Le Pape/L’infaillibilité

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Le PapeOllendorfŒuvres complètes, tome 29 (p. 30-32).

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L’INFAILLIBILITÉ

Ah ! je suis l’Infaillible !

Ah ! je suis l’Infaillible ! Ah ! c’est moi qui vois clair !

Et Dieu ?

Et Dieu ? Dieu ne sait pas ce que savait Kepler,
Ce que trouva Newton, ce qu’a vu Galilée ;
Il est dépaysé sous la voûte étoilée ;
Il a tous les défauts possibles ; dur, cassant,
Jaloux, inexorable, irascible ; il consent
À l’arrestation du soleil par un homme ;
Il damne l’univers pour le vol d’une pomme ;
Il foudroie au hasard, il châtie à côté ;
Il tue en bloc ; il met le diable en liberté ;
Molière le ferait sermonner par Alceste ;
Il extermine un bouge, il épargne l’inceste,
Détruit Sodome, et donne à Loth un exeat ;
Il double d’un enfer son paradis béat ;
Il ne sait ce qu’il fait, tant il est susceptible,
Et tâche de brûler notre âme incombustible
Dans un monstrueux lac de bitume et de poix.
Ah ! vous avez voulu lui mettre un contre-poids !
Oui, vous avez voulu corriger, j’imagine,
Ce Dieu qui du chaos tire son origine,
Qui maudit, sans savoir pourquoi, le genre humain,
Et qui marche en tâtant du bâton le chemin ;
Il a, certes, besoin d’un guide en sa nuit noire,
Et, grâce au compagnon qui l’aide, on aime à croire,

Malgré Pascal doutant et Voltaire niant,
Que Dieu peut-être aura moins d’inconvénient.
Donc son chien est le Pape, et je comprends qu’en somme,
L’aveugle étant le dieu, le clairvoyant soit l’homme.

Dérision lugubre ! Insulte au firmament !

Donc le Pape jamais ne chancelle et ne ment ;
Donc jamais une erreur ne tombe de sa bouche ;
L’infaillibilité formidable et farouche
Luit dans son œil suprême…

Luit dans son œil suprême… Ô nuit ! pardonne-leur !
Être un homme, un jouet quelconque du malheur,
Moins libre que le vent, plus frêle que la plante,
Le passant inquiet de la terre tremblante,
Une agitation qui frissonne et qui fuit,
Un peu d’ombre essayant de faire un peu de bruit,
Être cela ! sentir derrière soi l’abîme
Et devant soi le gouffre, et se croire la cime !
Avoir l’affreux squelette en ce vil corps charnel,
Et dire à Dieu : Je suis ton égal. Éternel !
Je suis l’autorité, je suis la certitude,
Et mon isolement, Dieu, vaut ta solitude ;
Le pape est avec toi le seul être debout
Sur cet immense Rien que l’homme appelle Tout ;
Tout n’est rien devant moi comme devant toi, Maître.
Je sais la fin, je sais le but, je connais l’Être ;
Je te tiens, ma clef t’ouvre, et je suis ton sondeur,
Dieu sombre, et jusqu’au fond je vois ta profondeur.
Dans l’obscur univers je suis le seul lucide ;
Je ne puis me tromper ; et ce que je décide
T’oblige ; et quand j’ai dit : Voici la vérité !
Tout est dit. Quand je veux que tu sois irrité,
Quand j’ai dit la loi, l’ordre, et le point où commence
Ta colère, et l’endroit où finit ta clémence,
Tu dois courber ton front énorme dans les cieux !

Le grand char étoile tourne sur deux essieux,
Dieu, le Pape.

Dieu, le Pape. Ô soleils ! astres ! gouffres des êtres !
Que dites-vous du pape infaillible, et des prêtres,
Des conciles mettant le pied sur vos hauteurs,
Que dis-tu de ce tas de sinistres docteurs,
Ciel terrible, imposant leur néant au mystère,
Et tâchant d’ajouter à Dieu le ver de terre !