel et réel. Elles sont faites pour diminuer le territoire du peuple vaincu et pour tirer de lui une indemnité de guerre, pour l’affaiblir en un mot, le rendre incapable de nuire et s’enrichir de ses dépouilles. Les guerres de conquête, à leur manière, mangent les vaincus. On peut donc accorder qu’elles sont beaucoup plus intelligentes et beaucoup plus rationnelles que les guerres impulsives et que les guerres de magnificence. Elles sont des guerres de pillage supérieures et méthodiques.

Elles n’en valent pas mieux. Au fond tout ce qui est prétexte et tout ce qui est sophisme étant écarté, la guerre de conquête consiste en ceci : rendre plus fort celui qui est plus fort. Si l’équilibre entre les peuples peut être considéré d’une part comme une garantie de l’harmonie générale, d’autre part comme une garantie relative de l’indépendance des différentes nations, d’autre part encore comme une certaine forme de la justice ; c’est précisément le but contraire qu’il faudrait chercher et atteindre. Supposez un Dieu ou une suprême autorité morale, celle d’un sage, celle d’un pape, devant laquelle on s’inclinerait, ce Dieu ou cette autorité supérieure dirait certainement : « Les Neustriens ont vaincu les Austrasiens. Qu’est-ce qu’ils ont prouvé ? Que les Neustriens sont plus forts que les Austrasiens. Donc il faut, non pas que les Neustriens prennent une partie du territoire des Austrasiens, mais que les Austrasiens prennent une partie du territoire des Neustriens, puisque les Neustriens sont déjà plus forts. Ainsi le veulent la justice distributive et l’équilibre du monde. »

Rationnellement toute guerre de conquête devrait donc se terminer par l’agrandissement du territoire du peuple vaincu. C’est le contraire qui a lieu. Donc la guerre de conquête est contre tout droit, contre toute justice et contre toute raison.

Elle a bien d’autres caractères d’absurdité. Remarquez-vous qu’elle annexe toujours au peuple vainqueur les portions du peuple vaincu qui ont le plus horreur de lui être annexées ? C’est à savoir les populations des frontières. Les populations centrales du peuple A, qui est le peuple vaincu, ne seraient pas horriblement désespérées d’être annexées au peuple B ; elles n’ont qu’un patriotisme tempéré. Les populations sur frontières du peuple A, ardemment patriotes comme toutes les populations sur frontières, ce sont elles qu’on annexe. Il serait plus juste et plus humain, en admettant le droit de conquête, de donner au peuple B une enclave, du reste riche et fertile, bien choisie, du peuple A. C’est ce qu’on ne fait jamais, avec raison pratique du reste, parce que cela compliquerait les choses ; mais il reste qu’une injustice particulière, au milieu de la grande injustice, a été commise, celle de choisir pour les annexer au vainqueur, précisément les populations qui doivent le plus souffrir d’être annexées. Les guerres de conquête sont un tissu inextricable d’absurdités.

Profitent-elles au moins aux vainqueurs ? — La conquête, au moins pendant très longtemps, embarrasse beaucoup le conquérant. La conquête est une proie qu’il faut digérer, et pendant la digestion on est alourdi, faible et proie facile, à son tour, pour un autre. Un peuple vainqueur et terriblement vainqueur, et sans protestation de la part de l’Europe, en 1870, à quoi a-t-il songé, dirigé qu’il était par un homme à la fois très audacieux et très prudent ? Il a songé à se faire des alliés ; il a songé à transformer en alliés ses plus proches voisins, exactement comme s’il avait été vaincu ; avec plus de facilité, sans doute, parce qu’hommes et peuples sont toujours du côté de la force ; mais encore exactement comme s’il avait été vaincu. Qu’est-ce à dire ? Qu’une conquête est l’équivalent d’une défaite ? Parfaitement, pour un certain temps. Elle affaiblit pour un temps d’une façon très sensible, jusqu’à ce qu’on en ait recueilli le bénéfice par l’assimilation de l’annexé.

Mais cette assimilation, combien de temps demande-t-elle ? Le plus souvent un temps indéfini. La faiblesse secrète de l’Autriche et qui a été cause de la plupart de ses malheurs, c’était sa domination sur l’Italie. L’Italie était son boulet, qui la tirait en arrière à tous les mouvements d’offensive ou même de défense qu’elle faisait d’un autre côté. L’Irlande est encore un embarras et une cause de faiblesse pour l’Angleterre. Un peuple annexé c’est un membre que l’on s’ajoute ; oui ; mais c’est un membre paralysé et qui vous paralyse. Il y a toujours ou il pourrait toujours y avoir, chez un peuple vainqueur d’hier, deux partis, l’un qui dirait : « Annexons pour nous fortifier », l’autre qui dirait : « N’annexons pas, de peur de nous affaiblir », et il serait vraiment difficile de savoir qui aurait raison, tant cela dépend des circonstances et de circonstances qu’on ne peut prévoir. En 1870, il y avait des Allemands qui ne voulaient pas annexer l’Alsace-Lorraine : « Cela nous surchargerait, nous alourdirait, serait un poids mort. — Peut-être ; mais alors, à quoi nous sert-il d’avoir vaincu ? Soyons alourdis ; mais que le peuple vaincu soit affaibli. » Qui avait raison ? Les choses semblent avoir bien tourné, mais personne n’en peut répondre. Il eût suffi que la France eût une politique intérieure et une conduite intérieure plus sympathiques aux Alsaciens-Lorrains pour que l’Alsace-Lorraine fût pour l’Allemagne une Lombardie-Vénétie ; et cela pourrait encore avoir lieu dans l’avenir.

Notez encore cette nécessité pour un peuple devenu conquérant de conquérir toujours. C’est une nécessité presque fatale. C’est une nécessité atténuée par la prudence ou augmentée par la témérité du peuple vainqueur ; mais c’est une quasi-nécessité. La vraie raison pour laquelle la Prusse a conquis et annexé l’Alsace-Lorraine c’est qu’elle avait conquis les petits peuples allemands. Il y avait chez les petits peuples allemands un patriotisme local et un patriotisme général qui se combattaient. La Prusse les conquiert. En les conquérant, à la fois elle les blesse et elle les satisfait. Elle blesse leur patriotisme local ; elle satisfait leur patriotisme général. Mais lequel est le plus fort et sont-ils plus satisfaits que blessés ou plus blessés que satisfaits ? Il y a doute. Il y a chez eux flottement. Pour que leur patriotisme général remporte décidément sur leur patriotisme local, il faut leur donner une satisfaction de patriotisme général ; il faut leur donner de la gloire allemande, commune à tous. De là la guerre contre l’ennemi héréditaire, et de là aussi l’annexion d’une partie du territoire de l’ennemi héréditaire ; car ces petits peuples allemands ne comprendraient pas cette gloire allemande qu’on leur donne, s’ils n’en voyaient pas un signe matériel et si elle n’était pas marquée nettement et largement sur la carte de l’Europe.

Donc la conquête appelle la conquête comme l’abîme appelle l’abîme, et l’on y est en quelque sorte comme engouffré. On est forcé de consolider la conquête par la conquête, et celle-ci par une autre indéfiniment. L’Allemagne, une fois la France amoindrie, s’est montrée très sage, très pratique, et n’a point poussé plus loin ses agrandissements comme, très probablement, Napoléon Ier aurait voulu faire. Elle a senti qu’il fallait digérer. Soit ; mais en conquérant tout ce qu’elle prétendait qui était allemand, elle s’est engagée tacitement à conquérir tout ce qui reste d’allemand en dehors d’elle. Le jour où se présentera l’occasion de revendiquer ce qui reste de plus ou moins allemand en dehors d’elle, ou elle le revendiquera et se mettra, en inquiétant l’Europe, en menaçant décidément l’indépendance de l’Europe, dans des embarras qui la mettront au risque de perdre ce qu’elle a gagné ; ou elle ne le revendiquera point et elle s’affaiblira moralement de façon singulière aux yeux de ses sujets ; et dans la voie des conquêtes une fois ouverte, ce qu’il y a de terrible, c’est que ne pas avancer semble un recul.

Considérez encore les guerres de conquête à un autre point de vue, au point de vue des nationalités. Il y a là des phénomènes bien curieux. Les guerres de conquête détruisent les nationalités et elles les créent ; de telle sorte que l’on ne sait aucunement ce que l’on fait quand on fait une guerre de conquête. C’est un affreux jeu de hasard. Il arrive qu’en faisant une guerre de conquête, on détruit une nationalité — le temps aidant — et on l’incorpore dans la sienne ; il arrive qu’on ne la détruit pas et qu’elle subsiste sous votre joug, toujours frémissante et infiniment embarrassante pour vous ; il arrive enfin que là où n’existait pas de nationalité vous en créez une. L’Angleterre a absorbé en elle la nationalité écossaise ; mais elle n’a pas assimilé la nationalité irlandaise, et dans le premier cas l’annexion lui a été utile et elle lui a été nuisible dans le second. Que faut-il conclure et quel exemple est à imiter ? — La Russie n’a pas encore, au bout de plus d’un siècle, réussi à détruire la nationalité polonaise. En ces conditions la Pologne lui est-elle une force ou une faiblesse ? — Il y a donc des cas où la conquête détruit une nationalité et des cas où elle ne réussit pas à la détruire.

Il y a même des cas où elle en crée une. La nationalité italienne a été créée lentement par la domination de l’Allemagne en Italie et aussi par la courte domination de la France en Italie. Ce qui a peu à peu détruit le patriotisme local des provinces italiennes et créé le patriotisme général italien, l’italianisme, c’est l’oppression exercée sur l’Italie par l’étranger. Ce qui a créé le patriotisme allemand, le germanisme, c’est le Premier Empire français et l’oppression de l’Allemagne par la France. C’est à se sentir opprimés ensemble qu’on finit par se sentir frères et par sentir le besoin d’être libres ensemble.

À quoi donc servent les guerres de conquêtes ? Il ne faut pas dire : « à rien » ; il faut dire : « on ne sait pas. » Elles ont les résultats, proches ou lointains, les plus contraires. Elles réussissent à ceux qui les entreprennent, à moins qu’elles ne leur réussissent aucunement, à moins qu’elles ne réussissent contre eux. Elles fortifient, ou elles embarrassent, ou elles affaiblissent, ou elles ruinent, ou elles tuent. Donc c’est jouer à pile ou face que de les entreprendre ; donc c’est folie pure.

Il y aurait des « moyens mieux adaptés à l’objet », comme aime à dire M. Lagorgette. Ce qui semble devoir être fait en définitive, du reste avec des écarts, des marches brisées et des régressions, ce qui semble devoir être fait en définitive par de longues suites de grandes conquêtes sanglantes, à savoir la création de très grands empires : empire d’Europe, empire des deux Amériques, etc., pourrait être fait par des suites d’alliances entre peuples et de confédérations de plus en plus étendues, groupant par exemple les peuples d’Europe en cinq faisceaux, puis en trois, puis en deux, puis en un seul, par le concert des bonnes volontés et l’aperception commune des intérêts communs, et sans qu’une goutte de sang humain fût versée.


Dirons-nous quelque chose des guerres de religion ? Oui, parce que, quoiqu’elles paraissent appartenir à une histoire très ancienne, il en reste quelque chose et même beaucoup dans les guerres modernes, soit internationales, soit civiles. La guerre de religion, toujours mêlée, du reste, de motifs politiques et de motifs d’intérêt matériel, comme aussi toujours mêlée de simple impulsivité belliqueuse, la guerre de religion, si on la ramène à ce qu’elle a d’essentiel, c’est la volonté, chez un peuple, instinctive, sentimentale ou intellectuelle, que les autres peuples aient la même religion que lui ; ou la volonté, dans une partie d’un peuple, que le reste du peuple ait la même religion qu’elle. Croisades, conquêtes arabes, guerres entre protestants et catholiques, guerres modernes, même, rentrent, au moins partiellement, dans cette définition. Nous disons : même guerres modernes ; car il est très clair que les guerres de la Révolution française n’ont pas laissé d’avoir le caractère religieux. C’était la patrie que les volontaires de 1792 défendaient, mais c’était aussi les idées et principes de 1789 qu’ils prétendaient répandre dans le monde, sans du reste savoir en quoi ils consistaient, mais cela ne distingue pas leurs guerres d’une guerre de religion, et peut-être au contraire. De même il y a eu de la guerre de religion dans la guerre de 1870, du moins du côté des Allemands. Une au moins des idées, et très sincère, qui guidaient et poussaient chefs et soldats allemands, était celle de détruire ou d’amoindrir au moins la nation irréligieuse et immorale. C’est contre les Amalécites que les Allemands marchaient.

Il faudra sans doute toujours, tant que la guerre existera, avoir recours à quelque invocation de ce genre pour pousser les peuples les uns contre les autres. Le procédé consiste à attribuer un vice à la nation adverse ; il consiste à dire : « la perfide Albion ; la France athée et corrompue ; l’orgueilleuse Allemagne » ; il consiste à persuader à un peuple que la nation adverse a mérité un châtiment céleste. Il y a au fond de cela le plus pur de l’esprit des guerres religieuses.

Nous n’avons pas besoin de dire que si les guerres de religion ont été des guerres civiles, les guerres civiles sont partiellement des guerres de religion. On persécute les catholiques en France sous prétexte, sans doute, qu’ils sont de mauvais citoyens et qu’ils élèvent les enfants pour en faire de mauvais citoyens ; mais en le croyant un peu ; et sans doute pour le faire croire, mais en se le persuadant à soi-même. Le fanatisme n’a fait que changer de forme, ou plutôt il n’a changé que de moyens. Il profite de l’organisation nouvelle, qui est le mécanisme régulier, et non plus irrégulier, de la force. On cherchait autrefois, en se battant, où était la force, et par conséquent où était la partie de la nation qui avait le droit et le devoir d’obliger l’autre partie à penser comme elle ; on cherche maintenant en se comptant, ce qui est un mécanisme plus régulier, où est la partie de la nation la plus nombreuse, c’est-à-dire la plus forte et qui par conséquent a le droit et le devoir d’imposer sa façon de penser à la moins nombreuse et à la moins forte. C’est une guerre religieuse à coups de bulletins, qui ne lève pas une armée, mais qui met tout ce qui est armé dans le pays, gouvernement, justice, police, force militaire, au service d’une religion contre une autre ; et c’est toujours la force décidant de ce qu’on doit croire.

L’absurdité prodigieuse des guerres de religion, quelque forme qu’elles aient revêtue, qu’elles revêtent ou qu’elles doivent revêtir, n’a pas besoin d’être démontrée. « La guerre, comme a dit Guizot avec une naïveté jouée, c’est-à-dire avec une jolie ironie, n’est pas le moyen naturel pour prouver la justesse des idées. »

Là aussi les moyens mieux adaptés à l’objet « ne manquent pas », comme dit le judicieux M. Lagorgette. Guerres de religion ou guerres de conviction devraient être remplacées par des discussions et uniquement par des discussions et propagandes. Précisément pour convertir il ne s’agit pas de prouver qu’on est fort, il s’agit de prouver qu’on est dans le vrai. Précisément pour convertir ; parce que la force qui s’impose non seulement ne convertit pas, mais fortifie dans le vaincu la conviction opposée à celle du vainqueur. Il en est de cela comme des nationalités ; exactement. À combattre une nationalité, on la confirme bien plus souvent qu’on ne la détruit ; il arrive même qu’on la crée là où elle n’était pas, c’est-à-dire qu’on la suscite là où elle n’était qu’à l’état latent ; de même on créerait un sentiment religieux ou une conviction là où ils ne seraient qu’en puissance, à peine en puissance, en prétendant imposer par la force un sentiment religieux ou une conviction contraire. La guerre est partout absurde ; elle est absurde plus que partout et plus que jamais quand elle est guerre pour une idée.

C’est ici que la distinction entre guerres défensives et guerres offensives est particulièrement à sa place. On est porté assez généralement à penser que les guerres offensives sont injustes et justes les guerres défensives. Quand il s’agit de combattre pour des idées, la vérité de cette distinction saute pour ainsi dire aux yeux. Il est beau de se battre pour défendre ses croyances, et il est affreux de se battre pour les imposer. C’est que la croyance, la pensée, l’idée, sont choses respectables, vénérables, qui ont comme un caractère sacré. Il est donc aussi beau de s’armer pour les défendre quand on les attaque, qu’il est horrible de les attaquer. L’homme qui défend ses idées défend le droit qu’a le genre humain de chercher la vérité. Fût-il dans le faux, il défend donc la vérité. L’homme qui prétend imposer sa croyance par la force attaque le droit qu’a le genre humain de chercher la vérité. Fût-il dans le vrai, il combat donc contre le vrai.

Nous sommes donc à peu près condamnés (nous pacifistes), à approuver les guerres intellectuelles défensives ; nous ne pouvons du moins guère les condamner. Mais nous faisons remarquer que si l’on nous écoutait quand nous disons : « Les guerres intellectuelles offensives sont le plus grand des crimes », il n’y aurait plus de guerres intellectuelles défensives. Si personne ne prétendait imposer ses idées par la violence, personne n’aurait à défendre les siennes par la force. En condamnant les guerres intellectuelles offensives, nous supprimons donc — si l’on nous écoute — toutes les guerres intellectuelles, et nous restons dans notre rôle d’abolitionnistes de toute guerre.


Parlerons-nous des guerres ethniques, c’est-à-dire des guerres que se font les uns aux autres des peuples qui ne peuvent pas se souffrir, qui ont entre eux de telles différences de complexion et de caractère, — différence engendrant haine — qu’ils se battent à toute occasion avec une arrière-pensée d’extermination.

Il y a plusieurs cas, très différents.

Un peuple en déteste un autre uniquement parce qu’il n’est pas fait comme lui, parce qu’il a une autre langue, une autre religion, d’autres mœurs, d’autres coutumes, un autre caractère. Il l’attaque. On peut dire que c’est naturel ; mais il n’y a rien au monde de plus absurde. Car ce peuple, appelons-le le peuple A, que fera-t-il du peuple B s’il triomphe de lui ? Il le rapprochera de soi, de quelque manière qu’il s’y prenne, et c’est-à-dire qu’il aura réussi à en souffrir davantage. En effet, ou il en fera son tributaire, ou il l’annexera, simplement. S’il en fait son tributaire, il jouira sans doute du grand plaisir de le sentir humilié, mais il aura multiplié les rapports entre lui et soi. Il faudra sans cesse qu’il s’occupe de lui, de ses réclamations, de ses plaintes, de l’organisation et de la répartition des tributs, etc. Le peuple A, par horreur du peuple B, aura établi entre le peuple A et le peuple B les rapports de maître à domestique ou de propriétaire à fermier. On ne peut guère aller plus directement contre son but eu contre le but qu’on devrait avoir.

Si le peuple A annexe simplement le peuple B, c’est bien pis : le peuple A, parce qu’il détestait le peuple B, l’a fait entrer dans sa maison ; il vivra désormais en contact continuel avec lui. Il jouira sans doute, encore, du plaisir de le sentir humilié ; mais il n’en vivra pas moins en communauté avec lui ; il enverra chez lui des chefs, des administrateurs, des soldats qui se sentiront détestés et qui détesteront, et voilà une vie bien agréable ! Conquérir un peuple parce qu’on le déteste, c’est épouser une femme parce qu’on a de l’antipathie pour elle. C’est vouloir souffrir. Il est curieux comme la volonté de puissance est au fond une volonté de souffrance.

Peut-être cela est-il vrai de toutes les volontés de puissance, de la volonté de puissance sous toutes ses formes. Qui sait si l’ambition n’est pas en son fond le désir de n’avoir pas un moment de repos et de se créer des tourments incessants et abominables ? — En tout cas, cela n’a pas le sens commun.

Il y a un autre cas. C’est celui où un peuple en déteste un autre parce qu’il en a souffert. Il y a eu autrefois des guerres entre le peuple A et le peuple B. On s’en souvient des deux côtés. On a des souvenirs historiques qui sont des rancunes et des ressentiments. On se bat parce qu’on s’est battu. C’est le cas le plus commun. Cela se comprend mieux ; c’est moins absurde que ce que nous considérions tout à l’heure. Cependant ce n’est pas très sensé. Pourquoi serions-nous héritiers à ce point de sottises de nos pères ? Pourquoi une solidarité si étroite entre les pères et les fils dans leurs folies ? La guerre ethnique, c’est la vendetta. La vendetta est une absurdité. Elle consiste à éterniser une querelle de père en fils parce qu’elle a eu lieu une fois. Est-ce une raison ? Cela revient à dire qu’on ne peut s’aimer, ou se supporter, qu’à la condition de s’être aimé ou de s’être supporté toujours. Il y a au fond de cela un singulier rêve, beau du reste ; c’est qu’une querelle, une offense faite est une chose si épouvantable, tellement contre nature, qu’elle est inexpiable et éternelle, qu’elle brise à jamais tout rapport d’homme à homme. L’idée peut avoir sa beauté ; mais de ce qu’elle est belle en tirer cette conséquence de se battre toujours, ce qui est très laid ; et de ce qu’elle est en soi éminemment pacifique, en tirer cette conséquence qu’on se doit éternellement entr’égorger, c’est une erreur de raisonnement très évidente.

Il y a aussi au fond de cette disposition d’esprit cette idée que nos pères n ? ont pas pu se tromper. C’est encore une idée assez respectable ; mais elle est fausse. Nos pères ont eu leurs erreurs comme nous avons les nôtres, et aux nôtres ajouter les leurs, indéfiniment, c’est faire la gageure de multiplier la folie humaine. Tout cela rationnellement ne tient pas debout. Plût au ciel, du reste, qu’il ne tînt debout d’aucune façon.

Troisième cas. Un peuple, le peuple A, qui n’a ni la complexion ni le caractère du peuple B, a été annexé, incorporé par le peuple B ; mais il n’a pas été absorbé par lui. Il se sent autonome, moralement ; il se sent distinct ; il se sent un peuple. Comment n’en voudrait-il pas éternellement au peuple B ? Voilà les conséquences des iniquités de l’histoire. Assurément nous n’en pouvons vouloir au peuple A de désirer son indépendance et par conséquent de détester le peuple B qui la lui a enlevée et qui continue de la lui ravir. Il ne s’agit plus ici d’une vendetta, du souvenir d’injures reçues jadis et que l’on ravive par une sorte de méditation rétrospective. Il s’agit bien d’une souffrance réelle et actuelle, subie par celui-ci du fait de celui-là. Est-ce une raison pour faire la guerre ? Non ; c’est une raison pour persuader au peuple vainqueur qu’il est selon la raison, selon la justice et dans son intérêt de desserrer les liens du peuple vaincu et de s’associer avec lui fraternellement. Le droit de cité accordé par les Romains aux peuples vaincus est la solution et doit être l’exemple.

— Mais le droit de cité peut être un leurre et le plus souvent en est un. Si le peuple vaincu, ce qui naturellement est le cas le plus commun, est numériquement plus faible que le peuple vainqueur, il sera toujours en minorité dans les conseils de la nation dont il fait partie malgré lui, et il sera tout aussi lésé et tout aussi opprimé qu’auparavant ; et il n’y aura, comme si souvent il arrive, qu’une hypocrisie de plus.

— Soit ; dans ce cas, et l’on peut dire dans tous les cas, le vrai remède est une confédération, laissant au peuple vaincu son administration autonome et ne le rattachant au peuple vainqueur, à titre égal, qu’au point de vue des relations extérieures, pacifiques ou belliqueuses. Quand on n’a pas réussi — les répulsions ethniques s’y opposant — à former une seule nation, il en faut former deux qui restent alliées, ce qui est toujours possible, l’alliance étant tout aussi praticable entre peuples de différentes complexions qu’une association commerciale ou industrielle entre gens de différents caractères.


Nous avons parcouru à peu près, sans doute, tous les genres de guerres, et nous avons montré que les guerres, de quelque genre quelles soient, sont profondément absurdes et absolument condamnables. Terminons par quelques considérations générales sur la guerre en soi, pour ainsi dire.

La guerre, le plus souvent, si souvent que c’est presque son caractère spécifique et que peu s’en faut que ce ne soit sa définition, est un simple moyen de gouvernement pour séduire les peuples et pour les maintenir en un régime militariste qui est un système d’oppression à l’intérieur. Vous vous rappelez — et c’est encore un des rapports si étroits qui existent entre le cléricalisme et le militarisme — vous vous rappelez ce que les philosophes du xviiie siècle disaient des religions : ils les considéraient, non comme nées spontanément parce qu’elles répondaient à des besoins de la nature humaine, mais comme des inventions d’esprits très ingénieux, très habiles et très fourbes dans le dessein de maintenir les peuples trop crédules en une sorte d’esclavage. Ce que les philosophes du xviiie siècle disaient des religions, nous le disons de la guerre. La guerre est une invention des tyrans qui, sous prétexte, soit d’accroissement extérieur, soit de défense extérieure, ne poursuivent que les intérêts de leur domination intérieure. Le Sénat romain inventait une guerre nouvelle toutes les fois qu’une guerre ancienne était finie, pour dériver du côté des frontières l’ardeur du peuple et le divertir de ses revendications démocratiques. La guerre défensive elle-même et la préparation de la guerre défensive ne sont que des prétextes inventés par des gouvernements qui veulent rester armés surtout contre ceux qu’ils gouvernent. Les gouvernements présentent les voisins comme des ennemis prêts à fondre sur une proie. En 1848, malgré l’attitude ultra-pacifique de la France qui était gouvernée par un poète cosmopolite, le duc de Wellington demande des armements et autour de lui on représente les Français comme des bandits n’attendant que la première occasion pour débarquer sans déclaration de guerre. Depuis 1871 jusqu’en 1880, le gouvernement allemand ne cesse d’augmenter ses forces militaires en signalant sans relâche à son parlement l’ennemi héréditaire et son désir de revanche ; et depuis 1880 jusqu’en 1908, malgré le développement admirable que prennent en France le pacifisme et l’antipatriotisme, il continue de signaler l’ennemi héréditaire comme si de rien n’était. En chaque pays les écrivains se font l’écho de la médisance internationale : tout le mal provient toujours du voisin ; l’Allemand craint le coq gaulois ou fait semblant de le craindre ; le Russe ne se sent point en sécurité du côté de l’Allemand, et ainsi de suite. « Croirait-on, dit très bien Nocicow, que Spencer lui-même, homme avisé, se laisse surprendre par le sophisme et écrit bien niaisement : « L’Angleterre doit soigner ses dents et ses griffes tant que la France et l’Allemagne, militaristes, les soigneront. » Dans tout cela ou il y a tromperie bien méditée de chaque gouvernement, très persuadé qu’il sera aidé dans sa fourberie par celle des autres gouvernements, ce qui fait que, sans entente, il y a concert, chose qui est comme si elle était concertée, — ou bien il y a cercle vicieux provenant des faits eux-mêmes.

S’il y a tromperie, il suffit de ne pas être dupe. Disons aux gouvernements : « Tous les gouvernements sont militaristes ; mais aucun peuple ne l’est. Aucun peuple ne veut conquérir, aucun peuple ne veut se battre. Chaque peuple n’a rien à craindre de son voisin. Désormais, la paix universelle est faite. »

S’il y a cercle vicieux provenant des faits eux-mêmes : si le peuple A ne peut désarmer que quand le peuple B aura désarmé et si le peuple B ne peut désarmer que quand aura désarmé le peuple A et du reste aussi le peuple C, n’est-ce pas pitié que l’humanité soit enserrée dans un cercle vicieux pour ainsi dire enfantin ? Et ne suffirait-il pas d’un quart d’heure de conversation loyale pour en sortir ? Ne suffirait-il pas d’en sortir un seul jour pour en être sorti à tout jamais ?

La guerre, l’état belliqueux, pour mieux parler, est une illusion entretenue par des habiles. C’est une nécessité illusoire ; c’est une prétendue nécessité. Il suffirait de n’y pas croire pour qu’elle n’existât pas. Plût à Dieu que toutes les nécessités fussent de ce genre ! L humanité est attachée à l’état belliqueux comme la poule est attachée à la ligne, tracée à la craie depuis sa patte jusqu’au mur. Elle n’y est attachée que parce qu’elle croit l’être. Dissipons ce fantôme rien qu’à le regarder. Des prêtres de la guerre comme des prêtres des religions on peut dire :

Notre crédulité fait toute leur science,


et tout leur pouvoir.

À supposer même que la guerre ait pu être il y a très longtemps, non pas un bien, ce que nous n’accorderons jamais, mais un mal fécond en biens, en quelques bienfaits ; qu’on nous montre, au point de civilisation où nous en sommes arrivés, quels bienfaits peuvent sortir de la guerre ! La civilisation consiste en ceci que l’humanité laisse progressivement derrière elle les moyens de civilisation qui lui ont servi primitivement et pendant un certain temps. Elle a laissé derrière elle le fétichisme, le polythéisme, les religions locales ; elle est en train de laisser derrière elle même la religion naturelle, c’est-à-dire la religion universelle ou qui prétend l’être. Elle a laissé derrière elle l’esclavage, puis le servage ; il se peut qu’elle laisse derrière elle l’éloquence, déjà si différente de cette sorte de suggestion qu’elle était jadis ; il se peut qu’elle laisse derrière elle les beaux-arts qui sont une manière d’incantation, d’enchantement, de sorcellerie épurée et embellie. Chacun des moyens de civilisation cesse d’être utile à un moment donné et, regretté, sans doute, à cause de l’accoutumance et de la tradition et souvent de certains prestiges dont il s’est entouré, disparaît, et de telle manière qu’on s’étonne qu’il ait existé. Il en sera de même de la guerre qui, à supposer encore qu’elle ait été vraiment un moyen de civilisation, est certainement celui dont la disparition sera la moins regrettable et la moins regrettée.

La guerre ne sert jamais à rien. On la dit faite pour amener la paix, une paix durable en ce que, de deux puissants elle en élimine un qui désormais se tiendra tranquille. Où voit-on que les guerres aient ce résultat ? « L’Allemagne spoliée de l’Alsace-Lorraine en 1648 en dépouille la France, qui maintenant songe à la reprendre. Les victoires et les acquisitions de Napoléon se terminèrent par les traités de Vienne, dont le système artificiel suscita les guerres d’indépendance ; on y trouve même les guerres de la campagne de 1866 qui ont pour suite celle de 1870. La solution d’un litige met souvent en présence de questions adjacentes ; une fois entré dans cette voie, il est difficile d’en sortir, et la pente entraîne fatalement de guerre en guerre… Des lésions multipliées naissent les rivalités historiques, les haines ethniques qui engendrent de nouvelles violences… La fréquence même des guerres semble prouver qu’elles ne résolvent rien. De 1496 avant J.-C. à 1861, en 3358 ans, il y a eu 227 années de paix et 3130 de guerre, soit une année de paix sur 13, dans le monde civilisé seulement. L’illusion contraire provient de la fatigue, de l’épuisement des ressources après le carnage. Les belligérants paraissent désirer la paix et signent des traités. Mais ce n’est souvent qu’une trêve, passagère comme le sentiment de la faiblesse et d’autant plus précaire que les conventions imposées par la force ne semblent pas respectables à ceux qui les subissent… » (Lagorgette.)

La vérité, tout sophisme écarté, c’est que la guerre n’est grosse que de la guerre, et ainsi indéfiniment.

On dit quelquefois que la guerre ou l’attente de la guerre et la préoccupation de la guerre qui peut survenir est quelque chose comme un tonique nécessaire ou très salutaire, que les peuples qui vivent en paix et sûrs de la paix s’amollissent et s’énervent, deviennent « ces peuples flasques » dont parle le président Roosevelt. Mais pour qui donc la disparition des guerres amènerait-elle l’oisiveté et la mollesse ? » Par définition, pour ceux dont la guerre est l’occupation, pour les peuples belliqueux, et c’est ainsi qu’Aristote a dit : « La constitution de Lycurgue ne se rapporte qu’à une partie de la vertu, à savoir à la valeur militaire ; et les Spartiates se sont maintenus tant qu’ils ont fait la guerre ; mais quand leur domination a été établie, ils ont péri, faute de savoir vivre en repos et de s’être exercés aux autres vertus plus importantes que celles des combats. »

Pour qui encore ? « Pour ceux qui par métier font partie de l’armée. Ainsi la noblesse, lorsque cessa momentanément sa fonction, ou lorsqu’elle n’en eut plus le monopole, tomba facilement dans l’inertie et la corruption, parce que son préjugé, concordant avec son inaptitude pour des travaux inaccoutumés, l’empêchait de s’y livrer. Qui à l’heure actuelle est oisif (et nous ne souhaitons pas qu’il cesse de l’être) ? N’est-ce pas les militaires de profession, dont la tâche est de préparer et d’exécuter une guerre qui n’arrive pas ? En sont-ils moins moraux, au dire des apologistes eux-mêmes ? La suppression de la guerre substituerait à l’activité intermittente et violente l’activité continue et intense, encore que régulière, du travail industriel et de l’émulation économique… » (Lagorgette.)

Il y aura toujours dans l’humanité une matière suffisante de travail, d’effort et même de lutte. L’humanité ne s’endormira jamais, parce que la paix n’endort point. De ce que la guerre est une crise de nerfs, il ne faut pas conclure que la paix soit un sommeil. Entre les deux il y a le travail sain, l’effort sain, la lutte, parfois même trop acharnée encore. Loin que la paix soit endormante, il faudrait qu’elle même devînt plus pacifique et se rapprochât davantage de la fraternité.

Ne craignez donc pas pour les peuples une somnolence et une léthargie maladives. Il n’y a pas de peuple plus pacifique et, relativement, plus sûr de rester en état de paix que la Belgique. Il n’y en a pas, ou il y en a peu, qui soit plus laborieux et qui soit moins endormi.

Ces souvenirs classiques des « délices de Capoue » et des Romains, aussi, s’alanguissant dans les loisirs de leur triomphe et se corrompant dans le silence et la prostration du monde vaincu, hantent seulement des cervelles peu meublées. Annibal ne s’amollit point, ni ses troupes ; il était épuisé, comme son adversaire, et ni l’un ni l’autre, pour un temps, ne pouvait marcher à l’ennemi. Les Romains ne s’amollirent point dans la paix. Ils furent numériquement plus faibles, à un moment donné, que l’énorme marée de peuples, plutôt que d’armées, qui battait de tous côtés leurs frontières. Ils furent engloutis plutôt que conquis. On ne résiste pas à un phénomène physique, comparable et presque identique à un déplacement de l’Océan. L’Empire romain n’a pas été, à proprement parler, conquis par les Barbares ; il a été recouvert par les Barbares. Il n’y a pas à parler ici d’ensommeillement, ni même de dégénérescence.

On pourrait parler d’anarchie, oui ; pendant certaines périodes les soldats disposèrent du pouvoir et le donnaient les uns à un général, les autres à un autre, et opposaient l’un à l’autre les hommes de leur choix ; c’est de l’anarchie ; mais ce n’est pas de l’énervement ; l’âpreté même avec laquelle se battaient ces hommes les uns contre les autres pour se disputer l’empire, prouve qu’ils n’étaient ni endormis ni amollis. La paix ne paralyse point. Elle met en jeu seulement les éléments sains et purs de l’activité humaine, en laissant les autres inactifs et en les annihilant peu à peu par ne leur donner point de matière. Elle est, même aux yeux de ceux pour qui le travail et l’effort constant sont l’idéal, l’état normal de l’humanité.

Ce que la guerre a de plus dangereux parce que c’est ce qu’elle a de plus corrupteur, c’est la paix avant et après allé, c’est la paix armée, c’est le militarisme en temps de paix. Le militarisme en temps de guerre a peut-être sa grandeur. Il développe, parce qu’il les exige, le courage, le sang-froid, la patience, la ténacité, l’abnégation, l’héroïsme ; mais le militarisme en temps de paix est une triste école de démoralisation et de dégradation. La vie de caserne corrompt les jeunes gens juste au moment de leur vie où ils sont sans force de résistance contre les agents de démoralisation et juste au moment où les habitudes que l’on contracte ont une influence sur la vie tout entière. Cela doit faire frémir, surtout lorsque l’on songe qu’autrefois c’était une faible partie de la nation et la plus incorruptible, en ce sens qu’elle était déjà corrompue, qui passait par cette école et qui du reste y restait, ce qui faisait qu’elle ne pouvait guère contaminer le reste du peuple. Plus tard c’était encore une partie de la nation, plus considérable, mais une partie seulement, qui passait sept ans dans l’armée et qui ensuite rentrait dans la nation civile ; on faisait encore, pour ainsi parler, la part du feu. Maintenant c’est la nation tout entière qui pendant deux ou trois ans, à l’âge des passions naissantes et de la faiblesse du caractère, est placée, comme à dessein, dans les meilleures conditions du monde pour contracter les vices les plus odieux et les souillures les plus indélébiles. Quand on songe que l’idéal moral, et nous parlons d’idéal pratique, est l’homme marié à vingt ans et père à vingt et un, et que c’est précisément à vingt ans que l’État prend le jeune homme pour l’empêcher de se marier, le dégoûter du mariage et souvent le condamner à ne jamais faire qu’un mariage infécond ou désastreux en ses conséquences ; on souhaiterait que l’État composât son armée de citoyens âgés de quarante ans au moins ; ou plutôt on veut énergiquement, de toute l’énergie que peut donner la pitié et l’amour du genre humain, que la guerre n’existe plus et que l’état militaire disparaisse à tout jamais.

Mais l’immoralité suprême de la guerre et la suprême puissance démoralisatrice de la guerre ne sont pas encore là. La guerre est démoralisatrice parce qu’à cause d’elle il y a deux droits, deux justices, deux vertus, et que l’un de ces droits est négateur de l’autre, l’une de ces deux justices négatrice de l’autre, l’une de ces deux vertus négatrice, corruptrice et destructrice de l’autre. À cause de la guerre il y a deux morales absolument contradictoires, que l’on enseigne toutes deux aux hommes, dont l’une commande tout ce que l’autre défend, exalte tout ce que l’autre flétrit, et présente comme des actes de sublime vertu ce que l’autre appelle crimes ; ce qui fait que les hommes ne peuvent pas savoir où est le droit, où est la justice, où est la vertu, où est la morale, et sont dans l’incapacité absolue d’avoir une règle de leurs mœurs.

Pascal dit : « Pourquoi me tuez-vous ? — Eh quoi ! ne demeurez-vous pas de l’autre côté de l’eau ? Page:Faguet - Le Pacifisme.djvu/113 Page:Faguet - Le Pacifisme.djvu/114 Page:Faguet - Le Pacifisme.djvu/115 Page:Faguet - Le Pacifisme.djvu/116 Page:Faguet - Le Pacifisme.djvu/117

  1. « La nature se taira devant l’image de la patrie et le fantôme de la gloire. »
  2. « Ô malheureux esprit des hommes ! ô coeurs aveugles ! »