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Le Parc de Mansfield/VII

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Le Parc de Mansfield, ou les Trois cousines
Traduction par Henri Villemain.
J. G. Dentu (Tome I et IIp. 110-121).


CHAPITRE VII.

« Eh bien, Fanny, dit Edmond le jour suivant, comment trouvâtes-vous miss Crawford hier ? »

« Très-bien. J’aime à l’entendre parler ; elle m’amuse, et elle est si jolie, que j’ai beaucoup de plaisir à la regarder. »

« C’est principalement sa physionomie qui est attrayante ; mais n’y a-t-il rien eu dans sa conversation que vous ayez blâmé ? »

« Ah ! il me semble qu’elle n’aurait pas dû parler de son oncle comme elle l’a fait ; j’ai été toute étonnée. Cet oncle avec lequel elle a demeuré pendant tant d’années, et qui traite le frère de miss Crawford comme son fils, à ce qu’on dit ; je n’aurais pas cru qu’elle en eût parlé ainsi. »

« J’ai bien pensé que vous en auriez été frappée ; cela n’était point convenable. »

« Et j’y trouve même de l’ingratitude. »

« De l’ingratitude ! c’est peut-être trop dire. Il est à présumer que l’amiral n’a pas beaucoup de droits à sa reconnaissance, et que c’est à la femme de l’amiral que miss Crawford en doit plutôt qu’à lui. »

« Et peut-être comme elle a été entièrement élevée par sa tante, madame Crawford, elle n’a pas reçu d’elle des notions précises sur les égards qui étaient dus à l’amiral.

« Votre remarque est juste. Oui, nous devons croire que les légers défauts de miss Crawford doivent être attribués à la manière dont elle a été élevée. Son esprit est si vif, qu’il saisit tout ce qui lui présente une idée amusante. Je suis bien aise que vous l’ayez jugée à peu près comme moi. »

Il y avait toutefois une différence dans cette manière de juger miss Crawford entre Edmond et Fanny. Edmond était très-disposé à lui vouer une sorte d’admiration qui ne pouvait être partagée par Fanny. La harpe arriva, et ajouta encore à la beauté, aux grâces, aux charmes de miss Crawford, car elle jouait de cet instrument avec un goût particulier. Edmond était chaque jour au presbytère pour entendre son instrument favori. Chaque matinée se terminait par une invitation pour la matinée suivante ; miss Crawford n’était pas fâchée d’avoir un auditeur, et tout allait le mieux possible.

Une jeune femme jolie, aimable, vive, tenant une harpe aussi élégante qu’elle-même, placée auprès d’une fenêtre qui s’ouvrait sur un jardin, présentant un gazon entouré d’arbres et d’arbrisseaux ornés du plus beau feuillage que l’été pouvait leur donner, c’en était assez pour émouvoir le cœur d’un jeune homme sensible. La saison, la scène, l’air, tout était favorable à la tendresse et au sentiment. Aussi Edmond, après avoir joui pendant une semaine des charmes d’une pareille société, était-il passablement amoureux. Et quoiqu’il ne fût ni un homme du monde, ni un fils aîné, et qu’il ignorât l’art de la flatterie et des aimables riens, il commençait à être agréable à Marie Crawford. Elle trouvait un charme dans sa sincérité, dans sa candeur, dans son intégrité. Toutefois elle ne cherchait pas à approfondir ces dispositions de bienveillance. Il lui plaisait pour le moment ; elle aimait à le voir auprès d’elle, cela lui suffisait.

Fanny ne pouvait être surprise qu’Edmond fût chaque matin au presbytère. Elle aurait été charmée d’y aller aussi pour entendre la harpe, sans être aperçue. Mais elle s’étonnait qu’Edmond fût presque toujours avec miss Crawford, sans qu’il ne remarquât plus rien de ce ton léger et inconsidéré qu’il avait d’abord blâmé en elle. La première peine réelle que miss Crawford occasionna à Fanny fut le résultat de l’inclination qu’elle témoigna pour apprendre à monter à cheval à l’exemple des jeunes personnes du parc de Mansfield. Edmond s’empressa de l’encourager dans ce désir, et lui offrit son propre cheval parfaitement dressé, et qui était celui dont Fanny se servait. Cette proposition fut faite par Edmond, sans qu’il crût qu’il en résultât la moindre peine pour Fanny. Le cheval devait seulement être mené au presbytère une demi-heure avant qu’elle fût prête à faire sa promenade accoutumée ; et Fanny fut pénétrée de reconnaissance de ce qu’Edmond lui demandât la permission de faire cet arrangement.

Miss Crawford fit son premier essai sans inconvénient pour Fanny. Edmond, qui avait présidé à tout, revint avec le cheval avant que Fanny et le vieux cocher qui l’accompagnait ordinairement quand elle faisait sa promenade sans ses cousines, fussent prêts à partir. Le second jour ne se passa pas tout à fait aussi innocemment. Miss Crawford prenait tant de plaisir à l’exercice du cheval, qu’elle ne savait comment l’interrompre. Vive, hardie, et sans être grande, d’une stature vigoureuse, elle semblait faite pour y réussir. Fanny était prête et attendait. Madame Norris commençait à la gronder de ce qu’elle ne fût pas déjà partie. Mais ni Edmond ni son cheval ne paraissaient. Pour échapper à sa tante, elle sortit à pied.

Les deux maisons, quoiqu’à peine éloignées d’un quart de lieue, n’étaient pas en vue l’une de l’autre. Mais après avoir fait une centaine de pas, Fanny pouvait se placer sur une éminence d’où on avait la vue du presbytère et de ses environs. Fanny y alla et aperçut bientôt dans la prairie du docteur Grant, Edmond et miss Crawford, tous deux à cheval, allant l’un près de l’autre, tandis que le docteur, madame Grant et M. Crawford les regardaient. Les accens de joie de miss Crawford montaient jusqu’à l’oreille de Fanny, qui s’étonnait qu’Edmond l’oubliât, et ne pouvait se défendre d’un serrement de cœur. Elle ne pouvait détourner ses yeux de la prairie et s’empêcher d’examiner tout ce qui s’y passait. D’abord miss Crawford et son compagnon firent le tour de la prairie au pas, puis ils prirent le galop, et Fanny fut surprise malgré elle de la bonne grâce de miss Crawford. Quelques minutes après ils s’arrêtèrent ; Edmond prenait la main de miss Crawford pour lui montrer à tenir les rênes. Fanny pensait que M. Crawford aurait bien pu éviter cette peine à Edmond. Un moment après, miss Crawford à cheval, accompagnée par Edmond à pied, se dirigea vers le parc, et y entrant, vint vers l’endroit où se trouvait Fanny qui, craignant de paraître trop impatiente, marcha lentement de leur côté.

« Ma chère miss Price, dit miss Crawford aussitôt qu’elle fut à portée d’être entendue, je viens vous faire mes excuses de vous avoir fait attendre. Je réclame mon pardon, car je ne dissimule point combien je suis coupable d’égoïsme. Mais il faut que vous me pardonniez, car l’égoïsme est une maladie pour laquelle il n’y a point d’espoir de guérison. »

La réponse de Fanny fut extrêmement polie ; et Edmond ajouta que miss Crawford devait être tranquille, parce que sa cousine avait encore le double du temps qu’il lui fallait pour faire sa promenade accoutumée. Fanny, après avoir reçu les adieux de miss Crawford, prit une autre route du parc, suivie du vieux cocher et sa gaîté ne revint point, lorsqu’en se détournant elle aperçut Edmond et miss Crawford qui descendaient ensemble la montagne en prenant le chemin du village.

Le soir, lorsque les deux familles se séparèrent, Edmond demanda à Fanny si elle avait l’intention de monter à cheval le jour suivant.

« Non, je ne crois pas, si vous avez besoin du cheval, » répondit Fanny.

« Je n’en ai pas besoin pour moi ; mais si vous avez l’intention de rester à la maison, je crois que miss Crawford sera bien aise d’avoir le cheval plus long-temps à sa disposition, et même pour toute une matinée. Elle a un grand désir de voir les environs de Mansfield ; mais elle serait fâchée de vous contrarier en cela. Vous montez à cheval pour votre santé, tandis que c’est un exercice qu’elle ne prend que pour son plaisir. »

« Je resterai à la maison demain, bien certainement, répondit Fanny, et vous savez que je suis assez forte maintenant pour me promener à pied, si je voulais sortir. »

Edmond parut satisfait, ce qui consola un peu Fanny. La promenade à cheval dans les environs de Mansfield fut arrêtée pour le lendemain matin. Tous les jeunes gens des deux familles en faisaient partie, à l’exception de Fanny, et ils jouissaient d’avance, dans leurs conversations, du plaisir qu’ils se promettaient. Un premier projet en amena un second, et quatre jours se passèrent en semblables promenades, pour montrer aux Crawford les plus belles vues du pays.

Edmond se repentit un peu de priver aussi long-temps Fanny de l’exercice qu’elle était accoutumée à prendre ; mais il résolut fermement que cela n’arriverait point une seconde fois, quoiqu’il ne voulût cependant pas, à cause de cela, ôter à miss Crawford un de ses plaisirs.